En attendant les CR, voici le papier sur l'UTMB paru aujourd'hui dans Libération. Bonne lecture :
Plein les pattes, mais aussi plein les yeux
Ultra-trail. Le tour du Mont-Blanc est une épreuve exigeante dans un paysage exceptionnel.
Par éLIANE PATRIARCA
QUOTIDIEN : lundi 27 août 2007
Chamonix envoyée spéciale
Il ne leur reste plus guère qu’un marathon à courir. Donc presque rien Mais il est 23 heures et, quand ils émergent de l’obscurité - d’abord on n voit que leur frontale, puis le corps s’esquisse à la faveur de la pleine lune les bâtons de course, le mini-sac à dos, un bidon sous chaque épaule -, cel fait déjà une nuit plus une journée qu’ils sont partis de Chamonix. Depui vendredi à 18 h 30, ils courent, ou marchent quand la côte ou la fatigue l’imposent. Alors, parmi ceux qui ont résisté à la fatigue, l’absence d sommeil, les crampes, les coups de barre, et sont arrivés jusqu’ici, Champex (Suisse) à 122 km du départ et 1 477 m d’altitude, ils son nombreux ,ceux qui boitent ou qui ont l’air un peu hagards. La plupar clignent des yeux, un peu perdus avant d’entrer dans le grand chapitea blanc disposé là pour les accueillir, les soigner, les réparer, les nourrir
Dans l’air, si chaud après la fraîcheur de cette deuxième nuit en montagne, se mêlent l’odeur des baumes à l’eucalyptus et celles des pâtes bolognaise. On cherche des yeux le parent ou l’ami, avant même de s’enquérir des kinés, podologues et médecins, des toilettes ou des matelas où s’allonger quelques heures. Ils veulent puiser dans ces moments avec leurs proches la volonté et l’énergie de repartir. Mais pour Bertrand, 44 ans, venu de Normandie, c’est la fin de l’aventure. Pourtant, moral et envie sont intacts, et son visage est étonnamment lisse, comme nettoyé de tout souci par l’effort extrême. Mais une tendinite au genou l’oblige depuis une vingtaine de km à entamer les descentes à reculons pour éviter la douleur. Il faut abandonner.
Fondus de course. Champex, c’est la dernière grande base d’accueil de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), cette course en pleine montagne superbement folle, ce tour du Mont-Blanc en une seule étape, soit une boucle de 163 km qui emprunte le célèbre sentier de grande randonnée entre la France, l’Italie et la Suisse, avec dix cols à plus de 2 000 mètres d’altitude et un dénivelé positif de 8 900 mètres ( Libération du 24 août). Vendredi soir, ils étaient 2319 exactement devant la petite église de Chamonix, le glacier des Bossons à leur droite brillant sous le soleil, à attendre le départ (1), dans une ville qui, comme les dix stations traversées, vit durant trois jours au rythme de la course. Des plus grands noms de l’ultra-trail, en passant par les fondus de course et jusqu’aux débutants, comme Mylène, 27 ans, et Florent, 31 ans, venus d’Annecy, qui s’entraînent pour cette course depuis janvier. Avec un seul objectif : la terminer. Un défi, une envie de jouer avec soi-même, disent-ils, impatients de s’élancer au milieu de cette foule où l’on passe du français à l’italien, de l’allemand au japonais : 44 nationalités parmi les inscrits avec cette année, une équipe japonaise et l’arrivée des jeunes stars américaine du trail.
C’est une course singulière et solidaire : il n’y a ni primes ni prix, rien à gagner, même pour les premiers, sinon un tee-shirt et un trophée. Mais des contrôles antidopage à l’arrivée pour une dizaine de coureurs dont les premiers, tous négatifs. Une course où la moyenne d’âge est de 45 ans, composée de toutes ces courses contre soi-même que chacun va livrer. Un trail «qui donne du rêve et du bonheur», disait avant le départ, Karine Herry, première femme l’an dernier, troisième cette année. «Un parcours mythique», a ajouté l’Italien Marco Olmo, 59 ans, après sa victoire, en seulement viingt-deux heures trente minutes. Olmo, grand sec et anguleux, avec sa foulée rasante et désarmante de régularité, son buste en avant et ses mains croisées dans le dos dans les montées, est à l’image de ce massif du Mont-Blanc, décrit par Frison Roche, comme «un jaillissement de glace et d’aiguilles de granit, de hauts sommets cristallins […] des veilles roches découvrant un paysage d’une exceptionnelle beauté». Ce n’est pas parce qu’on court qu’on ne savoure pas le paysage.
Samedi matin dans le centre de sports de Dolonne, qui jouxte Courmayeur, tandis qu’un podologue perce ses ampoules, François 42 ans, venu de Paris, évoque les photos qu’il a déjà prises durant les 77 premiers kilomètres. C’est la montagne qui l’attire dans la course, et cette manière de faire corps avec elle. Quelques heures plus tôt, à l’aube, au col Chécrouit (1 956 m, à 77 km du départ) devant le «rifugio Vieille-Madame», un jeune coureur demande qu’on lui nomme les cimes enneigées. Parce que la nuit a été dure et fraîche mais que la beauté de ce paysage lui regonfle le cœur et les jambes.
Obscurité. Il y a de quoi : au-dessus du refuge surgissent, dans le ciel encore bleu foncé, l’aiguille noire du Peuterey, le mont Blanc de Courmayeur. A droite, c’est le glacier de la Brenva, la dent du Géant, les grandes Jorasses. La lumière du jour commence à recolorer le paysage, les cimes rosissent, et dans les alpages qui descendent vers Courmayeur - suite de l’itinéraire - on distingue de hautes fleurs. Moment d’euphorie après la dureté de la nuit. Mais la nuit aussi génère une excitation particulière, exacerbe la «porosité» du coureur avec le paysage. Il faut s’habituer à l’obscurité seulement percée des frontales, si par chance on n’est pas trop isolé, lire avec la lampe et à la pointe de la chaussure, se couvrir assez mais pas trop, avec en fond sonore le bruit du torrent et des bâtons sur les pierres du sentier. Et ces moments, quand la fatigue supplante l’excitation, quand l’aube se fait attendre où la question «à quoi bon ?» peut harceler le coureur. Parfois, il suffit de se remémorer comment la vie professionnelle se plaît à piéger les rêves, à dissoudre les énergies, pour juste retrouver le bonheur d’être seul aux commandes pendant quelque quarante heures.
A course atypique, arrivées hors normes. Samedi après-midi quand réapparaît dans les rues de Chamonix, Marco Olmo, il a l’air de rentrer d’une belle balade, avec le même collant rose qu’il portait l’an dernier, les mêmes chaussures que lors de sa première participation en 2003. Hier à midi, quand le millième coureur passe la ligne, ravi d’avoir échappé au gong des quarante-six heures - le temps maximum autorisé- il puise assez d’énergie pour honorer les applaudissements en se remettant à trottiner. Il reste encore quatre heures aux suivants pour terminer l’aventure là où ils l’ont commencée, deux jours plus tôt.
(1) Plus 1 609 coureurs qui avaient pris le matin le départ du «petit» trail, Courmayeur-Chamonix par Champex, soit 86 km et 4 500 m de dénivelé.
http://www.liberation.fr/actualite/sports/274360.FR.php