L'auteur : Snybril
La course : Trail du Lac d'Annecy - Maxi Race
Date : 30/10/2021
Lieu : Annecy (Haute-Savoie)
Affichage : 2170 vues
Distance : 86km
Objectif : Terminer
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Qu’est ce que je fous là ? Je me suis posé cette question bien souvent durant cette Maxi-Race, et déjà bien avant d’aller courir. Il est à peine 20h, je me suis réfugié dans ma voiture pour ne pas mourir de froid, et j’ai quatre longues heures à attendre avant le départ. Pourtant, l’idée d’un départ à minuit, ça avait quelque chose d’excitant. J’avais même signé pour la pasta party. Dans ma tête, il y avait de la convivialité, du gavage de féculents et une ambiance festive d’avant course.
Au final, quatre pennes se disputaient un quignon de pain dans un chapiteau glacial. Quelques personnes mangeaient en silence. Histoire de terminer au plus vite et de partir à la recherche d’un endroit plus douillet. Au moins dans ma voiture, je peux mettre un peu de chauffage. Essayer de dormir, même pas en rêve par-contre.
Les heures s’étirent, le sommeil ne vient pas et l’heure du départ se rapproche. Je suis prêt, enfin c’est ce que je croyais. Dans un excès d’optimisme, j’opte même pour laisser dans la voiture la polaire et tout au fond de mon sac ma veste. Après tout, le thermomètre extérieur de la voiture annonçait 10°, ça devrait le faire. Cette saloperie de thermomètre ne m’avait par contre pas prévenu pour le vent.
C’est parti pour le sas numéro 2, bien rempli. Je ne me sens pas à ma place. Sur le papier, le sas est réservé aux concurrents avec une côte ITRA supérieure à 500. Sur un malentendu, j’ai récolté un 501 pendant la saison. Du coup les centaines de coureurs autour de moi sont tous plus fort. Je vais passer mon temps à me faire doubler (spoiler alert : c’était vrai). C’est dur pour le moral, mais au moins je ne risque pas être bloqué dans les bouchons sur les singles (spoiler alert : c’était faux).
Vent froid au démarrage. Idée à la con de partir en t-shirt aussi. Côté lac, tout contre la barrière, je profite de toutes les rafales. Il en a des trucs à raconter ce speaker, vivement qu’on y aille. Au moins pour se réchauffer.
Petite montée d’émotion durant les premières foulées, entre la musique héroïque et les fumigènes rouge, on sent qu’on participe à quelque chose. On longe le lac d’un côté, la ville endormie de l’autre, c’est sympa. Ça ne part pas trop vite et ça s’étale tranquillement. Il y a encore la foule des supporters, et les jeunes venus décuver un peu leur sortie en bar. Je suis un peu jaloux, dans moins d’une heure ils seront au chaud sous la couette.
Passé les premiers kilomètres, on arrive enfin dans le cœur du sujet. Une première côte, très raide, mais pas très longue. Les bâtons sortent de tous les côtés. Clac-clac, Faut faire attention ou on met les pieds, sous peine de se faire harponner. Même pas peur, j’ai pris l’option de courir sans pendant la première moitié. Ça m’avait plutôt réussi à la GTL de l’an passé.
Direction, le Semnoz, enfin je crois. Il fait tout noir et tout le monde va par là. Pente régulière sur la moitié de la montée. Mais beaucoup, beaucoup, de monde, comme à l'ouverture des soldes dans un supermarché. Sauf-que les clients avaient remplacé leur caddie par une paire de bâtons. Le chemin était facile mais pas très plaisant. En plus, comme prévu je passe mon temps à me faire doubler. Alors je me sens forcé de relancer dès que la pente se fait moins raide. Je tape la discut’ avec quelqu’un, il va un peu plus vite que moi, mais pas trop. Alors je suis son train, ai-je pioché un bon lièvre qui me permettra de ne pas m’endormir pendant la course ? Je me rendrais bien vite compte qu’il s’agit d’un relayeur, son épreuve se terminera dans moins de 3heures. Alors je me résous à le laisser filer.
La dernière partie du Semnoz est interminable, en alternance de plats, de faux-plats et de vraies (mini) montées. Idéal pour casser les pattes. Je n’ai pas eu froid pendant la majeure partie du trajet, bien abrité par la forêt.
Comme dans mon souvenir, le sommet du Semnoz est nu. Le dernier kilomètre étale ses prairies pour les skieurs l’hiver et autre bétail l’été. Pendant cette première ascension, le vent s’était bien renforcé, Et le thermomètre avait dégringolé de ses dix degrés le long du lac. Je ne sais pas bien s’il gèle, mais malgré l’effort j’ai froid, vraiment très froid. Je n’ose même pas m’arrêter pour aller chercher ma veste au fond du sac. De toute façon, les doigts sont bien trop engourdis pour manipuler une fermeture éclair.
Heureusement, une bonne surprise m’attendra à quelques dizaines de mètres du sommet, en contrebas. Le ravito est là, immense. Deux grandes tentes illuminées et surtout fermées. A trois heures du matin il se trouve encore des supporters pour venir acclamer les coureurs. Ça réchauffe le cœur. Et ces bénévoles qui nous apportent une petite soupe bienvenue et un mot de soutien, ça réchauffe le corps.
Je n’avais jamais vu un ravito aussi bien organisé. Des assiettes de salé, de sucré, c’est la fête aux calories. Du coup, je me suis réchauffé, j’ai mangé, beaucoup. J’ai pris mon temps. Trop de temps. Ça faisait pas super envie de retourner dans le noir et dans le froid.
Le timing était conforme aux prévisions et je me suis payé le luxe de quelques minutes d’avances. Mieux que ça, je suis arrivé frais (dans tous les sens du terme) à la fin de cette première étape. En enfilant ma veste, je sens confusément que mes relances dans les faux plats vont me coûter cher plus tard. Vingt minutes plus tard, je me décide enfin à allumer ma frontale. J’ai encore une grande ballade qui m’attend.
Curieuse sensation alors que je reprends la course. Avant d’entrer dans les tentes du ravitaillement, il y avait foule, j’étais dans les bouchons. Et me voilà quasiment seul au monde, à repartir au milieu de la nuit savoyarde.
Première épreuve à la sortie du ravitaillement, les alpages du sommet avec ses mottes de terre et ses ornières traîtres. Contre toute attente, mes chevilles en ressortiront indemnes.
Le chemin en forêt se fait large et régulier. Quelques petits pièges avec des rochers mesquins dans les virages, mais l'ensemble reste très fréquentable. Du coup, j'envoie un peu. Et ça passe. Je double des gens, plein de gens. C'est plaisant alors j'accélère encore. Quelle andouille, je le paierais plus tard.
Je suis presque en bas quand une envie me prend. Du genre grosse commission. Il est des appels qu’on ne peut ignorer. Alors je m’arrête et j’éteint la frontale le temps de faire mon affaire. Me voilà invisible. J’observe les trains de frontales sur le sentier. Voilà que je perds toutes les places durement gagnées. Tant pis.
La première grande descente se termine. On traverse des villages et des petits sentiers. Parfois ça monte, parfois ça descend. Le terrain est cependant nettement plus humide. Et les flaques de boue perfides se font invisibles à la lueur de la frontale. Je continue pendant une longue période sur des terrain variés. Après une large descente paisible, les bénévoles nous font signe de bifurquer vers la droite, vers le col de la Cochette. Ils nous avaient bien dit de sortir les bâtons. Je fais mon fier et j’ignore le conseil.
Putain ce que c'est raide, quel crétin avec ma stratégie foireuse de réserver les bâtons pour la deuxième moitié de course. Forcément, je galère, je me crame et je me fais doubler. Plus de trente personnes, avant que je ne m'insère dans un petit train à mon allure. Et puis de toute façon le single était devenu trop étroit pour que plus personne ne songe à doubler.
Arrivé au col, je vois les premiers abandons. Je serre les dents et j'avance tant bien que mal. Le sentier continue en montée, sur la ligne de crête. C’est probablement beau par ici, pour l’instant il fait nuit. On voit la lune rousse dans un ciel assez dégagé. Par contre pas de lac ni de montagne dans l’horizon monochrome. Quelle déception.
Après le sommet commence la descente. C'est raide, c'est technique, les rochers glissent et surtout le single est très étroit. Mais je suis encore en colère de mettre fait humilier pendant toute la montée. Alors, le couteau entre les dents, je prend des risques et je double, ici ou là. Dès que je peux.
L'orgueil, l'ennemi numéro un du traileur. Les jambes sont là, je suis concentré. La frontale premier prix est un peu légère pour ce genre de jeu mais ça passe. C’est sacrément plus fatiguant d’être bloqué derrière un coureur, on ne voit pas le chemin, on se fatigue.
Après cette deuxième descente, je ne déplore toujours pas de chute et j’ai repris une quinzaine de places. Les sentiers deviennent plus faciles mais c’est longuet. Je pense m'être trompé de route quand il s'agit de repartir sur une montée. En fait non, c'est juste long, j'avais juste 'oublié' une montagne. Et si j’avais loupé une bifurcation, que je me retrouvais sur l’ultra-race en direction des Bauges ?
Après une section de descente un peu pénible dans la caillasse, je retrouve la plaine. Si le soleil tarde encore à se montrer, le ciel est déjà plus clair. Il est temps d’éteindre la frontale.
J'arrive à Doussard, péniblement, façon fin de course. Complètement cuit, à me forcer à trottiner sur le bitume pour arriver. Je double une poignée d'autres coureurs encore plus mal, qui n'ont plus le mental pour trotter.
Enfin, j'aperçois le ravito, je me sens soulagé. Sauf que la course n'est pas finie...
J’ai perdu un peu de temps sur mes prévisions, rien de dramatique, si ce n’est que je me sens incapable de repartir pour l’instant.
Je suis resté longtemps à Doussard. Le temps de retrouver un peu de courage, peine perdue. Le jour s'est levé, gris et triste. Il faut bien repartir.
Les cuisses font grève, elles refusent de reprendre la course, même sur le plat. Alors je me force, au mental comme on dit. Pas sûr de tenir les 7km/h. J'accueille la première montée comme une bénédiction, enfin un prétexte pour marcher. Je sors enfin les bâtons, sauf que le joker ne fonctionnera pas. Les jambes on trop travaillées pendant la première moitié.
Pendant ce temps-là, ça double et ça me travaille le mental. Tant pis, je continue, un pas après l'autre. Lentement mais sûrement.
Sur la fin de la montée à la Forclaz, ça va un peu mieux, je reprends quelques places perdues. On enchaîne sur une descente. Je suis plus dans mon élément. Malgré la fatigue j'ai un rythme correct. Il est dix heures, la pluie se met à tomber, d’abord une bruine légère, puis des averses.
Un concurrent me fera la remarque: "Ah, c'est plus facile avec des jambes fraîches". Il m'avait pris pour un relayeur. Cinq minutes plus tard, nouvelle montée, il me repassera devant et je ne le reverrais plus. Je désespère d’arriver au prochain ravito, sauf qu’il est beaucoup trop loin. Je n’ai plus la lucidité pour examiner le parcours. Je me contente d’avancer, à suivre les autres concurrents, le balisage.
J’ai trouvé un certain rythme, une certaine place dans la course. Voilà que je côtoie toujours les mêmes coureurs. Malheureusement, ça ne parle pas, on ne sympathise pas. On se contente de doubler et de se faire doubler en fonction de la forme de l’instant. La vue devrait être belle par ici, sur la Tournette et toutes ces autres montagnes que je ne connais pas.
Le vent s'est levé à nouveau, cinglant. Au terme d’une nouvelle montée morose, l'organisation déclenche le parcours de repli au col des Nantets. Avec les averses de pluies et les rafales à plus de 80km/h, la partie la plus alpine du parcours est bien trop dangereuse. Immense déception, j'ai le goût amer d'avoir été escroqué de ma course.
Pour la peine, on fera plus long. Le plus souvent en sous-bois, sur des routes forestières inintéressantes mais assez faciles. Les jambes ne répondent plus et le mental n'est plus là pour servir de béquille. Alors les six derniers kilomètres avant le ravito ont la saveur de l'enfer.
J'ai totalement explosé mes prévisions. Boucler en 15h40 n'est plus à l'ordre du jour. Je doute même de terminer en moins de 17h (spoiler alert: je n'y arriverais pas). Je me demande bien ce que je suis venu faire dans cette galère. Je n'ai qu'une envie, c'est que ça s'arrête. Pourtant à aucun moment je ne songerais réellement à l'abandon. Tant que je ne suis pas blessé, que je tiens debout, je continue. Orgueil, encore et toujours.
Ca m’a fait du bien de me poser, de discuter avec les autres coureurs, de comprendre que je ne suis pas le seul à être dans le dur. Le concurrent en face de moi a décidé d’abandonner. Pour ma part, je mange, beaucoup. Les calories, le sucre, le gras m’apportent du réconfort.
Je ne sais pas encore bien comment j'ai réussi à repartir du ravito. La simple marche est une souffrance. Ca descend en pente légère sur les premiers kilomètres. Le terrain est facile. Malgré tout, je marche le plus souvent.
Et puis commence la montée dans le mont Veyrier. Il pleut toujours, par averse. Au loin, quelques trouées de ciel bleu nous narguent. La montée est facile. Un régal pour un début de course. Sauf que je suis passé par une nuit blanche et déjà plus de 14h de course. Alors je me contente de tenir debout et d'avancer comme un robot, un pas après l'autre. Les kilomètres s'écoulent lentement comme dans un brouillard cotonneux. Je rêve de la fin en regardant ma montre toutes les cinq minutes à compter la distance et le dénivelé qui me restent.
L'arrivée au sommet me sortira un peu de ma léthargie. Quelques passages avec des câbles, une ambiance plus montagnarde. Et surtout, malgré la pluie, le vent et les nuages la vue est fabuleuse. On embrasse la ville et tout le lac. On mesure tout le chemin parcouru. Il ne reste plus qu'une descente avant d'arriver. La ville est là, juste en bas.
Sauf que cette dernière descente est raide, difficile, dangereuse. Dans le jargon du trail on dira 'technique'. Les rochers et les racines sont partout et l'eau les rend glissantes. Je n'essaie même pas de courir. J'avance avec toutes les précautions possibles. Et pourtant, je tomberais trois fois. Sans bobo heureusement.
J'arrive néanmoins à rattraper quelques coureurs, moins à l’aise dans la pente. Je profite des parties moins techniques pour trottiner. Bizarrement, je me sens plus en forme, la ligne d'arrivée sent bon. Je ferais le dernier kilomètre en courant, à doubler quelques personnes. Sur la ligne d’arrivée, j’en oublie de cogner cette fameuse cloche rouge que j’ai pourtant mérité.
J'aurais terminé cette maxi race en 17h13, j'ai l'impression d'avoir chuté dans les limbes du classement.
Je ne suis pas satisfait de ma prestation. La course était dure et je l'ai très mal gérée. Malgré tout j'arbore le sourire (fatigué) du finisher et je me surprends à rêver de la prochaine…
Et puis j’aurais appris, beaucoup…
Déjà à prendre plus de temps pour faire du jus avant la course, la séance de VMA deux jours plus tôt n’était pas la meilleure des idées. Je suis arrivé fatigué, pas le bon plan.
Ensuite, quand c’est raide, ne pas hésiter à sortir les bâtons.
Courir de nuit n’est pas si difficile. Par contre je dois investir dans du matériel correct.
Je dois travailler mon économie de course en montée, être plus efficace et ne plus subir.
Par contre j’ai confirmé mes capacités de descendeur. Je ne me suis jamais fait rattraper. J’ai peut-être cassé de la fibre, mais sans trop me fatiguer.
Et surtout, j’ai découvert mon super pouvoir de trailer. Je peux manger comme un goret aux ravitaillements, chopper de la calorie, sans subir les caprices de mes intestins.
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