Communauté des sports d'endurance

Février 2013, la tempête de neige souffle sur l'hivernale de Méaudre réduisant la visibilité à moins de 10m. Avec une grosse brassée de fanions, je pars en urgence refaire un balisage serré dans la plaine, contre le vent et les bourrasques de neige. La piste traverse le ruisseau sous la neige mais je passe quelques mètres trop loin. Le pont de neige cède, mauvaise réception dans l'eau glacée jusqu'à mi-mollet et c'est le début d'une longue galère avec une mauvaise hernie discale. Deux mois où simplement bouger est douloureux. Puis je reprends la marche, au plat quelques dizaines de minutes par jour, avec beaucoup d'étirements, puis sur sentiers avec les bâtons et toujours ces étirements, du renforcement musculaire et encore des étirements. Je m'essaie à trottiner ça fait mal mais chaque semaine je gagne un peu avec mon kiné. Puis je trottine en cote entre Grenoble et St Nizier et il y a 15 jours je vérifie le parcours du prochain UTV, en deux jours, toujours en trottinant. Alors les foulées Méaudraises sonnent ce week-end comme une revanche à prendre : c'est là que tout s'est arrêté, c'est là que je dois reprendre. Un essai de chrono sur mon parcours fétiche dans les flancs de la bastille à Grenoble me montre que j'ai gardé le foncier avec la marche-bâtons et les jambes avec les séances de RM mais le cardio n'est plus là : je me traine grave par rapport à mes chrono de référence.

 

Samedi après midi, enfin j'accroche ce dossard tant attendu sur mon tee-shirt. Cette sensation que j'avais presque oubliée en 6 mois. Je retrouve les potes de CAP-Vercors et un joyeux nid de kikous qui s'enquièrent de ma santé et me charrie un peu sur ce retour peut être prématuré. Mais ça fait du bien de vous retrouver et venir en découdre avec vous. Ma grande fille est là aussi, sur la même course. Elle est pas mal affutée. Pourvu que....

 

Ça part très vite sur le faut plat descendant dans le village. Je sais que ce profil légèrement descendant est redoutable pour mon dos malgré le gros amorti des hokas (et oui, ils font enfin des pointures pour homme,... en 49,5!) alors je laisse partir. Très vite la course se stabilise sur le plat de la portion de voie verte très roulante. Le nid de kikous est à mes trousses, Foxtrot 50m devant est partit vite pour moi. Je sais que je suis devenu un « gros diesel » sans entrainement de vitesse depuis 6 mois et je vais donc courir au « couple max » ! Dans la première côte quelques coureurs commencent déjà à marcher. De mon coté je raccourci la foulée et garde le rythme. En haut de la côte Foxtrot est toujours à vue, la distance qui nous sépare est stable. Le nid de Kikous profite lâchement d'une section plus roulante pour relancer et venir me rejoindre. Le dos semble de faire oublier alors j'allonge un peu la foulée sans laisser monter le compte-tour. J'entends derrière moi un « P'tain t'as de trop grandes jambes » et mes compagnons relâchent un moment le rythme. Il fait chaud et je bois beaucoup : en fait je vais passer une gourde complète de 500ml sur ces 6 premiers Kilomètres.

 

Sur cette épreuve j'ai un énorme avantage : je connais chaque mètre du parcours pour y avoir joué le bénévole et fait passer l'UTV. J'ai parcouru cette section avec Kailassa qui me l'avait décortiquée, la longue montée finale qu'il faut absolument courir avant le ravito, le coup de cul sévère à mis-parcours... tien, puisqu'on en parle le voilà ! Foxtrot toujours à distance coupe dès le bas. Hé ! Ho ! Les 50 premier mètres se courent Claude ! Écoute pas ta tête qui dit que ça va piquer les jambes ! Ça piquera de toute façons ! Et je fais la liaison en petite foulée. Dans la bosse mes longues jambes font la différence pas après pas. Derrière ça replonge et je sais que je ne pourrai pas aller vite dans mon état. Je m'attend à voir passer le Renard Vengeur dans un nuage de poussière mais l'attente sera vaine. Soit j'ai beaucoup creusé dans cette côte, soit il ose pas et reste à l'aspiration. Je ne me retourne pas. Je ne me retourne plus guère en course depuis qu'un certain Frédéric Desplanche m'avait dit :

• « Tu te retournes... mais si quelqu'un revenait sur toi tu pourrais accélérer ? »

• « Non ! »

• « Alors pourquoi tu te retournes ? »

Ravito du 6èmeKm. Je remplis la gourde, avale un verre d'eau et go ! Depuis un moment j'ai un « ancien » en point de mire, je suis sûr qu'il est V2. Notre écart est stable, je reviens sur lui dans la bosse, il refait le trou dès que c'est roulant. Les petites côtes sur cette crêtes ne sont pas méchantes mais plusieurs fois je le vois passer en mode marche. Dans les longues descentes caillouteuses je reviens sur lui (merci les hoka) mais dans la section goudronnée avant le second ravito, qu'est ce qu'il me met dans la vue ! Il ne s'arrête pas au ravito, moi non plus. Derrière je sais qu'il y a un mur à remonter. Kailassa, qui est justement là pour nous encourager, m'a toujours dit que lui il le courrait, donc c'est possible ! Enfin, presque, n'est pas kailassa qui veut ! Mais je sais que c'est là ou jamais : dès que ça monte moins je trottine et je fais la jonction avant le sommet. On a rattrapé un concurrent, je les double en trottinant alors qu'ils marchent. Ils relancent et me repassent 30m après puis re-basculent en mode marche. Je repasse et j'allonge : leur montrer (ou faire croire au moins) que je peux ! Je maintiens la foulée ample sur la crête sans me retourner, ne pas leur montrer qu'ils peuvent revenir, et j'ai maintenant un nouveau coureur en point de mire. Au bout de la crête il hésite dans la chicane, la rubalise a glissé derrière le poteau de la clôture, et je me retrouve 10m devant lui quand on aborde la dernière portion de chemin, vent de face. On a le même gabarit, je ralenti et lui propose qu'on fasse des relais face au vent. On a 100m d'avance sur nos deux poursuivants. Il a une douleur musculaire depuis un moment et me dit qu'il ne pourra pas accélérer. La descente sur la route, la dernière petite côte où il a un peu plus de mal que moi « ne lâche rien, on est arrivé ! » et on franchit ensemble la ligne d'arrivée !

 

Je rêvais de cette reprise à Méaudre, je ne la rêvais pas aussi belle ! Le nid de kikous arrive juste derrière, on se tient en quelques minutes. Coca, bière et 15mn après c'est ma grande fille qui en termine, première cadette avec un sourire jusqu'aux oreilles !

Le V2 avec qui j'ai longuement bataillé est... le premier V3 ! Respect !

 

Que dire de la course ? La routine pour Méaudre et la « bande à Ludo » ! Un parcours sélectif, exigeant, plus taillé peut être pour des « crossmans » que des ultra-traileurs par son coté cassant mais terriblement plaisant. Des bénévoles de partout pour prendre soin des coureurs et les encourager, un buffet d'après course énorme... comme d'hab' à Méaudre. Manquait peut-être juste un druide ce coup-ci !