L'auteur : Kevinkikour
La course : Trail du Lac d'Annecy - XL Race
Date : 28/5/2016
Lieu : Annecy Le Vieux (Haute-Savoie)
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Distance : 87km
Objectif : Pas d'objectif
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Je me demande ce qui manque au trail pour devenir télégénique. Avec des paysages magnifiques, des têtes d’affiche charismatiques, des françaises et des français qui gagnent, des pratiquants de toutes origines, de tous âges et de toutes morphologies, il y aurait de quoi mettre en scène de sacrées belles histoires pour émouvoir la ménagère de moins de cinquante ans, tout en offrant à la région parcourue une formidable vitrine touristique. Quand on voit l’engouement des spectateurs pour l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, pour la Diagonale des Fous ou récemment pour le petit numéro de Kilian Jornet à Zegama¹, ça donne des frissons et ça rappelle les plus belles heures du Tour de France. Pourtant, ça reste un sport diffusé à petites doses sur quelques chaînes égarées, dans l’ombre du cyclisme et autres marathons sur route. Peut-être que voir des gens trottiner pendant des heures ne passionne pas grand-monde, peut-être que le charme d’aussi longs efforts est difficile à retranscrire en direct, peut-être aussi que ça manque de tactique collective et d’esprit de compétition pour rajouter un peu de piment, ou peut-être finalement que ce n’est qu’une question de temps avant que l’argent ne se déverse en masse sur la discipline, vienne tout corrompre et emmène dans sa traîne les chaînes de télévision. En tous cas, si ça arrive, j’imagine déjà les commentaires grandiloquents d’un présentateur indemnisé au nombre de superlatifs par minute. Morceaux choisis :
Bienvenue à toutes et à tous pour cette exceptionnelle Tecnica MaXi-Race, le tour du somptueux lac d’Annecy par ses plus emblématiques sommets !
Bon, déjà, le nom de la course, honnêtement, j’accroche pas. Pourquoi n’ont-ils pas gardé le doux nom d’Annecimes ? Chercher à se développer à l’international, c’est pas une raison pour abandonner la poésie.
Tous les ingrédients sont réunis pour un week-end magique ! Après une épreuve de vertical race le vendredi soir, tous les regards seront tournés samedi matin vers la Tecnica MaXi-Race, le tour complet du lac en une seule étape de 85 km, suivie 15 minutes plus tard de sa variante en deux étapes, dite Compressport XL Race, et des relais par 2 et par 4. Le dimanche ne sera pas en reste avec la Marathon Race de 42 km et la Femina Race de 15 km réservée à ces dames. Que vous soyez là pour démarrer au quart de tour sans faire demi-tour ou juste pour faire un tour, il y en a pour tous les goûts !
Ok, c’est vrai qu’il y a le choix mais le souci, c’est que tout ce beau monde va se retrouver sur des sentiers étroits, à des rythmes différents. Chronique d’un bordel annoncé :
Il est 3h30, c’est l’heure du grand départ pour la Tecnica MaXi-Race ! Un tonnerre d’applaudissements pour ces valeureux combattants ! Tandis que les plus rapides seront de retour pour le déjeuner, la plupart n’arriveront que pour le dîner, quand d’autres encore ne dépasseront pas certaines portes horaires. Le compte à rebours est maintenant lancé pour le départ de la Compressport XL Race et des relais !
Franchement, le départ à 3h45, je l’ai retourné dans tous les sens, j’ai pas réussi à l’aborder correctement. J’ai commencé à avoir sommeil vers 2h du matin mais bon, c’était déjà l’heure de se préparer, alors ben du coup, j’ai pas dormi…
Et c’est parti pour la Compressport XL Race ! Galvanisés par les encouragements d’annéciens parfois éméchés, le peloton part à un train d’enfer.
J’en oublie le manque de sommeil et les 85 kilomètres qui me pendent au nez, je me laisse entraîner comme un con. Heureusement, les premières pentes arrivent vite et calment un peu tout le monde.
Des abords du lac au sommet du Semnoz, les coureurs vont passer en moins de 15 km de 450 m à 1700 m d’altitude, soit l’équivalent de l’ascension du Mont Ventoux qu’ils vont chevaucher sans système de pédalier et par des sentiers escarpés.
Ouais, bon, sauf que nous, en milieu de peloton, on avance au pas plutôt qu’on ne galope, et on s’aide volontiers de bâtons. Ça n’empêche pas de sentir son cœur s’emballer. On nous a fait prendre un chemin parallèle à celui de la MaXi-Race, ça permet d’éviter les bouchons.
Peu avant le sommet, les deux courses se rejoignent comme deux bataillons d’une armée napoléonienne.
Un peu désorganisée, ceci dit, son armée, au nabot. Entre les premiers relais à 4 qui en finissent, les coureurs de l’XL Race qui pensent avoir fait le plus dur de la journée et ceux de la MaXi-Race qui commencent à peine leur échauffement, c’est parfois difficile de caler son allure.
Au sommet du Semnoz, une double récompense attend les coureurs : un lever de soleil sur une mer de nuages et un ravitaillement bien fourni avant d’entamer la première grande descente.
Effectivement, c’est juste grandiose. Ça consolerait presque d’être parti à une heure faite pour se coucher. Le ravitaillement, par contre, c’est un peu le souk : Ça grouille de monde, faut faire la queue pour la soupe, les trucs sucrés sont au fond, faut revenir en arrière pour avoir de l’eau, et le reblochon dont ils se vantent tant, où c’est qu’ils l’ont mis, le reblochon ? Je chipote, je chipote, mais la dernière chose dont on a envie à un ravitaillement, c’est de se prendre la tête. Le temps de digérer un délicieux morceau de reblochon (bon, je l’ai trouvé, finalement), je me dirige tranquillement vers la descente. Elle se complique rapidement avec des portions rocheuses et glissantes. Je préfère rester prudent, je me fais doubler à la chaîne.
Les valeureux traileurs attaquent maintenant la deuxième difficulté du jour, le col de la Cochette et ses terribles trois derniers kilomètres à près de 20% d’inclinaison moyenne. Certains s’arrêtent sur le bas-côté, ça sent les premières défaillances !
C’est vrai que la pente est assez impressionnante, je règle mon rythme de croisière et je maintiens l’effort jusqu’au sommet. J’adore ce genre de montées, je crois que je devrais consulter. Dans la descente, une averse vient savonner encore un peu plus le chemin. Mes bâtons m’épargnent quelques chutes, je mets un temps interminable à arriver jusqu’en bas.
Les coureurs entament désormais une série de montées et de descentes avant de dévaler vers Doussard, la ville de l’autre bout du lac.
Le manque de sommeil se ressent à ce moment-là. Je fais l’erreur de regarder trop souvent ma montre. C’est bizarre, ça fait une demi-heure que les kilomètres n’avancent pas. Elle est bloquée ou quoi, cette montre ? Non non, c’est juste moi qui n’avance pas. Coup de pompe généralisé. Ça va se finir au mental, cette affaire.
Une âme en peine boucle enfin les 44 km et 2500 m de D+ en 8h28 et peut opportunément profiter d’un bivouac aux petits soins à Doussard. Pas de repos en revanche pour les boulimiques de la MaXi-Race qui n’en sont qu’à la moitié du parcours.
Respect à ceux qui continuent, je pense à eux en entamant ma longue sieste.
Good morniinng Doussard ! Ce dimanche, de l’orage est annoncé en milieu de matinée, les parcours devraient être modifiés pour ne pas risquer un malencontreux coup de foudre sur les sommets. Il est 6h45, c’est l’heure du départ de la 2ème étape pour les quelques 200 récidivistes de la XL Race !
J’avoue, au départ, les jambes sont lourdes, je me demande si elles vont tenir le coup. Et puis, finalement, au bout de quelques kilomètres, elles s’allègent comme par magie. Quelqu’un aurait-il mis de l’érythropoïétine² dans mon pain au chocolat ce matin, à l’insu de mon plein gré ?
Au menu de cette journée, comme entrée en matière, 700 mètres de dénivelé à avaler en 5 kilomètres jusqu’au Col de la Forclaz.
Pour une fois qu’on est la seule course en lice, on peut enfin profiter tranquillement d’une belle montée régulière. Ça ne va pas durer.
Partis 45 minutes plus tard, les premiers coureurs de la Marathon Race rejoignent ceux de l’XL Race dans la montée vers le chalet de l’Aulps.
Ah, c’était donc ça, les espèces de fusées que j’ai senti passer à côté de moi. La montée dans les alpages est vraiment agréable, je suis sur un petit nuage. En parlant de nuage, justement, on en voit arriver un gros sur nos têtes. Il ne nous quittera plus.
Pour éviter les passages sur les crêtes, les bénévoles se sont déployés avec une réactivité incroyable pour baliser un parcours de repli. Tant pis pour les superbes panoramas sur le lac, il faut parfois savoir s’incliner devant la nature !
Avec le recul, je suis un peu déçu de n’avoir pas pu profiter des plus beaux passages aériens mais sur le moment, je suis juste rassuré d’éviter que le ciel me tombe sur la tête. Du coup, à la place d’étroits sentiers glissants, on hérite parfois de larges routes forestières. C’est de la descente pour les nuls, idéale pour moi quoi !
Les coureurs déboulent maintenant vers le ravitaillement du gymnase de Menthon Saint-Bernard sous une pluie battante.
C’est pas une mauvaise idée, le ravitaillement au sec. Je me prends une bonne pause d’un quart d’heure avant de repartir.
La dernière difficulté du jour se profile désormais avec l’ascension du Mont Baron suivie d’une descente à pic vers Annecy.
Avec toute cette accumulation de flotte, l’ascension prend l’aspect d’un Mud Day à flanc de montagne. Là aussi, je trouve ça un peu dommage de bifurquer avant le sommet, surtout que l’orage ne s’est finalement jamais manifesté, le bougre. Dans la dernière descente, je passe mon temps à me mettre sur le côté pour laisser passer les files de marathoniens. C’est pas tout mais j’ai une course à finir, moi aussi ! Une fois en bas, je lâche un peu les chevaux le long du lac, ça fait plaisir de se remettre à courir normalement.
L’âme en peine de la veille en termine en 6h48 et un total d’environ 85 km et 5000 m de dénivelé cumulé en un peu plus de 15h. Sans doute aurait-il mis moins de temps s’il n’avait pas oublié de dormir, s’il n’avait pas fait sa chochotte en descente et s’il n’avait pas autant forcé sur le fromage et le vin.
Non mais c’est quoi ce commentateur !? Bon, peut-être qu’au fond, c’est tant mieux si le trail reste confidentiel.
Il y a quelque chose que j’aimerais bien voir se développer, par contre, ce sont les courses à étapes. C’est quand même vachement plus pratique pour les gros dormeurs comme moi de profiter des plus beaux parcours autrement réservés aux zombies de l’ultra-trail. Ça doit également faire émerger des souvenirs d’enfance du Tour de France, une sorte de madeleine de Proust de l’époque où l’on s’obstinait à croire que les coureurs gravissaient les cols d’amour et d’eau fraîche. L’UT4M va lancer le bal cette année avec son Ultra Tour des 4 Massifs (Oisans, Belledonne, Vercors et Chartreuse) de 170 km et 10 000 m de D+ en 4 étapes, avec des maillots de leader, de meilleur sprinteur et de meilleur grimpeur. Ça me rappelle quelque chose, tiens ! 10 000 m de dénivelé cumulé, pour imager, c’est un peu comme si on partait des abysses de l’océan, qu’on gravissait l’Everest, et qu’ensuite on redescendait tout en bas. Prochain défi ?
Le problème, quand une course se passe bien, c’est qu’on a tendance à se croire capable d’en faire davantage et qu’on a bien du mal à réfréner son imagination. Vivement une course qui me fasse redescendre sur Terre.
² Substance dopante favorisant la récupération, plus connue sous le nom d’EPO
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