Récit de la course : Embrunman 2021, par Vincent O

L'auteur : Vincent O

La course : Embrunman

Date : 15/8/2021

Lieu : Embrun (Hautes-Alpes)

Affichage : 1250 vues

Distance : 231km

Objectif : Pas d'objectif

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La crevette pailletée

Voilà on y est, dimanche 15 août 3h heures du matin, je mange, je mange, je mange. 3 jours que je ne fais que manger, pâtes, betteraves, pâtes, betteraves, pâtes, betteraves. Je mange, je bois, je vis, je transpire, je pense betterave, je suis betterave, une jolie betterave chevelue. En préparation du combat du jour, je passe sur la balance, les juges sont présents, je ne suis pas bien fier. Dure, très dure avec moi cette maudite balance, verdict, 60kgs tout mouillé, catégorie coq, coq léger, au milieu des géants que je croise depuis quelques jours sur embrun. Le combat aquatique est perdu d'avance pour moi. J'en tremble. Mes 2 précédentes participations à embrun avaient été terribles pour moi, 1h40 de coups, de tasses, de panique dans l'eau, impossible pour moi de respirer, de nager au milieu de ces orques. Un stress, une peur absolue.

5 heures du matin, le courage gonflé de glucides et de betteraves, j'arrive au parc vélo, une queue immense, je brûle 2 3 assiettes de pâtes pour arriver jusqu'à ma chaise, heureusement, j'ai encore du stock. C'est parti, impossible de faire machine arrière, à moi la partie de jambe en l'air avec les orques, pas sûr que je prenne mon pied.

Je suis dans la vague 2, la vague 1 est déjà partie, je me perds au départ, je me place au fond de la vague 3, des traîtres à la nation me repèrent à mon numéro de dossard et me disent '' tu te plantes, la vague 2 est au bord de la plage, dépêche toi ils vont partir '' mais je n'ai pas envie de me dépêcher... J'étais bien tout au fond, près du radiateur, le cancre des entraînements natation de ''coach Jonathan''. Bon tant pis, je rejoins à contre cœur la vague 2 je pars en dernier de la vague 2. 400 géants devant moi qui ne vont pas me couler, c'est déjà ça. Par contre, je le sais depuis quelques temps, j'en ai fait des cauchemars, derrière moi il y a la vague 3, 400 costauds jeunes et professionnels élite. Ils vont me passer dessus, ça va être terrible pour moi, aucun respect ces jeunes pour le vieux que je suis... Je serre au maxi la berge, je me mets au plus loin des bouées, je passe la digue, et je sens déjà le bruit et le souffle chaud des affamés du chrono. Je me prends quelques coups, je panique, je me gare sur le côté, je mets la béquille. Je les regarde passer, j'applaudis, je leur dit 'Bravo les gars'. Une fois la horde d’orques passée, je débute ma course, j'arrive à nager !!! Incroyable !!! 2020 et 2021, covid oblige, je n'ai pas du charrier plus de 5 6 fois coach Jonathan, mon bonnet rose n'a pas beaucoup pris le chlore, aucun entraînement piscine, et ça ne fait même pas 3 4 ans que je nage. Heureusement les entraînements débutés en mai au lac de Piolenc étaient encourageants, j'ai même nagé 1 ou 2 fois en mer !!! Ma maman est tellement fière !!! Ma phobie de la nage en eau libre est presque derrière moi. Et je nage avec facilité !!! Je double, je double, je double, bien au large pour ne pas me prendre de coups. J'ai l'impression de doubler des dizaines, des centaines d’orques. Bon j'aime à dire que je suis aixois, mais on ne va pas se mentir, j'ai un côté marseillais, c'est indéniable, j'exagère. Mais je prends un plaisir à doubler, avec une réelle facilité, incroyable, je n'en reviens pas... Il y a manifestement du Phelps en moi ce matin... Jonathan tu peux être fier de moi, je passe officiellement du statut d'enclume de la ligne d'eau numéro 2 à celui de boulet. Pour la 1ère fois je sors de l'eau avant le lever du soleil, je n'assisterai pas au lever du soleil entre les montagnes, tant pis... tant mieux... Je sors de l'eau heureux !!!! Quel bonheur, quelle satisfaction !

Je vais fêter ça avec une bonne betterave. Oui, la veille j'ai réussi à passer les contrôles anti dopage avec un taux de betterave dans le sang 100 fois supérieur aux seuils FFTri, et avec le tube de selle plein de concentré de betterave en barre, une âme de contrebandier, chacun son dopage. Je vais me régaler. C'est parti pour le vélo, je mange, je mange, je mange toujours, un ventre sur selle. Je roule bien, jusqu'à l'avant dernière montée de l'Izoard, celle avant le replat préalable à la dernière montée, je souffre terriblement, la montée depuis Guillestre me pèse, je n'ai plus de force, j'en pleure, vraiment, des larmes de betterave. J'en pleure, mais rapidement des spectateurs m'encouragent ‘Allez !’  'Allez Vincent !!!’ Je souris !! Je souris et je remercie, tant pis pour les larmes, elles sont bien là, mais je les garde pour l’arrivée, promis. Ils me donnent le courage pour ces quelques dernières centaines de mètres d'ascension. Merci !!! Un summum, une invariable constante à Embrun, les bénévoles et les spectateurs sont en or. Ils nous portent, nous supportent, nous tirent, nous poussent, nous soulèvent, nous élèvent, nous hissent, nous dressent, nous exhortent, nous fouettent, nous enflamment, nous embrasent, nous embrassent, nous aiment, nous animent, nous avivent, nous éveillent, ils nous révèlent le meilleur de nous-même. En haut de l'Izoard, je reprends mon activité favorite, je m’installe au comptoir, en terrasse, la vue est belle, je commande un double Mac patate douce viande des grisons avec supplément sauce betterave, et je mange, je mange. Descente de l'Izoard, je me dis, la bouche pleine, je sais ça ne se fait pas, 'Vincent soit prudent, écoute ta maman'. Rapidement un groupe de 3 coureurs me double, je vois vite qu'ils sont forts et que ça va descendre vite, très vite. Mollets bronzés musclés et épilés de près, ça ne trompe pas. Je colle au groupe et je descends à bloc à plus de 80/85km/h. ‘Vincent, anticipe, soigne tes trajectoires, ferme les yeux, ne freine pas …’. De toute façon avec ces jantes carbone et ces freins patins, ce vélo descends vite mais ne freine pas, mais rien à craindre, j’ai une bonne mutuelle. Je serre les dents, il ne doit pas y avoir beaucoup de moustiques à cette altitude, mais on ne sait jamais, un moustique sportif qui ferait des globules en altitude, et le moustique n'est pas dans mon régime alimentaire, pas assez de glucides et de nutriments. On descend donc à bloc jusqu'à Briançon, ne le dites pas à ma maman, elle me pensait à embrun pour une cure spa, gommages, masques de boue et massages aux pierres chaudes. Arrivé à Briançon je vois que les 3 coureurs s'échangent des gourdes !! ?? En fait 1 seul avait un dossard, les 2 autres l'accompagne, le tire, le pousse. Je reste derrière, à distance FFTri, ils descendent face au vent en groupe, le vélo avec le dossard bien à l'abri dans l'aspiration. Shame, shame on you. Dès la 1ère côte je les double, je ne me laisse plus impressionner par des mollets épilés, j'ai passé l'âge. Un faux plat montant, et ils me redoublent en file contre la montre. Shame on you !!!! Quel intérêt... Je les redouble dès la 1ère côte, je ne les reverrai qu'en course à pieds, ce coup-ci à 4 ...
Montée Pallon, je me rends compte que vos encouragements vont terriblement me manquer cette année... Comment réussir sans votre soutien si généreux, gentil, bienveillant, touchant, incroyablement forts ... Je pense à vous, et à mon frère, mon neveu et ma petite nièce qui étaient venu m’encourager à cet endroit en 2018, à mes oncles et tante, Jean-Claude, Robert et Nicole qui m'ont suivi et encouragés en 2018 et 2019, aux jeunes jumeaux champions du MTC qui m'avaient accompagné dans la montée en 2019, à Luc, Régine, Cathy, Denis, Francine, Barbara, Bernadette, Julie, Fred, Dominique, François, Joachim, Amandine et j'en oublie, mais en vérité je n'oublierai jamais, c'est gravé dans mon coeur, marqué sur le bitume, à la bombe orange fluo « Allez Vincent » avec un coeur sur le i ! Toujours visible 2 ans après ! A mon papa et à ma maman, parce que ma maman déborde d'amour, ça me réchauffe, me regonfle de confiance. Ma maman et mes grands-parents sont originaire de La Roche de Rame, le village et le lac en contrebas de Pallon. J'y ai passé enfant mes vacances d'étés, ma phobie de la nage en eau libre vient certainement de ce lac, qu'on me disait dangereux, mortel. Mon idolâtrie pour les ‘embruman’ vient également de mes séjours dans les Alpes, ces hommes, et femmes, étaient des superman pour moi, des idoles, je trouvais l'épreuve incroyable, irréalisable, impossible, un Everest. J'ai aimé profondément mes grands parents, je sais qu’ils sont juste là, en bas, ou plutôt en haut, pas loin, pour moi, avec moi, j'ai bien besoin d'eux, rien que de penser à eux, j'en ai les larmes aux yeux, j'en pleure en écrivant ces mots. Bon ce n’est pas tout ça, je bavarde, mais il faudrait que je pense à accélérer un peu, il y a encore de la route pour embrun, mon stock de glycogène et de betterave baisse. Chalvet approche, je sais que c'est terrible, Chalvet ne débute pas à la gare sncf, en fait on n'arrête pas de monter depuis le vieux pont de bois, entrée d'embrun, non en fait on monte depuis le départ vélo, je me demande même en y repensant s’il n’y avait pas du D+ pendant la natation. J’aime le dénivelé, plus que tout, une chance. Je connais Chalvet, je connais bien Chalvet, mais que c'est difficile avec 180kms dans les jambes. En 2019 j'avais eu une demande en mariage par une spectatrice dans cette dernière montée, je me dis, on ne sait jamais, peut-être qu'elle m’attend sur le bord de la route depuis 2 ans. Du coup je vérifie mon brushing, impeccable, enfin presque, je bombe le torse et j'appuie sur les pédales, sourire jusqu'aux oreilles, l'œil aux aguets, je suis prêt à m’engager, Oui ! Je le veux ! Chalvet passé, pas d'alliance au doigt, pas de publication de bans, tant pis, j’en rêve, mais ce ne doit plus être de mon âge, je dois m'en faire une raison. Je descends prudemment au lac, ce coup-ci je me dis, 'Vincent, la journée est belle, elle doit le rester' malgré tout je fais glisser mon pneu arrière sur un bon mètre dans un virage en épingle, ouf, je reste sur le vélo, pas de fesse râpée pour ce coup-ci.

J'arrive au parc à vélo, je sais que j'ai mis beaucoup beaucoup d'énergie pour cette partie vélo, j'ai beaucoup donné pour un temps très moyen, mais comme je n'ai plus de batterie à mon compteur vélo, et que je n'ai pas la force de regarder ma montre, je ne le saurai qu'après. Je mets les jolies Hoka que m'a prêté Nicolas la veille, elles en jettent ces Hoka, je vois rapidement qu'elles vont courir toutes seules, je vais courir facile, je n'aurais qu'à les guider, holà holà Hoka, pas si vite. 1er tour course à pieds, parfait, je me retiens pour ne pas aller trop vite, il faut profiter de cette journée. 2ème et 3ème tours, je ne sais pas, certainement une betterave frelatée, j'ai de terribles douleurs gastriques, je me résous à faire des arrêts aux stands, derrière un arbre, aux wc publics... Je vous épargne les détails mais dans des conditions matérielles digne du moyen âge. J'y passe un temps incroyable. 1ère fois que cela m'arrive, habituellement j'ai un estomac à toute épreuve. Difficile pour moi de courir dans ces conditions. Je savais que cela pouvait arriver, mais je pensais y échapper. Derniers kilomètres, je commence à trouver le temps long et le ventre toujours aussi lourd. J'accélère, merci Nico, merci monsieur Hoka. Enfin j'ai l'impression d'accélérer. Dernière ligne droite je sprinte, c'est mon truc de traîner toute la course et de sprinter dans les 100 derniers mètres, ça me donne l'impression de performer, d'être un sportif, un vrai, un tatoué.
Ouf !!!! Fini, heureux !!!!!! Tellement, tellement heureux !

Mais pas fier de ma forme, je ne peux rien avaler. Mais comment font-ils pour manger des frites et boire des bières !!!! Encore une queue énorme pour sortir du parc à vélo. Décidément, depuis la veille c'est incroyable le temps et l'énergie que j'aurais dépensé dans des files d'attente. On n’est pas assez prévenu, il faut le savoir, il faut un régime alimentaire pointu et un plan d'entraînement spécifique, une hygiène de vie irréprochable pour ces démarches administratives et sanitaires. La prochaine fois j'inclus dans mon plan d'entraînement des séances fractionné long au seuil de tolérance, le samedi matin au bureau de poste avec retrait de colissimo et avec enchaînement le samedi après-midi à Ikéa jour des soldes. La personne juste derrière moi tombe au sol, inconscient, plusieurs minutes dans les bras d'un certaine morphée, les médecins arrivent vite, lui demandent son âge, son prénom, il ne répond pas, il ne doit plus bien savoir. C’est un peu flou pour moi aussi, l'effet domino, je sens bien que je ne suis pas loin de tomber également, j'essaie de me remémorer mon prénom et mon âge, j'ai du mal, j’essaie de calculer, 2021 moins 1973, ça fait... Ben mince alors... Bon tant pis, je dirai un chiffre au hasard au médecin, tant pis si je fais plus vieux. Je me dépêche pour tomber dans les bras de ma chérie, bien plus accueillants et confortables que cette moquette bleue. Quel courage elle a eu de m'attendre et de m'encourager sous cette chaleur, merci mon cœur !!!  À la sortie du parc à vélo une haie m'applaudit et m'encourage, j'en pleure, j'en tremble, mes jambes ne vont jamais me soutenir suffisamment. J'arrive à peine à remercier... à leur dire qu'ils se trompent de personne. J'en pleure !!! Dur de rester un homme fort avec autant d'amour inconditionnel et autant d'émotions. Les jambes ne vont pas me tenir bien longtemps, il faut vite que je rentre, du repos, une douche et des wc avec papier toilette ! Un luxe ! J'en rêve.

Quelle journée !!!

Par expérience et principe de vie je n’ai que très peu de certitudes (en vérité je n’ai que des doutes), mais je pensais qu'avec les chaussures magiques de Nico et mon nouveau vélo qui roule seul, à des années lumières de mon vieux btwin, je pouvais y arriver en course à pieds et en vélo, mais en natation !!! Je n'en reviens pas, je ne me l'explique pas. Début juillet j'ai accompagné ma petite nièce à l'église pour son baptême, depuis j'ai dû être touché par une sorte de grâce divine. Le patron m'a à la bonne. Saint Jonathan à du prier pour moi. Il faut que je revois les images de la course, mais j'ai dû marcher sur l'eau en tunique blanche, couronne d’aubépine et sandalettes en cuir. J'espère que ce n'est pas interdit dans le règlement janséniste FFTri.

Le lendemain matin je me pèse, rien à faire, toujours pas pote avec la balance, 57 kg. Je suis passé du statut coq à celui de crevette, crevette rose, sans les paillettes, mais avec bonnet rose et petit sac rose ;), les copines du MTC comprendront ... Toujours bien loin des géants qui peuplent le bord du lac d'embrun un 15 août, avec tatouages tribaux, maillots, sacs à dos et visières Ironman.

J'aurais trois satisfactions à tirer de ces 4 années passées au MTC et de ces 3 courses d'embrun. Avoir enfin réussi à vaincre mes peurs, mes paniques, ma phobie de la natation en lac et en course. Je ne me suis jamais arrêté de courir dans les parties courses à pieds, même dans les côtes et dans la souffrance. Et la 3ème, essentielle, est de vous avoir rencontré, d'avoir fait ces courses avec vous, vous avez été tellement bons avec moi, une belle famille, avec beaucoup d'amour, de gentillesse, de bienveillance, de soutien, et de sacrées bonnes rigolades. JE VOUS REMERCIE !!!!!! MERCI INFINIMENT !!! QUEL BONHEUR !!!
A bientôt pour de nouveaux plaisirs.

Vincent –  Un long dimanche à Embrun - L'amour est dans le Lac - dossard 661

6 commentaires

Commentaire de la buse de Noyarey posté le 09-12-2021 à 16:06:23

Merci pour ce récit plein d'humour et d'autodérision. et un finisher d'Embrun meme si il fait 60 kg reste un finisher , et ça , c'est pas rien.

Commentaire de BouBou27 posté le 09-12-2021 à 17:18:36

Bravo pour cette course et ce récit !
La betterave, ca vous gagne

Commentaire de Bikoon posté le 10-12-2021 à 17:44:38

Merci pour ce CR, un régal ta plume ; preuve que tu es plus proche du coq que de la crevette !
Et un coq triplement Embruman ça force le respect. Alors BRAVO.
Moins de 14h c'est vraiment pas dégueu, il y a un paquet d'orques bronzés / tatoués derrière ;o)

Commentaire de marathon-Yann posté le 13-12-2021 à 14:57:47

Merci pour ce récit si vivant, et bravo pour ta course !

Commentaire de Trixou posté le 17-12-2021 à 08:56:52

Top ! Je vais me mettre aux betteraves !

Commentaire de Vincent O posté le 26-07-2022 à 15:19:42

Je vous remercie infiniment pour vos commentaires !!!
Même si cette course et ce compte rendu sont très personnels, on court pour soi, suite à des incidents de vie, pour une estime de soi, pour répondre à des objectifs, à des rêves d'une vie. J'ai écrit pour que mes proches comprennent, pour moi, pour graver, me remémorer ces plaisirs, ces bonheurs, ces souffrances, ces émotions fortes, uniques, vraiment uniques. Malgré tout c'est plaisant d’être lu et de savoir que cela peut plaire.
Je vous remercie pour votre lecture !
Vincent

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