L'auteur : bubulle
La course : SwissPeaks Trail - 170 km
Date : 8/9/2017
Lieu : Le Bouveret (Suisse)
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Distance : 170km
Objectif : Pas d'objectif
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26 autres récits :
Swisspeaks 170, mon "backup" du Tor. J'ai trouvé cette toute nouvelle course en février lorsque, sous la déception de ma non-sélection sur la fête valdôtaine, j'ai cherché un ultra sur les même dates (condition sine qua non puisque le 100 miles de Silverheels était déjà programmé pour les 4 et 5 aout et que 5 semaines entre deux courses de plus de 160 kilomètres semblaient un minimum : je ne suis pas Jean-Mi ou Rafion, moi....).
Cette Swisspeaks avait tout pour plaire : les dates, la longueur, la durée prévue....et le parcours, surtout ! Un parcours plus qu'alléchant avec une visite bien complète des versants Sud du Valais Suisse. Une difficulté manifestement bien établie avec 11000m de dénivelé positif et plus de 12000 de négatif (départ à 2300m d'altitude, arrivée à 400m).
Qui plus est, l'inscription est immédiate, sans tirage au sort et, en plus, pour un prix d'inscription assez modeste pour la taille de la course...et pour la Suisse !
Le week-end se présente sous d'excellents auspices puisque notre amie Carole nous a proposé de nous héberger avant et après la course, à notre convenance. Nous nous connaissons "seulement" dpeuis l'an dernier, mais le courant passe bien et ce week-end ne fera que le confirmer.
"Nous" héberger. Eh oui, Super Suiveuse est de la partie : Elisabeth est très motivée pour m'accompagner dans cette aventure et partager un nouvel ultra (ce sera notre quatrième dans ce mode).
Je prépare bien sûr tout cela aux petits oignons, comme d'habitude. Bien évidemment, mon roadbook usuel, qui est d'autant plus fignolé que, la course étant nouvelle, il n'existe pas de repères sur les éditions antérieures. Je passe donc des heures, voire des jours, sur les cartes topographiques suisses (http://map.geo.admin.ch, je recommande chaudement !), avec la trace annoncée.
Les indications des locaux, et très particulièrement de boby69, vont également être précieuses pour estimer le déroulement du parcours. Notre kikoureur valaisan connaît vraiment "ses" montagnes par coeur et il est une encyclopédie pour ce secteur.
Je prépare aussi soigneusement le "roadbook" d'Elisabeth. L'assistance sur un ultra, c'est un investissement complet et tout ce qu'on peut éviter de laisser au hasard gagne à être préparé. Tous les points possibles d'assistance sont donc "repérés", le timing est calculé et nous optimiserons ensemble tout cela dans les jours qui précèdent la course, afin aussi d'adapter le suivi pour ne pas "trop" en faire. Chercher à "faire" tous les points possibles serait épuisant et ne permettrait aucun sommeil, nous ferons donc des choix.
J'aime prendre mon temps avant une course pour y "être" dedans peu à peu, surtout un gros objectif. C'est donc le mercredi que je fais le voyage en Suisse, alors que le départ de la course est le vendredi. Nous ne sommes pas exactement sur place : l'arrivée (et la logistique "dossards") se trouve au Bouveret, à l'extrémité Est du Lac Léman, et nous logeons...à l'autre bout du lac, au delà de Genève.
Je n'aurai donc pas trop de l'après-midi du jeudi pour effectuer tranquillement la récupération du dossard. J'y vais tellement "en touriste" que je n'ai pas pris le matériel obligatoire, qui est contrôlé à cette remise de dossards. Il est vrai que l'organisation n'a communiqué sur ce point.....que ce jeudi, alors que j'étais déjà en route.
Cette communication est d'ailleurs un peu à l'image de la communication générale d'avant-course : tout, sur le site Internet, se "veut" pro et alléchant, mais en pratique, il est un peu creux et vide d'informations. De même la communication pré-course est très succincte. Cela ne me choque pas outre mesure : monter une équipe d'organisation, se roder, prendre les bons réflexes, cela demande des années et nous savons que nous allons un peu "essuyer les plâtres".
No stress, donc....y compris pour récupérer le dossard : le contrôle de matériel obligatoire sera en fait possible au départ, le vendredi.
Et c'est donc le vendredi matin que nous nous mettons en route pour la Grande Dixence, avec Elisabeth. 2 heures 30 de route depuis Genève, tout de même, ce n'est pas rien. Eh oui, on était un peu loin, mais je peux certifier que l'accueil le valait bien !
Elisabeth est d'ailleurs mise dans le bain tout de suite : la route de la vallée d'Hermance, qui monte à la Grande Dixence, c'est très long et tortueux, et ça monte bougrement. Joli baptême pour notre voiture toute neuve !
Arrivée un peu étrange sur le lieu de départ. Celui-ci a lieu sur le mur du barrage, à 2300m d'altitude. Mur qu'on atteint...en téléphérique. Enfin....téléphérique est un bien grand mot. On dira « télécabine avec seulement deux cabines et 14 places par cabine ». Autant dire que le débit horaire ne donne strictement aucune chance de monter tout le monde au sommet d'ici l'heure de départ de la course.
Une fois le contrôle de matériel obligatoire effectué (tout est contrôlé, un bon point....par contre pas de délire UTMBien style "inspection complète de la veste"), nous nous dépêchons de prendre place dans la queue. En nous demandant d'ailleurs si les accompagnants ont le droit de monterr. Apparemment oui....ce qui est une des raisons, d'ailleurs, qui font que la queue s'allonge démesurément...et conduit au final les organisateurs à demander à ce que seuls les coureurs montent.
Nous nous en doutions un peu, donc c'est là, dans cette queue de téléphérique que nous nous disons « au revoir » et « à dans 5 heures ».
Ambiance sympa dans la cabine. Une majorité de suisses francophones et de français, quelques germanophones, des italiens (pas tout ça dans la cabine, hein !). Globalement, la population de la course est manifestement constituée de coureurs aguerris. Mes discussions impromptues au départ ou pendant la course me feront rencontrer des finishers du Tor, 1 ou 2 qui ont couru la PTL, des finishers UTMB/UT4M/GRP en pagaille, 1 coureur avec qui j'aurai causé de l'Échappée Belle, sans parler de nombreux t-shirts du Swiss Iron Trail ou de l'Eiger Trail. Bref, pas vraiment du débutant sur la distance. Pourtant, tout le monde s'annonce prudent sur le parcours, inconnu dans sa globalité, mais qui s'annonce clairement bien technique en de nombreux endroits.
Au débarquement du téléphérique, tout le monde se rend sagement vers l'arche de départ située en plein milieu du mur du barrage.
Je vais m'asseoir tranquillement près de l'arche de départ après avoir déposé le sac pour les bases-vie de Champex et Morgins. Sac un peu ridicule de 20 litres seulement (il faut utiliser le sac fourni par l'organisation). Impossible d'y mettre des chaussures de rechange. Je l'ai blindé avec deux tenues complètes de rechange et de quoi prendre une douche. Certes, Elisabeth devrait être aux bases vie avec, en plus, le sac "d'assistance" que j'ai préparé (qui, lui, contient à peu près le reste de mon placard d'affaires de courses!), mais on n'est jamais trop prévoyant et, comme j'en ai la possibilité, autant profiter de toutes les facilités d'assistance.
Comme je suis bien identifiable, eejit et tikrimi me retrouvent facilement vers le départ, ce qui permet de papoter un peu en attendant le départ et.....de faire faire une photo de kikous par Elisabeth!
Eh oui....elle est montée...à pied. Elle s'est tapé un joli mini-KV en plein soleil pour être certaine de ne pas louper le départ. Quand je vous dis que j'ai la Meilleure Suiveuse du Monde !
Finalement, le départ sera retardé de 20 minutes pour permettre à tous les coureurs d'arriver sans stress. Départ pas compliqué : pas d'effets à grand spectacle, un simple décompte et....tout le monde part 5 secondes avant le top officiel..:-)
Les 200-300 mètres sur le mur du barrage servent d'échauffement, mais nous sommes vite dans le vif du sujet. La montée vers le Col de Pra Fleuri (700D+) commence immédiatement, d'abord sur un chemin assez large, puis, au bout de quelquues lacets, en single. Nous sommes 199 partants....donc autant dire qu'il n'y a pas de bouchon. Au dernier lacet où on voit encore le barrage, j'adresse de grands signes en bas....et nous voilà partis.
Le peloton entier est sur cette photo...
Cette montée n'est pas particulièrement difficile (autre façon de voir les choses : nous sommes frais, donc elle ne paraît pas difficile). Elle comporte même quelques paliers voire quelques descentes. Nous sommes bien sages, en file indienne. Je me situe, à l'estime, environ à la fin du premier tiers du peloton. Autant dire avec la résolution d'être sage. De toute façon, j'ai basé le roadbook sur une vitesse moyenne de montée de 430m/h, ce qui est assez lent à ce stade de la course.
Je n'ai guère de souvenir particulier de cette section. Le paysage passe progressivement d'un alpage à des parties plus minérales. L'environnement est superbe avec des sommets entre 3500 et 3900m. Nous sommes encore pas mal en file indienne mais on sent bien que ça ne va pas durer. J'ai fini par sortir les bâtons que j'avais initialement gardés quand nous étions en peloton.
Le col est atteint sans grosse difficulté, au bout de 1h16 pour 1h26 prévues, avec une vitesse de montée de 650m/h (désolé à l'avance pour les chiffres en pagaille, mais je m'en ressers souvent par la suite).
La section jusqu'au col suivant (Louvie) est un régal pour les yeux. Très minéral, avec quelques ouvertures sur les secteurs de haute montagne environnants, avec des sommets proches des 4000m. Le terrain est un peu technique, il faut être vigilant....et malgré cette vigilance, j'ai cassé un bâton juste avant le sommet du Col de Pra Fleuri. Une casse bête : le bâton qui ripe, le poignet se tord légèrement et le Black Diamond casse net juste au dessous de la poignée. Moi qui me disais que, comme je n'utilise quasiment plus les bâtons en descentes, les risques de csse étaient plus faibles, j'en casse un en montée !
Je prends cela tranquillement. Puisque c'est ça, c'est l'occasion de les ranger tous les deux, et puis c'est tout. Je verrai bien à Planproz en retrouvant Elisabeth, qui a ma deuxième paire de bâtons dans la voiture. Pas de prise de tête, j'aurai les mains libres pour les descentes.
Entre les deux cols, on redescend tout de même vers 2700 mètres avant de remonter à 2950 au Col de Louvie.
Nous sommes pointés entre les deux cols (Livetrail annonce "Col de Louvie" pour le pointage, mais il est en fait avant le col). Je passe en 110ème position sur 199. Heureusement que je me situais mentalement à la fin du premier tiers... Je suis plutôt à la fin du deuxième !
La file indienne est désormais bien cassée, nous sommes assez espacés. Je monte derrière deux Philippins (que je prends pour des Sud-Américains), deux des rares coureurs "exotiques" de la course. Passage au Col de Louvie en 2h06 pour 2h12 prévues, je suis content de ma gestion (pour une fois, je regarde la montre et le roadbook car cela m'avait coûté cher à la Silverheels de naviguer à l'estime et de me croire "mauvais" alors que j'étais pile dans mes prévisions).
Col de Louvie, et le Grand Combin dans le fond (et mes deux philippins)
Boby69 m'a prévenu que la descente de Louvie est très longue. Il faut dire qu'effectivement, 1500D- cela prend du temps et ça use, ça use. Après un début assez raide dans les cailloux, on entame une longue section en balcon légèrement descendant (mais parfois remontant) qui est progressivment de plus en plus haut au dessus du vallon qui mène au Lac de Louvie. Sur toute cette section, je suis un coureur qui filme ponctuellement le parcours...et qui filme aussi derrière lui, donc moi...:-). Il s'avérera au final que c'est un Kikoureur, coursforest38, dont je recommande le film (https://youtu.be/bCcw5F-WVI0). Nous n'avons pas discuté : c'est toujours mon défaut en course, je dois passer pour un ours, mais je ne suis pas bavard du tout. Du coup, je loupe certainement des occasions d'échanges sympa.
Je ne suis pas mécontent que ce balcon se termine car l'alternance marche/course qu'il impose est assez fatigante et je me suis déjà mis en mode "économie". La course sera longue, très longue : c'est dès le départ qu'il faut gérer. Au pire, de toute façon, si on a trop géré au départ....on doit être d'autant mieux sur la fin pour pacmaniser, c'est ce que je ne cesse de me répéter en me faisant dépasser.
La descente sur le lac est assez raide, mais régulière et agréable, en lacets (que certains coupent, grrrrrr). Les cuisses commencent à taper fort (930m/h) et finalement le replat le long du lac est bienvenu. Je marche beaucoup, toujours dans le but d'économiser : du coup j'ai plutôt tendance à me faire plus dépasser que je ne dépasse. Il faut prendre un peu sur soi pour résister à l'envie d'accélérer.
Au délà du lac, nous arrivons enfin au dessus du village de Fionnay, avec le Grand Combin face à nous. C'est somptueux et je ne résisterai pas, cette fois-ci, à l'arrêt-photo.
La fin de la descente est encore très longue et raide (plus de 700m de descente du lac à Fionnay, avalés à 1140m/h bien que, là encore, je cède plutôt des places...et je continue à faire le yoyo avec coursforest38).
A Fionnay, nous retrouvons la route sur un petit kilomètre, que je décide de prendre en marchant même si c'est légèrement descendant. Ce type de passage est un peu épuisant à trottiner et cela fait encore partie de la gestion que d'être patient. Et sur cette route, surprise ! Cette voiture noire qui monte....eh bien, c'est Elisabeth, qui devait me retrouver à Planproz. En fait, elle galère un peu car la route menant au hameau de Planproz est coupée et elle cherche un peu où est le ravito (aucune signalisation sur la route). Je lui indique qu'il doit être en dessous, mais j'ai un peu peur qu'elle ait du mal à trouver.
Je rejoins un coureur pour la dernière petite descente, un peu grasse, dans les bois, direct sur le hameau de PlanProz où le ravito est niché entre les maisons. Finalement, Elisabeth arrive juste après moi, après avoir du se garer, comme les autres suiveurs, au pont où la route est coupée, et terminer à pied.
Du coup....eh bien comme j'ai oublié de lui parler de mon bâton cassé et bien qu'elle me propose de retourner le chercher, je préfère qu'on partage ensemble ce petit moment de pause. Tant pis, je ferai la prochaine ascension avec un seul bâton et ça le fera bien ! Toujours en mode "ne te prends pas la tête", le bubulle.
De toute façon, je suis arrivé en 4h02 pour 4h12 prévues, je suis bien dans les temps. Pas trop en avance (ce qui voudrait dire que j'en fais trop), j'ai de quoi prendre mon temps. J'ai prévu 1/4h, je reste 14 minutes ! Et en faisant tout méthodiquement : rechargement des flasques, picorage de fromages, tucs, soupe, charcuterie. Certains regretteront ce ravito un peu léger (il n'y avait pas de coca par exemple), mais je m'en suis bien sorti et je repars en grande confiance, toujours avec mes 10 petites minutes d'avance sur le roadbook.
J'ai pointé 124ème à ce ravito. Clairement, j'ai géré la descente mais je sais que c'est la bonne tactique. Donc, tout va bien.
Planproz
Et, toujours en mode gestion, je repars en grignotant encore un petit quelque chose....et avec mon unique bâton. Cela renforce en fait le côté Gandalf, cette marche mono-bâton. Je me retrouve au pied de la grosse ascension de la cabane Brunet, avec une coureuse suisse et une belge néerlandophone. Je me sens bien, je prends la tête sur ce début relativement roulant, en cherchant un peu un rythme de montée (pas si simple avec un seul bâton : a posteriori, je me demande si je n'aurais pas du carrément le ranger, et monter simplement).
Un petit instant de distraction et un balisage bizzarement fichu me font partir sur une fausse direction...où j'entraîne mes deux suiveuses. Nous constatons rapidement l'erreur et revenons sur nos pas pour retrouver le bon chemin : curieusement la bifurcation n'était pas balisée au niveau du croisement, mais un peu plus haut. C'est d'ailleurs une constante : le balisage, sans être franchement mal fait était parfois curieux et déroutant (avec notamment un manque de "balises de confirmation" après les carrefours et bifurcations).
Du coup, nous repartons derrière un petit groupe compact de 7 ou 8 coureurs. J'ai à ce niveau, un petit passage à vide et là où j'aurais usuellement fait un peu l'effort pour remonter ce groupe, je les laisse progressivement filer. Peu à peu je me retrouve plus ou moins tout seul : mes deux filles sont distancées, le groupe s'est délité devant et je continue ma montée un peu bancale (qui me vaudra a posteriori de bonnes douleurs musculaires dans le bras droit).
Le début de cette montée n'est en fait guère passionnant : c'est très raide, en forêt, on ne voit pas grand chose autour, il faut prendre son mal en patience. Le paysage finira par se découvrir autour de 1800m d'altitude (fidèle à mes petites habitudes, je gère à l'altitude et je m'octroie une gorgée d'eau en "récompense" tous les 50 mètres de dénivelé). Et ce paysage devient superbe avec le massif du Grand Combin qui nous domine de ses 4300 mètres.
La Cabane Brunet est finalement atteinte, à 2100 mètres d'altitude, après une montée de 770 mètres en 1h14 (625m/h, je suis sur mon rythme du début de course bien que j'aie l'impression de ne pas avoir très bien avancé....influencé par le fait de m'être fait distancer par le petit groupe de coureurs devant).
5h39 pour 5h35 au roadbook. J'ai été un peu plus lent que prévu, mais boby69 m'avait en fait prévenu que mon roadbook était un peu optimiste pour cette montée.
Un coup d'oeil à mon profil du roadbook m'annonce une assez longue section de 3 ou 4 kilomètres en montagnes russes pour atteindre le pied de l'ascension du Col de Mille. Après un petit arrêt pour profiter de l'eau fraîche de l'abreuvoir devant la Cabane, je repars en trottinement sur la route de 4x4 bien roulante et descendante qui marque le début de cette section. Je me méfie toujours beaucoup de ce type de passage où on a vite fait de s'emballer et de consommer une précieuse énergie. Toujours le mantra "gérer, gérer, gérer".
Peu de souvenirs du single qui suit, toujours en montagnes russes à flanc de montagne, au dessus de la vallée où se trouve Lourtier, et face à la station de Verbier (des noms familiers aux concurrents de la X-Alpine, dont nous allons pendant un moment emprunter le parcours à l'envers). La lumière baisse progressivement, et pendant la montée au Col de Mille, je vais, comme tout le monde, enfin sortir la frontale...et, comme tout le monde, retarder au maximum le moment où je l'allume.
Les Dents du Midi, là-bas au loin, c'est pour demain !
Je crois me rappeler être plutôt en mode "dépassement" dans cette montée, toujours dans mon mode mono-bâton. Elle est un peu longue, bien que le dénivelé ne soit pas énorme (400D+), la vitesse de montée est donc modeste (475m/h).
Avec l'altitude et la fin de journée, plus le vent qui se lève, la température chute très vite. J'atteins cependant la Cabane de Mille, où le seul ravito d'altitude de la course est organisé, toujours en débardeur.
Je vais un peu y prendre mon temps. C'est qu'il fait une douce chaleur dans cette typique cabane suisse. De loin le plus accueillant des ravitos, peut-être un avant-goût de ce qui doit exister de l'autre côté, au Tor ?
J'engloutis je ne sais combien de verres de bouillon (certes instantané, mais on ne va pas en plus demander une soupe maison à 2480m d'altitude) et, surtout, après un peu d'indécision, je mets le coupe-vent car je crois me rappeler qu'on ne descend pas immédiatement mais qu'il y a une assez longue section sur les crètes du Mont Brûlé.
Du coup, je passe à peine plus de temps que prévu au ravito (en fait, bon, 12 minutes au lieu de 10....on ne peut pas dire que j'exagère !)...et je repars un peu mieux couvert. 7h34 au lieu de 7h21 prévues, en sortie. Calculs un peu optimistes, on dirait. C'est toujours un peu trompeur, les sections peu pentues.
A posteriori, je crois que je n'y ai pas vraiment fait attention. Comme bien souvent, je me projette mentalement sur la section suivante. Et quelle section ! On commence gentiment par une dernière petite ascension au sommet du Mont Brûlé (2572m) et je me rappelle avoir mémorisé une longue section légèrement descendante de crètes avant de plonger dans la vallée à partir de 2100m environ.
Effectivement, la section de crètes est assez longue, très exposée au vent (j'ai bien fait de mettre le coupe-vent) et même partiellement, sur la fin, sur une piste de 4x4. J'ai laissé passer quelques coureurs dans la partie descendante, que j'ai faite encore une fois largement à l'économie, cette fois-ci en Cyrano. On a une vue superbe sur les lumières de Verbier, sur la vallée du Rhône au fond, et on distingue encore bien les montagnes alentours. Mais on distingue surtout aussi très bien la vallée d'Orsières où nous allons descendre : BAS, TRÈS BAS.
C'est que le point bas, à la Douay, où nous allons croiser la route du Grand Saint-Bernard, est à 800 mètres d'altitude. La descente totale fait donc 1700D- et la partie "raide" fait 1300 mètres. Typiquement tout ce qu'il faut pour détruire un bonhomme.
Je vais donc enclencher le mode "marché-couru" que j'aime bien pratiquer quand je veux à tout prix m'économiser et qui me fait en général descendre à 1000m/h. Performance assez modeste, mais tout à fait économique. Seul petit défaut : j'aime bien le pratiquer avec les deux bâtons et je n'en n'ai toujours qu'un.
Plus guère de frontales derrière (devant on les voit rarement). De temps en temps, je me retourne : je n'ai pas "sentir" qu'on me rattrape, cela me donne l'impression d'être lent. Mais là, vu la densité, je ne risque pas grand chose. Je crois que je vais voir passer 2 coureurs dans la descente pendant que je vais moi-même passer un couple de coureurs.
J'ai pris le temps, en route, de retirer la veste. Je n'aime décidément pas avoir trop chaud et je suis très bien en débardeur (mode "Vik"). J'ai un peu de mal avec l'altimètre de la montre. En pratique, bien que réglé correctement au départ, l'altitude s'en lentement décalée d'une soixantaine de mètres, et j'ai donc du mal à estimer où j'en suis par rapport au fond de la vallée.
Je me fais d'ailleurs avoir en arrivant à un petit hameau, croyant que c'est La Douay et n'y voyant personne, alors que je croyais trouver Elisabeth. C'est que je commence un peu à compter retrouver mon deuxième bâton pour la montée à Champex. Heureusement, quand la descente reprend, je me rends compte que nous n'étions pas au fond de la vallée (de nuit, dans des vallées aussi encaissées, on perd pas mal ses repères).
Et lorsque j'arrive à La Douay, elle est bien là ! Elle fait même le signaleur avec un autre suiveur pour guider les coureurs vers le tunnel passant sous la route car il n'y a aucun signaleur "officiel" alors que le balisage est un peu léger. En tout cas, je suis bien content de retrouver quelques humains car je n'ai vu personne (hormis les rares coureurs qui m'ont dépassé) depuis près de 2 heures.
Récupération du bâton manquant, me revoilà donc en mode quadrupède et cela va être précieux pour la montée qui suit, vers Champex : elle n'a l'air de rien sur le profil car Champex n'est "que" à 1500 mètres. Oui mais voilà, on part de 800 mètres !
En tout cas, j'ai atteint ce point de La Douay qui n'est pas un ravito, mais un point où l'"assistance privée" (c'est le terme des organisateurs) est autorisée. Et aussi un pointage (installé assez curieusement une centaine de mètres avant la traversée de la route).
Là, le roadbook était particulièrement pessimiste ! Je passe en effet en 9h28 alors que j'avais prévu....9h52! De 13 minutes de retard, je passe à 24 d'avance. Il est vrai que j'avais forcé une vitesse de descente de 800m/h, extrêmement économique. Sur la section la plus raide, je suis en fait descendu à 1200m/h!
Elisabeth m'indique que je suis "pile à l'heure". C'est effectivement le cas...si ce n'est qu'on est partis avec 20 minutes de retard...:-). Je suis pointé en 89ème position par Livetrail, ce qui est très étrange. En pratique, je pense que certains coureurs n'ont pas été pointés à La Douay : je n'ai pas gagné 35 places depuis Planproz : avec cette densité de coureurs, c'est impossible....et il n'y a pas de point d'abandon possible, à part Planproz où très peu ont abandonné.
La Douay-Champex, c'est donc une montée de 700 mètres en forêt : on monte progressivement en remontant la vallée qui va vers Orsières. Ce n'est pas très raide, les chemins sont assez roulants : un excellent moment pour une bonne section de marche nordique ! Je repars extrêmement isolé : j'ai beau me retourner plusieurs fois au dessus de La Douay, je ne vois aucune frontale. C'est la situation que je préfère : je n'aime guère "avoir la pression" de sentir des coureurs derrière moi. C'est idiot, évidemment : à mon niveau, ce n'est pas une place ou deux qui changent grand chose et, en plus, les gains/pertes de places se font plutôt sur les arrêts aux ravitos, et sur les abandons.
Mais j'adore cette solitude et je peux m'appliquer à être bien régulier, ce que je vais faire tout au long de cette montée. Je vais même y reprendre ça et là quelques coureurs (3 ou 4, je ne sais plus). Je ne la connais pas trop, mais je me rappelle que, sur l'UTMB, la montée vers Champex paraît toujours un peu longue : il y a en effet des maisons sur la pente entre Orsières et Champex et on croit souvent être arrivé alors que ce n'est pas le cas.
Je vais aussi la trouver longue car j'ai par erreur mémorisé une altitude de 1400m pour Champex qui se trouve à 1475m. Combiné avec le décalage d'altitude de ma montre, je suis un peu perdu..:-).
Du coup, je ne suis pas fâché d'arriver sur Champex dans une ambiance....qui tranche singulièrement avec ce que j'ai connu sur l'UTMB, où des dizaines de suiveurs nous accueillaient avant la tente. Là....c'est désert, à part dans les environs immédiats de l'énorme tente-ravito (recyclage de celle de l'UTMB).
Au final, je point en entrée à Champex en 10h46. Montée depuis La Douay à 550m/h. Plus faible que les montées précédentes, mais la pente est plus faible également (à noter pour plus tard, pour affiner mes roadbooks!). Le roadbook prévoyait 11h17, j'ai donc encore pris un peu d'avance (31 minutes).
On a de la place, hein ?
Ce ravito de Champex se déroule formidablement bien. J'arrive quand même assez fatigué, l'objectif est donc de bien se retaper avant d'affronter le Grand Néant de la nuit. Objectif premier : la douche. Je sais qu'il y en a et je sais, depuis l'Échappée Belle, que cela fait un bien fou. Tout est prévu dans le sac de base vie : je sélectionne les vêtements de rechange (je change TOUT : ça aussi, ça fait un bien fou) et je "fonce" à la douche. Elle est dans un Algeco à l'extérieur, non chauffé, mais abrité. L'eau est relativement chaude, c'est propre (suisse, quoi !). Il ne me faut pas plus de 5 à 10 minutes pour l'ensemble.
Pour la partie "ravito", Elisabeth est d'une efficacité redoutable : tout en m'incitant à bien m'alimenter (elle sait bien que je peux parfois être un peu léger là-dessus), elle m'apportera tout ce que je souhaite. Je n'ai pas à bouger : c'est là qu'une assistance est une aide précieuse et je mesure ma chance de l'avoir. Ne pas avoir à faire des aller-retours à la table de ravito, mais simplement pouvoir se relaxer SANS "perdre de temps", c'est tout bonus. Je vois aussi à ce ravito quelques têtes déjà croisées : les deux philippins, l'énergique portugaise (qui, elle, se débrouille toute seule, avec le minuscule sac de base-vie), le coureur qui me filmait dans la descente de Louvie (coursforest38, donc). Pas de kikous que je connaisse, par contre.
En 45 minutes pile, exactement comme prévu, c'est plié. Je repars avec un gros moral après ce ravito réussi. Je sais aussi qu'Elisabeth va aller se reposer à l'hôtel pris pour la circonstance à Martigny : nous avons convenu que ça ne sert à rien qu'elle me regarde juste passer à Trient, où il n'y a pas de ravito....et que venir à Finhaut sur le coup de 5h30 du matin serait vraiment difficile pour elle. C'est qu'elle doit tenir une deuxième journée entière et une deuxième nuit !
Je repars donc de Champex gonflé à bloc, ce n'est pas peu dire. Pour autant, toujours en mode économique, donc je me refuse à courir sur l'assez longue section plate qui traverse le village. Pic-poc, pic-poc, c'est le seul bruit qu'on entend. Il n'y a PERSONNE. Aucun coureur loin devant, aucun coureur très loin derrière.
Aucune voiture non plus à part....ma chérie qui va se coucher en encourageant encore une dernière fois "son" bubulle. Ce coup là, me voilà vraiment parti dans le Grand Néant.
Encore un beau moment de kiff total, cette montée à Bovine. C'est décidé, elle me réussit. Déjà, tout requinqué par ma douche et mes fringues toutes propres (dont l'historique tee-shirt Raidlight, qui a fait mes tout premiers trails de montagne), je me descends vers Plan de l'Au en courant quasiment tout le long, avec quelques petits répits marchés, juste pour penser à souffler un peu et ne pas m'épuiser bêtement.
Cette solitude absolue est magique. Sur l'UTMB, où ce secteur arrive dans la deuxième nuit, les distances sont déjà grandes, mais on a toujours plus ou moins un autre coureur en vue.
Là, je vais voir....5 coureurs entre Champex et Bovine. Tous dépassés : ça va devenir ma section "pacman" fétiche, ici. Le rythme est bon sur les deux premiers tiers de la montée, je fléchis peut-être juste un petit peu sur la fin, entre les maisons de Bovine et le point haut matérialisé par une barrière d'alpage, à un peu plus de 2000m d'altitude. Petite contrariété d'ailleurs : mon altimètre m'indique...2111m. Décidément la dérive du baromètre ne s'arrange pas (logique : chute de pression qui annonce le mauvais temps, et du coup, l'altitude affichée est supérieure à l'altitude réelle).
Au final, 711m de dénivelé en 1h31. En fait, ce n'est pas merveilleux, finalement, ces 470m/h. J'ai même mis 3 minutes de plus que sur l'UTMB. Mais, j'ai l'impression que, même si je me sens bien, je ne pousse pas trop la machine, donc au final tout est logique. Bien entendu, de tels raisonnements compliqués ne me sont pas, à 2h du matin, accessibles. N'allez pas croire que je sois capable de réciter mes vitesses ascensionnelles sur tous les trails que j'ai faits (un mythe s'écroule).
La solitude sera encore plus absolue dans la descente vers le Col de la Forclaz : PER-SO-NNE. Je ne vois ni n'entends absolument personne. La vue sur la Vallée du Rhône et Martigny est toujours magique : la lune s'est levée, c'est presque la pleine lune et on distingue les sommets alentours, notamment, sur la droite, le massif sommet du Catogne.
Je vais faire une descente extrêmement prudente : il n'est pas question de me lancer à corps perdu comme sur l'UTMB. Je suis content de moi : si je ne vois personne, c'est que je suis à la vitesse de tout le monde, donc il faut absolument continuer à gérer. Je réadopte donc le "marché-couru" qui m'a bien réussi vers La Douay.
Cette descente ne me paraîtra pas si longue et j'arrive assez rapidement au Col de la Forclaz. Un banc accueillant et.....une jeune femme qui attend visiblement un coureur : je m'arrête quelques minutes le temps de prendre une compote, échanger quelques mots (nous sommes d'accord sur la beauté de cette nuit). Cela me permettra au moins de voir du monde puisque pendant ce temps, deux coureurs passent.
Je repars juste derrière le deuxième pour la descente très très raide vers Trient. La, un petit coup de barre arrive et je ne m'obstine donc pas à le suivre. Je vais juste garder un rythme raisonnable, me mettre à marcher un peu plus. Je sens que je suis dans mes temps, je ne vérifie même pas. Dans la pratique, je suis descendu extrêmement sagement, à environ 700m/h (à comparer aux 1200m/h de l'an dernier).
Trient est quasi désert et nous passons en fait au-dessus du village. 15h tout pile de course, pour 15h24 prévues, j'ai 24 minutes d'avance. Je suis resté globalement dans les prévisions, avec, peut-être une descente plus lente que prévu.
Je décide d'adopter de la marche nordique sur la section de route qui suit. C'est (avec un petit passage à Fionnay) la seule section de route jusqu'ici. Par contre, elle est assez longue : environ 2km, et franchement pas drôle. C'est curieusement balisé sur la droite de la route, dos aux voitures, nous sommes relativement mal protégés (seuls quelques plots dans 2 virages), rien de folichon. Je vois le coureur derrière qui je suis reparti à la Forclaz, s'éloigner doucement car il trottine. Mais je m'obstine à marcher, toujours branché sur "gestion". Une frontale loin derrière semble se rapprocher, mais je ne m'en soucie guère.
Pour être franc, je commence vraiment à attendre le ravito de Finhaut. J'ai quand même besoin de me poser un peu, de refaire le plein, de manger un peu de solide. Nous sommes quand même repartis de Champex depuis 3h30 : cet inter-ravito est particulièrement long (c'est d'ailleurs une caractéristique de cette course que d'avoir des ravitos très très espacés). Je guette un peu l'endroit où nous allons quitter la route pour descendre dans les Gorges de Tête Noire. On voit les lumières de Finhaut en face, c'est tout proche.
Allez, une petite descente, une petite montée et on y est.
Mamma Mia, quelle erreur. Ces gorges sont...juste un enfer bien technique. Le profil écrase un peu cela mais ce sont 300D- et 300D+ très très très raides, avec des marches, des cailloux un peu dans tous les sens, très humides (le seul endroit où c'était humide), bref....en pleine nuit quand on a déjà 4 heures sans arrêt dans les pattes, c'est un gros gros morceau. Et surtout totalement inattendu pour moi. Je m'attendais à un 1 ou 2 passages un peu aériens dans la remontée, mais ce n'est même pas ça le problème, c'est ce terrain très très épuisant.
Je vais mettre 25 minutes à descendre (je ne calculerai même pas la vitesse de descente tellement c'est ridicule)...et 31 à remonter. C'est quand même assez rare qu'on descende à peine plus vite qu'on ne monte.
Bien évidemment, je vais me faire rejoindre dans cette descente où je ne suis vraiment pas à mon aise : je vais voir passer 3 coureurs. J'arrive tant bien que mal à rester avec les deux derniers et je mène même le trio dans la montée. Nous sommes tous trois à la limite de rupture, l'épuisement est très marqué. De plus, aucun repère avec l'altitude avec cet altimètre déréglé (de toute façon, je ne me rappelle plus l'altitude du ravito de Finhaut et sortir le roadbook sur ce terrain relève de la haute voltige).
Bref, le soulagement du trio est immense lorsque nous débouchons enfin sur la route et qu'il ne nous reste plus qu'à terminer la montée vers le village où nous attend le ravito. Mais j'arrive vraiment un peu à l'agonie sur ce point de contrôle de Finhaut (prononcer "Fin-Haut", pas "Fino").
16h26 à l'entrée pour 16H32 prévues. Toujours impeccablement dans les temps, mais j'avais très très largement sous-estimé la difficulté des gorges. Un joli secteur pour ceux qui aiment les terrains très techniques et les montées....éprouvantes. Je n'ose imaginer la même chose par une grosse chaleur. Je pointe en 77ème position. 24 places de gagnées, probablement largement par le jeu des abandons à Champex vu que j'ai du perdre, sur la section des gorges, les places gagnées dans la montée à Bovine.
Bref, je m'accorde au départ environ 45 minutes à ce ravito. Certes, cela paraît encore énorme alors qu'il n'y a pas de drop bag, pas de douches, etc. Mais je suis é-pui-sé, il me faut du temps pour récupérer.
Je m'organise assez moyennement. Pourtant le ravito n'est pas bien grand (mais tout à fait confortable). Nous ne sommes pas beaucoup : environ 10-15 coureurs, dont certains sont allongés sur des tapis de gym dans cette petit salle de sport. La table du ravito est assez petite, avec un choix un peu restreint : de mémoire, tucs, fromage, charcuterie (pas très sûr), bouillon chaud instantané et les habituelles oranges, bananes, fruits secs, etc.
Honnêtement, un peu léger pour un ravito qui arrive après 4 heures de nuit difficiles....et avant plus de 6 heures sans halte organisée possible. Mais j'en fais mon affaire : je vais picorer ça et là, refaire le plein, mais j'ai surtout un objectif : essayer de faire un petit somme.
Ce n'est pas tant que je sois en train de tomber de sommeil, mais je sens que cela risque très fort de venir plus tard, donc il faut arriver à me poser un peu. Malheureusement, ce n'est pas une base-vie, il est difficile de s'isoler. Je tente malgré tout de m'allonger sur un tapis de sol, de me couvrir la tête, je règle le réveil 15 ou 20 minutes plus tard....et je laisse aller. Heureusement, la salle est assez calme, les coureurs aussi (on sent toujours autant, sur cette course, qu'on a affaire à des expérimentés de l'ultra, qui savent ce que gérer veut dire).
Je ne sais pas trop si j'ai dormi. Toujours est-il que j'"émerge" plus ou moins 3 minutes avant que le réveil ne sonne. Difficile de dire si cela a fait du bien....mais je suis au moins sûr que cela n'a pas fait de mal ! Une fois réveillé, il est temps de....ne pas trop traîner. J'ai pris le temps d'envoyer un message à Elisabeth, ce qui lui permettra de savoir où j'en suis : "Finhaut 15 mins retard, mais je risque de prendre plus de 30 minutes". Puis, plus tard, au moment de repartir : "je viens de faire 20 minutes de somnolence, je vais repartir".
Et je repars, après 45 minutes d'arrêt. Il est 6h30 du matin, 17h10 de course (pour 17h02 prévues). Les bénévoles m'annoncent, avant que je ne sorte, qu'il commence à pleuvoir. Du coup, je sors la veste de pluie (je suis toujours en tee-shirt!).
En pratique, je vais passer la demi-heure suivante à l'enlever, la remettre, l'enlever, etc. Il ne pleut pas vraiment assez pour que la veste serve à quelque chose et j'ai trop chaud dès que je la mets. Elle va finir dans le sac au bout de 30 minutes....avec la frontale. Eh oui, le jour s'est levé, l'angelus de Finhaut sonne, une nouvelle journée commence avec cette montée vers Émosson : 700D+.
Ce qui ne change pas, c'est d'être tout seul. Cette fois-ci, c'est TOUTE la montée d'Émosson que je vais faire seul. Je vais à un moment apercevoir un coureur à 200 ou 300 mètres derrière moi, légèrement revenu après que je me sois arrêté quelques minutes au lieu-dit "Fenestral" pour recalibrer (enfin) l'altimètre de ma montre (merci les indications d'altitude sur les panneaux de signalisation de sentiers). La montre se croyait à 1890m alors qu'on est à 1781m...:-)
C'est à peu près le seul événement de cette montée, d'ailleurs. Plutôt raide au début (le sentier coupe des lacets d'une route forestière), elle finit par atteindre une altitude de 1700m et la montée est ensuite très progressive, en balcon, jusqu'au barrage, situé à 1950m. Le temps se dégrade peu à peu, le ciel se couvre et le vent se lève : la veste est revenue, surtout à cause du vent.
Nous avons malgré tout juste le temps de profiter de la vue qui se dégage en direction de la Vallée de Chamonix. On aperçoit l'Aiguille et le Glacier d'Argentière, celui du Tour (déprimant tellement il a rétréci ces dernières années) et partiellement l'Aiguille Verte. On voit aussi très bien, en face, les alpages de Catogne, la Tête de l'Arolette....souvenirs du 80km du Mont-Blanc !
Tiens, un bénévole au moment où on rejoint la route du barrage : bonjour ! Je ne sais pas encore que ce sera le seul humain rencontré, à part quelques autres coureurs (une coureuse suisse allemande dira plus tard n'avoir vu strictement personne, à part ce bénévole, pendant plus de 6 heures).
Il nous aiguille (enfin, il m'aiguille) sur.....un tunnel. Surprise, je n'avais pas assez regardé la carte : il n'existe en effet pas de sentier le long du lac sur cette rive, et la seule façon de passer sur le premier kilomètre est ce tunnel. « Au moins tu seras à l'abri » me lance-t-il (en effet, il pleut maintenant régulièrement et le vent souffle).
Non, ce n'est pas le tunnel d'Émosson ! C'est un des tunnels rencontrés par Elisabeth sur sa route, mais ça pourrait très bien être le même
Là, par contre, il se trompe ! Le tunnel fait entonnoir, le vent s'engouffre à l'autre extrémité (un kilomètre plus loin !) et c'est donc avec un vent sérieux dans le nez que je pars à l'attaque dans le tunnel.
Il est heureusement vaguement éclairé, ce qui évite de ressortir la frontale. Par contre, la veste reste indispensable. J'enclenche la marche nordique (s'épuiser en courant face au vent serait du suicide) et.....je n'entendrai ni ne verrai personne derrière moi pendant toute la traversée. Le coureur derrière semble avoir attendu (peut-être des suiveurs) à l'entrée.
S'ensuit une section....très barbante. En fait une route carossable menant sur environ 2 kilomètres à quelques cabanes (d'alpage? Pas sûr). Et là, bim, la fatigue me tombe dessus brutalement. Pas d'envie de courir, je marche donc, mais.....je commence à m'endormir en marchant ! Une tentative de réveil à la compote ne fonctionne pas très bien, je me mets par moments à tituber. Cela présage bien de la suite ! C'est qu'il y a deux cols à monter, que j'en ai encore pour 4 heures.
Il n'y a pas à hésiter : il faut que je me rappelle que je suis en mode "gestion". Il faut essayer de dormir un petit peu, juste histoire d'évacuer ce sommeil qui arrive. Je connais ma capacité à faire de mini-sommes réparateurs à tout moment (y compris, ahem, devant mon ordi, au boulot). Le seul problème, bin c'est qu'il pleut. Donc, dodo, je veux bien....mais dodo n'importe où par terre, c'est un peu bof. Et de là où je suis, je n'ai pas encore vu qu'il y a deux cabanes un peu plus loin.
Je trouve finalement une espèce de petit surplomb rocheux au bord du chemin, qui me permet de m'asseoir à l'abri, m'appuyer contre le rocher et.....zzzzzzzzz.
Je sens vaguement passer le coureur qui me suivait, puis un couple que j'entends dire, un peu dans un état second "tiens, y'en a un qui dort". Cela me réveille et j'ai l'impression que ce petit somme va suffire.
Je ne sais pas trop combien de temps j'ai dormi : probablement pas plus de 5 à 10 minutes. Mais, au moins, l'effet est là, je ne titube plus en route. J'avance "normalement".
Oh, pas bien vite. Je vois le couple devant, à 200-300 mètres, mais tant que le terrain reste plat, ils s'éloignent.
On finit enfin par passer les quelques cabanes le long du lac, notamment une étrange cabane allongée (on dirait des stalles équestres : bizarre à cet endroit). Une dame est là, au milieu de ce nulle part et regarde passer les zombies : "Bonjour !".
La trace finit alors par laisser le lac : je sais que c'est la montée du Col de Barberine qui commence. J'essaie de le repérer (on voit encore les sommets à cet instant, cela ne va pas durer), mais comme il y a tellement peu de coureurs visibles (en fait aucun à part mon couple), je ne vois pas où est le chemin. Il y a bien un col, là-haut, très très haut sur la gauche, mais il n'y a que 400 mètres de dénivelé, ça ne peut pas être cela. Le Col de Barberine, il doit être caché.
La pluie est désormais continue. Pas trop forte, donc cela ne traverse pas la veste (sous laquelle je suis en tee-shirt) et le terrain est encore peu humide. Par contre, le vent devient progressivement plus fort.
Ma montée est lente. Je rattrape quand même le couple devant, mais j'ai l'impression de peu progresser. Surtout, on se dirige de plus en plus vers la gauche et.....soudain, je vois une silhouette à ce col qui paraît tellement haut. Et, à ce moment de la journée, une silhouette, ça a de randes chances d'être un coureur de la course ! Bref, le col est bien ce truc super-haut, au dessus d'une petite barre rocheuse et d'une pente super raide. Bim. Petit coup au moral : avec ma vitesse que j'estime d'escargot, eh bien je ne suis pas rendu.
Deuxième coup au moral....des coureurs reviennent de derrière. Alors que je ne voyais quasiment personne, je vois de mini-groupes arriver peu à peu. Du coup, dans la montée je ralentis nettement et me fais allègrement dépasser par tout ce petit monde. Et j'ai beau essayer de me raisonner : me faire dépasser en montée, moi qui ai l'habitude de faire l'inverse, je prends ça comme un signe que je ne vais pas fort. Et, honnêtement, c'est un peu le cas. Je me sens bien bien entamé. Il va falloir sacrément s'accrocher.
Je m'accroche. On se dirige clairement vers la gauche : y'a pas à tortiller, le col est là-haut et, que je le veuille ou non, faut bien que j'y monte !
Et, comme toujours, on finit par y arriver.....dans un vent qui commence à être franchement désagréable, à nous envoyer la pluie au visage. Pluie qui commence à bien mouiller le bonhomme. Je ne m'attarde pas au col. Les photos, c'est fini.
Montée de Barberine : 450m/h. Passage en 21h12 pour 20h43 prévues. Le roadbook était un peu optimiste....ou bien j'ai pris un peu cher dans cette montée..:-)
J'ai peu de souvenirs de la descente, pour une fois. Je me rappelle juste d'un vallon qui m'a paru immense, en forme de cirque, avec des parois rocheuses impressionnantes sur la gauche et en face...et où je me disais "mais où peut bien être ce sacré Col d'Emaney".
Comme souvent en pareil cas où on monte successivment deux cols avec une "petite" redescente intermédiaire, on a un peu tendance à sous-estimer ladite descente....et la remontée qui suit. Jusqu'à penser inconsciemment que, du fait qu'on ne redescend pas dans un fond de vallée, ce n'est "pas si difficile".
Alors en fait, si....c'est difficile. Peut-être parce que, pendant cette matinée, je ne suis pas au mieux. La forte fatigue qui s'est manifestée pendant l'ascension de Barberine est toujours là et j'entreprends cette descente (un peu technique mais pas horrible pour le peu que je m'en souvienne) en mode prudent...et en appréhendant de me retrouver aussi lent dans l'ascension d'Emaney.
Je crois d'ailleurs qu'à nouveau quelques coureurs vont me dépasser, même si c'est franchement à une vitesse à peine plus élevée que la mienne.
Côté météo, nous sommes désormais carrément des éponges. Bien trempés, mais je suis plutôt content de la protection de la veste et du surpantalon qui sert quasiment pour la première fois en trail...:-). Je passe au sommet d'Emaney le plus vite possible, le vent a forci, ça cingle désormais bien, la vue sur les Dents du Midi et le lac de Salanfe est.....bouchée. Pas super glamour. On se dit que ça doit être superbe par beau temps, mais là...on a juste envie d'être en bas.
De 1990m à 2440m en 55 minutes, soir 490m/h. Finalement, c'est un peu mieux que Barberine, mais c'est difficile de faire ce calcul en temps réel. J'étais descendu à 865m/h. Je passe en 22h40 pour 22h18 prévues. J'ai quand même repris 10 minutes à mon roadbook, mais honnêtement, j'en suis totalement inconscient, je n'ose plus le regarder.
Il me tarde vraiment d'arriver au ravito et les envies d'abandon commencent à me ronger sérieusement. Cette sensation d'épuisement ne me quitte pas et, pendant toute la descente, je désespère un peu de ne pouvoir rejoindre un trio qui s'est constitué 200 mètres devant moi et qui ne descend pourtant pas très vite. Désormais, je subis, plus que je ne choisis, mon mode "marché-couru" et j'ai l'impression de me traîner affreusement.
Malheureusement, le "syndrôme Silverheels" revient et je ne me bats pas vraiment contre lui. Cela va empirer pendant toute la partie descendante vers le lac, et encore plus pendant la section roulante qui suit (plus ou moins à niveau, avec quelques remontées). Le mot "épuisé" me revient à nouveau comme une litanie.
Et c'est malheureusement ainsi que je vais traverser le mur du barrage, avec ce vent de face, fouetté par la pluie, et très impatient de trouver un ravito chaud, accueillant, avec mes suiveurs...voire peut-être Elisabeth avec le sac d'assistance (mais là, je n'y crois pas, il aurait fallu le monter à la main).
Le barrage de Salanfe, vu d'en bas par mes suiveurs, dans la brume
Au lieu de cela....on est dirigés vers une espèce de sous-sol glauque du bâtiment principal de ce qui semble être l'Auberge de Salanfe. Les bénévoles sont accueillants mais le lieu est....déprimant. Quelques pauvres chaises en plastique se battent en duel, toute occupées. Je me pose comme je peux, et Roland, qui m'a vu depuis l'auberge où lui, Carole et Elisabeth m'attendent depuis un bon moment (je devais arriver à 12h40 selon le roadbook, il est 13h05)....me récupère dans un état pitoyable.
Ambiance un peu glauque à Salanfe
La bénévole apparemment responsable du ravito me demande, il me semble, presque tout de suite, si je suis sûr de continuer (bonjour les encouragements...:-) ) car le temps n'est vraiment pas beau et "ce n'est pas facile là-haut". Après un ou deux bouillons chauds, j'accepte finalement la proposition de mes suiveurs de monter au restaurant de l'auberge avec eux : il paraît qu'il y fait chaud, qu'on peut se retaper. C'est ce qu'ils me disent, mais j'y monte avec une envie assez ferme de m'arrêter.
Je me laisse guider, prendre en main, je n'ai plus envie de rien. En écrivant cela, je retrouve exactement les sensations que j'avais eues à la Silverheels, le sentiment de ne plus avoir d'envie, de passer lentement en mode "off", de juste vouloir me changer, me sécher, me poser....et ne pas avoir à ressortir dans ce qui est en train de devenir un peu infernal dehors (brouillard, vent qui forcit, pluie de plus en plus horizontale).
"Prends une soupe". "Tiens, allez on va se commander une assiette de fromages". Je subis. Je suis. Je mange.
"Non, mais c'est pas possible de repartir, je vais arrêter". Gollum, gollum dans la tête. Et Carole et Elisabeth qui me causent et me disent que c'est pas grave, que je fais comme je le sens, que de toute façon c'est pour moi que je cours (Elisabeth sait bien qu'il y a ce petit quelque chose d'autre depuis la Silverheels et que ce n'est pas tout à fait que pour moi). "Prends ton temps, l'important, là, c'est que tu te réchauffes, que tu te sentes mieux, on partira quand tu voudras".
"Oui, mais non, je peux pas partir", en regardant dehors et en voyant cette pluie qui n'en finit pas.
A côté de nous, un groupe de coureurs est aussi venu se réfugier ici. La patronne du restaurant est très accueillante et tolère sans rien dire ces trailers crades qui rendent son joli resto bien moins suisse qu'il ne doit être usuellement (elle a même refusé qu'on retire nos chaussures comme c'est pourtant l'usage dans les refuges et cabanes suisses).
"Non, mais bon, on va y aller, j'en ai marre d'hésiter, on redescend". Mais je ne bouge pas. Cela va durer ainsi au moins 30 ou 45 minutes !
Et soudain, de façon que je ne m'explique toujours pas, tout se remet en place dans la tête. Je réalise enfin qu'il n'est pas possible d'abandonner, j'entends enfin que je vais forcément le regretter, j'entends enfin que je suis arrivé avec seulement 20 minutes de retard sur mon planning, je réalise enfin que c'est ridicule, que j'ai encore environ 2h de marge sur les barrières horaires...et que mon roadbook est tellement souple sur la fin de course que même à ma vitesse actuelle, ça le fait largement.
Je peux tout à fait être finisher de cette Swisspeaks, il suffit que je me donne un coup de pied au cul.
"Bon, allez j'y vais, on verra bien. Je ne suis pas venu là pour arrêter". Je crois qu'Elisabeth, Roland et Carole n'attendaient (et n'espéraient) que ça....mais ils m'ont astucieusement laissé m'en rendre compte moi-même.
Tout s'enchaîne très vite. En 2 minutes, je suis passé du stade abattu au stade "aux taquets". La deuxième couche sèche est sortie du sac, la veste encore très humide, les gants et le pantalon de pluie vont....dans le sèche-linge du refuge (comme en ont aussi profité l'autre groupe de coureurs qui sont aussi restés une bonne heure)....un immense merci à la patronne du restaurant pour cela.
Il paraît que j'ai complètement changé de tête en une heure, me dira Roland. Je m'habille mécaniquement, mais méthodiquement, je suis presque à neuf, même sans sac d'assistance. Je sors les sur-gants, la dernière arme fatale. Il me reste même encore, dans le sac, bien au sec dans son sac étanche, un collant long, au cas où.
Paré.
Nous repassons pour la forme au ravito pour confirmer que je ne rends pas mon dossard et que, bordel de bon sang de bois, il va voir ce qu'il va voir, ce Col de Susanfe. "Vous êtes prêts à ce que ça soit difficile, hein, vous êtes sûr?". Décidément, on dirait qu'ils veulent vraiment qu'on arrête tous. J'apprendrai plus tard qu'en fait, ils n'ont aucune idée de comment est la météo sur la suite du parcours, qu'ils n'ont pas de commuinication avec le PC course (les téléphones portables ne passent pas).
Evidemment que je suis sûr. Tu vas voir ce que tu vas voir, ça va chier....
Étonnant, toujours, la vitesse à laquelle on peut passer d'un état à un autre sur un ultra.
Et donc je repars. 1h08 d'arrêt. 25 heures de course pour 23h40 prévues. Evidemment, il en a pris un coup, le roadbook, mais j'ai entre 1h30 et 2h de marge.
Je vais entendre Elisabeth crier ses encouragements pendant 2 bonnes minutes alors que je repars.....totalement face au vent et à la pluie continue. Je ne les sens même pas, j'ai empoigné les bâtons, je m'applique : on ne fait pas de la rando, c'est marche nordique et on fait péter la vitesse. 3 kilomètres, 25 minutes, nomého.
Bon, cela dit, après avoir longé le lac, ça monte. Plus trop question de rester à 7km/h en marchant surtout que le vent dans le nez devient de pire en pire et que la pluie.....se transforme en neige...:-)
En résumé, plus je monte, plus j'en prends plein la figure. Curieusement, je suis suffisamment plein de motivation pour que ça ne m'atteigne guére. Par contre, je ralentis assez sérieusement car....eh bien, on n'est pas un surhomme et, si je suis arrivé très fatigué à l'auberge de Salanfe, je le suis toujours pas mal ! Donc, j'avance bien, mais lentement.
Le point délicat, c'est le passage des barres rocheuses. Il y a, sur ce chemin, un ressaut important et, sans être très aérien, le chemin devient plus engagé. On trouve quelques passages avec des pas au bord d'un vide d'une dizaine de mètres, le chemin est équipé de câbles et je ne me prive pas de m'en servir, moi qui suis un peu tétanisé dès qu'il y a un peu de gaz.
Surtout, la neige commence à tenir et cela devient franchement glissant : plus on monte, plus je redouble de prudence. Ce qui finit par permettre à quelques coureurs de me rejoindre. Tout le monde ne va pas bien vite car le secteur est franchement dangereux (un faux pas et c'est plié....heureusement, il faut un peu le faire exprès pour faire ledit faux pas mais.....cela incite à la vigilance). Je préfère tout de même faire ce passage en montée au contraire d'un petit groupe de randonneurs que nous croisons et qui est quasiment à l'arrêt.
Le vent reste d'une grande violence : on voit le col au dessus et, en fait, le vent s'engouffre par le col pour redévaler la pente de l'autre côté, toujours avec des bourrasques de neige. C'est d'ailleurs ce vent qui incite à la grande prudence car il souffle suffisamment fort et en rafale pour nous déséquilibrer.
Une fois ces barres rocheuses passées, le calvaire n'est pas terminé : la montée finale jusqu'au col est constituée de grandes plaques schisteuses...qui seraient très roulantes en temps normal. Mais elles sont recouvertes d'une fine couche de neige fraîche, et sont de plus détrempées. Bref, une vraie patinoire...tout cela dans ce vent de plus en plus terrible à mesure que le Col de Susanfe approche.
Honnêtement, je serre quand même bien les fesses et j'espère franchement trouver une descente moins scabreuse de l'autre côté.
C'est à grand peine que je vais franchir le col. Le vent est tellement fort qu'il est presque impossible de descendre, d'autant plus qu'on arrive curieusement un peu au dessus du col avant de descendre sur une centaine de mètres le long de la ligne de crète. Ce sont probablement les 100 mètres les plus lents que j'aie jamais faits...:-)
Je retiendrai pour la postérité que j'ai monté les 564m du col en 1h17, soit 440m/h, à peine plus lent que Barberine. J'ai mis 1h48 depuis le ravito alors que le roadbook disait....1h46 ! 1h14 de retard, on reste tout à fait raisonnable, mais pour tout vous dire, je n'en ai aucune idée : il est totalement impossible dans cette tempête de regarder la montre, le roadbook ou quoi que ce soit d'autre que ses pieds.
Car en fait, la descente est pire que la montée. Pas technique, vraiment, jusqu'au Pas d'Encel, mais, dans ces alpages à chemin creux, c'est de la haute voltige. Tout est totalement détrempé. On ne peut plus parler de flaques : en fait, le chemin est un ruisseau permanent. Le mélange neige/pluie/boue rend tout invraisemblablement glissant.
Je ne sais même pas combien de gamelles je vais prendre dans cette descente. Au bas mot, une vingtaine. A un moment, je me rappelle être tombé 4 ou 5 fois de suite, on aurait franchement cru un film comique. Je suis immonde de partout, avec de la boue jusque sur la tête (je me suis étalé à plat ventre une ou deux fois....).
La descente est interminable, j'ai l'impression d'être d'une lenteur désespérante alors que d'autres coureurs un tout petit peu plus agiles me dépassent ça et là (en tout 3 ou 4, faut pas exagérer). On croise à un moment, un peu au dessous de la Cabane de Susanfe (où je passe dans un vent hurlant en résistant très fort à l'envie d'aller m'y réfugier, car je sais que je ne ressortirais pas) un gros groupe de randonneurs anglo-saxons. Je leur lance de s'arrêter à la Cabane et ne pas essayer de continuer vers le col pour l'instant. Je l'estime franchement très risqué à la descente dans l'autre sens.
Je redoute très fort le Pas d'Encel qu'on m'a annoncé "un peu gazeux mais pas trop". Oui, mais là, sur cette patinoire, le moindre gaz me paralyse un peu. Je vais effectivement le franchir plutôt difficilement et en évitant de trop réfléchir ou regarder la gorge du torrent en dessous. Je m'attendais au moins à voir quelqu'un qui serait là pour prévenir en cas d'accident, mais je ne vois personne. Il paraît qu'un bénévole était pourtant là...peut-être était-il déjà occupé par ailleurs.
Bref, je passe ce verrou en serrant bien les fesses car je sens quand même que mes jambes me portent de manière plutôt aléatoire : la glissade permanente pendant des heures, c'est épuisant. Du coup, le reste de la descente, qui est raide mais pas trop difficile, se fera plus en mode "marché-marché" que mon "marché-couru". Il n'y a strictement plus personne : j'aurai vu quelques coureurs sur le haut du col, qui m'ont dépassé, mais, depuis, je n'ai vu absolument personne pendant 1h30, même au loin à l'avant ou à l'arrière.
Pour m'en rajouter une petite couche, nous avons droit à une traversée de passerelle dont sont friands les suisses : un pont de type népalais suspendu au dessus d'une gorge, à côté duquel la passerelle de Bionnassay est un aimable ponceau. Et en plus, le machin se met à balancer avec le vent pendant que je suis au milieu : ma tête à ce moment là doit valoir le détour, mais sur le moment je ne rigole pas trop...:-)
Le bas de la vallée n'en finit pas de ne pas arriver : je descends en marchant assez tranquillement maintenant. Je me demande franchement si je ne vais pas arrêter car la bataille menée contre les éléments m'a totalement entamé. C'est un peu dans cet état d'esprit qu'au détour d'un lacet....je tombe sur boby69 !
Eh oui, notre "suisse allemand" est monté à ma rencontre depuis Champéry. Je lui dis rapidement mon état d'esprit et cette nouvelle envie d'arrêter (lui pourra dire ce que je lui ai dit à ce moment là, exactement, j'ai du mal à m'en souvenir). Mais rapidement, il me donne les nouvelles : la course est arrêtée. Il est plutôt remonté contre les organisateurs car il ne comprend pas bien, et il me dit qu'en bas, ça rale ferme et qu'à Morgins, c'est pareil : les coureurs sont tous arrêtés.
Je suis bizarrement à la fois soulagé et contrarié. Soulagé car, finalement, je n'ai pas à me poser la question d'arrêter, ce que mon corps réclame clairement. Et contrarié car je ne comprends pas bien pourquoi arrêter la course, même si la météo est encore bien mauvaise. Je raconte à boby69 les conditions de passage du col et, bien qu'il le connaisse très bien, j'ai l'impression qu'il se rend compte qu'on est passé par un sacré truc. Le pire, me dit-il, est qu'il existe un chemin bien plus praticable pour monter au Col de Susanfe depuis Salanfe, qu'on peut même faire en VTT en évitant les barres rocheuses. Il ne comprend pas qu'on ne nous ait pas détournés par là....ou qu'un parcours de repli par l'autre côté des Dents du Midi n'ait pas été activé.
Je lui raconte aussi le ravito glauque de Salanfe et là aussi, il ne comprend pas : l'auberge est régulièrement utilisée notamment pour le Tour des Dents du Midi et constitue un ravito très accueillant. Son sentiment est que les organisateurs ont trop voulu "travailler dans leur coin" en "bande de copains", en ne cherchant pas à mobiliser les équipes déjà expérimentées de la région. Bref, je crois que boby en a plus à dire que moi-même sur l'organisation.
Tout cela nous amène cahin-caha à Champéry où.....un pauvre bénévole isolé (qui est en fait le secouriste qui était en poste à cet endroit) se retrouve délégué à annoncer aux coureurs que, la barrière horaire de Barme, qui était à 21h30 (21h50 en tenant compte du retard du départ), est avancée....et donc que la course est arrêtée ici.
Il est actuellement 19 heures, il y avait 1h de montée, j'étais donc encore nettement dans les temps, surtout que cette BH était assez nettement la plus difficile.
tikrimi a du arrêter à Planproz, boby69 est venu me rejoindre et moi je fais un peu pitié...:-)
Soyons honnête : sur le coup, je ne suis pas certain qu'il n'y avait pas un certain soulagement de ne pas avoir (encore) à faire le choix entre un abandon et continuer. Je suis arrivé à Champéry vraiment en assez mauvais état, totalement trempé et très fatigué, ne pouvant plus que marcher. Qu'aurais-je fait s'il n'y avait pas eu cet arrêt de course : c'est bien difficile à dire. Elisabeth était là : j'avais de quoi me changer intégralement (légalement : l'assistance était autorisée à ce point), prendre le temps de me réchauffer (j'ai grelotté pendant 15 minutes dans la voiture), voire même dormir 1/4h. Je n'étais pas vraiment plus mal qu'à Salanfe où, pourtant, je suis reparti dans des conditions très difficiles et où j'ai tenu 5 heures à une vitesse...qui était plus ou moins celle de mon roadbook.
Donc, le coup était tentable. Mais je n'ai pas eu l'opportunité de le tenter, de me mettre "en mode finisher" et tenter d'arriver déjà à Morgins, même si j'en avais en principe pour 8 heures. Et c'est pour ne pas m'avoir permis de le faire, ainsi qu'à des dizaines d'autres coureurs probablement en meilleur état que moi, que je peux difficilement accepter cette décision de l'organisation.
Une heure après mon arrêt, alors que nous étions....dans un restaurant à Morgins, nous regardions le soleil se coucher sur les montagnes....enneigées, mais dégagées. Et la nuit, ensuite, n'a cessé de voir une amélioration.
Même en repartant de Champéry, le temps allait nettement vers l'amélioration
On ne se laisse pas abattre !
Il me sera dit plus tard que les conditions étaient "pires" à la pointe des Mossettes (que j'aurais atteinte vers 23h). Nous n'avons rien vu de cela depuis Morgins. Je pense que l'organisation s'est un peu affolée car, effectivement, à un moment, les conditions motivaient un arrêt de la course. A l'idéal, vu comme j'ai passé le Col de Susanfe, c'est avant lui que nous aurions du être arrêtés.... Certes, les organisateurs, au vu de la légèreté de leur dispositif, ne pouvaient peut-être pas le savoir. Pourquoi pas? A la limite, je veux bien accepter de ne pas leur en vouloir pour cela. Mais nous aurions du avoir notre chance.
Officiellement, seuls 28 coureurs sur 199 auront donc terminé cette course. Aucune féminine. Les autres, nous sommes indiqués "DNF" : Did Not Finish.
Mais, dans ma tête.....c'est DFF : Did Fucking Finish....
Revenir, pas revenir, la question va être difficile. Dans les semaines qui suivent, j'ai été en mode "je ne reviendrai pas, je ne viendrai pas faire leur 360". Mais je crois que j'aurai du mal à ne pas avoir une petite envie de retour : non pas par revanche. Mais parce que ce parcours est réellement magnifique et que j'ai une furieuse envie d'aller au bout.
Le mot de la fin sera pour ma Team Bubulle préférée : elle aussi s'est beaucoup investie sur cette course. Nous ne nous sommes vus au total que...cinq fois (y compris la fin), mais sans son assistance et son soutien, je ne serais jamais allé aussi loin...et je sais que si la course avait tourné autrement, c'est grâce à son assistance que j'aurais fini.
Mais je dis des bêtises, en fait : c'est grâce à son assistance...que j'ai fini....:-)
Ajout final : depuis la rédaction de ce récit, j'ai eu de longs et nombreux échanges avec l'organisation de la course. Vous pouvez les lire ici : http://www.kikourou.net/forum/viewtopic.php?f=19&t=37217.
En résumé rapide : les critiques sont largement entendues et seront prises en compte. Je conseille donc à tous de lire à la fois le forum en plus de ce récit pour décider de votre éventuelle participation à la course.
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9 commentaires
Commentaire de patfinisher posté le 07-10-2017 à 17:19:43
Quelle course !?!... une année bien pleine qui n'est pas finie, au moment ou j'écris ce commentaires dans moins de 7h te repart pour 100km des fauvettes ! après les US et cette course en altitude roulante et le 94km du MontBlanc ensemble par intermittence, je te souhaite de prendre ta revanche ce soir, cette nuit, ce dimanche ! Espérons que l'orga suisse soit à la hauteur pour les échéances 2018 (surtout qu'il y a la 360!). Un jour on te verra sur l'X-Alpine...qui sait ! en tout cas bravo pour cette course, et l'déchaînement des courses ! A très vite sur le pic de Mordor, puis dans la vallée de Vaux !;-)
NB :je vais le lire en plusieurs fois... ;-)
Commentaire de boby69 posté le 07-10-2017 à 18:02:23
Content d'avoir enfin fait ta connaissance .
Déçu de la tournure des événement et désolé de ta neutralisation .
Sur l'organisation ,tu sais ce que j'en pense ,je ne vais pas en rajouter...
En 2018,j'ai une revanche à prendre sur la CCC. Si pas possible ,ce sera la SP360 ou la petite soeur ,la 170 au moins ,je serai averti..
Commentaire de tikrimi posté le 07-10-2017 à 20:05:16
C'est toujours un plaisir de te lire, et ce compte rendu, on peut dire que je l'ai attendu.
Tu as vraiment fait une superbe course... et pour le reste, et bien tu n'y pouvais rien.
Je suis vraiment dans le même état d'esprit que toi. Le parcours est tellement sublime, que j'ai presque pardonné les failles de l'organisation.
Encore bravo, et au plaisir de te recroiser.
Commentaire de Angeblanc82 posté le 07-10-2017 à 22:16:42
Monsieur bubulle, j'adore tes CR, tellement bien écrits qu'on a l'impression d'être à tes côtés pendant ta course. J'avais déjà ressenti cela en lisant ton compte rendu du GR73 que tu avais fait en tant que signaleur. Du coup, grande déception que tu n'es pas pu aller au bout de ce parcours, mais bravo pour ta course inachevée et bravo pour tes talents de conteur.
Commentaire de stef73 posté le 08-10-2017 à 18:40:04
Super ton CR ! Bravo et merci
Commentaire de Benman posté le 08-10-2017 à 22:00:52
Bon. Evidemment pas simple d'accepter la situation, mais ton récit laisse penser que tu as un peu encaissé. Bravo pour ton courage d'être reparti malgré les éléments déchaînés à plusieurs reprises et de nous raconter cela maintenant tout tranquillement. Belle maîtrise et saison incroyable.
Commentaire de PaL94 posté le 19-10-2017 à 16:06:40
Chapeau pour ton récit et ta course. Ça aura été une sacrée aventure !!!!
Commentaire de volto71 posté le 02-11-2017 à 15:30:04
Merci pour ce magnifique CR... qui me rappelle plein de détails que j'avais oubliés. Je suis arrivé plus ou moins à la même heure à Champéry, et j'étais en mode "on va au bout, pas de souci"... d'autant plus que ma seule assistance organisée était au Grand Paradis, justement, avec habits chauds, chaussures de rechange et de quoi partir au pôle Sud s'il le fallait. En résumé : je me suis ré-inscrit sans hésiter au 170K... comme toi j'ai trouvé ce parcours somptueux - et engagé, exigeant - ce qui me motive à remettre le couvert :-)
Commentaire de PhilippeG-638 posté le 28-12-2018 à 16:50:37
Salut Christian, dommage, dommage, sans le mauvais temps tu terminais.
Merci pour ton récit qui nous donne beaucoup de renseignements !
Grâce à toi, si tout va bien, je le tente dans 9 mois :-)
A bientôt:
Philippe
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