L'auteur : long-range
La course : L'Echappée Belle - Intégrale - 145 km
Date : 26/8/2016
Lieu : Vizille (Isère)
Affichage : 3058 vues
Distance : 144km
Objectif : Pas d'objectif
Partager : Tweet
130 autres récits :
A ceux qui voudrait faire ce trail, inutile de lire ce CR. Aux curieux, bon voyage.
Le programme est clair : 144 km, 11 000 m de dénivelé, 54 heures max. Jusque-là hormis un dénivelé généreux, rien de préoccupant. Le doute s’est installé en lisant les CR des éditions précédentes. Le taux d’abandon dépasse les 50% …curieux… Les concurrents relatent des parcours dans la caillasse éprouvant. J’ai rapidement mis fin à ces lectures, sous peine de rejet de l’obstacle.
Il n’empêche, jeudi 25 aout au soir, à la pasta party, nous étions tous dans nos petits souliers. Ambiance de grande ferveur, on est loin de la surexcitation vue sur certains ultra-trail. Lendemain, 6h00 dans le paddock de départ, la ferveur est intacte, quasi religieuse. La France est en vigilance canicule, la méteo est excellente, mais bien trop chaude. On n’ose se le dire, on le pressent, on le chuchote, on le comprend dans les échanges de regards, le parcours sera un délire de difficultés. C’est le terminus des prétentieux de la course à pied, ceux qui prennent la route ce matin rentrent dans les ordres du trail. Un café, un croissant, et s’est parti pour une première bosse de …. 2500 m D+.
Pour la première fois je crois de mon histoire, je ne me suis fixé aucun objectif horaire, mais juste l’objectif de finir. Curieux ces doutes. J’aborde le sujet en me disant qu’il s’agit d’une course d’obstacles : avec 4 grosses difficultés à franchir. On les prendra dans l’ordre et on ne verra bien ; et pas de plan sur la comète, finir serait un bonus.
On décolle donc de bon matin sous une bonne chaleur. Je suis dans les derniers du troupeau (500 partants). A mon niveau un gars annonce notre vitesse ascensionnelle : 650 m de D+/ heure : c’est trop. Et moi qui ai l’impression de me traîner. Mais au final, c’est bien, je profite, je me promène. Montée dans la forêt et puis premier ravito sous la station de ski de Chamrousse. Tiens, on a déjà fait 1400 mD+ Parfait. Tout facile.
On sort du bois : lac Achard, col de l’Infernet, col de la Botte… la caillasse arrive, on est en montagne. Super, tout avance bien. 10h00, bifurcation vers le refuge de La Pra, le chemin devient montagnard et oh surprise, je n’ai plus d’eau. Alerte : 2 litres bus en 2h, et on est encore loin du ravito. Stress pour trouver un torrent qui ne soit pas à sec. Il faudra patienter. Arrivée au 2ème ravito – refuge de Lapra à 12h45. Fini de rigoler, on est en pleine montagne et je me charge en eau : je passe de 2 à 2,75 l en quémandant une bouteille en plastique. C’est lourd. Puis on attaque le plus haut sommet de la course, la Croix du Grand Pic de Belledonne (2746m d’altitude). Ambiance haute montagne : moraine, caillasses, gros blocs instables, il y en a pour tous les goûts, sauf pour ceux qui cherchent de bons sentiers roulants. Ce n’est que la 1ère difficulté, essayons d’être zen fasse à l’obstacle. J’avance, et je franchis. A la montée, on croise ceux qui descendent. A mon tour j’aurais cette joie… vers 15h00 au sommet, puis c’est l’heure de passer le col de Freydane à 2639m, secteur ultra minéral, magnifique. Puis descente sur le refuge Jean Collet. Une moraine colossale nous attend, puis du chemin, puis du balcon…c’est long, très long, mais je finis par toucher ce 3ème ravito et c’est l’heure d’un premier bilan. L’obstacle n°1 est franchi ; je ne suis pas trop entamé ; je suis un peu limite au niveau horaire, mais en dessous de la barrière fatidique de 18h30. Voilà déjà au compteur 3200 m de dénivelés +, et 38 km. Ils sont nombreux à annoncer leur abandon et je m’étonne, car ce n’est que le début des difficultés…
Et on repart pour ce que je qualifierai de petite étape : 600m D+, soit 2 cols et une descente sur Habert. Je la sens bien. Le soleil et la chaleur diminuent, on retrouve des couleurs, des bonnes sensations, le ravito n°4 est atteint sans encombre. Les paysages sont sublimes, ça passe trop vite. Dans 1h, la nuit s’installera et c’est là que les affaires sérieuses commencent. J’en vois encore qui abandonnent. Quel dommage, c’est maintenant que la bagarre commence. Pour de vrai, je m’affale quand même 10’ parterre pour récupérer. La chaleur s’estompe, j’ai bu dans la journée 10 l d’eau, du jamais vu.
Devant nous, le col de la Vache à 2319m, annoncé comme une des pires difficultés. Dans les rangs l’ambiance est plutôt super cool et sympa, on se parle bien. La nuit tombe et on grimpe d’abord le col de l’Aigleton. Finalement, ce n’était pas plus mal de le franchir dans l’obscurité : c’était un mur vertical, il faut lever les genoux au niveau des oreilles tant les marches sont hautes. Mais c’est rapide. Au col de l’Aigleton, un signaleur m’annonce en face le col de la Vache : « tu vois les frontales alignées de bas en haut ? C’est là. Bonne nuit ». Avant, une descente bien raide, puis destination ce fameux col dans des blocs. Il n’y a aucun chemin, aucune trace, il faut trouver son itinéraire et poser son pied sur le bloc qui fait le moins mal, entre instabilité, arrête tranchante, grand écart, etc. Puis une chute de pierre vient distraire notre procession noctambule. Finalement, j’ai trouvé l’obstacle assez digeste (il n’y avait que 500mD+, et à la fraîche mais sans froid excessif – je suis resté en short et teeshirt toute la nuit… ). La descente est longue. D’abord raide, puis on longe les lacs des 7 Laux sur un chemin presque roulant. C’est bien. En revanche, à 5 km du Pleynet, le chemin devient cauchemardesque : un chao de pierres ordonnées pour détruire les articulations : genoux, dos, chevilles… Devant moi, un gars disparait subitement dans la nuit. Il a glissé et s’est retrouvé 3m plus bas. Un miracle, il n’a rien.
J’arrive donc à 02h44 au ravito n°5 (Pleynet / KM 63), passablement énervé de cette dernière portion. Manque de chance, l’organisation ne pourra pas assurer la distribution du repas de mi-course prévu. C’est trop tard, le prestataire a plié les gaules. Scandaleux. Je me contente donc d’une soupe au vermicelle, changement de chaussette et je repars à 03h20 pas vraiment zen. Un ravito est normalement fait pour bien récupérer, on l’attend toujours avec impatience…malheureusement, l’expérience montre que parfois il ne faut pas trop en attendre (un vieux souvenir de la Diagonale des fous…) C’est cette expérience qui me permet de relativiser et de continuer, car là encore, les abandons pleuvent. La nuit n’est pas finie.
Montée vers le chalet de la Grande Valloire. Je me cale derrière un gars, mais il va trop vite. Je reprends mon rythme, et chacun sait que vers midi, on aura un rendez-vous d’importance : le col du Morétan : passera ou ne passera pas ?
Avant cela, encore une bonne descente sur le ravito n°6 (Gleysin / km 78). Sur la route on aura aussi dépassé quelques ravitos clandestins dans des bergeries : quel bonheur de se voir proposer un café au lever du soleil. Que ces montagnards soient remerciés ! Sur cette portion, le chemin est bien fréquentable, les difficultés inexistantes, la chaleur n’est pas encore levée.
A 8h30, on repart donc du Gleysin, où d’ailleurs nombre de « civils » (non coureurs) occupent l’espace de ravito…c’est pénible de ne même pas pouvoir s’assoir. Certains attendent leurs champions, ceux qui se sont élancés 2 heures derrière nous, pour faire la dernière moitié du parcours depuis le Pleynet. (85 km et mD+). Certaines spectatrices font des commentaires avec mépris et nous traitent de randonneurs au motif qu’on ne va pas assez vite. Je les em… On verra bien qui arrivera au bout.
Commence donc la grande explication avec ce col du Morétan. Il faut avaler 1500 mD+ d’un coup. La matinée s’écoule sur un chemin d’abord raid mais je finis par m’y habituer. Les concurrents du 85 km me rattrapent et me doublent un par un… Ils ont tous sans exception un mot gentil pour nous encourager. Trop sympa ; des grands coureurs. Après le refuge de l’Oule, la verticalité de ce qui paraît être encore un chemin devient délirante. On ne sait plus où poser le pied, tant les marches sont hautes. Le soleil prend aussi de la hauteur. Je coule à grosse goûte. On est encore loin du but. C’est dur, c’est une épreuve, mais j’ai encore des ressources. Puis on passe sur une séquence gros blocs. Il faut trouver son chemin. Puis de la caillasses croulantes…et on finit par voir au loin le col, au bout d’une vague trace. Au col (2474m), l’espace est contraint et seule une dizaine de personnes peuvent stationner en équilibre sur l’arrête. Descente immédiate. D’abord du très raid, puis du névé, puis une colossale moraine équipée de 100 m de corde fixe pour assurer la descente tant c’est vertical. L’itinéraire qui suit – ne parlons pas de chemin, n’est pas beaucoup plus facile…Ambiance haute montagne. Enfin le ravito n°7 (km 88 et 7600mD+ cumulés avalés). Là on compte les coups et les bosses reçus. Pour moi, j’en suis à 30h debout. Il me semble que le plus gros soit passé, je continue. D’autres lâchent l’affaire. Encore une soupe au vermicelle bue et c’est reparti pour une après-midi encore caniculaire. Une descente pas forcément facile se profile, puis la remontée vers Super Collet s’annonce rude : un mur de 400m D+ en plein soleil. Tout le monde redoute le malaise, chacun adapte sa vitesse. Mauvaise nouvelle ou mauvaise compréhension du parcours, c’est finalement 650 mD+ qui nous attendent. Coup au moral, mauvais passage, j’arrive au ravito n°8 Super Collet encore assez agacé de cette dernière expérience.
Les rangs sont maintenant très éclaircis tant les abandons sont nombreux. J’entends dire que seuls 200 concurrents sont passés au ravito …sur 500. Où sont passés les autres ? Avalés par l’épreuve.
Ce ravito est aussi l’occasion de croiser pour la 2ème fois le sac qui me suit : un nouveau changement de chaussette et un refueling de produits énergétiques (barres, gels sucrés, pâtes de fruits, d’amendes…). J’offre à mon voisin un bout de gâteau au chocolat…il le vomit 10 secondes plus tard, pas cool. Nos corps sont éprouvés, je me relaxe dans l’herbe 10’.
A la lecture du road book, les difficultés seraient derrière nous, il n’empêche, je vais pour plonger dans la 2ème nuit sans sommeil. De plus, je me sens bizarre, car je m’étais programmé pour les grosses difficultés désormais passées, alors j’ai le sentiment de commencer une autre séquence et je ne sais pas vraiment comment l’aborder. Le challenge semble être fini, il reste pourtant 48 km devant et 2800mD+. Il va falloir serrer les dents.
17h45 départ du ravito, j’ai attendu le plus tard possible pour avoir un peu de fraicheur. Le chemin devient facile, ça grimpe, puis ça descend, puis la nuit s’installe, puis l’orage gronde, des éclairs, quelques gouttes. Je questionne les signaleurs sur le risque, ils me répondent par la négative, je frémis au souvenir du drame sur le trail du Mercantour. Il fait toujours assez chaud pour cette nuit. On finit par gagner les crêtes de Férices. Le chemin est encore délicat. Dans la pénombre on devine les précipices, chutes interdites. A la descente sur Val Pelouse (ravito n° 9), le chemin devient carrément très roulant, on court dans la nuit, bien du bonheur, je retrouve curieusement de l’allure, même après 48 h de course.
Passé ce ravito à 01h00 du matin (km 114 ), l’hypothèse de finir la course devient tangible. Il n’est pas exclu que je franchisse l’arrivée avant midi ! On commence à y croire, douce perspective. En attendant, continuons. Monter, encore des crêtes, puis une belle descente de 800 mD-. Cette étape connaît un chemin très roulant. Quelle conversion ; mais ce changement de régime (de la randonnée alpine à la course à pied) est traumatisant. Au petit matin, après 10 km de running, mon corps est aux limites arrivé au dernier ravito. Les échanges avec les quelques gars encore en course sont denses, intenses ; et on peut lire dans l’attitude de chacun, le voyage qu’il a fait. Il n’est plus question d’abandon, ceux qui sont là finiront les 12 km et 500 D+ qui restent à franchir. Une formalité, ou presque.
07h30, il fait encore assez frais pour se donner du courage. A la montée, les hallucinations m’ennuieront au point que je ne sais plus où poser mes yeux, le manque de sommeil ce fait cruel. Bizarrement, j’aval bien le dénivelé, à croire que ces 11 000 m sont bien digérés par mes cuissots. Enfin la descente sur Aiguebelle, longue, pénible, car finalement les 20 derniers km se feront en courant. Il est temps de poser l’appareil sur la piste et d’aller se garer.
11h15 du matin, il fait déjà très chaud, la ligne d’arrivée est franchie, trop cool. (soit 53h13 de course, 144 km, 11 000 de dénivelé D+).
Avec 65% d’abandon sur cette épreuve, chaque arrivant a le sentiment de faire un podium. Parmi les clés de la réussite pour être finisher, ce sont mes doutes et la sagesse de ne s’être jamais mis dans le rouge, ni même dans l’orange. Ce trail est le rendez-vous des humbles, l’ordre des modestes et des grands champions pour ceux qui sont dans les premiers.
Sympa la balade. Merci aux bénévoles, organisateurs, signaleurs et secouristes.
Accueil - Haut de page - Aide
- Contact
- Mentions légales
- Version mobile
- 0.07 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !
10 commentaires
Commentaire de JuCB posté le 01-09-2016 à 08:39:06
Bravo d'avoir terminé cette balade. Très belle gestion
Chacun perçoit les difficultés et les appréhende de manière personnelle en fonction de la luminosité et de l'energie disponible.
53h, 2 nuits, 3 matinées & 2 aprems : il faut s'y frotter pour comprendre ce que tu as accompli avec modestie.
BRAVO
Commentaire de Noruas posté le 01-09-2016 à 08:54:03
Belle gestion de course !
Il faut se moquer de ce que pense ces gens, tu as fini alors qu'une grande partie des plus rapides s'est cramé et a abandonné.
Commentaire de crazy_french posté le 01-09-2016 à 09:17:52
Un pote est arrivé à la même heure que toi au Pleynet, il bénissait le repas de réconfort... Il abandonne, dégoûté, pourtant il avait encore les jambes !!!
J'adore ton sens de la fatalité; c'est une leçon pour ceusses qui doutent !!!!
Commentaire de shef posté le 01-09-2016 à 11:00:10
"Certaines spectatrices font des commentaires avec mépris et nous traitent de randonneurs au motif qu’on ne va pas assez vite."
Sérieux ???
Incroyable.
Merci pour ton récit, quel courage le 144.
Commentaire de philippe.u posté le 01-09-2016 à 12:52:56
Et tu n'as pas l'air d'avoir spécialement souffert du manque de sommeil ! Bravo !
Commentaire de Vik posté le 01-09-2016 à 15:36:01
Attention, il y a beaucoup d'approximations dans les altitudes que tu donnes (la croix de Belledonne c'est 2926m par exemple, mais ça vaut aussi pour la Vache, Moretan...)
Belle patience pour une gestion sans faille !
Commentaire de long-range posté le 01-09-2016 à 16:00:57
mmhmm, je ne dois donc pas encore être très bien remis ;-)
Commentaire de Albacor38 posté le 02-09-2016 à 21:29:25
Ces 20 mètres d'écart c'est bien la preuve que vous êtes des géants.
Je suis impressionné (y compris par la précision du récit. Comme quoi y'a pas que les jambes qui avaient de la réserve)
Commentaire de Cheville de Miel posté le 01-09-2016 à 21:36:14
On a du faire un bout de chemin ensemble!Faut vraiment un mental sans faille pour finir la promenade adulte! Merci pour le CR!
Commentaire de campdedrôles posté le 02-09-2016 à 21:57:35
Merci pour ton récit et bravo pour ton opiniâtreté à aller au bout!
(comme dit Vik, aucune des altitudes que tu donnes n'est bonne mais on s'en fout)
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.