Récit de la course : Ultra Trans Aubrac - 105 km 2014, par Feneb

L'auteur : Feneb

La course : Ultra Trans Aubrac - 105 km

Date : 12/4/2014

Lieu : Bertholene (Aveyron)

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Distance : 105km

Objectif : Terminer

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Les Aventures de Feneb et Millou - Feneb en Aveyron

Genèse d’une aventure

Toute aventure a un début, et une fin. Le début de celle-ci remonte très précisément au 16 mars 2013 à 22 heures, 51 minutes et 52 secondes. Je ne saurai être plus précis, il faudra vous passer des centièmes.

Retour en arrière : au printemps 2013, je boucle l’Ecotrail 80 en un peu moins de 11 heures, au terme d’une course plutôt bien maitrisée du début jusqu’à la fin. A défaut d’avoir affolé les chronos, je franchis la ligne avec le sentiment du devoir accompli, et la vague impression d’en avoir encore un peu sous le coude (ou plutôt dans les jambes). Bien sûr je suis épuisé, évidemment je suis heureux de m’arrêter là, et content de ma course … mais je sens au fond de moi que j’aurai pu aller un peu plus loin … faire cinq kilomètres de plus en courant … ou dix peut-être … s’il l’avait fallu … et je me dis que j’ai les capacités pour aller chercher la barre mythique des 100 kms.

L’idée germe en moi … il faut que je m’attaque à cette distance. Cela doit être mon prochain objectif, à quoi bon refaire un 80km ? Améliorer un temps ou un classement ne m’intéresse pas. Plus haut, plus vite, plus fort ? Pas mon truc. Pour moi, ce sera : plus loin.

Au delà de l’aspect symbolique que représente le nombre 100, je souhaite aussi titiller mes limites, savoir jusqu’où mon corps et mon esprit peuvent me mener. Pour savoir, et passer à autre chose, peut-être. (A quoi ?)

Je ne vais pas être déçu.

Un mot sur mon profil : je ne me définis pas comme un fondu de trail, encore moins d’ultra, loin s’en faut. J’aime courir en nature, je prends plaisir à participer à quelques trails de temps à autre (Castor Fou et Trail des Flambeaux en 2013 ; Auffargis en 2014), mais me sens toujours un peu en décalage avec tous ces mordus qui enchainent les courses d’un week-end à l’autre, se connaissent et se reconnaissent, et se racontent leurs exploits en anciens combattants. Je comprends cette passion, mais ne la partage pas aussi intensément. Je tiens à laisser la place à d’autres choses dans ma vie. Mes faits d’armes se résument à une SaintéLyon en 2010, et un Ecotrail en 2013. Léger, comme palmarès. Mais j’en suis fier, malgré tout.

Je tenais donc mon objectif pour 2014 : trouver un trail de 100 kilomètres, en prendre le départ, et le terminer. Dit comme ça, ça a l’air tellement simple. Première étape : l’identifier.

Mes critères de recherche étaient les suivants, dans l’ordre :

- 100 kilomètres minimum … mais pas beaucoup plus !

- Limiter le dénivelé … tant que possible

- Au plus tard mi-avril, afin que la préparation d’avant-course ne perturbe pas ma vie familiale en interférant avec les vacances et les week-ends au soleil du printemps et de l’été

- Un cadre sauvage pour en prendre plein les yeux, dans la mesure du possible

De ces filtres ressort un nom : Ultra Trans Aubrac, 105 km, 12 avril. Ca colle.  Je me renseigne, consulte leur site web, parcours les forums où on n’en dit que du bien. Le parcours a l’air superbe, ça me tente. De plus, je suis séduit par le caractère confidentiel de l’événement, et le côté sauvage des terres à parcourir : 200 coureurs étalés sur plus de 100 kilomètres, ça promet de longues chevauchées solitaires. C’est aussi un peu effrayant : pas le droit à l’erreur, il faudra avancer et compter sur soi-même. Pas de gare de RER dans un rayon de 3 km pour rentrer à la maison en cas de pépin !

Le pari me semble un peu fou, mais je le sais : ce sera ma course !

 

En attendant le départ …

L’histoire retiendra (en fait non …) que j’aurai été le premier inscrit de l’édition 2014. En trois clics, l’affaire est pliée, mais tout reste à faire. On n’est qu’en octobre, et la course est dans 6 mois. J’ai le temps de m’y mettre. Malgré tout il est temps que je me remette à courir, pour arriver avec un fond quand il s’agira de s’attaquer sérieusement à la préparation que requiert un tel effort.

Je m’impose une voire deux sorties par semaine, m’inscrit aux Trail des Flambeaux en novembre histoire d’avoir une motivation pour m’entraîner un minimum. A partir de début décembre, je m’impose deux sorties par semaine, et m’y tiens jusqu’à début février. Je retrouve des sensations. Il est alors temps de rentrer dans le vif du sujet, et d’attaquer la préparation, la vraie.

Je décide de reprendre à l’identique la préparation qui m’avait plutôt réussi sur l’Ecotrail un an plus tôt : 4 sorties par semaines, étalées sur 8 semaines. Seule différence : je rallonge quelque peu les sorties longues du dimanche (la plus longue fera 35 kilomètres / 4 heures à J-20 ; pas plus), histoire de faire un peu plus de distance. Pas sûr que cela suffise, mais je n’ai ni le temps ni le physique pour en faire plus.

Foutue cheville … (cheville foutue ?)

J’arrive à peu près à tenir mon programme, mais deux incidents perturbent tout de même mon plan d’entraînement : d’abord une très grosse grippe début mars qui me terrasse et dont il me faudra une semaine pour récupérer, et surtout une entorse à la cheville le 9 mars qui me fait craindre le pire. Je ne suis plus certain de pouvoir prendre le départ de l’UTA dans un mois.

En semaine, sur route, je peux courir malgré la douleur ; en revanche, le test en condition trail (Auffargis, 30 km, 16 mars) se passe très mal : la cheville se dérobe à nouveau … sur le parking, avant même de prendre le départ ! La douleur est intense, je ne peux même plus marcher. Je prends quand même le départ, pour voir : dans ma tête, abandonner à Auffargis signifierait la fin de mon programme d’entraînement, donc pas d’UTA. Je ne veux pas lâcher. Je peux courir malgré tout, et me force à le faire, en dépit de la douleur. Plusieurs alertes sans conséquences, jusqu’à mi-course, à 200 mètres du ravitaillement intermédiaire situé au niveau de la ligne d’arrivée. La cheville part à nouveau, je tombe, la douleur est fulgurante, je ne tiens presque plus debout. J’arrive à me trainer en boitant jusqu’au ravitaillement, tant bien que mal. La raison me dit d’arrêter là, que c’est idiot de continuer, que c’est foutu. Et pourtant je continue, sans m’arrêter, sans même prendre un verre d’eau : je snobe le ravitaillement. Je marche, puis reprends la course, lentement, en boitant ; la cheville est chaude, la douleur devient supportable, je fais avec. Je parcours les 15 derniers kilomètres tant bien que mal, en marchant souvent dès que ça descend trop, dès que ça devient un peu technique. La cheville se tord encore une ou deux fois, mais je fais la distance. Le moral toutefois est en berne.

Il faut se rendre à l’évidence : hors de question de se lancer dans un trail de 100 kilomètres avec une cheville aussi fragile. Je me laisse toutefois une dernière chance et investit dans une chevillière, en espérant que celle-ci me permette de consolider ma cheville et d’apporter le soutien que mes tendons ne sont plus en mesure d’assurer. Je n’y crois pas trop, mais je veux tout essayer avant de renoncer.

Pari gagnant : efficacité du produit ? Effet placebo ? Pouvoir magique ? Je n’en sais rien et je m’en moque ; ça marche, ça court même ! Les tests sont concluants, les voyants sont au vert : je serai au départ le 12 avril.

 

J-1, jusqu’ici tout va bien

Pour rejoindre l’Aveyron depuis l’Ile-de-France, je fais au plus simple : avion jusqu’à Rodez, puis voiture de location. Visite express de Rodez et déjeuner dans la ville, avant de faire la route jusqu’à Saint-Geniez. La route est superbe : un petit avant-gout de ce qui nous attend le lendemain. Je prends mes quartiers dans la chambre d’hôtes réservée pour l’occasion, et glandouille gentiment, avant de faire un petit tour à pied dans la ville. A 18h, je fais l’aller-retour jusqu’à Bertholène pour récupérer mon dossard. Dans la salle des fêtes, pas grand monde, mais l’ambiance est bon enfant. En trois minutes l’affaire est pliée. Je jette un coup d’œil au château d’où sera donné le départ le lendemain : ça y est, le compte à rebours est enclenché, tout devient concret, palpable : j’y suis. Et je ne peux plus reculer.

Comme toujours, un léger sentiment de doute m’envahit : qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi ?

10 jours plus tôt, j’ai eu la sagesse (la folie ?) de jeter un œil au classement de 2013. Flippant… Le temps médian était de 16h40. J’estime qu’il me faudra entre 18 heures et 19 heures pour faire la distance … si tout se passe bien. 18 heures de course, c’est plus de 7 heures en plus par rapport à mon record personnel en terme de durée. Je réalise alors que la marche à gravir est énorme : l’UTA n’a rien d’un Ecotrail rallongé, c’est quelque chose de plus fort, plus dur. A défaut d’être rassuré, je sais à quoi m’attendre.

Heureusement les conditions s’annoncent plutôt favorables : terrain plutôt sec d’après les organisateurs et météo clémente (malgré quelques averses prévues … qui auront bien lieu) : c’est déjà ça.

Sur la route du retour vers Saint-Geniez, je ressasse mentalement le profil de la course et déroule les différentes étapes telles que je souhaite les aborder :

1ère étape : Bertholène - Saint-Côme : le prologue. Dans ma tête, c’est juste un échauffement. 23 kilomètres, une broutille, à condition de partir suffisamment lentement. Interdiction formelle de dépasser les 9km/h, je devrai m’y tenir ! Le parcours est presque plat, avec juste deux bosses qui n’ont pas l’air bien méchantes. L’objectif est d’arriver tout frais à Saint-Côme, en 3 heures environ.

2ème étape : Saint-Côme - Laguiole : le gros morceau. C’est là où ma course devrait commencer. Le profil altimétrique fait peur : 32 kilomètres à parcourir, et pratiquement que de la montée. J’estime qu’il me faudra 6 heures pour faire la distance. J’appréhende cette étape : je n’ai jamais avalé de si gros morceau, aussi difficile. Et je m’interroge sur un point crucial : l’eau. Mon camel bag contient 1.5L seulement, et je pressens que cela sera insuffisant. Je n’ai pas de bidon, et envisage de prendre le départ de Bertholène avec une bouteille vide que je remplirai à Saint-Côme et jetterai à Laguiole, mais les essais ne sont pas concluants : mon sac est trop petit pour porter cette bouteille en plus du matériel et des vêtements. Tant pis, on verra bien : j’espère juste trouver une fontaine dans un village pour faire l’appoint.

3ème étape : Laguiole - Aubrac : encore un très gros morceau ; je m’attends à ce que cette étape soit la plus difficile pour moi, celle qu’il faudra finir au mental. 22 kilomètres « seulement », mais ça grimpe, toujours et encore. C’est là où je devrai réussir, ou échouer. Mais si j’arrive au troisième ravitaillement dans les temps, je me dis que ce sera gagné.

4ème étape : Aubrac - Saint-Geniez : sur le papier, ça descend. Donc c’est facile. Donc ça ne compte pas. Bien sûr, je me mens à moi-même, bien sûr, je les vois bien ces petites bosses qui nous feront remonter, bien sûr, je me doute que des kilomètres de descente peuvent être un calvaire pour les jambes quand on en a 80 au compteur… Mais je zappe mentalement cette étape : si j’arrive à Aubrac, je trouverai bien les ressources pour avaler les 28 derniers kilomètres.

Retour à Saint-Geniez. On est vendredi soir, et il est temps d’avaler le dernier repas (celui du condamné ?). J’ai envie de palper l’atmosphère de la course, et vais dîner dans le restaurant d’un hôtel pris d’assaut par une horde de trailers. Je m’invite à la table d’un gars qui, comme moi, est seul. On discute, on échange sur la course du lendemain, sur nos expériences passées. Mon compagnon, un Auvergnat, est un mordu de trail, il enchaine les trails longs tous les mois, il a un pedigree des plus respectables, même s’il s’agit de son premier 100kms. Il estime pouvoir arriver de jour : on ne boxe pas dans la même catégorie. Autour de nous, les autres tables sont occupées par des gens qui ont l’air aussi costauds ; je me demande encore un peu ce que je fais là, je me sens en décalage, comme si je participais à une fête à laquelle je ne suis pas vraiment invité. Mais je ne laisse pas le doute m’envahir ; au contraire, cela me motive : je vais leur montrer que j’ai tout à fait ma place !

De retour dans ma chambre, je finis de préparer mes affaires, et me couche tôt, vers 22 heures. Le réveil est réglé à 3h30, ça va faire mal, mais il ne faut pas que je rate la navette le lendemain à 4h30. Je m’endors assez rapidement.

 

Le jour J, les derniers instants …

Réveil à 3h30, comme prévu. Je suis tout de suite bien réveillé : je sais pourquoi je suis là, c’est le jour J. Pas le temps de tergiverser, il faut y aller. Je m’habille en tenue de course, et avale mon petit déjeuner. Mon hôtesse, quoique fort serviable, n’a pas eu le courage de se lever aussi tôt pour me faire le café, tout avait donc été préparé la veille. Je la comprends : ce n’est pas humain de se lever avant 4 heures. Je mange de bon appétit de bonnes tranches de fouace, spécialité locale que je définirais comme du pain au sucre. C’est bon, c’est nourrissant, idéal.

En cinq minutes de voiture je suis au départ de la navette. Je monte dans celle-ci et me cale au fond du bus. Envie de ne parler à personne, mais pas sommeil pour autant. Je cogite.

4h30 pétantes : comme la chenille, la navette part toujours à l’heure, et tant pis pour les retardataires. Autour de moi ça cause, de la météo, des conditions, des exploits d’antan. Moi j’intériorise.

5h00 : arrivée à Bertholène. Dans la salle des fêtes il y a foule, déjà. L’ambiance est un peu tendue. On attend. Je stresse un peu. Alors j’avale une autre tranche de fouace.

Les dernières consignes sont passées. On nous informe que la fin du parcours a changé par rapport à l’an dernier, on nous conseille d’en garder sous la semelle pour 3 ou 4 petites bosses qui ont été rajoutées. Bon, on verra bien, chaque chose en son temps. Faut déjà y arriver.

Vérification des sacs, pour le principe (couverture de survie et lampe frontale), et on y va. En préambule, montée à pied au château : déjà du dénivelé positif, avant même le départ !

Le troupeau est prêt à partir, les ruines s’embrasent, des fusées illuminent le ciel, c’est superbe. L’émotion me gagne, j’y suis, enfin ! Excitation, doute, envie, stress, incertitude, hargne, tout se mélange. Il est à peine 6 heures, et une longue journée commence. C’est parti !

 

1ère étape : Bertholène - Saint-Côme d’Olt (23km, 515m D+, 719m D-)

Je laisse partir les énervés devant, et me colle en queue de peloton. Gruppetto ! Un seul objectif : brider ma vitesse, et ne pas dépasser les 9 km/h. C’est mon plan de course.

Très vite, je sens une douleur derrière la cheville droite. Rien à voir avec mon entorse, c’est autre chose. A chaque foulée, je sens comme une pointe. C’est gênant mais supportable. Déjà connu ça à l’entraînement. Je ne m’affole pas, ça ne sert à rien, on verra bien.

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance.

Je tiens mon petit rythme, pépère, et les kilomètres défilent. Le jour se lève très vite.  J’aime la campagne à l’aube. Les oiseaux chantent, les chiens aboient, le peloton passe. On passe devant des fermes, des villages, un château. C’est très joli.

6ème kilomètre, première côte. Facile, je marche un peu. Pas le moment de se cramer. J’avance bien, la douleur à la cheville finit par s’estomper. Très bien.

Je bois très régulièrement. Exactement 4 gorgées tous les kilomètres. Pas plus, pas moins. En effet :

Soit une poche à eau d’un volume d’1.5L. Sachant que le volume moyen d’une gorgée est d’environ 15ml, calculez :

  1. Le nombre de gorgées que contient la poche à eau
  2. Le nombre de gorgées que l’on peut s’octroyer à chaque kilomètre sur une étape de 23kms ; on arrondira à l’entier le plus proche
  3. La fréquence des pauses pipi

Je mange aussi, des barres de céréales que j’ai emportées. Pas vraiment de règle, je fais ça aux sensations.

Rebolote au 15ème kilomètre, 200m de D+ environ, étalés sur 2 kilomètres et demi. On devine alors la vallée du Lot, et au loin des montagnes avec lesquelles il va falloir se mesurer. Depuis les hauteurs la vue est magnifique.

Pas trop le temps de s’extasier, il est temps de redescendre vers Saint-Côme, où le premier ravitaillement nous attend. La descente est un peu technique, avec des cailloux. Je les abhorre, et les crains : je n’ai pas confiance en ma cheville, je sais que la chevillière ne peut pas tout faire. Je suis prudent, garde le frein à main serré au lieu de lâcher les chevaux. Je me fais doubler, beaucoup, et me fatigue. Je suis un piètre descendeur, tant pis.

On arrive enfin à Saint-Côme. Le village est très joli, merci pour la visite, quoique au pas de course.

J’arrive au ravitaillement, cela fait un peu plus de trois heures que je suis parti. C’est à peu près ce que j’avais prévu, très bien. Je décide de ne pas traîner, je n’ai pas le droit d’être fatigué ! Je fais le plein d’eau, boit de l’eau gazeuse, et grignote quelques TUC et deux bouts de saucisson. Et je repars.

Erreur. Grossière erreur ! Je ne m’alimente pas assez. Je ne mange pas assez, je ne bois pas assez. 6 heures de cavale m’attendent jusqu’au prochain ravitaillement, et je vais le payer. Mais je ne le sais pas encore.

Le chrono affiche 3h15 lorsque je repars. J’ai 30 minutes d’avance sur la barrière horaire, pas de quoi s’enflammer. De toute façon, la course commence maintenant.

 2ème étape : Saint-Côme d’Olt - Laguiole  (32km d+1676m d-966m)

Dès la sortie de Saint-Côme, tout se dérègle, rien ne va plus. A peine une petite côte à gravir, que dis-je une côte ? Une côtelette ! Un coustelou ! Et pourtant … les jambes font mal, les cuisses se bloquent, je sens comme des débuts de crampe. On n’en est qu’au kilomètre 24 !

Je ne comprends pas … Pas les crampes, pas déjà ! Pas une seule crampe à l’entraînement … pourquoi aujourd’hui ? Je ralentis encore ma vitesse de marche, pas le choix. Je doute, et ai de bonnes raisons de douter. Si les crampes se pointent dès maintenant, comment pourrais-je continuer encore 80 kilomètres ? C’est impossible … J’envisage l’échec.  Les idées sont noires. Mais je continue, en espérant que ça passe.

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance.

Un kilomètre de répit, de plat, avant d’attaquer le plat de résistance. Les jambes sont toujours lourdes, mais les signes précurseurs de crampe se sont estompés.

Kilomètre 25, c’est parti pour 5 kilomètres de montée. C’est dur, mais ça passe. Je marche bien sûr, à petite allure …

Le temps se couvre, de la brume. Dommage pour la vue, mais ça ne durera pas.

On redescend … mais pas de quoi se réjouir : chaque mètre descendu sera à remonter plus tard !

Au kilomètre 32, on longe l’abbaye de Bonneval. C’est magnifique, dommage que le parcours ne nous fasse pas traverser l’abbaye ! Il parait qu’on y trouve du bon chocolat.

Et c’est là que le calvaire commence … nous sommes partis pour d’interminables kilomètres d’ascension. Il fait chaud, et je comprends très vite que mes craintes de la veille étaient justifiées.

Je vais manquer d’eau.

Je ressens les premiers signes de déshydratation. Et pourtant je dois me rationner à 3 gorgées par kilomètre, faute de quoi je serai à sec bien avant Laguiole. Implacable arithmétique du tube…

J’ai chaud, j’ai soif, j’ai de plus en plus de mal à grimper. Nous sommes en forêt, le cadre est bucolique, mais je n’en profite pas trop. Le manque d’eau me tracasse, puis m’obsède.

Mon allure est faible, très faible …  Plus de jus … 11 minutes au kilomètre, 12 minutes au kilomètre… Sachant qu’il me reste encore 20 kilomètres jusqu’à Laguiole, j’en ai encore pour …

Non … Je m’interdis d’aller au bout de calcul, j’ai trop peur du résultat.

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance.

Je franchis un petit torrent qui s’écoule en cascade ; stop ! L’eau a l’air propre. Je m’arrête aussitôt et bois. Cette eau est délicieuse : fraîche et sans goût, tout le contraire de celle que contient mon camel bag. Je reprends des forces et de l’espoir. Je me rafraichis le visage, mouille ma casquette et repars.

Sombre idiot …

Je repars sans remplir ma poche à eau. Je réalise quelques hectomètres plus tard mon oubli. Pas le courage de faire demi-tour, et je me dis que je trouverai bien une autre cascade un peu plus loin : il est vrai que la forêt est humide.

Hélas, il n’en sera rien. Je broie du noir. Laguiole est à plus de 15 kilomètres, c’est trop.

Et c’est alors que se produit le miracle du kilomètre 41 …

Dans le village de Briounès, coule une fontaine… J’ignore si elle est potable, si elle est destinée à abreuver les villageois ou les vaches … mais il n’y a pas à hésiter. Je retire mon sac à dos et m’octroie 5 minutes de pause, le lieu est enchanteur. Je bois, comme un trou. Je profite du soleil, je me détends. Je suis bien … Je bois, à nouveau, et remplis ma poche à eau jusqu’à ras bord … Et je bois, encore … Je resterais bien encore 5 minutes de plus … D’autres coureurs arrivent, visiblement tout aussi assoiffés que moi … Je leur conseille de se régaler de cette eau délicieuse, ils en ont très envie, mais hésitent. Ils doutent de la potabilité de l’eau, et se contentent de s’asperger pour se rafraichir. J’essaye de les convaincre mais en vain. Après tout, ils font ce qu’ils veulent, c’est peut-être eux qui ont raison. Mais moi, entre la déshydratation certaine et une possible fièvre aphteuse de la vache folle, j’ai fait mon choix…

Je repars le moral gonflé à bloc, et profite enfin de ma course. Le profil s’assagit par moments: quelques plats, quelques descentes où je redécouvre une vague sensation de vitesse, avec des pointes fulgurantes à 10 kilomètres / heure ! Je sympathise avec certains coureurs avec qui je fais l’élastique, que je lâche dans les montées et sur le plat, et qui me reprennent dans les descentes. Notamment le-gars-au-T-shirt-jaune, à qui je n’ai jamais malheureusement pas pensé à demander le prénom, et qui s’avèrera être un bon compagnon, en course et aux ravitaillements.

Au kilomètre 45, je croise un petit chien blanc et noir qui semblait m’attendre au bord de la route. Il me suit sur quelques mètres : je lui explique que je vais encore très loin et qu’il ferait mieux de ne pas me suivre. 

Il semble content de s’être fait un copain, et il me suit. Sur plusieurs kilomètres … Je lui parle (oui, je parle au chien … mais au bout de 50 kilomètres on ne prend plus la peine de s’inquiéter sur sa santé mentale). Je le baptise Millou, avec deux L : contraction de Milou (pour le chien) et de Millau (pour l’Aveyron). Et puis deux L car il semble voler sur le sentier.

D’ailleurs je ne vais pas assez vite pour lui : un coureur me double et Millou lui emboîte le pas. Il se retourne une derrière fois, me regarde d’un air désolé, et part devant. Ingrat …

Enfin arrive Laguiole, c’est un immense soulagement. Le ravitaillement va faire du bien. J’ai une faim de loup. Dans le centre-ville, un restaurant de spécialités aveyronnaises me fait de l’œil : je m’arrêterais bien pour dévorer une bonne assiette de tripoux. Mais j’ai une course à faire, et je suis encore loin du compte.

A ce sujet, une question m’a turlupiné : les écoliers aveyronnais ont-ils droit à une leçon de grammaire spéciale pour le pluriel des mots en –ou ? Leur enseigne-t-on 8 exceptions au lieu des 7 que connaissent les autres écoliers en dehors du département ? Anonnent-ils d’un ton monocorde : bijou-caillou-chou-genou-hibou-joujou-pou-et-tripou ?

Le ravitaillement est long à arriver, je parcours les dernier hectomètres avec le-gars-au-T-shirt-jaune, qui, lui aussi, a souffert du manque d’eau, me dit-il.

Enfin nous y voici ! Je prends le temps de me poser, et surtout de m’alimenter correctement. Je bois, beaucoup, et mange. Je me régale de tartines de rillettes, quel bonheur !

Les bénévoles qui tiennent le buffet sont adorables. J’essaye d’être agréable avec eux, malgré la fatigue. Ils le méritent bien.

Tiens, qui vois-je arriver, l’œil vif et la queue frétillante ? Mais non, pas le-gars-au-T-shirt-jaune. Millou, bien sûr ! Une petite caresse, et je lui fais mes adieux, me doutant bien qu’il n’ira pas plus loin.

Cela fait près de 20 minutes que je suis là. Je me doutais bien que ce serait compliqué de repartir, et c’est le cas … Mais il faut bien se faire violence et y aller. J’enfile mon sac à dos, passe au contrôle et repars pour une étape qui, quoique plus courte, s’annonce tout aussi compliquée que la précédente.

Lorsque je quitte le ravitaillement, le chrono affiche 9h05 : j’ai plus d’une heure d’avance sur la barrière horaire. C’est un matelas confortable, mais je sais qu’une telle avance peut fondre comme neige au soleil sur les plateaux de l’Aubrac en cas de défaillance. Pas d’emballement.

 

3ème étape : Laguiole  - Buron des Bouals (21km d+759m d-427m)

Dehors il fait très chaud. On monte vers le haut de la ville, et on effectue la fameuse traversée du musée de l’Opinel (oh ça va les Aveyronnais, je plaisante …). L’idée est amusante, j’aimerais bien y passer un peu de temps, mais je dois avancer.

Les routes font place aux chemins, les chemins aux sentiers, les sentiers à plus de sentier du tout : on se retrouve à grimper à travers champs, au milieu d’une plantation de gros cailloux.

Une première pancarte annonce un ravitaillement surprise, une deuxième précise : ravitaillement 3 étoiles … Et au pied d’un bâtiment futuriste, devant une vue superbe, s’offrent à nous mille douceurs. Nous en sommes au kilomètre 60.

Des gâteaux, des crèmes, et autres gourmandises contactés par le boulanger-pâtissier de chez Bras. Un gamin qui l’assiste me décrit le menu : tout a l’air exquis, et je goûte à ci, à ça. C’est un régal. Là encore c’est dur de partir, mais au bout de cinq minutes il est temps d’y aller. Je remercie chaleureusement le pâtissier et son commis et repars.

Je pète la forme. Les 17 kilomètres restant à parcourir jusqu’au prochain ravitaillement me semblent une broutille. J’avance bien.

Je repense au ravitaillement surprise, me dis qu’ils auraient quand même pu nous faire traverser la salle du restaurant comme ils l’avaient fait pour le musée un peu plus tôt. J’imagine la scène : des cartons sur la moquette épaisse traçant un chemin entre les tables, les serveurs cherchant à éviter les zombies à l’odeur musquée … Pas sûr que les clients du restaurant aient vraiment apprécié la plaisanterie.

Après un long passage en forêt, voici la station de ski de Laguiole. Je retrouve le-gars-au-T-shirt-jaune, toujours lui, et nous faisons un bout de chemin ensemble. Il semble fatigué, mais je n’en dis rien ; de toute façon il doit penser la même chose de moi.

Autre fait marquant : le début de la pluie. Il est 17 heures, et tandis que Benjamin Beaume déguste un aligot-saucisse bien au chaud dans le gymnase de Saint-Geniez, le ciel nous tombe sur la tête.

J’enrage : pas besoin de ça ! Mais il n’y a qu’une chose à faire : enfiler ma veste de pluie.

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance.

L’ascension se passe bien, si ce n’est que j’ai encore perdu le-gars-au-T-shirt-jaune. Je ne m’inquiète pas, je sais qu’il me rattrapera dans la prochaine descente.

Au bout de la montée, kilomètre 67, la vue se dévoile enfin. C’est somptueux : d’immenses prairies à perte de vue, des petites rivières, des maisonnettes en pierre. L’endroit est on ne peut plus sauvage, il se mérite. On se sent tout petit, on en prend plein des yeux. C’est saisissant. Magique.

La pluie tombe toujours, drue par moments. Comme prévu, le-gars-au-T-shirt-jaune m’a dépassé dans une précédente descente avec deux autres gars, je suis seul.

Tout d’un coup, mon gros orteil du pied droit se rappelle à moi : à chaque foulée le frottement de la chaussure me fait très mal. Une ampoule qui a du éclater. Il ne manquait plus que ça. Que faire ? Pas grand-chose : je n’ai pas de pansement et personne à la ronde pour me dépanner. A quoi bon défaire chaussure et chaussette pour constater les dégâts ? Je poursuis ma route tant bien que mal, en espérant que ça passe. Et ça passe.

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance.

Soudain j’entends un bruit, me retourne, et qui voilà ? Ce bon vieux Millou ! Toujours là, qui m’a rattrapé et sors de je ne sais où. Je m’excuse de sentir le chien mouillé, mais ça n’a pas l’air de tellement gêner. Le pauvre a l’air perdu. Quelques caresses, et je repars.

Ca grimpe, encore. La neige a fait son apparition par endroit. Ce n’est pas bien gênant. En revanche le sol est bien humide, les pieds sont trempés depuis longtemps, on n’est plus à ça près.

Enfin, au kilomètre 77, se dresse fièrement le buron des Bouals ; belle bâtisse. Je suis venu à bout de cette troisième étape que je redoutais tant. J’en suis à 13 heures de course, mais je vais bien, le moral est bon. Je n’ai pas vu passer les 4 dernières heures, j’ai adoré cette partie. Et je suis alors convaincu que je vais pouvoir aller au bout, que mon exploit est possible. Je vais le faire, je le sais.

Je pénètre dans le buron, il y a du monde, dont le-gars-au-T-shirt-jaune que je retrouve avec plaisir. J’ai de l’avance sur la barrière horaire, et je m’accorde 30 minutes de pause avant de repartir : du repos me fera du bien. Je bois, je mange, j’ai froid. Une soupe brulante aux vermicelles me régénère. Puis je me jette sur des tartines de fromage de chèvre ou de roquefort sur du pain d’épice : un délice.

Je finis par m’intéresser par ce qui se passe autour de moi : certains sont mal, et abandonnent. L’endroit se vide, le-gars-au-T-shirt-jaune me dit qu’il repart (je ne le reverrai plus) et me retrouve quasiment tout seul avec les bénévoles et l’organisation. Je discute, je prends mon temps, les 30 minutes ne sont pas écoulées. Une ou deux tartines de plus, pour la route. Avant que le piège ne se referme, il est temps que j’y aille. Je suis trop bien ici, il ne faut pas traîner : j’ai une course à finir. Je salue tout le monde, et me résous à repartir.

Cela fait 13h30 que j’ai quitté Bertholène, j’ai 1h20 d’avance sur la barrière horaire du buron, ça va le faire. D’après la feuille de route, la prochaine barrière (la dernière !) est dans 10 kilomètres seulement. Placée à 16h15, j’ai donc 2h45 devant moi pour faire ces misérables 10 kilomètres : une formalité ! D’autant plus que le profil a l’air facile, sur le papier.

Je pense que j’ai bien géré ma course jusqu’à présent, mais pas le moment de s’endormir. C’est reparti.

4ème étape : Buron des Bouals - Saint Geniez d’Olt (29km d+638m d-1548m)

Je ne le sais pas encore, mais me voici lancé dans une longue chevauchée en solitaire. Pendant 1h30, je ne verrai personne. Je suis seul au monde. Par chance, le parcours est assez simple : pas de grosse pente, et les sentiers sont plutôt praticables. Ca devient dur d’avancer, les jambes sont très lourdes.  Je me force à relancer dans les descentes et sur le plat, mais ça me coûte de plus en plus. Je ne regarde plus ma montre, à quoi bon. J’ai perdu la notion du temps depuis bien longtemps : 14h, 15h de course … c’est irréaliste, ça ne veut plus rien dire …

Je ne me rends même pas compte que je me traine. Je tourne entre 5 et 5.5 km/h, c’est très lent. Je perds du temps. Mais j’avance.

La nuit tombe, je renfile la frontale. L’atmosphère change.

Au kilomètre 85, on attaque une vraie descente, je reprends un peu de vitesse, enfin. J’entends des pas, un souffle derrière moi : une présence humaine. Le gars descend bien, et m’enrhume.

Je regarde ma montre : je réalise alors que j’ai perdu énormément de temps. La confortable avance que j’avais vis-à-vis de la barrière horaire s’est considérablement amenuisée. Il ne faut pas que je traine. Je dois passer la dernière barrière du kilomètre 87.

Le kilomètre 87, nous y voici. Personne. Je continue, les hectomètres défilent, kilomètre 88, toujours rien … Où sont-ils ?

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance.

J’entends un énorme grondement, comme un bruit de moteur. Enfin j’y suis ! La fameuse dernière barrière horaire. Je suis soulagé, mais ne m’arrête pas. De toute façon il n’y a rien à y faire, et l’endroit est sinistre. Je suis passé, avec à peine plus de 30 minutes d’avance sur le couperet. C’est peu, mais ça suffit : victoire ! Je vais finir, je vais être classé, mais je suis trop fatigué pour m’en réjouir.

Il reste une quinzaine kilomètres. La veille, ces 15 derniers kilomètres me paraissaient être une formalité. Ils vont être un calvaire.

Ca commence par une rivière à traverser. Pas de pont. Satanés Aveyronnais : ils ont fait le viaduc de Millau, mais ils ne sont même pas foutu de construire un petit pont de bois pour franchir le Merdanson. J’enrage : l’eau est profonde, il y a du courant, et juste une corde entre deux arbres pour se tenir.

Bon, pas le choix, il faut y aller, se jeter à l’eau comme on dit, sauf qu’ici le sens propre rejoint le sens figuré. De l’eau jusqu’aux genoux, sur plusieurs mètres. Au point où on en est.

Ensuite le sentier longe la rivière pendant un moment. C’est surement très agréable de jour, avec des jambes. Je galère, je me traine. Le sentier est en léger dévers, il y a plein de cailloux, énormément de boue, mes foulées se font de moins en moins précises, je ralentis encore, inexorablement.

Une bonne nouvelle toutefois : un groupe de deux m’a rejoint. Deux gars qui visiblement se connaissent, et trouvent encore des choses à se raconter après plus de 16 heures de course. On fait un bon bout de chemin ensemble, on va se suivre un moment. Même si je suis trop crevé pour faire la conversation, leur présence me fait du bien. Je leur ouvre la route, mon rythme semble leur convenir.

Kilomètre 93 : ça monte, sévère. La petite bosse annoncée est une montagne. Je maudis les organisateurs, les traite intérieurement de sadiques.

Ca redescend enfin, mais ce n’est pas pour autant que je vais plus vite. Les kilomètres ne défilent plus : j’en viens à me demander si ma montre n’a pas basculé en miles à mon insu. Ma vitesse est ridicule : entre 3 et 5 km/h, y compris sur le plat et en descente. Il me reste plus de 10 kilomètres à faire : moi qui me pensais arrivé,  je réalise avec effroi qu’à ce rythme, j’en ai encore pour des heures.  Encore un coup sur le moral, mais que faire ?

De toute façon, faut avancer. Alors j’avance. Très lentement, mais j’avance, grappillant mètre après mètre.

Une deuxième montagne à franchir, vers le kilomètre 95. C’est un véritable mur, c’est encore plus raide. C’est dur, mais ça passe.

On enchaîne par une grande descente. Mes cuisses sont au supplice, je crois que je préfère encore monter, finalement.

Ca tombe bien, on attaque la dernière difficulté, une ascension d’un kilomètre et demi. C’est très long.

J’arrive à monter, malgré tout, à tel point que je lâche sans le vouloir mes deux compagnons. Je suis certain qu’ils me reprendront dans la prochaine descente.

Ma montre m’annonce que j’ai terminé le 100ème kilomètre ! C’est symbolique, bien sûr … Mais ça fait du bien. On se raccroche à ce qu’on peut.

On attaque enfin l’ultime descente, sur près de 3 kilomètres, elle est trop raide pour mes cuisses meurtries. Je suis en dessous de 4.5 km/h. Mes deux compagnons (qui sont désormais trois) me rattrapent, me dépassent. Ils ne vont pas bien vite mais je ne peux plus les suivre. Je comprends que je vais devoir terminer seul. Encore un coup au moral.

Je ne vois toujours pas Saint-Geniez. On longe un ruisseau. Je marche comme je peux. J’attends la ville. Je vois une magnifique salamandre au milieu du sentier, je la prends en photo : une belle excuse pour m’arrêter de marcher un instant.

Enfin, des maisons ! Le panneau Saint-Geniez tant espéré est là. J’y suis, c’est gagné.

Je ne me fais pas d’illusions : ces vicelards d’Action 12 ont certainement prévu de nous faire faire trois le tour de la ville avant de rejoindre le gymnase, mais ça sent malgré tout l’écurie. Le moral est à nouveau bon. Je mesure à peine la portée de ce que je viens d’accomplir, il me faudra certainement du temps pour en prendre conscience. Je suis encore dedans.

On arrive sur les bords du Lot. J’aperçois 100 mètres devant moi un coureur, ou plutôt un marcheur, pas loin du rampeur. Je « sprinte » pour le rattraper : il a l’air encore plus mal en point que moi, va moins vite. Mais bien sûr je décide de l’attendre et de finir avec lui.

Un Toulousain, très sympa. Il m’explique qu’il se traine un syndrome de l’essuie-glace depuis des heures. Lui aussi a hâte d’en terminer. On discute, je ne vois pas les minutes passer, je ne sens plus la douleur et la fatigue.

On traverse le Lot, on aperçoit le gymnase. On décide de finir en courant. Il m’explique qu’il a un rituel bien à lui : à chaque fois qu’il termine un ultra, il fait les derniers mètres en portant un drapeau occitan ; il fait ça en hommage à son grand-père. Il me propose de le porter à deux. J’accepte avec grand plaisir, lui dévoilant mes profondes racines également toulousaines.

Et c’est ainsi, après 19 heures, 38 minutes et 54 secondes, que nous pénétrons dans le gymnase et passons la ligne d’arrivée : à deux, en courant, le drapeau d’Oc flottant haut au-dessus de nos têtes.

 

Après l’effort, le réconfort …

Vue l’heure avancée de la nuit, je craignais de trouver un gymnase désert, sans vie, … et sans aligot !

Il n’en est rien. Bien sûr, les tables sont clairsemées … Le gros des troupes est arrivé depuis longtemps, je sais que nous faisons partie des derniers. Malgré tout, l’endroit me semble agréable. Je retrouve les deux compagnons que j’ai perdus dans la dernière descente avec plaisir, les félicite.

Il est 2 heures du matin, et une dame est toujours et encore en train de touiller l’aligot. J’espère pour elle qu’ils se sont relayés depuis 17 heures… Une fois servi, je m’installe à une table et papote avec d’autres rescapés. Je me régale, je suis affamé.

Ainsi se termine l’UTA, dans une convivialité joyeuse qui aura été la règle du début jusqu’à la fin.

 

Les résultats

L’objectif était d’aller au bout, et je l’ai fait. C’est ma victoire. Le reste, le chrono, le classement, m’importent peu. Mais il faut bien en parler.

19:38:54. Ces chiffres me donnent le tournis. Comment ai-je pu tenir aussi longtemps ? Le corps et l’esprit humain ont décidemment des ressources qui ne finiront pas de m’étonner.

Mon classement : 126ème (ex aequo avec Cédric, le Toulousain) sur 215 inscrits, 198 partants, et 144 arrivants. Seulement 17 personnes sont arrivées après nous… Grand coup de chapeau à Sebastien, dernier arrivant après presque 22 heures d’effort : j’étais déjà au fond de mon lit…

Pour la petite histoire, Cédric et moi avons fini … derniers ex aequo de notre catégorie SEM ! Il en faut bien un, et pour la première fois … c’est moi !

Ce qui est frappant, c’est le nombre important d’abandons : 27% d’abandons, ça me parait énorme. Je mesure encore un peu plus la difficulté de cette course, qui ne fait aucun cadeau. J’en savoure d’autant plus mon accomplissement, celui d’être arrivé, tout simplement.

 

Bilan de la course

Cet Ultra Trans Aubrac est de très loin la plus belle course, mais aussi la plus difficile à laquelle il m’a été donné de participer. 

La plus belle, par la richesse et la variété des paysages traversés, grandioses, saisissants, sauvages.

La plus belle, grâce à une organisation parfaite : gestion des inscriptions, excellente communication, clarté des informations, disponibilité des organisateurs, balisage impeccable, ravitaillements fournis, petits extras (feu d’artifice au départ, traversée du musée, ravitaillement surprise), repas d’après-course, et aussi et surtout la gentillesse de toutes et tous. Un grand merci.

Une belle course, mais aussi très dure. Dure, à cause de la distance. Dure, à cause du dénivelé, qu’il soit positif ou négatif, et de sa répartition particulière le long du parcours. Dure, car seulement trois ravitaillements étalés sur la distance, avec notamment une deuxième étape très longue (32km) et très difficile (dénivelé). Dure, car certains passages sont un peu techniques. Dure, car on est souvent seul. Dure, à cause du froid et du chaud, à cause de la pluie. Dure, enfin, à cause des conditions : de la boue, de la neige, des tourbières inondées, des rivières à traverser ; et encore, il parait que c’était une année particulièrement sèche !

Ces 20 heures de courses resteront à jamais gravées en moi, ce souvenir m’accompagnera désormais.

J’encourage quiconque se sent prêt à affronter de telles difficultés à franchir le pas et tenter l’aventure. Ne vous surestimez pas, abordez l’épreuve avec courage et modestie, préparez-vous en conséquence. Et vous découvrirez une région magnifique, préservée ; des gens adorables et compétents ; et aussi une partie de vous-même que vous ne connaissiez peut-être pas.

J’ai connu des hauts et des bas, bien sûr. Cela fait partie du jeu. Dans l’ensemble je crois avoir bien géré ma course, malgré quelques erreurs. La principale est la gestion de l’eau sur le deuxième tronçon : je pressentais que 1.5L d’eau ne suffiraient pas pour tenir 6 heures, et je suis parti malgré tout. De même, j’aurais du m’alimenter davantage au premier ravitaillement, une erreur que j’ai payée mais que je n’ai pas reproduite aux deux suivants.

Un mot sur mon entraînement : il a certainement manqué du dénivelé dans mes sorties longues. Un ou deux week-ends en montagne m’auraient certainement aidé à mieux aborder les interminables montées de l’UTA. De même, rallonger un peu plus mes sorties longues aurait pu s’avérer utile. Néanmoins, l’objectif était de terminer, et je l’ai fait : c’est donc que mon programme d’entraînement était bon !

Dernier point, et pas des moindres : courir sans bâton comme je l’ai fait, sur une telle distance et un tel dénivelé, est certainement un handicap. La grande majorité des participants de l’UTA avaient des bâtons, et il y a sûrement une bonne raison à cela ! Si c’était à refaire … je prévoirais quelques séances d’entraînement avec bâtons, et les prendrais avec moi le jour J : ils m’auraient été d’une grande aide pour avaler les 20 derniers kilomètres, quand les jambes n’en pouvaient plus.

Deux petites remarques à l’attention des organisateurs … à supposer qu’ils aient eu le courage de me lire jusque là …

La première concerne les ravitaillements : un ravitaillement supplémentaire en eau au cours de la deuxième étape aurait vraiment été appréciable (une grosse citerne à Briounès ?). Ceci étant dit, je conçois très bien que ça rajouterait de la logistique supplémentaire, et que vous ne disposez pas d’une armée de bénévoles corvéable à merci. Après tout, la gestion de l’eau fait aussi partie de la difficulté d’une course…

La deuxième concerne la dernière barrière horaire, qui me parait très rapprochée de l’avant-dernière. Je doute fortement qu’il soit possible à un coureur quittant le buron des Bouals à 20h50 de passer la barrière de la cascade avant 22h15, non ? 1h25 pour faire une dizaine de kilomètres à ce stade de la course et pour quelqu’un qui est dans les derniers, ça me parait très compliqué, pour ne pas dire impossible. Bref je serais curieux d’avoir le retour du serre-file du dernier tronçon (dont le prénom m’échappe, bien qu’ayant discuté avec lui au buron !), qu’il me raconte comment ça s’est passé…  

 

Et après ?

Puisque mon objectif est atteint … quel est le prochain ?

Aujourd’hui, je n’en ai pas. J’ai besoin de digérer tout ça, de laisser passer le temps. Et de profiter d’autres choses.

Il faut être réaliste : moi qui cherchais à atteindre mes limites, je crois que je les ai trouvées. A moins de remettre en cause de façon drastique mes programmes d’entrainement, je ne suis pas certain d’avoir les capacités d’aller encore plus loin, encore plus haut.

Suis-je prêt à faire les sacrifices pour encaisser le programme d’entraînement qui me permettrait d’aller chercher des courses en montagne avec plus de 6000 mètres de D+ ? En ai-je la possibilité, et surtout l’envie ? Non, je ne crois pas.

Alors quoi ? On verra bien … Prenons le temps de savourer ce qui a été accompli, avant de tourner la page, et en écrire, peut-être, une nouvelle.

Et puis, de toute façon, dans la vie comme en trail … faut avancer…

 

Et Millou, dans tout ça ?

Aux dernières nouvelles, d’après les organisateurs, Millou aurait été vu à Saint-Geniez, à l’arrivée. L’histoire ne dit pas si Millou a eu droit à son cadeau finisher, mais il l’a bien mérité, car lui aussi devait en avoir plein les pattes (sans compter qu’il en a deux fois plus). Une chose est sûre, il a sa place au classement, catégorie SEC (Senior Canin).

A moins que …

Et si Millou était une créature mythologique … un être imaginaire … qui hante les plateaux désertiques de l’Aubrac. Les Anciens racontent qu’une fois l’an, au printemps, une bête mystérieuse sort de son sommeil, réveillée par le bruit des pas lourds de centaines de drôles d’individus, et les guide à travers les nombreux pièges de cette région hostile. Si une marmotte a sauvé la vie de deux enfants de Saint-Geniez, pourquoi un petit chien ne servirait-il pas d’ange gardien à des centaines de coureurs ? Qui sait …

12 commentaires

Commentaire de Papakipik posté le 16-04-2014 à 20:56:55

Magnifique CR qui nous fait à la fois partager la beauté / dureté de cette course que je ne connaissais pas et tes sensations de coureurs dans lesquelles on peut facilement se retrouver. Repos complet pendant au moins 10 jours maintenant.
Petite question : quel était le dénivelé total ? Je ne crois pas l'avoir lu.

Commentaire de Feneb posté le 16-04-2014 à 22:50:29

Merci de m'avoir lu. Entre 3500 et 3700d+ selon les organisateurs (25000d+ d'après mes jambes). Si jamais tu cherches une sortie longue longue un samedi d'avril, n'hésite pas à tenter l'aventure : elle en vaut la peine !

Commentaire de pacman posté le 16-04-2014 à 21:52:53

Que ton récit fait du bien! Beaucoup d'air frais. Je croyais être un des seuls à avoir cet état d'esprit dans l'approche de ce sport! Merci merci et encore merci! Cela a fini de me gonfler le moral pour mon défi à moi qui s'approche: J-4 avant mon 1er ultra en terre ariègeoise: les citadelles et ses 70kms.
Et surtout bravo!

Commentaire de Feneb posté le 16-04-2014 à 22:52:06

Merci pour ton commentaire ! Et bonne chance pour les Citadelles, un autre trail qui me fait rêver ... Tu devrais te régaler !

Commentaire de __icecool__ posté le 16-04-2014 à 22:30:26

"De toute façon, faut avancer. Alors j’avance." c'est quasiment nietzschéen, j'adore !
Bravo pour ta course, et ton CR.

Commentaire de lolod posté le 17-04-2014 à 15:45:46

Magnifique récit de cette épreuve qui ne laisse pas indifférente.
Tes sensations personnelles sur cette course évoque en partie celle que j'ai pu ressentir sur le Tor des Géants. Une sorte de plénitude à travers des contrées grandioses.
Bravo pour ta persévérance et bonne continuation sportive.

Commentaire de brague spirit posté le 17-04-2014 à 17:39:43

Meme si c'est long,c'est bon à lire.C'est vrai,que cela doit changer de la RP.
Sans doute une bonne reflexion,durant ce long périple,avec une belle fin.
Pour l'eau sur le bord des chemins,il ne faut pas hésiter.Au pire,un bon lavage des intestints.

Commentaire de VieuxFred posté le 17-04-2014 à 21:12:41

Un TRÈS grand bravo pour ta course. Tout ça me donne envie. Je suis un peu dans ton cas, mais avec une bonne année de décalage : pour l'instant des marathons, l'année prochaine l'Ecotrail80 et ensuite.... Ce TransAubrac a vraiment l'air très sympa, je le garde dans un coin de ma tête : tu fais un excellent publicitaire :-)

Commentaire de jymm posté le 18-04-2014 à 13:34:14

salut FENEB...quelques kils ensemble ou tu as imprimé un bon train dans les montées .. on t'as perdu dans la descente mais je voyais ta frontale derrière ...
un beau récit ...
ahh.... oui!!! millou est une millette et a séjournée un petit moment sur mon futon dans la voiture le temps que je prenne mes affaires pour la douche ..

Commentaire de Feneb posté le 18-04-2014 à 15:27:40

ça alors ... Millou est une fille !

Commentaire de OF82 posté le 18-04-2014 à 21:37:58

Une bien belle histoire qui me rappelle d'excellents souvenirs. Bravo et bonne récupération !

Commentaire de Ironmickey posté le 20-04-2014 à 12:35:36

BRAVO. Je termine seul dans la nuit 01H10 après toi. Le but était également de finir. Un mois avant je faisais le trail du Ventoux et je me disais "Comment je vais faire pour terminer un105km dans moins de 4 semaines"... J'y suis arrivé en gérant. J'ai peut être passé un peu trop de temps au ravito. En effet les bâtons sont d'une bonne aide sur ce type d'épreuve. Je confirme j'ai vu Millou à Laguiole et ... à l'arrivée. Impressionnant ce chien. Bonne continuation.

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