L'auteur : shef
La course : L'Echappée Belle - Traversée Nord - 85 km
Date : 27/8/2016
Lieu : Vizille (Isère)
Affichage : 3775 vues
Distance : 85km
Matos : Olmo 5
Akasha
Batons BD Distance Z Carbone
Ambit 2
Tshirt TNF Better Than Naked le jour puis Cimalp 3D Flex la nuit
Casquettéponge bubule(c)
Objectif : Objectif majeur
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130 autres récits :
(désolé pour la qualité de certaines photos prises avec mon téléphone. Belledonne ne mérite pas ça. Je complèterai sûrement avec d'autres photos si on m'autorise à les utiliser. Voir le compte facebook de l'EB, elles sont superbes !)
Avant de démarrer le CR de la course à proprement parler, je pense qu'il est important de faire une petite genèse et un retour sur les évènements pré-course.
L'an dernier, à peine le trail de la Vésubie bouclé (ma seule course à cet instant), je sais déjà que j'ai mordu ferme à l'hameçon de la course en montagne. J'ai déjà la prochaine dans le viseur : avec mon profil léger et mon passé de "pas franchement coureur", je suis plus à l'aise sur les forts dénivelés, pas trop sur le roulant. Et je suis attiré par les paysages de montagne.
Je crois que l'Echappée Belle en version demie (traversée N) s'est présentée comme une évidence. Pourtant il y a à peine plus d'un an, j'en ignorais jusqu'à l'existence.
Je me renseigne un peu à gauche à droite, et de fil en aiguille je finis par lire tous les compte-rendus sur ce site, certains plusieurs fois (bubulle, frank de brignais, Benjamin73 bien sûr, etc etc.). Je suis au taquet, et dès l'ouverture des inscriptions le 18 janvier, j'en suis.
Ça sera donc mon objectif majeur 2016, et je vais tout mettre en œuvre pour l'atteindre (un peu à la façon du CR de bubulle, je sais que j'arriverais au bout).
Je m'inscris à plusieurs trails en préparation de 45 à 60 km, dont un de nuit (qui au passage vont me faire vivre de très jolis moments). En avril je crois que j'ai déjà une liste avec ce que je compte mettre dans mon sac d'allègement. Je me note également des petits conseils, par exemple mettre les gants à portée de main pour les cordes fixes de la descente du Moretan, prendre un carré d'éponge sous la casquette, etc. Il ne se passe pas une semaine (peut-être même un jour) sans que je pense à ma course.
Mon entraînement se base sur une seule sortie par semaine entre 20 et 30 km, plus vélotaf tous les jours, et quelques fois où je piedtaf en lieu et place du vélo. Mes performances augmentent sensiblement, je fais de belles places sur 2 courses.
Tout est fin prêt à un petit détail, mes vacances familiales ne collent pas du tout avec le plan d'entraînement: on part à cheval sur Juillet/Août 3 semaines de randonnée itinérante à vélo en Bretagne et sud de l'Angleterre. Il faudra donc prendre les baskets et sur les conseils avisés de Benjamin73, "faire du volume". Je vais essayer de sortir un peu ça sera déjà pas si mal.
Je termine le gros de mon entrainement mi-juillet où j'abats en 3 sorties réparties sur une semaine environ 80km et 6500D+ (soit à peu près le volume de la course) dans le Mercantour, dans des terrains assez caillouteux, qui devraient se rapprocher de ce qu'on rencontrera en Belledonne. Je pars en vacances plutôt confiant et en forme comme jamais. Je me fais un tableau de marche entre 20h et 24h (ce qui devrait me mettre dans mes 30% habituels, environ 1,5x le temps du premier), avec pour objectif principal de passer les Férices avant la nuit (suite au CR de Franck).
C'est à ce moment que survient l'accroc majeur: le 31 juillet je m'étale lourdement en glissant sur des algues en traversant un gué, avec le vélo chargé de sacoches. Je prends un choc important sur la hanche gauche. Le soir je peux à peine marcher en utilisant mon vélo comme déambulateur. Mes premières pensées sont pour nos vacances qui "tombent à l'eau" potentiellement... et immédiatement après: est-ce que je vais pouvoir faire l'EB ?
Le lendemain, pas mieux, ni le jour suivant, marcher est très douloureux. Je me console car j'arrive quand même à pédaler, donc au moins les vacances sont sauvées. Au troisième jour ça s'améliore un peu, et au cinquième je ne boîte presque plus. Mais la douleur évolue et se fait plus précise sur le devant de la hanche et également en profondeur au niveau de l'articulation. Il m’est impossible de faire le mouvement de course sans ressentir de vives douleurs.
Bien sûr à partir de ce moment les baskets ne quitteront plus les sacoches et le mois d'août vierge de tout km en CAP.
On termine les 900km de vélo. J'ai des cuissots en béton armé, si je suis en état de courir je pense que les montées seront OK, mais je sais déjà que les descentes seront difficiles sur la durée. Enfin ça, c'est si je participe. Au retour des vacances il me reste 2 semaines de repos et je sens bien que ça ne sera pas suffisant. Vu la douleur et sa persistance je pense à une déchirure ou même une micro fracture.
Je rends visite à l'ostéopathe: à priori niveau osseux tout est en place.
Il reste une semaine. Le samedi je prépare consciencieusement mon sac de course, mon allègement, j’imprime le profil de course avec les distances/D+/- par tronçon, que plastifie, signe que l'espoir est encore de la partie...
Le dimanche je fais 5km autour du quartier à rythme assez soutenu. Rapidement ça tire fort sur le devant de la hanche et l'articulation couine. Le lendemain j’ai des courbatures bien marquées. Le moral est bien bas. C’est tout le projet de mon année qui tombe à l'eau. J'ai beau me dire que ce n'est qu'une course stupide et que je peux revenir en 2017, je n'arrive pas à l'accepter, impossible de "tirer un trait" de cette manière sur un tel investissement. Après coup de fil à la famille, au coach Vince88, et une nième tergiversation, on décide avec Clem (ma conjointe) de partir quand même pour le weekend. Mieux vaudra un abandon au 5ème km plutôt que de ruminer sur le canapé ma frustration en suivant la course par ordinateur interposé.
Bref, dans les 2 semaines entre la fin des vacances et la course je fais le bipolaire. Un coup je suis persuadé de pouvoir le faire, le lendemain je déprime.
Mais surtout je sais que si je pars je ne pourrai me mettre aucun objectif de performance, qu'il va me falloir tout faire à l'économie pour ne pas abîmer la machine. L’objectif de 20/24h n’est plus d’actualité. J'envoie un mail à la famille et aux copains pour le dire que c’est décidé, on y va, en leur mentionnant qu'ils peuvent envoyer des SMS, comptant sur le soutien moral.
Jeudi soir on arrive au gîte la Martinette à Fond de France. Vendredi matin promenade 4km autour du Pleynet. Les douleurs sont encore là, et je suis persuadé de bâcher en passant devant le gîte après 4km. Je vais chercher mon dossard et de retour sur la terrasse en préparant le sac de délestage, on voit les premiers du 144 passer. Ca fait envie et ca remotive un peu.
4h25 le réveil sonne, rituel de départ : petit-déj, remplissage des bidons, nokage, crème solaire… Un gentil kikoureur me fait le taxi jusqu'au départ pendant que les filles marmottent. Il fait déjà chaud. J'ai pris dans le sas la bouteille de St Yorre fournie avec le dossard, que je bois avant le départ pour être bien hydraté.
On sait que la journée va être très chaude. On part en retard, vers 6h30 (au moins pas besoin de frontale). Il y a 361 partants. La première BH de Gleysin me paraît déjà tendue à 10h, mais j'ai lu la veille sur le forum que cette année le ravito n'était pas au même endroit qu'en 2015 et que les bénévoles devraient être cool.
On démarre donc et au bout de même pas 50m le devant de ma hanche se met à tirer, et les douleurs qui vont avec se réveillent. Pas fortes mais présentes tout de même. On fait la descente et ça ne passe pas (j'espérais bêtement qu'une fois chaud, ça irait mieux). On passe devant le gîte, les filles sont là. On me demande comment ça va. Je réponds jaune: "vivement que ça monte".
Comme la douleur reste supportable, je serre les dents sur le plat jusqu'au pied de la montée du chalet de la Valloire. Je ne suis pas dernier mais pas loin quand même. Dès qu'on attaque la montée, ça va un peu mieux comme prévu. Rapidement cependant la cuisse droit me tire derrière la cuisse, a un endroit ou d’habitude je n’ai jamais de problème. Peut-être une compensation de ma jambe droite. Je note ça dans un coin de ma tête, à surveiller.
Je ne me sens pas à ma place dans le peloton. Beaucoup autour de moi ont l'air déjà un peu à la peine, soufflent, transpirent énormément. Ça ne me fait pas plaisir mais je prends quand même ça en « pensée positive », je ne suis pas le seul à en chier. J'ai envie d'accélérer mais je me retiens pour de multiples raisons: je suis convalescent, il y a des bouchons, il faut gérer cette première grande course, « si tu te sens bien c'est que tu vas trop vite ». Je pense que mon cerveau entrevoit à ce moment une possibilité de boucler cette EB.
Je prends mon mal en patience, sauf s'il s'agit d'échapper à de trop bavards compagnons (et aussi un exceptionnel modèle de chaudière avec ronflements, soupirs, rots, bruits de cheval...). Au milieu de la montée mon téléphone sonne : c’est ma mère. Je décroche et je dis « Oui, je suis en train de marcher, là ! ». Bon, ça va, le réseau de soutien psychologique familial est en place.
Dans les alpages on profite à fond des superbes paysages (lac du Léat notamment) et des myrtilles. Mais dès qu'il faut un peu courir j'ai mal. Côté alimentation comme à mon habitude, je mange assez rapidement 1 puis 2 et 3 barres. Je garde les compotes/gels/pâtes de fruits pour plus tard dans la journée quand la chaleur sera là, car c'est plus facile à mâcher et digérer. Je bois déjà 1,5l dans cette section. Et pourtant je sens un léger mal de crane commencer à poindre.
La descente très raide vers Gleysin me tape bien les quadris, je sens le manque d'entraînement du mois d'août. J'arrive au ravito juste après la BH de 10h mais on me bippe quand même.
Les filles sont là et ça fait du bien (sauf la petite qui me tape mes tucs et mini saucissons). Physiquement et moralement ce n’est pas le grand beau. Comme je n'ai aucun objectif de temps ou de classement, je « flâne » un peu au ravito. Je prends de la soupe, un petit stock de mini saucissons, chocolat dans ma petite pochette de ceinture, afin « d'étaler » la prise de nourriture après le ravito. Je vais chercher 1 tuc pour la petite.
Et surtout je fais le point. J'ai déjà des tensions musculaires, toujours les douleurs dès que je cours, mais ça ne semble pas empirer, et j'en ai vu qui avaient l'air au moins aussi mal que moi. Donc je décide de continuer. Je veux surtout voir ce fameux Moretan.
Je repars du ravito tranquillement après environ 20 minutes de stop. Je suis un peu partagé moralement, un peu anxieux de la suite des évènements, mais je sais que si je passe sans trop de mal, je serai franchement confiant sur le fait d'arriver au bout: la prochaine section est importante et je ne pourrai abandonner qu’à Super Collet, et je me dis qu'une fois là-bas, je n'aurai pas d'autre choix que de continuer car le plus dur sera derrière.
J'attaque la montée à rythme tranquille, toujours en gardant dans un coin de la tête de ne pas en mettre trop (si je temporise à ce point, c’est que je dois quand même me sentir capable d'aller au bout). Poudrant c'est pas l'envie qui manque.
Je démarre quand même une belle partie de pacman. Je re-double des gens qui ont pris moins de temps que moi au ravito. La plupart se poussent mais des fois je dois couper un bout de virage pour passer (je n'ose jamais demander le passage, il faudrait peut-être).
Les douleurs sont nettement moins perceptibles, mais je reste à l'écoute et j'essaye d'analyser également les autres tensions musculaires, je note mes ressentis pour pouvoir faire un check plus tard dans la course. Je m'alimente a base des mini saucissons du ravito + chocolat, je continue à bien boire (pourtant le petit mal de crane est toujours là).
Je sais que je suis en train de manger mon pain blanc dans la plus grosse montée du parcours, mais je commence à me faire franchement plaisir. Plus on monte, plus j'adore le terrain: sentier raide qui disparait au pied du col dans un chaos de blocs. Plus on monte, plus la vue est superbe.
On commence à doubler les derniers du 144 qui sont bien marqués. Ils ont 24h de plus que nous, 60km et ~5000D+ dans les jambes... Quels guerriers !
Et finalement le col arrive. Je suis très content d'être arrivé jusque-là malgré ma patte folle. Je suis aussi pressé d'en découdre avec la descente, qui à la lecture des CR est terrifiante.
Je suis en fait tellement dans mon truc que j'oublie de faire quelques belles photos alors que l'endroit est magnifique. Je demande au pompier au col de me sortir mes gants de la poche arrière de mon sac, un merci et je me lance après 2 minutes d'arrêt.
Je me rassure tout de suite dans le début de descente. J'ai l'habitude de ce genre de terrain. Sentier un peu raide mais bon grip. Puis un bon névé sur lequel on skie facilement. Je tiens la corde fixe au cas où mais je la laisse filer à grande vitesse dans ma main.
On sort du névé sur la moraine qui est effectivement bien raide et probablement pas super facile sans les cordes. Mais comme elles sont là, autant les utiliser.
Je continue à reprendre des gens, du 85 et du 144. En bas de la moraine on débarque dans un petit paradis. Chaos de bloc encore, petits lacs. Le vallon de Périoule est vraiment magnifique (comme dit probablement dans tous les CR des années précédentes).
Je me régale encore en sautant de bloc en bloc, j'arrive quasiment à courir, je croque du coureur à tout va. Il faut une certaine habitude pour évoluer sereinement dans ce terrain. Je tire intérieurement mon chapeau aux 144, ou de manière générale à tous ceux qui doivent passer ce genre de terrain de nuit, un sacre chantier.
C'est à ce moment, dans ces blocs où je me fais tellement plaisir, que je me débloque psychologiquement. Je me rends compte que ma hanche ne sera pas un handicap, et je sais intimement que je vais aller au bout, c'est sûr ! J'imagine quel titre je vais pouvoir donner à mon CR kikourou, je crois que je commence même déjà à en imaginer les premières lignes. Je ne peux pas bâcher, impossible !
Sur le faux plat dans le vallon, je tombe à court d'eau, je galère à piocher dans un ruisseau ridicule. Quel imbécile, il y avait tout ce qu’il fallait au-dessus. Je m’astreins par la suite à toujours chercher à remplir ma 1ere flasque vide dès que j’attaque la seconde, et je n’aurais plus de surprise de ce genre.
Je cours tout du long sur cette partie, en adoptant une sorte de foulée vaguement rasante qui ne me génère pas trop de douleurs. J'arrive ensuite au ravito, je ne me sens pas déshydraté malgré mon petit mal de caboche. Je décide quand même de prendre un paracétamol (c'est du confort, mais bon :/). Il n’y aura pas d’autre alerte par la suite. Je prends un bol de soupe, remplis les flasques, plein de mini saucissons, fromage, tucs, pain. Je me paye une « bonne » pause (12 minutes d'arrêt « seulement » alors que j'ai vraiment eu l'impression de prendre mon temps). Je sais que la partie suivante ne sera pas la plus facile et que je me dois tout de même d'arriver à Super Collet en bon état.
Je repars de Périoule gonflé à bloc. On a d'abord un peu de plat encore, puis une bonne descente bien technique qui me rappelle assez le Mercantour (grosses marches, gros cailloux), j’y trottine et prends encore bien du plaisir. On est aux heures chaudes, je prends bien garde à boire toujours très régulièrement, et mon alimentation commence à passer aux compotes/pate de fruits. Je ne sens pas de déshydratation ni de fringale. Je trempe mon éponge de casquette régulièrement pour me rafraîchir, et mon buff au poignet également. Ca sèche vite mais ça fait du bien quand même !
En bas de la descente on rejoint une piste bien large puis ce qui me semble être la plus grosse difficulté de la journée: la remontée à Super Collet. Là, c'est comme dans les CR: un chemin hyper raide au milieu de foret, mais je ne sais pas comment les arbres sont fichus, pas le moindre coin d'ombre ! J’envoie un SMS aux parents « Démarre montée Super collant ».
Je me cale sur un rythme régulier, pas trop lent mais pas trop rapide non plus et je m'avale la montée d'une traite sans pause. Je fais encore du bon pacman sur cette section, beaucoup de gens sont dans le dur, et pas seulement les vaillants 144. Enfin on passe près du refuge de la Pierre du Carré. Il reste encore un peu de sentier plus ou moins à flanc.
J'arrive à Super Collet en courant, sans pouvoir dire que je suis super frais, en tout cas pas complètement entamé. Je retrouve les filles et je pense que Clem remarque de suite la différence de moral par rapport à Gleysin. Côté physique, de l’usure mais je gère.
Je trouve ce ravito/base de vie un peu bordélique. Il y a bancs/tables sous des barnums mais c'est blindé de coureurs et de leurs familles. Il faut quasi jouer des coudes pour accéder au ravito qui est au fond. Je suis un peu agacé. D’ailleurs je finis par bousculer moi-même un autre trailer qui renverse un peu de sa soupe, la honte…
Je récupère mon sac d'allègement et je vais squatter à l'ombre du resto à côté. Je commence par me changer, puis je fais un passage chez les podologues pour soigner 2 petites ampoules (au passage on me félicite pour mon tannage de pieds, c'est bien la première fois que mes pieds suscitent une admiration quelconque).
Je passe ensuite remplir les bidons puis au ravito (pommes, fromage, saucissons, soupe, chocolat, pain, je fais un bon plein). Retour avec les filles, on discute un peu, je recharge le sac en compotes/gels/pâtes de fruits, puis c'est le départ.
Je reste 45 minutes au total, pourtant j'ai pas eu l'impression de flâner ! Un dernier bisou aux filles que je ne reverrai que vers midi a Aiguebelle, et zou ! Il est 16h et je suis content car je sais que je vais arriver aux Férices avant la nuit, et surtout je sais que j’irai au bout.
La remontée vers la crête est un peu barbante par les pistes, mais le fils de copains marche avec moi et on discute un bon moment, du coup ça passe vite. Sur la crête la vue est splendide avec la lumière de fin d'après-midi.
J'engage la descente jusqu'au refuge de Pré Nouveau, je suis presque seul, il commence à y avoir des écarts. Ça se tasse un peu au début de la montée, je reprends encore un peu de monde. Petit à petit la chaleur diminue, l'ambiance commence à changer, et les nuages commencent à monter autour des sommets vers le Sud. Ça devient même carrément gris et on entend quelques coups de tonnerre. Je presse le pas pour passer au refuge au plus vite, j’ai la trouille qu’on nous fasse un parcours de secours sans passer les crêtes comme a l’UT4M ou l’UTB, mais finalement, tout va bien.
Passage du refuge des Férices, pointage, plein d’eau, les bénévoles sont toujours aussi super ! Deux minutes plus tard je reçois un SMS des parents "92e place, super !". Il y a donc du réseau au refuge ;)
Je commence d’ailleurs à recevoir pas mal de SMS de la famille et des copains, peut-être qu’avec l’approche de la nuit ils commencent à avoir des inquiétudes pour moi. Je me régale dans cette partie sur les crêtes, avec des paysages fabuleux d’arêtes bien découpées, la Tarentaise à droite et au fond un coucher de soleil fabuleux sur la Chartreuse. Je m’imagine passer là de nuit, on ne doit effectivement pas en mener large, car le sentier est parfois bien étroit et la sensation de vide peut être là également. En début de soirée avec la lumière, aucune difficulté. Je reviens sur un duo composé d’un gars qui manifestement a dû avoir un souci car il boucle « tranquilou » et son copain qui est venu de Val Pelouse lui faire coucou et qui filme à tour de bras avec une go-pro au bout de sa canne.
Ça avance quand même bien vite pour du tranquilou. Au fur et à mesure que la nuit s’installe et les nuages orageux nous rattrapent. On se met à courir environ 500m avant le ravito, où on arrive pile pour la belle averse. On se réfugie sous la tente avec une énorme pensée pour les autres dehors sur les crêtes, dans le noir, sous la pluie et les éclairs. Galère !
Du coup je me pose assez tranquillement, épluche les SMS devant un bol de soupe. Rebelote de saucissons, tucs, chocolat, plein des flasques cette fois j’en fais une avec un demi-coca car je commence un peu à saturer sur les solides. Clem me demande par SMS si je temporise. Je me dis d’abord que je vais attendre, et puis bon, une fois ma soupe terminée et mon sac prêt, frontale sur la tête, manchettes, bah je suis un traileur oui ou non ? C’est pas une nuit sous la pluie qui va me refroidir. En plus maintenant qu’on m’a renseigné sur mon classement, j’ai envie de le tenir un minimum, donc pas question d’attendre indéfiniment à s’entasser sous la tente, et je ne sais pas si la pluie va tenir longtemps ou non.
J’attrape donc ma veste dans le sac et je sors de la tente, et là… Rien. Pas une goutte. Je me retourne un peu à gauche, un peu à droite. Un bénévole m’interpelle « vous cherchez quelque chose ? » « Ben oui, la pluie maintenant que j’ai sorti la veste ! ». 23 minutes d’arrêt ici.
Je quitte donc le ravito la veste à la main et entame la montée sur la crête d’Arvillard, avec une pensée pour les frontales qui vont en direction de Val Pelouse et qui nous voient passer au-dessus d’eux. Après 5 minutes, je me décide à ranger la veste dans le sac. Bien sûr, 5 minutes plus tard on reprend une averse, je la ressors… averse minuscule, donc je la garde sur le dos 20 mètres. Grmmblbmb. Je finis par faire comme la fille qui me tourne autour à l’occasion de mes divers bricolages de gore-tex, c’est-à-dire que je la noue autour de ma taille et elle va y rester jusqu’au Pontet ! Je rejoins Anne (puisque c’est son nom) qui me fais la trace sur toute la descente. Il fait encore une chaleur de fou, le t-shirt est ouvert, les manchettes sur les poignets. Au moment d’entamer la remontée, je demande à Anne si elle souhaite que je fasse le rythme devant, elle décline en me disant de continuer et je la distance doucement. La remontée se fait plutôt bien. Le balisage est parfait, aucun doute à aucun moment. Je me fais juste surprendre par un troupeau de vaches au bord du chemin que je vois au dernier moment, une bonne trouille au moment où j’entends un gros souffle juste à côté !
L’arrivée au col de la Perche, qui paraît bien encaissé, est superbe, avec une vue plongeante sur les lumières de la vallée 1600m plus bas. Petite discussion avec les bénévoles dans l’abside de leur tente, un moment un peu hors du temps. Je reçois un SMS des parents « On met le réveil à 2h pour un prochain contact ». J’ai l’impression d’être un marin sur le Vendée Globe :D
Je me sens super bien, enfin autant qu’on peut l’être après autant de kilomètres et d’heures de course. La hanche est toujours douloureuse mais pas plus que le matin au départ, les muscles tirent à peine juste ce qu’il faut. Je sais que ça ne va pas durer car derrière j’ai une première descente de 1100m qui m’attends et elle va me faire mal. Avant ça on a un chouette moment pour monter au sommet du Grand Chat, c’est encore une fois superbe et j’essaye d’engranger au maximum ces beaux souvenirs sous un ciel redevenu étoilé.
Je pars dans la descente qui va durer un bon moment, sur le frein la plupart du temps, essayant de gérer mes quadris rapidement bien à la peine. Je double Alix, une fille 144 qui a l’air dans le dur, et un peu plus loin sa collègue qui l’attend. Je trouve quand même les ressources pour descendre en course (lente certes). Je sais pour l’avoir lu dans les CRs que l’approche du ravito est bien longue, surtout qu’on l’entend de loin. Je me botte les fesses et je cours encore sur le faux-plat montant la piste dans la vallée. Effectivement on entend la route, les voitures, on se sent proche mais ça met du temps ! Et puis finalement le pont (que j’identifie comme le pont où bubulle a attendu l’an dernier un ami imaginaire) est là, et derrière, le ravito ! Il est quasi 1h du matin, il y a encore des gens qui sont là pour encourager, incroyable !
Je m’installe sur un banc, je commence à être sérieusement fourbu ! Il reste 13 bornes et je crois bien que je prévois de tout faire à la marche tellement j’ai plus de cuisses. Je prends une soupe mais je mets un bon moment à l’avaler, je la trouve trop salée. Cette fois c’est la saturation. Je repars donc pour une flasque de demi-coca qui fonctionne toujours. Un autre coureur me propose de repartir avec lui car on s’est pas mal croisé et ça serait sympa de finir ensemble. Mais il me faut encore 5 minutes, je décline plus ou moins proprement, je crois que j’étais bien cuit. C’est là aussi que je reconnais Vik, que je salue.
Après 26 minutes, et avant d’être trop refroidi, je prends mon courage à deux mains et je décolle pour le dernier tronçon.
Je sens que je suis quand même émoussé. La montée de 500m me prend 1h ! Sur le sommet il y a un peu de plat qui me paraît interminable. Je crois bien avoir des hallucinations en voyant 2 bénévoles agiter leurs frontales pour signaler le début de la descente. Mais en fait ce ne sont que les morceaux de rubalises qui flottent au gré du vent et qui reflètent la lumière de ma frontale en clignotant. La fatigue et surtout l’envie d’en finir m’ont fait deviner des formes humaines dans les ombres. C’est quand même un peu flippant. Un peu plus bas en descendant je crois voir un sac à dos contre un arbre mais c’est n’est que le fanion rouge et son ombre qui se projette. Est-ce que j'ai vraiment vu ça ??
Après un temps infini (ou presque) j’arrive au camp des bénévoles (les vrais) qui marque la fin de ce plat ! Je paye franchement le manque d’entraînement. Le début de la descente me met un peu les cuisses au supplice. Je reste à la marche. Je me fais doubler 1 fois, 2 fois, 3 fois notamment par Alix qui a bien dû se refaire la cerise au Pontet. Bon, ça suffit de perdre des places, en plus en restant à la marche ça mettre des plombes pour en finir. Marrant comme le cerveau arrive à mettre en marche la machine. Enfin, en marche, il faut le dire vite, on ne parle pas d’une belle foulée aérienne mais plutôt d’une sorte de claudiquement rasant, au rendement très aléatoire. Enfin ça avance quand même suffisamment pour « abréger » les souffrances. On descend vers Aiguebelle, on traverse quelques habitations, on a droit à un petit bourbier pour finir, histoire de saloper les chaussures à 1km de la fin. C’est là que je me fais déposer par un gars qui descend à tombeau ouvert en beuglant « saloperie de genou de merde c’est pas possible ». 10 secondes pour apparaitre, 10 secondes pour filer à l’avant. Et là je jure que c’était pas une hallucination.
Je reviens sur Alix juste à l’entrée d’Aiguebelle. Cette fois ça sent vraiment la fin. On tourne à gauche, passe devant le gymnase et on rentre dans le parc. Et là, je me retrouve tout con : je ne sais pas comment « savourer » cet instant. Alix ne se pose pas de questions puisqu’elle pique un sprint en hurlant sa joie. De mon côté je me mets à marcher et je passe la ligne comme ça tout simplement, 21h15 après mon départ si laborieux.
Je sonne bien sûr la fameuse cloche, je passe dans la tente du ravito d’arrivée et prends une St-Yorre/sirop de mirabelle qui me rafraîchit bien. Puis c’est la douche, podologue pour refaire les pansements, massage (ouch les cuisses) et direction le gymnase où je ne parviens pas à dormir, entre excitation et surtout mes jambes quand même bien fusillées !
Voilà, je l’ai fait. J’ai bouclé cette Echappée. Malgré mon départ moyen, mon moral chancelant avant course, mes douleurs à la hanche. Je pense que la détermination que j’avais dès le départ à faire de cette course un moment majeur a permis d’aboutir à ce résultat. J’en suis extrêmement content. Je doutais au départ, mais à bien y réfléchir, j’étais presque certain d’arriver au bout si j’arrivais à boucler les premiers kms.
Et si je ne m'étais pas blessé? Si j'avais pu faire un entraînement optimal ? J'aurais probablement pu passer sous les 20h et gagner une 20aine de places. Ou bien j'aurais explosé en plein vol.
Comme j'en discutais avant ma course avec le coach, c'est peut-être ce qui me permet de terminer: je pars sans pression, je prends mon temps aux ravitos, etc.
Et maintenant, la question primordiale : quel trail majeur pour 2017 ?
3 jours plus tard, les courbatures ont complètement disparu et j'ai repris le vélotaf. J'ai toujours cette petite douleur à la hanche, ni plus ni moins qu'au départ. Mes pieds gonflés de femme enceinte lundi et mardi ont retrouvé une allure normale. J'ai toujours la tête perdue là-haut, entre 2 rochers sur les crêtes.
Des choses qui m'ont surpris, que je n'avais pas anticipé ? Globablement pas d'énorme truc. On est toujours étonné par la capacité du cerveau à motiver le corps s'il s'agit de repartir en trottinant alors qu'on est rincé. Ceci dit on voit souvent bien plus d'abnégation autour de soir (comme par exemple cette concurrente Anglaise du 47 que j'ai doublé avant le Pontet qui boitait tout ce qu'elle pouvait, et qui pourtant a rallié l'arrivée dans la matinée) ou les extra-terrestres du 144...
Je me dois enfin de remercier tous ceux qui ont permis de boucler cette aventure :
Ravtiallement
2 gels eucalyptus
2 pates de fruit
1 gel mulebar citron/gingmbre
1 barre aptonia fruits rouges
1 cliff cacahuete
1 mulebar peanut punch
compotes: 2 pommes isotar, 2 pomme mangue, 1 banane myrtille
Et un sacré paquet de mini-saucissons, tucs, soupes de vermicelles etc etc sur les ravitos.
Trace movescount: http://www.movescount.com/fr/moves/move120439111
Suivi livetrail: http://livetrail.net/histo/echappeebelle_2016/coureur.php?rech=966
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6 commentaires
Commentaire de philippe.u posté le 31-08-2016 à 22:48:50
Chapeau. Tu aurais peut être mieux fini avec un entraînement non tronqué, mais ton départ prudent te permet de remonter du monde tout le long de la course et ça c'est quand même super grisant!
Commentaire de olneos posté le 01-09-2016 à 18:42:04
Bravo pour ta course mine de rien tu as un sacré niveau
Commentaire de Franch posté le 02-09-2016 à 12:00:24
Bien joué, ça ma rassure de pas être le seul à être parti en vrac ;-)
François dossard 737
Commentaire de shef posté le 02-09-2016 à 12:25:19
C'est pas le pire quand tu vois que ilgirard est parti sur l'UTMB avec un poignet dans le plâtre...
Commentaire de le_kéké posté le 02-09-2016 à 16:46:03
Comme je suis jaloux, jaloux, jaloux.
Cette belle remontée au classement et cette gestion parfaite, exactement l'inverse de moi.
Bon sympa je me retrouve sur la 2ème photo, mais comme c'est flouté il y a que moi qui me reconnait :-), j'étais bien loin devant à ce moment là. Tu as du me doublé vers le refuge des ferices, j'étais en train de sombrer pendant que d'autres rattrapaient les trop ambitieux, présomptueux pour au bout du compte finir presque 2h avant, belle leçon.
Bravo pour cette course, en tout cas je garde ce compte rendu comme une belle leçon de ce qu'il faut faire sur ce genre de course, finalement cette hanche folle qui oblige encore plus à un départ prudent a été la clef de la réussite ??
Commentaire de shef posté le 02-09-2016 à 16:55:08
Merci.
Je ne sais pas si c’était la clé de la réussite et honnêtement je n'ai pas très envie de renouveler :)
Sur la plupart de mes autres courses j'ai tendance a partir lentement (et après le coach me botte les fesses parce que je me suis pas mis assez minable).
Ce que je retiens surtout c'est comment le moral moyen a basculé a coups de paysages sublimes et de portions ultra ludiques.
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