L'auteur : Laurent V
La course : Marathon de Séville
Date : 17/2/2019
Lieu : Séville (Espagne)
Affichage : 1812 vues
Distance : 42.195km
Objectif : Pas d'objectif
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On ne marche qu’une fois sur la lune.
Ce 17 février 2019, Séville aura été mon troisième marathon en deux mois. Le 6ème en un an (Malte en février 2018, l’IM de Nice en juin, l’IM d’Italie en septembre, Pise en décembre et Cernay en janvier 2019).
Il a commencé par une arrivée tardive en Andalousie, vendredi soir. Retrouver l’air espagnol me fait immédiatement du bien. Un air particulier, une douceur connue et nostalgique pour moi.
Samedi matin, déplacement au village de la course pour retirer le dossard. L’organisation est impeccable. J’aime cette ambiance de veille de course. Les coureurs présents sont d’apparence détendue, même si aucun ne peut totalement oublier l’épreuve à laquelle il sera confronté le lendemain.
Je suis avec ma copine triathlète Ophélie. Pour son 7ème marathon à seulement 24 ans, elle est venue pour battre son record de 3h40. Elle n’a pas fait de préparation spécifique pour autant, ce qui fait deux points communs avec moi (l’objectif record et l’absence de préparation spécifique). Nous comptons sur notre entraînement régulier avec le RMA Triathlon Paris et sur le semi que nous courrons tous les lundis soir pour être suffisamment armés. Nous avons également couru un marathon dans le dénivelé de la vallée de Chevreuse en 3h44 le 6 janvier dernier, ce qui n’est pas très académique comme préparation j’en conviens.
L’après-midi se passe à déambuler dans les ruelles de cette ville fascinante. Si bien que, en fin de journée, nous avons la déconvenue de nous apercevoir avoir été piégés par la beauté des lieux. Nous avons marché plus de 23 km et nous avons les mollets qui tirent, ce qui n’est pas idéal une veille de marathon.
Une pizza (je préfère maintenant les pizzas aux pâtes les veilles de course) et au lit.
Dimanche matin, il fait encore nuit quand je me lève.
Je regarde par la fenêtre de l’hôtel et vois des groupes de coureurs se diriger déjà vers le départ. Mélange d’impatience de les retrouver, et de peur aussi.
Traditionnelle hésitation sur la tenue de course. Peur de choisir trop léger, ou trop chaud. Même s’il fera encore frais au départ de 8h30 (environ 7 degrés), j’opte pour une tenue d’été : short, teeshirt manches courtes, casquette. Je ne regretterai pas ce choix.
C’est enfin l’heure de quitter l’hôtel. Environ un km de marche jusqu’au départ. L’aube porte promesse de beau temps.
Avec Ophélie, nous suivons le flot de coureurs jusqu’au quai près de la place d’Espagne pour trouver l’arche de départ.
Nous avons décidé de commencer ensemble, mais de ne pas nous attendre. Chacun sa course.
Nous sommes frappés par la joyeuse pagaille latine. À 5 mn du coup de pistolet, une foule colorée de coureurs est encore affairée dans la zone de dépose des sacs, à discuter, à faire la queue aux toilettes, à prendre des photos de groupes...
Nous cherchons à rejoindre notre sas (3h30 -3h40), et constatons alors que tous les sas sont mélangés. Au milieu d’une foule compacte comprenant tous les coureurs le ballon du meneur d’allure des 4h est loin devant celui des 3h45, ce qui laisse présager une belle pagaille lors du dépassement.
Plus loin, sous des hourras amusés, un ballon d’un meneur d’allure se détache et monte dans le ciel. Puis un deuxième.
La sono se fait forte, mon cœur suit le rythme de la musique. Dès le coup de pistolet, l’immense peloton des 10.000 partants se met en route, sans espacement entre les sas (puisque je vous ai dit qu’il n’y avait pas de sas).
Cela provoque un certain embouteillage. Il est difficile d’aller à son rythme dans cette foule dense. Nous ne pouvons parcourir les 5 premiers km qu’à 5:39 le km vs notre objectif de 5:00.
Ophélie râle. Je la réconforte en cherchant à positiver : « t’inquiète, ça va se disperser, on économise, ça nous servira plus tard ». Je pense à ce copain qui fait toujours son premier km de marathon en marchant pour s’éviter de partir trop vite.
Nous sommes sur de larges avenues, très plates. À droite, la plaza de toros. Je pense à la chanson de Cabrel :
Hay que bailar de nuevo
Y mataremos otros
Otras vidas, otros toros
Venga, venga a bailar...
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Est-ce que ce monde est sérieux ?
Nous prenons un pont sur la gauche pour aller sur l’île de la Cartuja, le long du stade olympique. L’espace se rétrécit, la foule des coureurs se densifie, l’allure ralentit encore.
Je grimpe sur le trottoir en invitant Ophé à me suivre. Un coup d’œil derrière et je vois qu’elle m’a emboîté le pas. Nous remontons une nuée de coureurs.
Premiers ravitaillements. Sans surprise, que de l’eau. J’avais vu sur le plan de course qu’il n’y aurait rien de solide avant le semi.
Km 10, km 15 : réguliers comme des horloges, nous passons en 4:55 au km.
La température est idéale mais je me méfie du coup de chaud. Je veille à boire à chaque ravitaillement.
Un de mes lacets élastique de triathlète se défait et m’oblige à m’arrêter un instant. Ophélie disparaît avec le courant multicolore des coureurs.
Il me faudra près de 3 km pour la rattraper.
Nous passons finalement le semi marathon côte à côte, en 1h44 mn. J’ai peu de marge pour atteindre mon objectif de 3h30. Ophélie est en revanche confortable pour battre son record de 3h40.
La mauvaise surprise est qu’il n’y a pas de ravitaillement solide au semi. Ophélie semble me le reprocher : « mais tu m’avais dit que... ». Je lui tends un gel que j’avais sur moi et elle redevient tout sourire.
Nous entamons cette deuxième partie de la course. Je pense à ce que m’a écrit mon ami Colas la veille : « à partir du semi, pense qu’il ne vous reste qu’un semi, facile comme celui que vous faites tous les lundis ».
Et je vais effectivement visualiser, km par km, mon semi hebdomadaire autour du sud de Paris, l’histoire de me raccrocher à des repères connus.
Les jambes deviennent plus lourdes. Je peine à rester en dessous des 5mn au kilo.
Je passerai le km 25 en 5:06 et le km 30 en 5:12. Je sais que ces poignées de secondes perdues chaque km m’empêcheront de passer sous mon objectif de 3h30.
Km 30, nous passons à côté du stade du Betis Séville, célèbre club de foot. Grosse animation, tapis vert au couleur du club, fanfare, mascotte du club qui nous tape dans les mains. Sympa.
Vers le km 32 grosse défaillance. J’ai soudainement une douleur à la poitrine, côté gauche, côté du cœur. C’est certainement une contraction musculaire, comme les douleurs à l’épaule que j’ai souvent, mais je psychote. Et si c’était le cœur ? Pas possible, tout le monde sait que je n’en n’ai pas. Mais je décide quand même de m’arrêter.
Ophélie disparaît à nouveau. Je suis sur le bord d’une avenue déserte, juste à côté d’une benne à ordures à odeur nauséabonde. Je marche quelque pas, soufflant profondément, essayant de me détendre au maximum.
Les quelques dizaines de secondes d’arrêt me paraissent une éternité. Je vois passer des flots de coureurs. Je supporte mal de rester sur le bas-côté.
Je me remets en route. D’abord doucement, en pestant contre cette douleur venue de nulle part. Puis celle-ci s’estompe et disparaît. Je reprends mon rythme de 5 mn au km. J’aimerais aller plus vite pour rattraper le temps perdu, mais c’est vraiment très difficile.
Alors que nous étions sur des grandes avenues vides, nous passons maintenant dans les rues du Séville historique. L’ambiance est extraordinaire. Par endroit la foule est massée comme à une étape de montagne du tour de France.
Au km 33, tour de la place d’Espagne dans une ambiance fantastique. Soudain, j’aperçois le teeshirt rose d’Ophélie au loin.
Je trouve alors une énergie insoupçonnée, je me force à allonger mes foulées et je m’impose de la rattraper. Mon corps souffre. C’est le moment où il faut être fort mentalement. S’obliger à maintenir une cadence alors que le corps supplie de ralentir.
Il me faudra 2 km pour combler les quelques 300 mètres qui nous séparaient. Je vois qu’Ophélie ne faiblit pas. J’admire sa régularité et suis impressionné par son apparence de facilité.
C’est au ravitaillement du km 35 que je la rejoins finalement. Elle semble surprise et heureuse de me voir revenu. Elle est bien physiquement, elle sait déjà qu’elle établira son record personnel.
Un peu émoussée tout de même, elle se verse deux verres sur la tête pour se rafraîchir... avant de s’apercevoir qu’il s’agit de soda citronné...
Nous repartons. Elle m’encourage sincèrement : « vas-y Laurent, relance, ne m’attends pas, tu peux encore battre ton record ». J’aime cette émulation, cet encouragement venant d’une vraie compétitrice. Je relance donc, la laissant rapidement à quelques dizaines de mètres, peut-être même une centaine.
Alors que nous avons fait le premier semi ensemble, nous ne cessons de jouer à l’accordéon sur le deuxième.
Je fais le compte à rebours. Encore 7 km, encore 6... cela paraît court et long à la fois. Je commence à être mal, à sentir l’insuffisance des quelques portions de bananes distribuées depuis les ravito du km 25. Je paye aussi mon allure forcée pour rattraper Ophélie lors des précédents km.
Je ralentis en 5:17 au kilo. J’ai en tête ces images impressionnantes de coureurs titubant, en hypoglycémie. Je suis en difficulté.
Au km 38, j’entends la voix d’Ophélie revenue dans un dernier coup d’accordéon. Chapeau, l’artiste. Elle n’aura rien lâché.
Je l’encourage : « vas-y Ophé, vas chercher ton record. Cours, vole ». Je ne la reverrai plus.
Km 39, si près du but, si loin aussi.
Nous passons devant la Cathédrale. Ambiance extraordinaire. Je me nourris des encouragements des spectateurs. J’attends surtout de me nourrir au dernier ravito, celui du km 40.
J’y arrive enfin et me gave de portions de bananes. Un verre d’eau et je me remets en route.
Alors qu’il ne reste que 2 km, les lecteurs-coureurs comprendront comme il est dur de repartir à ce moment de la course. Les mollets tirent, les muscles sont durs comme du béton.
Je dois regarder ma montre tous les 200 mètres. Je calcule que, à ma montre, l’arrivée sera au km 43, faute pour moi de n’avoir pas couru exactement sur la ligne verte.
Je reconnais enfin le parc près de l’arrivée. Même si je sais que mon record établi à Pise il y a deux mois ne sera pas battu (3h31), j’accélère fortement, brulant mes dernières forces. C’est tellement plus beau lorsque c’est inutile.
Dernier virage à gauche, le tapis bleu, l’arche d’arrivée. Je sprinte et dépasse une dizaine de coureurs sur les 150 derniers mètres.
Je passe la ligne. 3h34mn52s. Ophélie m’attend, arrivée 52s plus tôt.
Nous nous prenons dans les bras, sans avoir besoin de parler. Nous nous comprenons, nous venons de vivre la même épopée.
Elle est ravie d’avoir pulvérisé son record de 10 mn. Je rate le mien de 4 mn, mais partage sa joie.
J’apprends ensuite que mon frère Marathon-Yann, également sur la course, a établi son record en 3h03mn41s, pour son 25ème marathon en 5 ans.
Nos résultats sont différents. Chacun de nous avait son objectif, chacun s’est retrouvé seul face à lui-même, chacun à géré les aléas de sa course, chacun a donné le meilleur de lui-même.
Nous avons beau cumuler les courses, nous savons qu’aucune ne se ressemble. Chaque marathon est différent, chaque Ironman est unique.
Vraiment, on ne marche qu’une fois sur la lune. Mais il y en a tellement à explorer.
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6 commentaires
Commentaire de Ze Man posté le 19-02-2019 à 22:28:29
J'adoooore ! Encore des récits comme ça stp ! Bravo
Commentaire de Laurent V posté le 19-02-2019 à 23:06:30
Merci pour ce gentil message. Et promis, si je fais le marathon de Marseille le 24 mars prochain, je refais un récit.
Commentaire de Yvan11 posté le 20-02-2019 à 10:41:35
Récit sympa. Bravo !
Commentaire de Petchou01 posté le 20-02-2019 à 13:21:30
Merci pour ce super CR à chaud...
Aussi à Seville ce dimanche matin, sensiblement dans le meme chrono. on a dû certainement faire un bout de route ensemble.
bonne récup. à toi
Commentaire de philibert69 posté le 20-02-2019 à 17:47:25
super le cr, j'etais aussi a seville, je finis en 3h08,je suis satisfait.
en ce qui concerne les sas, j'ai pas du tout eu la même impression :arrivé un quart d heure avant le départ, j'ai pris place facilement, trottiner en rond 10mn, puis ils "ouvrent" les sas un par un, donc on se tassent (mais sans plus). depart normal 1er kilo un peu lent (et encore...) et apres ça deroule, la route est super large. bref pas le même ressentie au depart.
par contre quel fin de parcours et quel ambiance!! y a pas à dire ils sont chauds ces espagnols!!
Commentaire de Gibus posté le 09-03-2019 à 18:11:30
Beau récit et beau clin avec la lune qu'on arrive à décrocher parfois.
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