L'auteur : chirov
La course : TOR330 Tor des Géants
Date : 10/9/2023
Lieu : Courmayeur (Italie)
Affichage : 1197 vues
Distance : 330km
Objectif : Pas d'objectif
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Le TOR, cette course mythique
Lorsque j’ai débuté le trail en 2010, j’ai rapidement commencé à me nourrir de CR de courses sur Kikourou: des trails de 30km, 100k, 170km, et…. cet extra terrestre, le TOR des Géants. A l’époque je me disais que les mecs qui s'attaquent à cette course étaient tous des tarés, mais aussi des méga warriors pour pouvoir tenir la fatigue et le mental sur une durée aussi longue, alors que je tenais à peine 30-50km à l’époque. Bref, je regardais cette aventure comme quelque chose de complètement hors catégorie et à jamais inatteignable, une course mythique…
Depuis 2010 de l’eau a coulé sous les ponts: probablement pas loin d’une centaine de trails, dont plusieurs ultra comme l’UTMB, la Ronda del Cims, l’Euforia ou encore la PTL. Le TOR devenait un objectif logique, j’allais pouvoir affronter ce challenge qui me semblait complètement impossible 13 ans plus tôt.
Inscription effectuée, il aura fallu les rattrapages pour que mon inscription soit validée, il ne reste plus qu’à s’entraîner correctement pour essayer de boucler ce parcours (et si possible en moins de 130h pour la qualification aux glaciers) !
La préparation
Après la pause hivernale, j’ai repris l'entraînement dès février avec pour 1er objectif de perdre 8-10kg d’ici l’été, et pour 2ème objectif de préparer la caisse pour affronter le TOR. Pour ça j’avais programmé plusieurs ultra et WE offs à échéances régulières:
mi mai: 1 grosse semaine en montagne (~1000 à 1500D+ par jour pour reprendre le rythme, dont plusieurs sorties de nuit)
début juin: OTSO Andorra, un ultra de 126km/8kD+ jusqu’à 2900m d’altitude dans les pyrénées
mi juillet: la X-Alpine (140km/9400D+ en altitude)
mi août: Un gros off de 50h technique entre Beaufortain et Italie (130km / 10kD+)
mi septembre: l’objectif, le TOR !
Le plan de course
Rémi (akka Cheville de Miel), avec qui nous avons couru plusieurs courses ensemble (dont la PTL et le Duo des Cîmes) m’a proposé de courir ce TOR ensemble en suivant mon plan de course de 129h59 (pour la qualif aux glaciers).
On sait que courir ensemble présente des avantages pour le mental, mais aussi des inconvénients pour respecter le timing (pauses dodo pas forcément synchro, besoins podo, blessures, etc). J’accepte avec plaisir, le timing de 130h est de toute façon qu’un objectif, pas une nécessité, il faut avant tout prendre du plaisir sur cette aventure.
On s’est fixé un arrêt obligatoire de 40 minutes minimum à chaque base de vie, en 2h de possibilité de dodo par section selon la fatigue
La course
Première section: Courmayeur -> Valgrisenche
Dimanche matin à Courmayeur, le ciel est bleu, le temps est annoncé très chaud et sec jusqu’à au moins mardi matin.
10h: le départ de la première vague est donné, on sait qu’il y a un petit goulet d’étranglement au moment de débuter la première montée vers le col d’Arp, le mieux c’est de rester dans la première partie du peloton pour limiter le ralentissement. Il sera finalement assez minime, peut-être 2 minutes d’arrêt au moment du goulet et ensuite une quinzaine de minutes à faible allure (bien entendu, on voit régulièrement 2-3 coureurs qui se croient plus balaises que les autres et qui doublent alors que tout le monde patiente le temps que le peloton s’étire un peu).
C’est parti pour le premier col, il donne le ton avec ses 1400m de D+, on se suit avec Rémi et David (akka l’Ecureuil), on débite 2-3 conneries par moment mais chacun essaie de se mettre dans la course. Grosse ambiance au col, Rémi à l’air d’avoir un peu de mal mais on sait pertinemment que c’est le début de la course (étant blessé avant la course, ça faisait aussi 1 mois et demi qu’il n’avait pas vraiment recouru).
La descente vers la Thuile est globalement roulane, on trottine, on croise le kikoureur crazy_french, on prend quelques minutes pour échanger, il semble qu’on soit déjà sur un rythme plus rapide que prévu.
On arrive à la Thuile avec 40 minutes d’avance sur mon roadbook, on a prévu de ne pas s’arrêter plus de 10-15 minutes, je vois du bouillon, je demande si je peux en avoir, “désolé, il n’y en a plus..”, je suis assez étonné, on doit être dans les 300 premiers coureurs, il en reste 900 derrière, j’espère que ça ne sera pas comme ça de partout.. On reste à peine 5 minutes et on repart, direction le col Passo Alto (2857m).
La première partie de la montée est relativement rapide, la pente assez douce, on a un bon rythme, le paysage est splendide, on s'arrête 10 minutes au refuge Deffeyes.
On a une partie assez roulane après le refuge avant d’attaquer la partie du col un peu plus raide, il fait chaud, mais ça ne me perturbe pas vraiment.
Peu avant d’arriver au col, j’entends Rémi 15m derrière: “Attention Julien, il y a un vrai coureur qui veut passer”, je me retourne, je vois un mec m’arriver dessus à une vitesse impressionnante en pleine montée ?! Je comprends très vite qu’il s’agit de François D'Haene en plein entraînement sur la trace du TOR… Tiens tiens, il nous prépare un petit truc pour l’année prochaine lui 🙂
On arrive au col vers 17h, pour finir cette section il nous reste un dernier col à franchir, on a 1h d’avance sur mon planning.
Je ne me souviens pas de difficulté quelconque dans la descente, ni dans la montée du Crosatie (2829m), on y arrivera autour de 19h.
La bonne humeur est là - Le ravito Planaval se trouve après la descente et la base de vie juste après, le plateau qu’on traverse pendant la descente en plein coucher de soleil est splendide, on le trottine tranquillement.
A la base de vie, aucun de nous n’a vraiment sommeil, on s’oblige à rester 40 minutes le temps de manger, boire une bière, changer les chaussettes et charger les batteries.
On a pas un excellent souvenir de cette base de vie d’ailleurs, où on nous oblige à laisser les sacs BV dehors, ce qui n’est pas l’idéal. Au moment de partir on croise David qui n’avait toujours pas manger, on sait qu’il n’a pas les même objectifs que nous et qu’il nous rattrapera rapidement, on part pour ne pas s’éterniser, la fatigue risque de nous prendre dans la nuit, on doit économiser l’avance qu’on a pris.
Deuxième section: Valgrisenche -> Cogne
Cette section est plus compliquée que la première, elle comporte 3 grands cols, dont le col du Loson, point culminant de la course (3300m).
La première ascension nous amène au col Fenêtre (2840m), et là surprise quand on voit les frontales dans la descente: elle est impressionnante ! Quelques passages de chaînes avec un terrain un peu merdique sur quelques mètres, on est bien content que le temps soit sec.
Un court arrêt à Rhêmes-Notre-Dames pour manger un bouillon et on repart sur le 2ème col: “Entrelor” (3002m). Il fait encore nuit et ce qui nous surprend c’est que la montée est plus raide que les précédentes, mais ça nous permet aussi de prendre rapidement de la hauteur. On y arrivera vers 5h, soit plus de 5h30 d’avance sur mon plan de course, mais nous n’avons toujours pas dormi.
On s’arrête peut-être 15 minutes au ravito d’Eaux-Rousses avant d’attaquer la dernière montée de la section: le col Loson.
Le début de l’ascension n’est pas très raide mais plus on s’approche du col, plus la pente s’accentue. On zig-zag sur les derniers mètres quand tout à coup on entend un amas de rochers débouler - à la même altitude que nous mais 100m plus à gauche - On crie “Rocks ! Rochers !” aux coureurs juste en-dessous, mais ça arrive vite et certains ont une taille impressionnante. Sans mes lunettes j’ai dû mal à discerner si quelqu’un se trouve sur la trajectoire ou pas, mais juste après que le vacarme de l’éboulement se soit arrêté, les cries de douleur et les gémissements effrayants d’une coureuse ont pris le relais: quelqu’un a été touché, et on est trop haut pour juger de la gravité de la situation. Il y a 2 italiennes juste devant nous, on est le groupe de 4 le plus proche du col, on accélère l’allure pour aller donner l’alerte. Le bénévole au col était sur l’autre versant et n’a rien entendu, les italiennes lui expliquent la situation et il appelle aussitôt les secours avant de descendre rapidement vers la coureuse en détresse, puis 3 autres personnes arrivent de plus bas sur le versant opposé pour porter main forte.
Pour moi les cris que j’ai entendu étaient vraiment effrayants, quand je vois les bénévoles qui partent dans sa direction je leur explique en anglais que “ça pourrait être grave”.
Il doit être 11h45, ça fait plus de 28h qu’on a pas dormi, et cette mésaventure m’affecte pendant une petite heure, j’imagine une grave blessure et cette pauvre coureuse au mauvais endroit, au mauvais moment. En arrivant au refuge Vittorio Stella, on fait un arrêt de 20-25 minutes pour bien manger et reposer un peu les jambes, j’apprends par d’autres coureurs qui étaient derrière nous que la blessure n’est pas si grave: une pierre a frappé sa jambe, elle a pu se relever avec l’aide des secours et a été hélitreuillée.
Nous continuons la descente et arrivons enfin à la deuxième base de vie: Cogne. On y arrive à 15h30, soit 6h30 d’avance sur mon timing, mais toujours pas de dodo et on commence à ne plus courir en descente.
Le programme: podo pour Rémi, puis douche, tentative de dodo avant de manger et repartir. On restera 1h45 sur la base de vie, je suis resté allongé 40-45 minutes pour essayer de dormir, mais sans réussir à fermer les yeux, pareil pour Rémi. On décide de ne pas s’attarder plus longtemps: ils annoncent un temps sec, au pire on mettra la doudoune et s’allongera dans l’herbe.
Troisième section: Cogne -> Donnas
Cette section est facile sur le papier, avec un seul col à passer mais psychologiquement la descente d’une trentaine de km pour arriver sur Donnas est dans les esprits: on compte marcher et ça va être long, très long !
On va rencontrer pendant la montée un coureur français très sympathique, le trajet va paraître beaucoup moins long en discutant ! On arrive au refuge Sogno avant le col, mais il est fermé… C’est dommage on comptait dessus, on vise donc le prochain, Dondena, mais 8km plus loin… On pensait pouvoir manger quelque chose de solide, depuis Cogne il s’est écoulé 4-5 heures et il va falloir attendre 2h de plus.
On passe le col de Champorcher (2827m) à 21h30 et atteignons le refuge Dondena vers 23h.
On décide d’essayer de dormir 45 minutes, je crois que j’arrive à fermer les yeux une dizaine de minutes, Rémi pas du tout, et notre collègue de fortune lui reste dormir plus longtemps. On mange un plat de pâtes et hop on repart dans la nuit. Bizarrement on voit des frontales monter là où nous on descend, on pense avoir fait une erreur, on remonte et on nous indique que c’est bien le chemin, on reprend donc le sentier de la descente, il s’agissait en fait de bénévoles qui montaient à l’inverse du trajet.
La descente de nuit est très longue, on marche, Rémi commence à avoir des ampoules aux pieds, et moi je préfère m’économiser. On s’arrête 1 ou 2 fois pour une micro-sieste de 5 minutes, ça suffit pour recharger les batteries pour 30min-1h, on est pressé d’arriver à Donnas.
Finalement à 7h47 on arrivera enfin à la base de vie.
On restera 2h25 à Donnas, Rémi va dormir pendant que le podo lui régénère ses pieds et moi je suis allé m’allonger un peu plus d’1h15, pour environ 50 minutes de dodo, sinon programme habituel: douche, bouffe, et changement de basket pour anticiper le changement de temps prévu à partir du mardi après-midi.
Quatrième section: Donnas -> Gressonney
On m’a vendu cette section comme étant la pire, de plus on va passer la partie pénible de nuit, possiblement par temps pluvieux… Bref, on part de Donnas les armes à la main.
La première partie est simple : visite de Donnas, et douce remontée vers les sommets (on part de ~350m d’altitude…).
Au niveau de Sassa on décide de dormir 5-10 minutes dans l’herbe, le temps est ensoleillé, il fait bon, mais on voit déjà pointer les orages au loin.
On continue notre ascension, le temps se couvre et l’orage gronde, on accélère le pas pour rejoindre le refuge Coda et ne pas rester exposé sur la crête.
On arrive au refuge Coda à 16h15, avec 7h d’avance sur mon plan de course, il pleut quelques gouttes mais pas grand chose, on prend 15 minutes pour se restaurer mais on ne veut pas s’attarder, surtout que l’orage semble nous épargner, on en profite pour repartir.
Cette partie est une succession de cols, et c’est long… Surtout qu’il commence à pleuvoir et que ça durera jusqu’à la tombée de la nuit.
On arrive au refuge de la Barma vers 19h45, on décide de faire une bonne pause. On commence par manger, on se régale avec une délicieuse Polenta en sauce, on prend le luxe de se commander une bière. Par la suite on décide d’essayer de dormir 1h, mais il y a une file d’attente, 15 minutes d’attente, ça va…
J’ai dû dormir 20 minutes max, je me souviens m’être levé avant qu’on vienne me chercher. Rémi me rejoint, on remange quelque chose, on croise 2 copains qui viennent d’arriver (David et Jean-Michel akka galette_saucisse), le temps d’échanger quelques mots et on repart !
On arrive au mini ravito avant le col de la Vecchia, on s’arrête 10 minutes, mais en sortant Rémi se rend compte que qqn lui a pris ses bâtons… On ne sait pas si le coureur est parti il y a 1 ou 10 minutes, mais on a une montée d’adrénaline qui nous fait oublier la fatigue et on se met à courir (!) dans la montée et gambader comme des fous dans la descente qui suit, on rattrape 6 coureurs, et le dernier sera le bon, il s’est trompé de bâton car apparemment une personne lui a aussi pris ses bâtons (ils sont tous de la même couleur, même marque, mais pas le même modèle…), Rémi récupère ses bâtons, finalement c’était bien marrant, on s’est réveillé ! Un dernier col et on bascule dans la grande descente vers Niel.
On pensait dormir à Niel, mais c’est impossible, il faut attendre au moins 1h pour avoir une place… On décide de dormir sur un coin de la table, 15 minutes, on mange quelque chose, Rémi répare ses pieds, avec plein d’ampoules (la descente a été compliquée).
Puis une pluie modérée se met à tomber, ce n’était pas prévu… On s’habille correctement et on part pour le col du Lazouney (2400m), je suis en mode robot, j’essaie de ne pas aller trop vite car je sens que Rémi a du mal à ce moment là, je met met à une cadence de 700mD+/h sous la pluie et je déconnecte le cerveau.
La pluie s’arrête peu avant le col et le jour se lève, le moral remonte un peu, plus qu’une descente et c’est la base de vie, il faut tenir un peu et on pourra enfin dormir.
Mais il y a encore du chemin jusqu’à Gressoney, Rémi a une fâcheuse tendance à halluciner et se faire des dialogues tout seul lorsqu’il s’endort en marchant, j’ai beau être habitué, je prends toujours des éclats de rire quand je l’écoute parler, ça dure des heures, du genre:
“Prends les tomates et les salades” … “désolé, j’ai cru que je parlais à mon fils” 🙂
“3 cartouches de 8, ça fait 24, on est d’accord ?! Du coup pourquoi 2 cartouches, le compte n’y ait pas…”, moi: “ ????!!!????” 😀
“blablabla pfff bablbala”, moi: “je comprends pas ce que tu dis”, Rémi: “pff, je croyais parler à mon témoin de mariage”
A un moment on passe à côté de beaux rochers, presque aussi confortable qu’un lit : je propose à Rémi de fermer les yeux 5 minutes pour tenir jusqu’à la base de vie, il s’exécute, je me pose dans l’herbe en attendant, ça a le mérite d’atténuer un peu la fatigue.
On arrive finalement à Gressoney, on se donne pour objectif de s’allonger au moins 1h15 pour essayer de dormir, on restera finalement 2h20 dans cette base de vie (douche, manger, podo pour Rémi, etc), je crois que j’avais réussi à dormir 45-50 min. On repart mercredi à 12h, avec 4h d’avance sur mon planning.
Section 5: Gressoney -> Valtournenche
Sur le papier, c’est la plus petite étape, et 2 cols à traverser. J’ai assez peu de souvenir de cette étape, je me souviens qu’on est monté vite et de manière régulière au col Pinter (2777m), on a pris la pluie dans la descente, Rémi se plaint d’une ampoule particulièrement douloureuse mais il faudra attendre la BV pour soigner ça correctement. On arrive à Champoluc, je n’ai pas vraiment de souvenir de ce ravito, je pense qu’on ne s’est pas attardé en visant plutôt le refuge Grand Tournalin (juste avant le dernier col de la section) pour éventuellement dormir un peu.
La montée vers le col di Nannaz passe vite, le ciel se dégage et le soleil se couche, on se dirige vers le refuge Grand Tournalin on joue à “le premier qui allume sa frontale a perdu”, finalement on arrive juste à la tombée de la nuit.
J’arrive à dormir 30 minutes, je crois que Rémi dort un peu aussi, on prend 2 plats de pâtes pour faire le plein. On ressort, il reste encore quelques mètres d’ascension avant le col, je ressens une gêne un niveau du bas du tibia, c’est pas normal, c’est apparu à froid c’est probablement le début d’une périostite… J’espère que ça ne deviendra pas douloureux dans la descente.
Je crois que c’est dans cette descente qu’on croise le Kikoureur cedricquillet, ou plutôt c’est lui qui nous rattrape car on a pas vraiment la même allure. Je reconnais son numéro de dossard (j’avais remarqué au ravito précédent en vérifiant les temps sur le Live qu’un kikoureur n'était pas très loin de nous). On discute pendant 5-10 minutes mais on va vraiment plus lentement que lui, en tout cas c’était vraiment très sympa.
On arrive enfin à la BV, le tibia est douloureux, mais c’est supportable. On s'arrête pendant 2h20, on essaie de se reposer 1h20 environ, on prend le temps pour bien se préparer à l’avant dernière section.
Section 6: Valtournenche -> Ollomont
En sortant de la base de vie, je me rend compte qu’à froid ma cheville et mon tibia sont douloureux, j’essaie d’en faire abstraction en me disant que ça reste soutenable, mais il reste plus de 100km et je commence à me préparer mentalement à vivre une fin de course compliquée, mais une chose est sûre: pas question d’abandonner sur une périostite tant que le corps peut bouger.
Rémi est aussi en peine avec ses ampoules aux pieds, on garde une bonne allure dans les montées et on marche dans les descentes, on est encore dans les temps pour faire 130h, mais vu la situation, l’objectif principal reste d’être finisher, et là on a 20h d’avance sur les BH: on a le temps.
Arrivé à Cuney mon tibia est bien gonflé, Rémi me conseille de voir un médecin: le poto Fabien (akka Jano et qui participe au TOR des glaciers) a eu une infection du tibia lors de l’échappée belle qui a nécessité un traitement urgent d’antibiotiques, ce type d’infection peut devenir gravissime si elle n’est pas traitée, les symptômes ressemble à une périostite inflammée, sauf que la peau devient très chaude et bien rouge.
Pour le rassurer je vois un médecin qui me dit que “Tant que la douleur est supportable, ce n’est rien de grave car la zone n’est pas chaude, tu peux continuer, par contre je te déconseille de prendre un anti-inflammatoire sauf si la douleur devient vraiment trop forte”. On est rassuré, Je suis de toute façon en mode warrior depuis plus de 12h, la douleur je la supporterais et tant que la jambe peut bouger j’irais au bout.
On arrive à l’avant dernier col de la section et on attaque la descente vers Oyace. A ce moment là le ciel s’obscurcit radicalement et il commence à tomber une forte averse de grêle, puis une forte pluie prend le relais, ça dure un temps infini. On l’a senti venir, on s’est équipé juste avant le déluge, mais malgré notre équipement, l’humidité commence à s’infiltrer, le moral n’est pas au top, on se met dans une bulle et on avance. On entend un éboulement derrière nous, on apprendra plus tard par Jean-Michel (qui était 15 minutes derrière nous) que des pierres ont dévalé à 20m de lui.
La pluie s’arrête petit à petit, on ouvre les vestes et on commence même à sécher, le moral remonte un peu, mais 15 minutes avant d’arriver au ravito une nouvelle averse nous surprend et on est de nouveau trempé.
On s’arrête à Oyace au moins 20 minutes pour reprendre de l’énergie et finir la dernière partie de cette section. Quand on sort, la pluie semble s’arrêter, on passe le col Brison et on redescend sur la BV, enfin Ollomont !
La météo annonce une nuit et une matinée sèche. On est pile dans mon timing, et malgré les blessures on se dit que si on arrive à tenir pas plus de 2h en BV, les 130h sont encore atteignables. On se fixe donc 1h15 de repos et 45 minutes pour le reste.
Rémi part direct vers les podos, de mon côté c’est douche+dodo. L’eau est froide… la douche n’a pas duré longtemps (Rémi a eu une douche chaude, j’ai du mal choisir…), une fois dans le lit de camp je m’endors assez rapidement. Puis 45 minutes plus tard je me fais réveiller par le bruit de la pluie: il tombe des trombes d’eau, et ça semble durer ! Je consulte les radars météo et c’est la cata, les prévisions météo étaient complètement foireuses. J’envoie un message à Rémi: “c’est le déluge, prends ton temps, reposes toi, on refait le point dans 1h”. 1h après il pleut toujours, je me rend compte en me levant du lit de camp que je ne peux pas poser le pied gauche par terre, je marche à cloche pied en essayant de le réchauffer, puis je me mets à boiter petit à petit, ça sent pas bon cet histoire, la prochaine fois que je m’arrête trop longtemps je risque de ne plus pouvoir repartir. La jambe est devenue rouge et vraiment très gonflée, j’ai même du mal à enfiler mes chaussettes.
On mange et discutons de la situation, on décide de repartir après quasiment 4h dans cette BV: il pleut toujours mais un peu moins, on se met en mode warrior et partons pour l’avant denrée col.
Section 7: Ollomont -> Courmayeur
Comme toujours en montée, on est rapide et régulier, on atteint le col Champillon sans problèmes.
Mais les descentes restent le gros problèmes à gérer: Rémi pour ces ampoules et moi pour la pression que ça exerce sur ma cheville et mon tibia.
J’évite d'extérioriser la douleur à chaque pas que je fais, mais Rémi remarque que la tâche rouge commence à remonter le long de la jambe et surtout la zone est devenue très chaude. On craint le scénario du pire: une infection. Je ne veux pas y croire, comment ma jambe aurait pu s’infecter ?
Je prends la décision de voir un médecin au prochain ravito où une aide médicale serait présente, c’est à dire à Saint-Rhémy-en-Bosses. Entre temps on rattrape un italien qui lui aussi souffre d’une périostite, mais elle a une meilleure tête que la mienne (et ça ne me met pas en confiance), on est le groupe des 3 handicapés 🙂
Arrivé à Saint-Rhémy, je demande à voir un médecin. Le diagnostic ne se fait pas attendre… Elle me dit tout de suite que c’est très très mauvais, prend mon numéro de dossard et envoie une photo de ma jambe au médecin en chef qui nous rejoint sur le ravito. Les 2 sont unanimes: “On ne peut pas t’obliger à arrêter, mais là c’est de la folie, il y a un risque avéré que l’infection se répandent avant ton arrivée à Courmayeur et que tu puisses même perdre ta jambe”. Rémi ne sait pas quoi me dire, il reste moins de 30km, mais la zone d’infection a gagné 20 cm sur ma jambe au cours de la matinée, le risque est trop élevé, je le sais, à ce moment là je m’en fou un peu d’arriver au bout ou pas, j’ai plus de 330km et quasiment 24000mD+ à la montre, j’ai l’impression d’avoir vécu un sympathique TOR quoi qu’il arrive.
Je sais que je vais m’arrêter là, mais je ne veux pas qu’on se sépare avec Rémi dans ce ravito, je dis au médecin que je continue et que je ferai le point un peu plus haut. J’accompagne Rémi sur environ 2-3km, on discute, je lui explique que je ne vis pas ça comme une fatalité et que je l’attendrais à l’arrivée, qu’il se concentre sur sa fin de course. J’ai du mal à me motiver pour m’arrêter, mais il va bien falloir faire demi-tour. Il doit être environ 14h, je fais marche arrière, je retourne au ravito, je croise des coureurs incrédules qui me voient rebrousser chemin. Une fois revenu au ravito, le médecin m’explique que je dois aller tout de suite aux urgences à Aosta pour des injections d’antibio (il aurait pu me le dire la première fois qu’il m’a vu…).
Mon TOR s’arrête là, ma femme qui m’attendait à Courmayeur et que j’avais prévenu m’attend pour me conduire aux urgences à Aosta, la douleur reste soutenable (si ça tenait qu’à ça, j’allais au bout…), mais c’est vraiment moche: mon tibia et ma cheville sont très gonflés, rouge vif, bouillant et je perd la sensibilité de la peau.
Plus tard dans la soirée, après avoir passé des heures aux urgences, je retourne à Courmayeur pour accueillir Rémi sur la ligne d’arrivée, mais il a défié tous les pronostics et est arrivé plus tôt que prévu, je le rate de 3 minutes ! On le rejoint juste derrière la ligne avec JuCb, il à l’air d’être au bout de sa vie mais il l’a fait ! il a terminé le TOR !
Pas de tristesse ou de regrets de mon côté, avec du recul je sais que j’ai pris la bonne décision et j’ai même l’impression que c’était plus dure de prendre cette décision à moins de 30km de l’arrivée que d’aller au bout.
Finalement le traitement antibiotique a duré 8-9 jours, j’ai été suivi en France par un médecin et on ne sait pas comment a commencé cette infection (il faut un point d’entrée pour la bactérie), bref c’est pas de chance…
Mais une chose est sûre, ça me laisse une bonne raison de revenir sur un prochain TOR et franchir cette ligne d’arrivée, idéalement en moins de 130h.
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19 commentaires
Commentaire de Lécureuil posté le 08-10-2023 à 21:14:38
Bravo Julian
a la fois pour être presque allé au bout malgré la douleur
et aussi pour avoir eu la sagesse d'arrêter si près du but
Tu reviendras encore plus fort l'année prochaine car vu ton niveau tu peux faire 110h facile
Commentaire de chirov posté le 08-10-2023 à 21:43:41
Merci David, bravo aussi pour ta course "sans entraînements", t'étais trop rapide pour nous ;-)
Commentaire de crazy_french posté le 08-10-2023 à 21:49:45
Vraiment pas cool d’abandonner si près du but…
Content d’avoir fait un bout de route avec vous 2 et pas pris de cailloux sur la tête au Loson
Commentaire de chirov posté le 10-10-2023 à 21:44:20
Yes, très cool de t'avoir croisé à plusieurs reprises ! et bravo pour ta course :-)
Commentaire de BouBou27 posté le 09-10-2023 à 11:02:08
Bravo pour avoir eu le courage d’abandonner si pret du but et de garder cet état d’esprit.
J’adore la description des hallucinations de Rémi.
Commentaire de chirov posté le 10-10-2023 à 21:49:04
Merci ! On s'est vu qu'au début et à la fin, trop rapide pour nous, mais c'était cool :-) J'avoue que je suis habitué aux hallucinations de Rémi, là c'était bon enfant parce qu'on était sur des chemins larges (c'était beaucoup plus flippant sur la X-Alpine sur les chemins à ras de falaise :D
Commentaire de Mazouth posté le 09-10-2023 à 17:01:22
Bravo, tu as fait une très belle course ! Ca promet une belle réussite pour la prochaine, avec deux jambes en plein forme ;)
Commentaire de chirov posté le 10-10-2023 à 21:51:35
Merci Mazouth ! Je suis chaud comme la braise pour franchir cette ligne d'arrivée, je pense que pour la première fois je vais éviter de regagner 10kg pendant l'hiver histoire de préparer la nouvelle saison au mieux et être d'attaque si le tirage au sort m'est favorable :-D
Commentaire de galette_saucisse posté le 09-10-2023 à 18:01:59
Bravo pour ta course. Vraiment dommage cette fin mais tu as été sage. En tout cas, bien sympa cette montée au col Brison tous ensemble, j'ai pas vu le temps passé tellement vous blablatiez. Clairement, tu as une belle excuse pour revenir et au vue de ton niveau en montée, c'est plus 130h mais plutôt 110h que tu vises.
Commentaire de chirov posté le 10-10-2023 à 21:55:46
Merci Jean-Michel ! 110h ça me paraît un peu prétentieux vu mon niveau en descente, mais pourquoi pas titiller les 120h, ça me parait concevable.
Mais bon, déjà finir sans se blesser ça me parait un bon objectif de départ, la prochaine fois j'amène des antibios dans ma trousse de secours :-D
Commentaire de Cheville de Miel posté le 10-10-2023 à 11:09:21
T'es le meilleur des compagnons. Encore 5 jours bien cool passé en montagne (et en Fu....ing vallée). Il manque la cerise sur la patisserie. J'espère bien en être......je t'en dois une !
Commentaire de chirov posté le 10-10-2023 à 22:00:14
5j ça passe vite finalement quand on se remémore de cette belle aventure ensemble ! On aura l'occasion de remettre ça sur des gros Offs et surement encore sur des courses de maboules à venir, et pourquoi pas sur le TOR si les tirages au sort en décide ainsi :-)
Commentaire de Gilles45 posté le 10-10-2023 à 12:37:30
Super récit, très instructif pour un novice...ça donne vraiment envie d'en être en 2024. Si c'est le cas j'espère t'y croiser ainsi qu'un paquet de kikous.
Tu n'as certes pas fini mais tu es un géant !
Commentaire de chirov posté le 10-10-2023 à 22:02:01
Merci Gilles ! En tout cas je serais inscrit au tirage au sort, je te souhaite bonne chance en espérant qu'on se retrouve l'année prochaine à Courmayeur ! (et j'en doute pas avec un tas de kikous ;-)
Commentaire de anthodelb posté le 11-10-2023 à 08:19:26
Bravo pour ta course. Et merci pour ton récit, ça donne envie d'y aller.
Commentaire de chirov posté le 11-10-2023 à 17:53:15
Merci Antho !
Commentaire de jano posté le 27-10-2023 à 22:54:49
j'ai enfin pris le temps de lire ton récit !! (je n'avance toujours pas vite pour le mien, à peine au 100ème km...)
Belle aventure à 2 et à la 2ème avec la connaissance du parcours, vous allez optimiser...quand même la tuile ton infection même si ça n'est pas si rare, j'en ai eu une et un autre sur la PTL cette année a bien morflé.
Par contre, je m'interroge sur le sommeil et la gestion, car ça semble pas bien facile et des durées un peu aléatoires à l'arrache. Mais peut-être que je me trompe. Disons que parfois dormir plus avec un cycle permet d'aller plus vite après et d'éviter de multiplier les arrêts et micro-siestes ensuite.
Commentaire de Cheville de Miel posté le 31-10-2023 à 10:24:47
En fait le problème que l'ona et moi particulièrement, c'est que l'on arrive pas à dormir. On se repose mais pas de vrai sommeil avant la troisième nuit.
Commentaire de jano posté le 31-10-2023 à 10:39:29
Ben justement, ça se travaille en amont pour moi. Sinon faut faire de la backyard car faire 3 jours et 2 nuits sans dormir, c'est top pour faire une perf !
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