Récit de la course : Lavaredo Ultra Trail - 120 km 2016, par Bruno Kestemont

L'auteur : Bruno Kestemont

La course : Lavaredo Ultra Trail - 120 km

Date : 24/6/2016

Lieu : Cortina d'Ampezzo (Italie)

Affichage : 3154 vues

Distance : 119km

Matos : Ni gels ni bâtons
Chaussures de montain trail salomon Xpro 3D

Objectif : Terminer

5 commentaires

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Comment abandonner jusqu'au bout

Voici mon récit (très) détaillé de ce Lavaredo Ultratrail 2016 ce WE.
119 Km 5750 m+ en 28:49:47.

Je m'étais réinscrit aux 80 Kms du Mont-Blanc (ratés l'année passée), mais je n'avais pas été tiré au sort. Mathieu Van Vyve, un ami animateur de betrail me signale alors qu'il y a une course près de chez lui, avec le même dénivelé mais 120 Kms. Comme cela me permettrait de les voir lui et sa femme, je m'inscris donc sans trop réfléchir à la distance un peu plus longue, une première pour moi.

Mon entraînement a consisté à m'amuser 3-4 fois par semaine toujours avec des copains + du volley le vendredi. J'essaie de réserver au moins une sortie avec mes collègues pour garder la forme en plaisantant. Mes vrais entraînements intensifs se font en émulation collective avec quelques fous de la vitesse, sous les conseils avisés de l'incomparable Catherine Lallemand. J'ai essentiellement travaillé ma vitesse (la VO max) car ce sont les capacités respiratoires qui me semblaient avoir manqué au Mont-Blanc l'année passée. Les 20 Kms de Bruxelles on donc servi de stress test, et les sentiers du Laerbeek devaient mettre un point final à cet épisode basé sur la bonne condition générale. Enfin j'estime que ma sortie de plus d'1h30 chaque WE avec ma femme est essentielle à toute préparation d'ultratrail: c'est exactement la vitesse que j'adopte pendant les 3/4 du parcours et je rêve de l'avoir à mes côtés pendant toute cette partie. D'autant qu'elle court déjà dans les descentes naturellement lors de nos randonnées et qu'elle a une parfaite maîtrise technique (c'est elle qui m'a fait découvrir la grande randonnée en montagne).

Pour mes entraînements techniques, j'ai raté la plupart des trails belges de préparation cette année car il faut de plus en plus s'inscire à l'avance sur l'internet. 3 semaines avant le jour J, j'ai donc pris un jour de congé pour monter 18 fois un terril près de La Louvière, en 3 heures pour un total de 1500 m de dénivelé. Les semaines 2 et 3 avant le jour J, j'ai essayé de muscler les cuisses en permanence, multipliant les prétextes pour monter et descendre les escaliers à la maison, ou en faisant des exercices inspirés par Catherine Lallemand devant la télé.

Voici donc enfin le jour J tant attendu.

Prologue

Avant de prende l'avion, je fais connaissance avec le reste de la "team" belge invitée par mes amis, dont un des meilleurs traileur belge d'après beTrail: Vincent Siringo. Je profite pleinement de nos discussions sur les stratégies tant pour le matériel que l'alimentation. Du pro au débutant, tout le monde semble avoir le même besoin de se rassurer.

Cette journée qui précède la course, nous restons groupés, nous échangeons parfois des longs silences qui en disent long sur notre "préparation mentale". Pic nique avec les enfants, sieste dans la nature. Rendez-vous avant le départ chez le meilleur traileur belge du moment, Thomas Beirnaert: une ambiance d'avant départ au front. L'un d'entre nous a d'ailleurs des expressions lugubres, comme si on était dans le couloir de la mort. Mais pourtant plein d'espérance de paysages magnifiques et d'un exploit réussi. Thomas et Vincent partent pour le podium belge, Mathieu et Matthieu veulent arriver avant la nuit, en 20 heures, et moi j'espère seulement arriver au bout en 29-30 heures (je voudrais expérimenter la nouveauté de passer près de 2 nuits sans dormir). Mais nous partageons tous le même état d'incertitude maximale: même en ayant tout prévu, près d'un concurrent sur deux manquera complètement son objectif! Dans l'Ultra, c'est tout ou rien. Il pleut mais on prévoit un temps sec la majeure partie du trajet.

Au départ

Les derniers adieux de Matthieu et Mathieu à leurs femmes renforcent une ambiance de départ vers un au-delà (infernal ou merveilleux). Même intensité d'attente interminable de toute cette foule venue des 4 coins du monde: Japonais, Américains, Bulgares, Brésiliens, Roumains, Hongrois, Chinois, Indonésiens, Hollandais ... il y a même des Belges. Je mange une dernière tranche de pain d'épice. Une ambiance très proche de celle du départ du Mont-Blanc. Les frontales s'allument, les KWs disparaissent dans les camel bags, flashes d'appareil photos, foule de supporters, on s'apprête à vivre un WE extraordinaire.

Le bonheur

Je pars relax, éclairé par les nombreux faisceaux qui m'entourent. Cool et relax, et surtout ne jamais s'essouffler. Economiser un maximum d'énergie et boire régulièrement. Sous les conseils de Vincent Siringo, je mange quelque chose toutes les demi heures (ce sera pain d'épice, lait condensé sucré, cakes des ravitos ...). On a beaucoup plus d'espace qu'au Mont-Blanc et on ne fait pas la file dans les montées. Je n'ai pas envie non plus de me freiner et je me laisse aller en souplesse dans les descentes. Larges faux-plats montants ou descendants, voilà qui me semble excessivement facile pour abattre des kilomètres sans effort. Ma première nuit en montagne étoilée (ma nuit en Suisse était sous la pluie dans le noir absolu). Je profite des silhouettes d'arbres et de montagnes sur le ciel étoilé. Le faisceau de ma lampe frontale éclaire les réfléchissants des balises au loin, et les coureurs qui me précèdent semblent dessinés de points lumineux qui soulignent leurs corps parfaits, les mollets musclés ou stylés des hommes et des femmes. Parfaite gestion de l'eau, je remplis mes réserves d'environ 1 litre tous les 15 Kms. Il fait bon et je prends un réel plaisir, surtout comparé à ma seule expérience en Suisse l'année passée (87 Kms, même dénivelé dans la boue, la pluie, le brouillard, le froid et la nausée). J'ai laissé Matthieu (qui vient de me demander un mouchoir pour pouvoir soulager des premiers ennuis digestifs) et Mathieu derrière moi dans la première descente. Les chemins pas trop pierreux sont confortables et bien éclairés par les multiples coureurs.

Coureurs la nuit

Les Mathieu et Matthieu me rejoignent facilement au bout de la deuxième montée en me disant qu'on a déjà une bonne avance sur la barrière horaire (mon obsession du moment). Mon contrôle (visuel) d'urine m'indique que je bois à la limite un peu trop (première erreur, on ne boit jamais trop).

J'entame la deuxième descente, un peu plus technique (ce que j'adore), en me lâchant tout en souplesse et en buvant moins pour ne pas devoir m'arrêter trop souvent.

Le test du biscuit salé

Arrivé en bas, je me rend compte que je n'ai bu qu'1/2 litre en 15 Kms. Or je transpire beaucoup depuis le début. Il y a un risque confirmé par l'absence d'arrêt pipi pendant des heures par la suite, alors que j'essaie de boire à nouveau un peu plus. Concentré sur la réhydratation, j'en oublie de manger assez souvent et je "saute" des "repas" involontairement. Sans compter que manger à la bonne franquette n'est pas très garant des quantités. Comme je transpire et que je n'ai pris que du sucré au ravito, je me dis qu'il est temps d'essayer un apéro salé. Excellent le coup du biscuit salé ! Je me rends compte qu'il n'y a plus de salive: la déshydratation est bien entamée ! Il faut boire beaucoup plus et manger n'est plus une option pour l'instant (risque de panne d'estomac).

Mode diésel

Vers le Km 33, je me sens nettement faiblir dans la montée: mes réserves de sucres sont donc épuisées. C'est normal pour moi après cette distance et je m'apprête à passer en mode diésel (brûlage de graisses). Je ne me sens pas du tout déprimé, comme il arrive quand on a vraiment épuisé toutes ses réserves, mais c'est le moment de ralentir fortement. A ce moment, Mathieu Van Vyve me dépasse rapidement. Je lui dis que je suis fatigué et vais changer de rythme définitivement. J'ai 1h30 d'avance sur la barrière horaire (et donc sur mon planning). On se quitte sur une sorte d'adieu et bonne chance pour la suite puisque nos chemins ne devraient plus se croiser.

Passé le long d'un lac magnifique, je cours à mon aise mais le mode "diésel" a des ratés: c'est quand même un peu plus pénible que normal. Je mets cela sur le compte de la déshydratation.

Dans la suite de cette très longue 3ème montée, je resterai donc surtout concentré sur l'hydratation, faisant fi de la vitesse.


Fumer moins pour ne pas devoir arrêter

Le seul problème quand on marche lentement, c'est que les autres concurrents demandent comment ça va. Il est un peu ennuyeux de devoir se justifier. Je devrais avoir un panneau dans le dos avec écrit "Mode diésel, c'est voulu". Un autre concurrent marche en gémissant et s'arrête régulièrement, la tête dans les mains. Je m'arrange pour ne pas le lâcher car c'est lui qui attire l'attention, et mine de rien, on se supporte mutuellement, complices de la même difficulté. Enfin un premier arrêt pipi après de longues heures: c'est bon signe ! Mais c'est encore très foncé, il faut continuer à boire, mais mon estomac commence à refuser de l'eau. Voilà un très mauvais indice d'excès d'effort par rapport à l'énergie "diésel" disponible: quand l'estomac refuse de boire, on est bon pour la panne. Dès que le gars s'assied la tête entre les mains, je m'assied un peu plus loin en faisant mine de regarder le paysage. Il faut à tout prix diminuer la demande énergétique pour protéger l'estomac. Mais ça monte de plus en plus abrupt, et il y a toujours ces gens qui dépassent. On est pris par leur rythme, on se retrouve à aller aussi vite que les 50% les plus lents alors qu'on devrait faire partie des 10% les plus lents. Mon coeur bat trop vite alors que ma respiration est normale: signe de manque d'énergie (il y a assez d'oxygène, pas assez de sucre à brûler) à moins que ce soit lié à un sang encore trop pâteux? Encore ralentir, s'arrêter plus souvent (mais pas moyen de passer inaperçu), boire par petites quantités en ajoutant un peu de lait condensé sucré de temps en temps. Deuxième erreur: j'aurais dû m'arrêter plus tôt pour une longue période le temps de retrouver eau et énergie plutôt que me contenter de ralentir. C'est un peu comme les fumeurs qui décident de fumer moins pour ne pas devoir arrêter.

Cet ami qui vous veut du bien

Finalement, un gars me dit qu'il n'y en a plus que pour 5 minutes. Leçon pour le futur: ne JAMAIS écouter ce genre d'encouragement ! J'ai trop envie d'arriver au refuge et je force un peu l'allure. J'arrive bientôt à une route avec un gendarme qui nous fait passer. Il fait beau et il y a un beau paysage. Je me couche au soleil d'un air naturel, le sac comme oreiller avec vue sur le paysage, comme on ferait pour toute pause de randonnée. La présence du gendarme me rassure et rassure les passants. On me laisse enfin tranquille. Je constate avec surprise que j'ai maintenant 3 heures d'avance sur la barrière horaire. Largement le temps de faire une petite sieste ! Je m'habille chaudement pour une pose prolongée.

Sur le point de crever

A ce moment je me sens tout à coup très mal: nausées, sueurs froides, presque envie de vomir. Je me dis que la course est finie pour moi, mais je résiste à la tentation de faire du stop pour le dernier lacet (je me suis juré de ne plus arrêter sur un coup de tête, comme au Mont-Blanc). Je reste près à appeler le gendarme au secours car mon état me préoccupe. J'établis des plans d'autodiagnostique (contrôle du pouls etc) et d'appel à l'aide si nécessaire. Je reste ainsi 30 minutes, mais c'est quand même inconfortable car si je ferme les yeux, je sens les gens passer et leur regard interrogateur se poser sur moi. Quand on m'interroge, je montre que j'ai des ennuis digestifs et on me laisse tranquille: le signe pour avoir la paix.

Un repos bien mérité

La crise passée, je me lance dans le dernier tronçon pour enfin rejoindre le refuge à 48 Kms! Là je vois des touristes en train de dormir sur la terrasse, et un traileur assoupi sur un banc. Un bon prétexte pour l'imiter. Je m'allonge à mon tour au soleil sur le banc d'à côté et je profite enfin d'un bon repos serein pendant 30 minutes. J'ai même dû m'assoupir pendant quelques minutes, mais l'inconfort et le vent finissent par me faire me lever. Je fais la file pour rejoindre l'intérieur au chaud. Un peu bizarre de devoir faire la file pour un trail: ce ravito est une sorte de restaurant self service où l'on reçoit une assiette de soupe, du pain, des cakes etc. J'observe le lieu et me demande comment pointer avant d'abandonner. Il n'est possible de s'enregistrer qu'à la sortie: je vais donc manger à mon aise et pointer en dernière minute avant de prendre la navette des éliminés pour rentrer. Donc je mange ma ration de soupe, de pain, de fromage et je traîne ainsi 30 minutes en regardant les bénévoles s'activer.

Tuer le temps

A ma montre, il me reste 1h30 à attendre. C'est quand même long. Que faire pendant ce temps? Pourquoi pas se promener jusqu'au prochain arrêt dans la vallée? Une descente demande peu d'énergie. J'arrêterais à 66 Kms, ce qui est quand même plus élégant que 48 Kms (moins qu'un trail belge) et même plus loin que mes 55 Kms au Mont-Blanc. Et puis si je veux m'entraîner pour la CCC, ce n'est pas plus mal d'aller un peu plus loin. Et puis si je suis venu en montagne, c'est pour voir de la montagne après tout. J'aurais l'impression d'en avoir plus pour mon argent. Et puis j'ai payé d'avance pour les photos. Il y aura quelques photos de plus (quelques unes de jour au moins) pour le même prix. Et il fait beau. Et je vois au loin de la neige, et plein de touristes. Et ce sera l'occasion d'essayer l'appareil photo de mon gsm. Et dans la vallée m'attend mon sac avec de la bonne compote, du cécémel, d'autres réserves. Et je pourrai enfin me débarrasser de ce go-pro qui m'encombre depuis le début (il s'était allumé par erreur et était vide quand j'ai voulu l'employer), et me débarrasser des piles usagées.

Voilà comment, sur un coup de tête, je décidé de remettre mon abandon à la prochaine étape ! Soyons fou !

Des paysages à couper le souffle

Je franchis donc le tapis fatidique et je me promène comme un touriste (pour digérer). Je fais quelques selfies pour essayer le gsm. Le paysage est superbe ! 

Des pics très impressionnants, de la neige, des glaciers, des espèces de grottes que visitent des touristes encordés. Un peu plus loin, je vois un photographe devant une vue magnifique. Je m'arrange un peu et je passe devant lui en courant, pour la photo, avec un large sourire. Il me fait signe que ce sera une bonne photo. Juste après lui, ça descend et je vois plus bas un deuxième photographe. Je me laisse un peu plus aller pour donner du dynamisme à la photo ... puis je continue sur ma lancée :D



La marche dans le désert


Ca chauffe de plus en plus et je me mets à transpirer. Je vide rapidement mon coca et j'entame mon camelbag: rien ! Mince ! Tout à mon abandon, j'avais oublié de me ravitailler en eau ! Changement immédiat de stratégie. Il me faut tenir sans eau pendant plusieurs heures sous le soleil. Opération refroidissement maximal ! J'arrête de courir. A chaque ruisseau (heureusement fréquents), je fais le détour pour me mouiller quasi complètement le corps, les membres, la figure et les cheveux. Je laisse ma tête sous l'eau pour me refroidir autant que possible. Je vide mon lait condensé sucré pour l'eau qu'il contient. Bientôt, il ne me reste plus, pour me refroidir, que ce que j'ai au poignet pour éponger la transpiration et que j'utilise maintenant à l'envers pour me rafraîchir.

Les premiers signes de déshydratation se font sentir. Le test du biscuit salé confirme ce que je craignais. Plus que 5 Kms sur du plat et j'ai la gorge sèche. Il faut boire à tout prix.

J'arrête un premier cycliste et lui demande de l'eau. Il me montre qu'il n'a que de l'isostar et continue son chemin. Une autre cycliste n'a presque plus rien pour elle-même. Enfin, une cycliste me donne à boire. Je lui prends deux gorgées pour ne pas avoir l'air d'abuser. Idem un peu plus loin. Il reste 3 Kms sous le soleil. J'essaye de prendre ma marche la plus optimale point de vue transpiration par Km. Un traileur arrive à ma portée. Je lui demande de l'eau. Il plonge dans son sac et me sort une bouteille d'1/2 litre: "Prend tout, le ravito n'est qu'à 2 Kms et j'ai trop de réserve". Béni soit ce Bédouin providentiel ! Je vide les 50 cl cul sec et je rejoins la destination mythique de Cimabanche, 66 Kms, pleine de supporters prenant le soleil. Je me paie un petit jogging pour arriver en beauté, heureux d'arriver à ma destination finale ! Bravo Bruno !


Une dernière pour la route

On me tend mon sac où je me jette sur la compote à laquelle j'ai rêvé pendant tout le trajet ! Et un cécémel. Et de l'eau à volonté ! Je fais le plein de tous mes réservoirs: environ 2,5 litres. 40 Minutes d'avance sur la barrière horaire. J'hésite. La prochaine étape semble facile (un petit col puis on arrive rapidement sur une route où je pourrai abandonner facilement). Je me décharge de tout objet inutile (go pro, piles) ce qui me donne l'impression que je serai beaucoup plus léger. Allez, une dernière petite étape pour la route ! J'aurai arrêté juste avant la dernière montagne. Ce serait bien !

J'ai quand même un peu peur de la barrière horaire et je monte d'un pas soutenu. Cette fois, j'alterne prise de lait condensé sucré toutes les 30 minutes et 3 gorgées d'eau régulièrement. Quand la montée devient plus forte, ma respiration redevient bientôt trop rapide mais le coeur ne semble pas s'emballer: il y a à nouveau quelque chose qui cloche, mais je ne pense pas que ce soit l'eau cette fois. Mon estomac recommence à refuser les aliments. Je m'arrête en me massant le ventre pour relancer la digestion. Ca marche ! Après 15 minutes, je suis reparti ! J'arrive au Km 75 en ayant récupéré une vingtaine de minutes sur la barrière horaire. Cette inversion de l'horloge m'encourage. De plus, il me semble que ma technique est enfin presque au point.

Un vrai défi

Il est trop tentant de relever un vrai défi: une très longue montée la dernière) de près de 1000m+ avec une zone "dangereuse" (je me demande ce qu'ils entendent par dangereux et par vertige). Je dispose pour ce faire de plus de 6 h (le temps prévu + mon avance) pour à peine 18 Kms et en plus cela commence par une descente qui me permettra de prendre encore un peu plus d'avance. Car dans de bonnes conditions, je serai très rapide dans cette descente, disons 1 h. Puis j'aurai tout le temps d'expérimenter ma nouvelle technique sucre-eau-montée. J'aurai alors 5 h pour un peu plus de 800 m+ alors qu'un randonneur avec sac à dos met environ 300 m+ par heure, soit 2h30 sans les arrêts. C'est donc réalisable et je me lance dans un pas de randonnée.

Promenade en montagne

Je profite pleinement du paysage et je prends du plaisir à cette promenade.

En cours de route, j'ai encore un dernier petit problème d'estomac, résolu en 15 minutes d'arrêt avec massage. Je découvre enfin la technique finale pour éviter ce genre d'ennui. 1) S'arranger pour avoir au moins 15 minutes de digestion à chaque prise alimentaire (donc soit manger sur du plat, soit, en montée, manger à l'arrêt). 2) Pour lancer l'estomac, juste après la prise de lait condensé sucré, prendre une grande quantité d'eau en une fois (7 gorgées); ça marche ! Le test d'urine donne une couleur enfin normale. Le fameux passage "dangereux" n'a rien d'impressionnant (je craignais des via ferratas - ma seule expérience de crise de vertige se situait précisément dans les Dolomites dans ma jeunesse). Seulement des pierriers avec quelques passages très étroits de quelques mètres seulement sur une pente vertigineuse; on les passe en quelques enjambées. 

Au bout de quelques heures de marche, je commence à avoir les jambes qui fatiguent un peu et le sommet semble encore loin. Je vois un organisateur en sens inverse et je lui demande si c'est encore loin. Il me dit qu'il me reste 200 m sur 800. Je m'étonne d'avoir déjà tant accompli et ça m'encourage. Mon rythme de marche est normal, le coeur fonctionne normalement, pas d'excès d'essoufflement, rien à signaler ! Je profite pleinement de ces espaces infinis. Une rivière à passer en deux bonds spectaculaires via deux gros rochers. Une autre les pieds dans l'eau (je ne prends pas la peine de retirer mes chaussures, n'aimant pas glisser pieds nus sur de gros cailloux dans les torrents). Une fois les chaussures mouillées, on se donne plus de liberté pour passer à travers tout en amphibie sans se fatiguer. Et ces chaussures ont été testées pour en Ardenne (donc pas de cloches).

Mouvement de panique


Non loin du sommet, une concurrente italienne discute avec un organisateur qui semble remballer des affaires. Soudain elle se met à courir très vite vers le sommet en criant quelque chose à la ronde aux autres joggeurs à propos d'une "machina". J'en conclue que nous sommes en train de nous faire rattraper par la barrière horaire et qu'ils vont retirer le tapis de contrôle au sommet. Pris par le mouvement de panique, je me dis qu'il serait trop bête de ne pas être crédité pour cette dernière montée et je pique le "sprint ascensionnel" de ma vie vers le sommet. Là je ne vois pas de check point et je continue à courir, tout en transpiration, vers le haut, vers le bas sans m'arrêter.

Derrière moi, les autres coureurs ont bientôt disparu. Je vérifie sur ma carte que le check point est en fait dans une vallée un peu plus bas et je continue la descente en courant. Je crois que c'est à ce moment qu'un orage se lève et que la nuit tombe. J'arrive enfin au check point 94 Km et passe avec soulagement un tapis toujours bien fonctionnel. J'ai perdu un peu le sens de l'horaire et il pleut des cordes. Je me ravitaille mais décide de ne pas m'attarder, car malgré la fatigue, je me dit qu'il vaut la peine de pousser jusqu'au Km 100 dont je ne suis séparé que par une montée de 400 m et seulement 6 Km. La barre psychologique des 100 Kms, un exploit et une répétition générale de la CCC !


Plus que 6 Kms avant de pouvoir abandonner !

A l'étonnement d'une bénévole, je reprends donc la route directement et pars d'un bon pas, la barrière horaire aux trousses (en fait je n'ai pas pris la peine de vérifier où j'en étais, mais vu la longue ascension et la réaction des bénévoles, cela devait être très proche). Il pleut des cordes et mon KW Quechua à tirettes latérales joue son rôle à merveille. Moi qui ai peur des orages en montagne, je suis rassuré par le fait que personne ne semble s'en inquiéter, sans compter que nous sommes entourés de hauts pics. L'ascension est quand même assez fatigante mais c'est une fatigue normale après une longue randonnée, rien à voir avec des problèmes de déshydratation ou d'hypoglycémie. Je m'étonne d'entamer ma seconde nuit sans ressentir d'envie particulière de dormir. Je profite du crapahutage en haute montagne la nuit et j'arrive à 23h52 à Passo Giau (barrière horaire à 1 h).

Là, je m'assied et mange une soupe à mon aise, profitant d'un repos bien mérité. Il ne reste plus que quelques petites montées puis la longue descente vers Cortina. Je suis en pleine forme. Ici seulement, j'abandonne l'idée d'abandonner. Je sais que j'arriverai au bout, peut-être même avant 3 h.


Un sms dans la nuit

Je me joins à deux couples d'anglais qui crapahutent en discutant. On marche d'un bon pas et je décide de ne pas courir dans les descentes pour rester groupé. De toute façon, je ne veux pas prendre de risque, et profiter de ma "victoire". Je me dis qu'avec ma femme, on pourrait très bien être ici aussi à deux. Un passage "dangereux" est en fait facile et pas du tout impressionnant dans la nuit. Soudain, mon gsm se met à vibrer. Bizarre, seules quelques personnes connaissent ce numéro. Je m'arrête et je lis dans la nuit: message de Vincent Siringo du style "Bruno, ça va si on rentre ensemble demain à Venise? rdv près de l'église? à quelle heure?". N'étant pas très doué en sms, je lui réponds rapidement "ok, 10:45". Bizarre, on dirait qu'il ne se rend pas compte que je suis encore en montagne (j'apprendrai plus tard qu'ils croyaient tous que j'avais arrêté depuis longtemps à Cimabanche, une des supporters m'ayant notée avec une heure d'erreur sur le site internet d'où on pouvait nous suivre, croyant donc que j'avais été dépassé par la barrière horaire et contraint à l'abandon).

Les lumières de la ville

Cortina apparaît dans le fond de la vallée. Le début de la descente est magnifique, quoique éprouvant pour les cuisses. Il ne reste bientôt plus qu'un tronçon technique (racines) de 9 Kms que j'envisage de faire rapidement. Le chemin et les abords du chemin sont complètement retournés par les 900 concurrents passés avant moi. On s'enfonce dans la boue à mi-chaussures, ça descend à pic et les racines sont traîtres. Ça glisse énormément et je n'ai pas envie de tomber dans la boue. Dans ce genre de pente, la meilleure technique est de foncer à travers tout à très petits pas en s'équilibrant avec les bras. Mais je suis le rythme de 3 autres concurrents qui me barrent le passage et je descends pas à pas pendant un temps interminable (mais pas désagréable en fait - c'est le sentier le plus technique que j'ai jamais dû expérimenter). Au total, ces 20 derniers kilomètres m'auront pris 1 à 2 heures de plus que prévu. Je termine le dernier tronçon routier rapidement. Quelques bénévoles ensommeillés nous accueillent de ci de là par un "Bravo !".

J'arrive à 3h47 dans une ville endormie, l'esprit plein de multitudes images de montagne.


 

Sommes-nous fous?

Cette aventure m'aura énormément appris. Il est certain que toute personne ayant un malaise (par exemple tout athlète à la fin de sa course) a dépassé une limite. Le corps nous prévient de multiples manières et nous devons l'écouter. Mais je suis convaincu que le corps humain est conçu pour l'ultratrail. Cela nous vient d'une longue évolution. Mais même les "pros" font des erreurs de débutant (par exemple en allant trop vite pendant la digestion). Nous n'avons pas l'expérience des châsseurs-cueilleurs qui font cela toutes les semaines. Les jours suivants, je n'ai ressenti aucune douleur nulle part. Dû à des problèmes d'avion, je n'ai dormi que deux fois 4 heures les deux nuits suivantes, ce qui montre que même à ce niveau, il y a de la réserve. Mon objectif la prochaine fois: no pain, only pleasure. Alors j'aurai vraiment réussi.

5 commentaires

Commentaire de Aonikenk posté le 03-07-2016 à 19:17:32

Super récit. Félicitations pour ta course et ton abandon final au 119e km ! Faudra que j'essaye le cécémel sur trail, mais j'en trouve plus en France. Michael, belge expatrié en France, et finisher de mon premier ultra sur ce Lavaredo ;)

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 04-07-2016 à 17:10:29

Merci et felicitation d'être arrive au bout pour un premier ultra de montagne ! (et pas le plus court)

Commentaire de eddievedder posté le 04-07-2016 à 11:16:48

Une belle leçon de gestion et d'optimisme...félicitations

Commentaire de Bruno Kestemont posté le 04-07-2016 à 17:12:23

Merci !

Commentaire de rivierarunning posté le 14-03-2017 à 18:19:48

Bravo Bruno !!! Moi j'ai vraiment abandonné au Km 96 Col Gallina... J'ai pas bien géré du tout l'alimentation et me suis retrouvé lessivé dans cette longue montée... J'ai beaucoup appris de cet échec :-D

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