Récit de la course : L'Echappée Belle - Intégrale - 152 km 2024, par Ewi

L'auteur : Ewi

La course : L'Echappée Belle - Intégrale - 152 km

Date : 23/8/2024

Lieu : Vizille (Isère)

Affichage : 418 vues

Distance : 152km

Objectif : Balade

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Welcom Back

Après trois années à fuir les sentiers escarpés de l'ultra trail, me voilà inscrit pour un nouveau défi, et pas des moindres : l'Échappée Belle. Cette course de 150 kilomètres, avec ses 11 000 mètres de dénivelé positif, marque un retour aux sources aussi abrupt qu’évident. C'est ici, sur ces mêmes sentiers, que j'avais fait mes premières foulées dans le monde de l'ultra, et que j'avais laissé quelques sueurs – et beaucoup d’amour – sur les pentes alpines.

Ces derniers temps, ces chemins m’appellent à nouveau, comme un vieil ami qu’on n’a pas vu depuis trop longtemps. Plus les jours passent, plus je ressens un mélange d’excitation (l'adrénaline monte) et d’appréhension (même les doutes prennent de l'altitude). L’Échappée Belle s’annonce comme un test ultime : mental d'acier requis, préparation au millimètre, et une bonne dose de joie mêlée à des moments de doutes aussi profonds que certains ravins du parcours. Entre les montées à s'en brûler les cuisses et les descentes qui promettent quelques frissons (voire des chutes), ce sera une aventure avec soi-même au cœur des paysages alpins.

Il faut dire que ces dernières années n’ont pas été une promenade de santé. Après un Ultra-Tour du Haut-Giffre achevé dans la douleur – et quelques ligaments de cheville laissés en souvenir sur les sentiers – j’ai cru que je devrais troquer mes crampons pour de simples baskets de route, et me contenter des balades bucoliques autour du parc de la Tête d’Or. "Quand c’est cassé, c’est cassé"… et pas de solution “médicale” a l’horizon. Je m’étais presque résigné. Mais voilà, chaque année, en regardant les copains partir s'éclater sur des courses plus spectaculaires les unes que les autres, une petite voix en moi murmurait : « Et si tu retentais ? ». En plus, je passe de plus en plus de temps dans Belledonne, à Chamrousse. Je connais chaque caillou, chaque racine, chaque virage par cœur. Enfin... jusqu'à Jean Collet. Après, c'est encore un peu flou, mais ça, c'est un autre chapitre. Entre tentation et tergiversation, j’ai fini par plier devant l’évidence : il est temps de replonger.

Cette année, mes partenaires de Chocolateam ont les yeux rivés sur la Réunion. L’idée d’un DNF à 9 000 kilomètres de chez moi ne m’attirant guère, et la Réunion étant un peu loin pour une simple promenade, j’en profite pour m’inscrire en solo sur l’intégrale de l’Échappée Belle. Quitte à se perdre, autant le faire chez soi.

Niveau prépa, on va pas se mentir, c’est light. Trop light. Disons qu’on est plus proche de la feuille de papier que de l’armure de gladiateur. Mes chevilles, elles, en ont décidé autrement : une série d’entorses m’a laissé plus souvent sur le canapé qu’en baskets. Et autant vous dire qu’après chaque torsion, c’est surtout mon moral qui partait en vrille. Résultat, je me pointe sur la ligne de départ de l’Oisans Trail Tour avec un mental de biscotte (celle qui s’effrite des qu’on les regarde). 90 kilomètres, 5000 mètres de D+, sur un parcours hyper, hyper (hyper !) roulant… Enfin, "roulant", on reste en montagne... Bref, c’est censé être du gâteau pour se mettre en jambes. Problème : la barrière horaire sera collée à mes basques comme une tique sur un mollet tout au long des 90 bornes. Mais après tout, un test est là pour ça : tester. Et ce test-là, je l’ai bouclé sans pépin autre que mental, en 19h45. Pas glorieux, mais pas de casse non plus, ce qui est un bon début. Ça m’a permis de glaner quelques bribes de confiance en vue de l'Échappée Belle. Mais soyons lucides, l’Oisans Trail Tour, c’est la balade du dimanche à côté de ce qui m’attend dans Belledonne.

Les sentiers de Belledonne, eux, ne pardonnent pas. Techniques, accidentés, ils n'ont rien de roulants : chaque caillou est un piège potentiel, chaque montée se transforme en ascension digne d’un sherpa, et chaque descente est une invitation à tester les lois de la gravité – souvent de façon bien plus brutale qu'on ne le souhaiterait.

Avançons jusqu’au départ :

Départ en dernière vague, comme souvent, histoire de laisser les fusées partir devant. Je retrouve Franck sur la ligne, un ami de longue date avec qui j’ai déjà partagé quelques batailles, et notamment ici sur l’Échappée Belle. Pas de stress, pas d’anxiété cette fois-ci. On sait parfaitement à quoi s’attendre, on sait ce qui va piquer – et ça va piquer.

On n’a pas vraiment élaboré de stratégie, d’ailleurs. Pas de plan de course savamment concocté, pas de tableau Excel avec des temps de passage ou des prévisions à la minute près. Non, (on laisse ca a Bubulle), notre seul objectif est simple et limpide : "survivre à la barrière horaire", et surtout, profiter de ces instants en montagne, parce qu’au fond, c’est ça qui nous fait revenir à chaque fois, malgré la douleur, malgré l’effort. Les paysages, les moments partagés avec les autres coureurs, et ce sentiment unique d’être en communion avec la nature, même si elle nous malmène parfois.

Direction l’Arselle.

Le départ, comme d’habitude, est bien trop rapide. On dirait que tout le monde se prend pour Kilian Jornet sur les premiers mètres, malgré les promesses faites au départ de "prendre ça tranquille". Cette fois-ci, personne n’est là pour nous rappeler la règle d’or : “Gestion, gestion, gestion”. Du coup, ça part un peu trop fort. Rapidement, le peloton s’étire, et les conversations s’éteignent. Il ne reste que le bruit des chaussures qui frappent le sol et le souffle des coureurs, déjà plus profond.

Les premiers kilomètres sont plutôt joueurs, comme on les aime. On peut relancer facilement, et même se permettre de trottiner un peu sans trop se mettre dans le rouge. Les sensations sont là, et l’excitation du début de course nous porte encore. Au fil des kilomètres, le jour commence à pointer, les premières lueurs de l’aube éclairent timidement les sommets. L’atmosphère se réchauffe et la promesse d’une belle journée se profile. On est bien.

 

Direction La Pra.

Ici, c’est mon terrain de jeu. Je connais chaque recoin (wink wink). Pour résumer, ça grimpe. Et ça grimpe bien, avec 3 kilomètres de montée continue pour atteindre le col de l'Infernet. Les jambes commencent à chauffer, mais c’est ce que j’aime. Une fois en haut, on enchaîne sur un sentier en balcon qui surplombe plusieurs lacs. Parfois, on a la chance d’y croiser un troupeau de bouquetins. Aujourd’hui, je pense qu’ils ont été effrayés par le troupeau de buffles…

Un dernier petit "coup de cul" et on arrive au col de la Botte. Ca me botte. Ici, c’est l’un de mes endroits préférés. Il faut absolument prendre un moment pour se retourner et admirer le panorama : le Taillefer majestueux d’un côté, les Grandes Rousses de l’autre. D’habitude, je bifurque a droite pour un 360° mais aujourd’hui, on se contentera du col.

Franck est toujours un peu devant, et je veille à ce que ça reste ainsi. La règle est simple : tant qu’on n’a pas passé Val Pelouse, interdiction de doubler Franck si on veut avoir une chance d’être finisher. Une superstition peut-être, mais elle a fait ses preuves !

On continue vers le col des Lessines, un petit balcon bien agréable à courir. Les vues sont à couper le souffle. Les Ecrins, la meije, tout le monde est la. Une petite descente nous amène aux lacs Robert. J’avoue que les grandes voies des Vans me tentent bien. Elles me font de l’œil à chaque fois que je passe par ici… mais aujourd’hui, pas question de s’égarer, on est là pour courir, pas pour grimper.

 

À partir de là, le décor change. On entre dans une montagne plus sauvage, plus brute. Un petit état des lieux rapide : moral au beau fixe, physique au top. Tant que ça continue comme ça, tout va bien.

La suite du parcours est un enchaînement de petits coups de cul, des montées courtes mais raides, parsemées de rochers et de rhododendrons. On laisse derrière nous plusieurs lacs, dont les lacs Léama et Longer, et on arrive tranquillement au refuge de La Pra, cette petite oasis en plein milieu des montagnes, une sorte de maison dans la prairie en version alpine.

Direction Jean Collet.

Maintenant, on entre dans le vif du sujet, et c’est un vrai régal. Les sentiers deviennent plus techniques, plus joueurs. Les cailloux s’agrandissent et certains bougent sous nos pieds, histoire de rendre chaque pas un peu plus délicat. On joue a “saute cailloux”, on cherche notre chemin. Le pied. Le soleil commence à taper, mais heureusement, le torrent Doménon et ses deux superbes lacs apportent une petite touche de fraîcheur bienvenue.

On en profite pour garder un bon rythme. Franck est toujours devant, à quelques mètres, et on se laisse porter par la dynamique du groupe. On papote avec d’autres coureurs, on se transforme en guides touristiques improvisés. Faut dire, on connaît ce coin comme notre poche après y être venus un nombre incalculable de fois. D'ailleurs, ce sera pour moi mon pèlerinage annuel. Je n’avais pas pris le temps de remonter ici cette année.

Il est temps de quitter le GR pour s’attaquer à la montée vers la Croix. Rien de bien compliqué, juste une montée bien raide, directe, sans détour. Franck commence à montrer des signes de fatigue, son rythme ralentit. Et là, sans vraiment y réfléchir, je fais l’impensable : je le dépasse. La fameuse Règle prend du plomb dans l’aile… Je verrai bien quand je paierai cet affront ! En montant, on traverse quelques névés rafraîchissants, et le paysage se transforme peu à peu en un décor lunaire. J’adore être ici, dans ce cadre si sauvage et dépouillé.

Arrivé en haut, c’est la récompense ultime : un panorama à 360° sur les Alpes. Franchement, si je n’étais pas en pleine course, je pourrais rester là des heures à contempler les sommets, mais le chrono continue de tourner et la BH, elle, ne prendra pas de pause. Pas le temps de s’attarder. La descente qui nous attend est nouvelle pour moi, une belle occasion d’ajouter quelques petits carrés avec des jambes qui tournent bien rond. La forme est toujours là, alors je me laisse aller à trottiner, profitant du terrain pour relâcher un peu les jambes. Je me sens léger, j’accélère doucement pour rejoindre le col de Freydane, puis j’accélère encore un peu un peu dans cette descente qui, cette fois, propose un vrai sentier, bien marqué, presque agréable.

En un clin d’œil, j’arrive au lac Blanc… et plus de Franck à l’horizon. Il a disparu derrière moi, sans que je m’en rende compte. Pourtant, je ne suis pas le meilleur descendeur, et ma cheville commence à faire des siennes. Les premières tensions se manifestent, me rappelant cette épée de Damocles. Après une traversée de ruisseau, quelques cascades, je vois enfin Jean Collet apparaître devant moi.

Direction le Habert.

Franck a fait un ravitaillement éclair et s'est élancé avant moi. Me voilà donc en solo pour cette portion. La chaleur est montée d’un cran, et je sais que l’eau va se faire rare sur ce tronçon. Deux gros morceaux nous attendent : la montée vers la mine de fer et le passage de la brèche fendue. Ce coin, je le connais moins bien. La dernière fois que je suis passé par là, un brouillard épais m’avait enveloppé, rendant le parcours presque fantomatique. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Le soleil tape fort, et le ciel est d’un bleu éclatant. Je prends enfin le temps de découvrir ces paysages que je n’avais jamais vraiment vus.

Au détour d’un lacet, je rattrape Franck. Il ne va pas bien. Il commence à montrer des signes de fatigue, et son moral semble vaciller. Il essaie de prévenir Caro, son pacer, pour lui annoncer que l’intégrale risque d’être écourtée. Je sens que la vue imposante de la brèche fendue depuis la mine de fer a miné son moral et fendu sa détermination. Franck, d’habitude si solide, vacille aujourd'hui sous la chaleur.

Je ralentis un peu, il faut sauver le soldat Franck. Ca sera a Xian et Caro de s’en charger pour l’instant.

De mon côté, les sensations sont plutôt tres bonnes, et, étrangement, la chaleur ne me pèse pas autant que d’habitude. Peut-être que mes jambes se sont habituées, ou que la beauté des lieux me distrait. Entre les rochers, les pierres, les cailloux, les caillasses, et les sommets qui se dressent autour de moi, j'en prends plein les rétines. Chaque virage dévoile un nouveau panorama rocailleux. Le kiff

J’arrive enfin au ravitaillement du Habert, mais avec un constat : j’ai une heure de retard sur mon passage de 2018. Mais qu’importe, pour l’instant, je me sens tres bien, et c’est tout ce qui compte. Comment ca ne pourrait pas aller ici ? 

Direction Le Pleynet (la base vie).

J’attends Franck pour une pause bien méritée. Il est de plus en plus tenté par l’idée d’en finir au Pleynet, et je le sens bougon. Il faut trouver un plan pour lui redonner un peu de motivation. Pour l’instant, je lui propose d’aller jusqu’à Gleyzin et de shunter le Moretan, un détour particulièrement technique qui pourrait nous coûter cher en temps et en énergie. Il me répond “oui oui”, mais je suis presque sûr qu’il le dit juste pour me faire plaisir. Qu’importe, on avance ensemble. Et entre nous, ce shunt m’arrange bien aussi. Ma cheville me fait souffrir depuis quelques kilomètres. Chaque fois qu’elle bascule sur un terrain instable, c’est comme un petit coup de couteau qui me traverse. Mais pas le moment de se plaindre, on reste concentrés sur ce qui arrive : deux cols nous attendent, l’Aigleton, le plus mignon du parcours, et la Vache, le moins bien rangé.

Quand on bascule au sommet de l’Aigleton, la nuit tombe et on doit sortir les frontales. C’est dans le noir complet que nous attaquons la montée du col de la Vache, une montée qui, à elle seule, pourrait générer un bon PTSD pour les traileurs. Pas de neige ni de vent cette fois, mais la chaleur reste forte, même à cette heure. Saute-cailloux en pleine nuit reste ludique, même si l’effort commence à se faire sentir. J’adore cette section. J'adore le bruit que fait un gros cailloux quand il bouge. J'adore cette impression de devoir chercher son chemin. 

Dans la montée, je perds Franck. Je me retrouve seul dans la descente, et avec ma cheville en vrac, chaque pas devient pénible. La descente est interminable. Je connais le coin par cœur, mais aujourd’hui, chaque mètre me coûte, et la fameuse descente du Cul de la Vieille commence sérieusement à me faire douter. Qu'importe, les 7 Laux sont toujours aussi apaisant. On distingue les vagues, on entant les clapotis, on est trop bien. Juste avant de basculer vers Le Pleynet, Franck me rattrape. Je m’arrête un instant pour laisser ma cheville dégonfler avant d’attaquer ces 1000 mètres de D-. Le ciel étoilé est splendide, et je me surprends à ne plus vouloir bouger. Il s’en faut de peu pour que je décide de passer la nuit là, à contempler les étoiles, entouré de sommets.

Le Cul de la Vieille, c’est un véritable casse-tête de plaques rocheuses toutes ridées à négocier à chaque pas, surtout de nuit. Chaque mouvement demande une concentration extrême, et la descente semble s’étirer à l’infini. Finalement, j’atteins un petit replat, et je retrouve Franck, qui a pris la tête d’un petit groupe de coureurs. On dépasse quelques concurrents, les visages marqués, le moral dans les chaussettes. Certains annoncent déjà qu’ils abandonneront au Pleynet. Pour nous, il reste encore 400 mètres de D+ avant d’y arriver. Je prends les devants, jouant les guides touristiques pour faire passer la montée le plus agréablement possible et garder notre avance sur la barrière horaire, une bonne marge de 2 heures. Mais la chaleur nocturne ne nous lache pas, et je sens la surchauffe monter. Chaque torrent croisé devient une bénédiction, où je plonge littéralement la tête histoire de faire redescendre un peu la température.

Après un long cheminement, la base vie du Pleynet est a portée de regard. Ce balcon de 6 kilomètres est trompeur : il paraît interminable et chaque coup d’oeil a droite est un supplice.

Le plan est simple : on a une heure pour repartir (car on va repartir), et une heure d’avance sur la barrière horaire. À l’arrivée, on retrouve le sourire de nos super suiveurs : Caro, Elisabeth, et Bubulle, qui attende coureur, Raya. Pas de temps à perdre, il faut se refaire une santé : se changer, manger un bon repas chaud, et s’accorder 20 minutes de repos. Pendant ce bref moment, on rebooste Franck et on repousse son idée d’abandon. On se dit qu’on verra ça au Super Collet, où Caro prendra le relais pour le pacer jusqu’au bout.

De mon côté, je prends cinq minutes pour voir le médecin et demander un strapping pour ma cheville, mais malheureusement, ce n’est pas son domaine. Les kinés sont déjà partis, mais par chance, un bénévole, kiné dans la vraie vie, me fait un strap de fortune. Peut-être que c’est psychologique, mais une fois la cheville verrouillée, plus aucune douleur en posant le pied. Cette journée s’annonce finalement plutôt bien.

Direction Gleyzin.

Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de cette section, à part que ça monte… et ça monte beaucoup. C’est une nouveauté cette année. Les éditions précédentes étaient plus "douces" à la sortie de la base vie, mais là, on s’enfonce sur un bon morceau : 17 km avec 1200 mètres de D+ et 1700 de D- au programme. Je bougonne… À 4 heures du matin, la cascade du Pissou, franchement, ça ne me fait ni chaud ni froid. Déjà lors de la traversée nord il y a quelques années, elle ne m’avait pas impressionné, alors là…

Le pire, c’est que je ne reconnais rien. J’ai l’impression de partir pour la Grande Valloire…

 

Faudrait demander a Franck combien de fois j’ai rallé sur cette section… Mon cerveau bug. Sans repères, je me perds, et chaque minute semble s’étirer à l’infini. Le temps s’allonge, et je n’arrive pas à faire correspondre le profil de la course avec les chemins que l’on emprunte. C’est comme si chaque foulée était un pas de plus dans l’inconnu. Je commence à compter les kilomètres, puis les hectomètres, et c’est là que la spirale négative s’enclenche. Le moment où tu te mets à faire des calculs interminables pour essayer de justifier l’abandon au prochain ravito.

En temps normal, je sature mon esprit avec de la musique, des podcasts, ou même des équations différentielles pour occuper mon cerveau. Mais là, rien ne fonctionne. J’en suis réduit à compter les décimètres… autant dire que je ne vais pas très loin. Je me cale derrière Franck et Denis, un Belge que nous avons rattrapé en cours de route. La seule solution à ce stade, c’est de ne plus regarder ma montre et de suivre mécaniquement.

Au croisement du shunt de la Grande Valloire sur le 92 km, quelques bénévoles me redonnent le sourire. Leur enthousiasme est contagieux et me sort un peu de ma torpeur. La section touche a sa fin, j’ai presque envi de dire “deja”. La descente vers le ravito de Gleyzin s’annonce raide, mais on s’en approche enfin.

Je m’attendais à la vieille grange de Gleyzin, celle qui sent bon le bouc et le foin, mais non, cette année, c’est barnum et tentes. Franck, toujours pragmatique, part se renseigner sur le fameux shunt du Moretan pendant que je me refais avec quelques soupes bienvenues. La fatigue pèse lourd, mais l’idée d’arriver au Super Collet nous pousse à repartir.

Direction Super Collet.

La décision a été simple et sans appel. Gagner deux à trois heures sur la barrière horaire (BH) en échangeant le col du Moretan contre un chemin forestier ombragé, ça ne se discute même pas. Le col du Moretan, on le connaît par cœur pour l’avoir franchi une dizaine de fois. Alors, cette fois-ci, on opte pour la voie de repli. 700 mètres de D+ pour rejoindre l’Aup Bernard, un petit refuge non gardé, et une descente en douceur jusqu’au pas de l’Ourse, où l’on retrouvera ceux qui auront bravé le Moretan.

Franck semble retrouver des forces, et il accélère. Je dois trottiner pour ne pas me laisser distancer. Trois kilomètres plus loin, après une halte express pour remplir nos gourdes à un point d’eau, nous attend la redoutable montée de la Pierre du Carre. C’est la némésis de Franck. Rien de techniquement difficile dans cette montée, mais elle est d’une raideur sans pitié, interminable, avec peu de distractions visuelles pour varier les plaisirs. Pas de panorama, juste des cailloux et des racines. Le genre de montée où l’on finit par ne plus voir que ses chaussures.

Je perds Franck qui s’arrête un moment. J’en profite pour m’immerger – au sens propre – dans un petit ruisseau à mi-chemin. L’eau froide est un véritable baume pour mon corps surchauffé. Quelques minutes plus tard, Franck me rattrape et nous repartons, déterminés, en direction du Super Collet. Chaque point d’eau est une bénédiction. Il fait si chaud qu’un bénévole, posté au bord du chemin, tient un arrosoir à la main, nous offrant une douche impromptue. Je ne me fais pas prier et accepte avec enthousiasme. Cette chaleur est accablante, et chaque geste pour la contrer compte.

À un kilomètre de l’arrivée, nous apercevons les copains. Caro, Elisabeth, Nico et Bubulle, venus à notre rencontre, nous escortent jusqu’au pointage. C’est un moment réconfortant, sentir qu’on approche d’un endroit où l’on pourra souffler un peu.

Avec l’avance confortable que nous avons gagnée sur la BH, nous décidons de nous accorder une bonne pause. Franck se régale avec une saucisse-frites, tandis que je m’oriente vers un combo soupe + kiné (histoire d’obtenir enfin un vrai strap) + une tentative de sieste. Bien sûr, avec le ballet incessant des hélicoptères au-dessus de nos têtes, dormir relève de l’utopie, mais peu importe. Au moins, j’ai pu fermer les yeux quelques minutes, et dans ce genre de course, ça compte.

On a encore un long chemin devant nous, mais pour l’instant, on recharge les batteries et on savoure cet instant de répit.

Direction Val Pelouse.

Nous repartons à cinq : Nico, qui nous accompagne jusqu’au col de Claran, Franck avec Caro qui est désormais son pacer, Bubulle (qui a perdu son coureur et se joint à nous), et moi. L’après-midi est suffocante de chaleur alors que nous nous dirigeons vers les crêtes des Férices. Bubulle, débordant d’énergie, impose un rythme que je ne peux absolument pas suivre. Il va falloir ajuster notre allure pour maintenir le groupe soudé.

Le parcours jusqu’ici ne présente pas de grandes difficultés. La montée vers le refuge des Férices est même plutôt agréable, surtout avec mes petites habitudes sur ce sentier : gros caillou ici, arbre tordu là, ruisseau plus loin… et, comme toujours, une petite pause goûter aux deux tiers de la montée. Finalement, nous arrivons au refuge des Férices, entourés d'un festival peu enviable de coureurs aux prises avec des estomacs récalcitrants. Après avoir échappé à ces scènes de "vomito" collectif, nous repartons vers Arpingon.

Arpingon est sans doute l’endroit le plus zen de toute la course. Après deux petits coups de cul de 200 mètres de D+, nous atteignons le sommet, juste au moment où il est temps de sortir les frontales. Le timing est un peu serré : nous avons une heure de retard par rapport à 2019, et deux heures de retard sur 2018. Mais franchement, peu importe, j’adore cet endroit. Le chemin en balcon est magnifique, ponctué de quelques passages techniques. Nous laissons le refuge de la Pierrière sur notre gauche, et bientôt, les fameuses vaches de Val Pelouse apparaissent à l’horizon, paisibles et imperturbables. C’est toujours un signe rassurant : Val Pelouse n’est plus très loin.

Tellement content d’être presque arrivé que je me relâche sur les derniers mètres… et bam, une glissade. Mon genou se tord dans une position qui n’a rien de naturel. La douleur me traverse, et même si je grimace, je fais de mon mieux pour faire bonne figure. Sur le coup, je déguste sévère, mais je serre les dents.

Les vaches, elles, continuent de mâchouiller tranquillement, totalement indifférentes à ma mésaventure.

Nous atteignons enfin le ravitaillement de Val Pelouse, qui est, comme toujours, très animé. Avec deux heures d’avance sur la barrière horaire, nous sommes plutôt bien. Le genou tire un peu, mais pour l’instant, je tiens le coup.

Direction Bourget.

Depuis Gleyzin, une pensée me hante : « Après Val Pelouse, on a 3x400 D+ et c’est fini. » Bien sûr, c’est faux, mais il faut bien s’accrocher à quelque chose. Alors, on avance comme on peut. Sous l’impulsion de Bubulle, on avale rapidement les premiers 400 D+ pour arriver au sommet de la Pierrière. De là-haut, on a une vue magnifique : à droite, les frontales des coureurs encore sur les crêtes des Férices, et à gauche, celles qui montent vers le col de la Perche, notre prochaine étape.

La descente, par contre, est un vrai cauchemar. Un mélange chaotique de petits bosquets, de myrtilles, et de racines rend chaque pas incertain. Je n’arrive plus à suivre le rythme du groupe. Je perds une énergie folle à faire attention à ma cheville et à mon genou. Chaque pas me coûte, et même en essayant d’accélérer, je reste à dix mètres derrière les autres. Alors, dans un élan de précipitation, je m’emmêle les pieds et disparais littéralement dans un champ de myrtilles. Heureusement que ce n’était pas sur les Férices, sinon vous ne seriez pas en train de lire ces lignes ! Je ressors de là couvert de poussière, plus secoué qu’autre chose, mais sans gros dégâts.

L’ascension vers le col de la Perche se fait dans un silence anormal. Habituellement, on entendrait des éclats de voix, des rires… mais là, rien. Les « zouaves » ne sont pas au rendez-vous. On grimpe à un rythme de sénateur, c’est-à-dire, pas très vite. Mais même à cette allure, c’est trop rapide pour moi. J’ai besoin de m’arrêter. Je laisse Franck, Caro, et Bubulle partir devant et m’allonge pour fermer les yeux un moment. Je suis cuit. La fatigue est écrasante, et je m’endors quelques minutes. J’ai l’impression d’avoir dormi une demi-heure, et ça me fait un bien fou.

Je suis réveillé par le vent qui se lève, et je reprends la route pour les derniers mètres vers le col. Bubulle revient me chercher, mais le vent devient de plus en plus violent, et la pluie commence à tomber. Cette fraîcheur est salvatrice pour moi, mais Bubulle, lui, ne semble pas apprécier. Il me pousse à accélérer pour rattraper les autres. La pluie tombe à l’horizontale, et on se met à galoper vers le Grand Chat, notre dernier sommet.

En basculant dans la forêt, tout devient étrange. Je ne reconnais rien. Pourtant, j’ai emprunté ce chemin quatre fois déjà, mais tout semble différent sous la pluie battante et la fatigue. Je ne cesse de harceler Bubulle avec mes questions, mais il faudra attendre de passer devant la fameuse « baraque à Michel » pour que je retrouve enfin mes repères et que je cesse de l’embêter avec mes interrogations incessantes.

Nous arrivons finalement au ravito, trempés, et regrettant un peu les conforts du ravito du Pontet. Ici, pas d'installation en dur, juste quelques tentes chancelantes sous les trombes d’eau. Mais la super suiveuse Elisabeth nous fait une belle surprise en débarquant avec des croissants, des pains au chocolat, et même de l'Orangina pour changer un peu du Coca habituel. Comment nous a-t-elle trouvés ? Simple : nous sommes pile dans le timing du roadbook de Bubulle. La précision suisse est de retour. Et quel bonheur de retrouver un peu de réconfort avant d'attaquer la dernière ligne droite.

Direction Aiguebelle.

C'est la section que je redoute le plus. Rien de bien technique, mais un ennui mortel. On commence par trois kilomètres de plat, entraînés par Bubulle en mode marche nordique. Puis vient l'interminable montée vers le fort de Montgilbert, ce fameux fort que l'on ne verra jamais. Chaque virage est une déception, je scrute le paysage, cherchant ce fort fantôme, mais rien. Je suis complètement à la ramasse. Les jambes lourdes, le moral en berne, je traîne la patte.

Je me souviens vaguement de 2018, où il y avait un pointage final au pied d'une arche en pierre. Ces souvenirs me trottent dans la tête pendant que j'avance mécaniquement. C'est alors que je reçois un message de ma sœur, qui est aussi sur le parcours, du côté des crêtes. "On est passé au fort il y a 5 minutes", m’écrit-elle. Immédiatement, je demande à Bubulle et Franck si l'on est loin du fort, mais ils ne comprennent pas vraiment la question. Puis la réalité me frappe : on ne passe jamais vraiment devant un fort, et on est déjà au point culminant de Montgilbert.

Ça fait tilt dans ma tête. Cela veut dire que ma sœur n’est qu’à 5 minutes devant nous, pas plus ! Si on se met à courir, on peut la rattraper et finir ensemble, en sonnant la cloche côte à côte. Plus question de traîner. On se met à tracer, oubliant la fatigue. La longue descente de 1000 mètres de D- commence, serpente dans la forêt, et à chaque virage, j’espère apercevoir les dossards violets. Mais rien. Alors on continue, encore et encore, dévalant la pente à la recherche de ce moment familial.

Finalement, on arrive à Aiguebelle, mais sans avoir rattrapé ma sœur. Peu importe, nous courons jusqu’au bout, jusqu’à la cloche. Et puis là, le son résonne : ding. Pour la quatrième fois, je fais sonner cette cloche, avec la même joie, la même fierté que les fois précédentes.

On oublie vite à quel point s’aligner sur un ultra n’est pas anodin. Dans notre petit monde de passionnés, de "bigorexiques", on en vient parfois à négliger la réalité : courir 150 kilomètres, ce n’est pas juste une longue sortie. C’est une sacrée aventure, un défi physique et mental. Et à chaque fois, le son de cette cloche est là pour me rappeler tout ça.

Un mot pour finir. Un merci a tout les bénévoles qui, encore une fois, ont été d'une gentillesse sans faille. Vous donnez envi de revenir encore et encore. 

4 commentaires

Commentaire de bubulle posté le 14-09-2024 à 14:11:21

Superbe récit ! J'ai bêtement laissé le mien en plan, je ne sais pas si je le finirai, mais c'était un vrai bonheur que de vous accompagner.....même si c'est parfois plus compliqué qu'on imagine de faire le pacer puisqu'on doit nécessairement s'ajuste à son (ou à ses) coureur(s) en essyant de le(s) faire avancer le plus vite possible....sans en faire trop.

Il m'a fallu un petit moment pour l'adapter (désolé pour la montée trop rapide de Super Collet au Col de Claran!) et j'ai un peu déconnecté quand nous n'arrivions plus à te faire avancer à Montgilbert. Mais le miracle du coup de fil de ta soeur a eu lieu et on a fait, à 4, une superbe descente avec même, parfois, Franck et toi qui semiez vos pacers !

Je cours rarement en groupe, sauvage que je suis, mais à aucun moment je n'ai regretté cette course partagée....et je pense que Franck non plus car, sans toi, je ne suis pas sûr qu'il serait reparti du Pleynet !

Commentaire de Ewi posté le 14-09-2024 à 17:11:17

Merci à toi pour l’accompagnement :) j’ai eu l’impression de courir à 20km/h sur les crêtes du chat, c’était grisant.

Commentaire de Benman posté le 16-09-2024 à 23:02:37

Bravo
On sent que tu aimes vraiment Belledonne, et cette course,c'est la tienne

Merci de nous partager si bien ta passion. Tu aurais presque donné envie à 2 zozos d'y retourner..

Commentaire de Ewi posté le 18-09-2024 à 11:21:46

J'espère bien qu'on trouvera un moment pour y retourner tous ensemble :)

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