L'auteur : romher
La course : L'Endurance Ultra Trail des Templiers
Date : 21/10/2011
Lieu : Millau (Aveyron)
Affichage : 6190 vues
Distance : 112km
Objectif : Faire un temps
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254 autres récits :
Film complet de la course
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Profil et parcours de la course
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Par où commencer ?
… Septembre 2010 : je pèse 86 kg pour 1,79m. J’ai un IMC de 27 (surpoids) et suis incapable de courir 5 minutes. Cela fait près de quatre ans que je n’ai quasiment pas fait de sport. Beaucoup de boulot et de restau, peu de dodo. Un an plus tard, j’ai ma santé un peu plus en main. J’ai repris la CAP, je pratique le trail que j’ai découvert avec un ami depuis février. J’ai poussé jusqu’à un premier ultra, en mai : l’Ultra Trail de Cote d’Or, un très joli parcours assez accidenté dans les collines surplombant les grands crus de Bourgogne. Je l’ai terminé dans de bonnes conditions en 11h13 pour 86km/2700m D+. Seul mon genou droit m’aura fait souffrir d’une chondrite rétro-rotulienne dans les jours suivants la course. Première blessure depuis que j’ai repris mon entrainement fin 2010. Je la surmonte. L’Endurance Trail des Templiers est devenu un nouvel objectif et il aura rempli mon été d’un entrainement assez soutenu, complété de gainage et d’une bonne préparation physique générale.
21 octobre 2011 : je pèse 69kg, mon IMC est de 21,5. Je suis au repos depuis 14 jours, à l’exception de deux sorties d’une demi-heure ces trois derniers jours, chacune suivie d’une longue séance d’étirements. Je suis devant un monstre : une course réputée magnifique de près de 110km et 5000m de dénivelé positif, dans un décor qui m’est totalement inconnu. J’ai tout le profil de course en tête ainsi que quelques objectifs horaires, histoire de cibler mes différents rythmes et de ne pas me griller trop vite. J'ai regroupé tout cela sur une petite fiche de course, plastifiée avec du scotch (voir ci-dessous). En pratique je ne la consulterai qu'une seule fois, à Veyreau, un peu au-delà de la mi-course.
2h15 – Le réveil sonne
Tout est prêt. Il n’y a plus qu’à enfiler le déguisement du parfait trailer. Quelques noix de crème Nok viennent enduire mes pieds, et un Compeed préventif fait déjà des siennes pour prendre sa place sur le coté intérieur de mon talon gauche. Je saute dans mes runnings : le petit déjeuner est servi jusqu’à 3 heures du matin, après quoi tout ferme à double tour et l’hôtel retournera à son sommeil, sans aucun personnel disponible, ni aucun accès hormis les issues de secours. Je lace rapidement mes chaussures, et me dis que j’aurais largement le temps de les re-serrer plus tard. Thé, pain, banane, rien d’excitant, j’ai peur d’avoir trop mangé la veille. Ambiance feutrée, légèrement anxieuse. Un sympathique coureur du sud-ouest se propose pour m’emmener sur le départ en voiture, m’épargnant 15 minutes de marche dans le froid de la nuit. Un bon massage abdominal me permettra de m’alléger un peu plus avant de partir. Je quitte ma chambre un peu précipitamment, ayant pris un peu de retard. La porte se refermera sans que je puisse la ré-ouvrir : ma petite famille arrivera ce soir avant moi, j’y laisse ma clef. In extremis, dans le dernier entrebâillement de porte j’aperçois mon dossard encore suspendu à l’échelle du lit superposé : une poussée d’adrénaline, un pied dans la porte, j’évite la catastrophe. Nous voici en route vers le départ.
4 heures du matin – Millau (621 coureurs au départ)
Il fait frais mais il fait bon. Moins 2 degrés au thermomètre, pas de vent. Le mercure ne devrait pas monter au dessus de 14°C dans la journée. Le ciel est tout étoilé. Aucun nuage n’est annoncé pour masquer le quart de lune qui nous accompagne ou le soleil qui nous réchauffera plus tard. Mon blouson (légère « softshell » respirante sans capuche de Salomon) couvre mon Camelbak que j’ai rempli d’eau chaude et de quelques pastilles de sels. Bonnet Odlo, sous gants Mizuno, gants de course Asics coupe-vent, manchons de compression Sigvaris sur les mollets, sous mon collant intégral taille S (oui, je mets du Small maintenant). Une genouillère Zamst me maintient la rotule droite, à titre préventif. Je cours pour la deuxième fois avec mes Trabuco 14 que j’ai rodées sur un 45km/1400m il y a 4 semaines. L’accéléromètre de mon vieux Polar S625X y trône sans complexe. Je porte un T-shirt technique sous une vieille Polartech Asics qui m’a toujours procuré une excellente régulation de température, même si elle est un peu grande aujourd’hui. J’ai choisis de ne prendre aucun autre vêtement : je pars en configuration maximale, et je devrai m’en accommoder pour retourner dans la nuit et le froid en fin de journée. La place disponible dans mon sac est réservée pour mes gels, mes barres et mes pastilles de sels électrolytes. Manger et boire en permanence m’a bien réussi lors de mes trails précédents, alors j’ai pris le risque de me charger en alimentation personnelle, même si les ravitaillements de cette course sont réputés être richement fournis.
Tout le monde est rassemblé derrière la ligne de départ…. La fameuse musique d’Era se met en route, un petit pincement au cœur (ca y est, j’y suis !). Speaker. Le peloton démarre doucement. Un kilomètre ou deux de bitume et il est temps pour chacun d’allumer sa frontale. Joli ballet sinueux de lucioles dans l’agréable montée sur le Causse Noir. Cela réchauffe juste ce qu’il faut pour être bien en température. La montée se fait finalement assez rapidement. Arrivé en haut je me fixe sur une idée : me découvrir. C’est plutôt idiot car nous allons être à plat ou en descente douce durant les deux prochaines heures sur un plateau qui peut être exposé au vent et avec une température qui pourra encore baisser à l’approche du soleil levant. Je m’entête donc et enfreins ma règle de base : ne m’arrêter qu’aux ravitaillements de la course. J’enlève ma softshell, je la mets en boule et je tombe le sac pour l’y mettre, dans le filet externe. Manque de chance ma petite poche ventrale qui s’enfile sur la ceinture de sac tombe par terre, je la ramasse, renfile le sac et essaie de renfiler ma poche sur la ceinture : impossible avec les gants. Il me faudra 5 minutes pour y arriver, envisageant même à un certain point de repartir en la tenant à la main. 5 minutes c’est énorme, l’essentiel du peloton me passe devant, mais à ma surprise, il reste encore du monde derrière lorsque je repars : je ne suis pas le dernier !
Le parcours sur le plateau est agréable, ambiance de course de nuit, tranquille. Je ne sais pas si la culpabilité de mon arrêt dope mon rythme. Il fait frais (!) et je vois parfois tomber le givre matinal dans la lumière de la frontale. Heureusement je n’en suis pas à avoir froid, mon T-shirt et ma Polartech me régulent bien... je resterai ainsi jusqu’au soir. La descente vers Le Rozier se précise, avec une monotrace qui descend en lacets dans la rocaille. Cela pourrait aller plus vite, mais je choisis de ne pas doubler, nous sommes de nuit, mieux vaut rester prudent. Les quelques uns qui s’exposent aux dépassements font prendre des risques à tout le monde. Mes bâtons sont dépliés : ils sont pour moi avant tout une protection pour mes genoux en descente, et plus accessoirement un soulagement pour mes quadriceps en montées sur longue distance. Le parfait scénario de l’horreur : pied gauche à plat, pointe tournée vers l’intérieur, l’appui est engagé, la jambe droite se rétracte pour amorcer son retour aérien vers l’avant, la pierre d’appui bascule, le pied gauche présente son bord latéral externe en guise de nouvelle surface d’appui, la cheville se montre docile et facilite l’opération en se mettant à angle droit. Le supplice est prêt : il ne manque plus que le poids du corps pour rompre cette articulation chaude et bien huilée. Les bâtons se trouvent être en position, les bras empoignent toute cette masse corporelle, la foulée droite survole la cheville suppliciée. Elle sera épargnée pour cette fois. Ma course est sauvée. Premier avertissement. Aussi serein qu’un condamné qui a senti sa sentence l’effleurer je poursuis ma route, esquissant une foulée proche de celle d’un canard afin de minimiser la possibilité de reproduire une telle bêtise. Traversée de Peyreleau de nuit, j'arrive au Rozier.
06h53 - Le Rozier : premier ravitaillement (353ème)
J’ai presque 15 minutes d’avance sur mon horaire cible, je me sens bien. Je tombe le sac, mets trois pastilles d’électrolyte dans ma poche à eau que j’arrive à remplir sur une table à l’écart des étals de nourriture. La salle n’est pas trop pleine, il y a de la place. Rien ne me plait guerre sur les stands sauf quelques morceaux de banane, et des boulettes de pain sportif. En repartant je suis pointé à la 353ème place.
Un bout de route, un pont, et nous voilà repartis à l’assaut de la nuit sur une monotrace sinueuse, avec un peloton tout à coup très éparse. Les Gorges du Tarn vont bientôt se dévoiler à nous. Je m’attends à de la dentelle et à de la douleur jusqu’au prochain ravitaillement. Il n’en sera rien : montée progressive, avec un palier rapidement atteint, dernières processions de lucioles dans le noir, premières lueurs du jour qui commence à poindre sous les falaises. Les découpes de crêtes se font de plus en plus claires, et les frontales de plus en plus rares. Un petit banc de brume nappe le Tarn en contrebas sur Les Vignes. Le décor est fabuleux. Nous passons quelques anciennes maisons nichées sous la falaise en des lieux totalement reculés, puis nous finissons notre ascension pour atteindre le haut du Causse Sauveterre, avec pour accueil, les premiers rayons du soleil. Ayant déjà consommé quelques gels j’opte pour la mastication d’une barre. Je découvre les Gorges du Tarn pour la première fois. De l’autre coté se trouve la suite de notre parcours, immense et impressionnant.
09h07 - St Rome de Dolan : deuxième ravitaillement (324ème)
Ravitaillement dans une toute petite salle située sur une place en plein soleil levant, au dessus du Tarn. Chaleur épouvantable et manque de place. Je remplis ma poche à eau à l’extérieur, par terre. Je ne passe pas totalement en « mode jour » : je range ma frontale, garde mon bonnet, enlève mes gants tout en conservant mes sous-gants, et fait de la place dans ma petite poche ventrale pour pouvoir me débarrasser plus tard du bonnet et des sous-gants. Quelques boulettes de pain sportif en main je repars aussi sec. J’ai quasiment trente minutes d’avance sur mon temps objectif. La descente est agréable. Le froid revient vite avec l’ombre de la vallée. Je redoute la montée à venir qui est l’une des plus sévères en terme de pente moyenne avec la montée finale. Jolie traversée des Vignes. La brume de l’aube en est déjà partie. La fraicheur est vite oubliée avec les premiers mètres de montée particulièrement raides, droit dans la pente. Les jambes vont bien. Les bâtons font passer la raideur.
Le Bruel, sur le Causse Méjean offre une vue splendide sur la fin des Gorges du Tarn. Quelques vaches jouissent de ce panorama à l’année. Nous en profitons le temps seulement de digérer la montée avant de redescendre pour plonger nos foulées sous les falaises et suivre un décor majestueux et dentelé sous une lumière de plus en plus belle. Un coureur m’aide à attraper ma casquette, sous-gants et bonnet rejoignent ma poche ventrale. Une monotrace monte et descend sans jamais s’arrêter, au détour de pitons, de promontoires, de parois claires, de forêts à pic, d’arches, et autres perspectives toutes plus belles les unes que les autres. Le rythme reste engagé mais tranquille. Par contre, dès le sortir de ce tronçon féérique, le rythme ralentit : le retour sur le plateau se fait moins dynamique. Moment opportun pour sortir le téléphone et donner des nouvelles au reste de ma tribu qui devrait être sur le point de prendre la route pour Millau. A cette occasion, j'apprends que la balise GPS/GSM (Nexxtep) que j’ai embarquée avec moi fonctionne à merveille : femme et enfants me suivent en live sur iPhone, la famille et les amis font de même sur internet, en 3D avec profil de course et vitesses moyennes par tronçon... Revenons à la réalité du terrain : j’ai le dessous du pied gauche qui commence à me brûler sérieusement. Je m’inquiète. Je n’ai pas re-serré mon laçage avant le départ. Quelques bouts de route en forêt nous mènent à La Viale, où je pourrai ajuster tout cela et où un ravitaillement en eau est indispensable : je suis à sec.
12h50 - La Viale : point d’eau
Charmant petit village caussenard. Ravitaillement en plein air, avec à gauche une sorte de point d’eau, et à droite, ce qui ressemble à un champ de blessés (!). Je remplis ma poche à eau sur un muret, j'y ajoute mes pastilles, et m’aperçois que quelque chose ne tourne pas rond : ça pisse de partout. Pour la première fois, j'ai réussi à mal revisser ma poche : tout fout le camp dans mon sac trempé ! Ce n’est fort heureusement pas trop grave car tout y est isolé de l’eau, petit sac par petit sac. Je suis bon pour recommencer mon opération de remplissage, décidément plus délicate dans cette configuration de course (sac plein). J’en profite également pour relacer ma chaussure gauche. Je crains vraiment de gros dégâts sous le pied : on verra comment les choses évoluent avec la grande descente à venir. J’attrape une barre énergétique sur une table et je repars (je trouve la barre assez mauvaise). Le parcours suit a priori le tracé modifié, comme annoncé, avec une petite prolongation normalement de 1,2 km. Nous passons à Saint-Pierre-des-Tripiers avant d’attaquer une descente… qui me semblera interminable. En réalité, je choisis de courir activement cette descente. Très pierreuse au départ, celle-ci devient très roulante, mais cela dure, dure et dure sans jamais finir ou presque.
Nous traversons Les Douzes, un charmant petit village dans le creux de la vallée. Un robinet absolument pas indiqué me permet de boire quelques bonnes lampées d’eau pour épargner ma réserve, et me voilà reparti pour une bonne petite grimpette vers le ravitaillement de Veyreau. Je suis bien. En fait, je ne sais pas si je me suis déjà posé la question, mais je suis vraiment bien. J’ai juste une petite faim. Pourtant je m’étais fixé pour objectif de prendre un gel (107kcal) toutes les demi-heures en plus des ravitaillements, complétés de quelques barres toutes les 3 heures si possible. Je vais quand même bien. La montée vers Veyreau est absolument magnifique, avec des vues sur les gorges de la Jonte qui sont imprenables.
14h45 – Veyreau : troisième ravitaillement (290ème)
J’arrive dans une vaste salle, pas trop encombrée. Quelques « Formule 1 » s’y font refaire une fraicheur comme un arrêt au stand peut l’y autoriser : osthéo et kiné officient au fond de la salle. Le protocole est invariable : ma sacro-sainte poche à eau doit être remplie, je m’y prends mieux cette fois-ci. Gants et bonnets rejoignent mon sac : ma poche ventrale doit être libre pour de la nourriture : j’ai faim ! Après une petite pause technique – imposant un travail malvenu de gainage des quadriceps**, selon un concept turc – je repars équipé de pain de mie et de pain d’épice, décidé à bien manger en route. Je constate que j’ai 20 minutes de retard sur mon temps objectif. Consultant mon petit profil de course je vois que j’ai 2h30 devant moi pour atteindre La Roque Ste Marguerite et presque une heure de plus pour le prochain ravitaillement Pierrefiche : celui-là, si je l’atteins, je me dis que plus rien ne m’empêchera d’aller au bout, et a priori rien ne s’oppose à ce que j’y arrive.
Ayant avalé tout ce que j’avais emporté, je me retrouve sur des sentiers assez larges, plutôt seul. Aucune envie de courir. Tiens, surprenant : je suis bien, je viens de bien manger, et je n’ai pas envie de courir. Je sors les écouteurs et j’enfile la musique sur les oreilles. La relance ne vient pas. Je décide de me ménager. Je suis bien, pourquoi ne pas écouter mon feeling du moment. Pourquoi relancer ? Je choisis d’adopter une marche active. Premier constat : je me fais dépasser par un certain nombre de coureurs. Par contre, à ma surprise, le rythme actif de marche que j’adopte, avec les bâtons (est-ce cela que l’on appelle la marche nordique ?) me fait atteindre une vitesse moyenne située entre 7 et 7,5 km/h selon mon accéléromètre. Or, il se trouve que mon objectif de course pour cette portion de la course était plutôt inférieur. Je décide donc de ne pas me laisser désorienter par ceux qui me dépassent et je poursuis ma marche active.
Nous arrivons sur Saint-André-de-Vézines : je me perds, mais évite le désastre. Au cœur du village, je m’extasie devant un joli toutou se relaxant au bout de sa chaine (je n’aime pourtant pas particulièrement les chiens). Dans le même temps je prends à gauche. Je me pose bien quelques questions, et vérifie si je suis suivi – je ne le suis pas – mais finis par voir au loin plein de banderoles de signalisation, vers lesquelles je me dirige donc. Je suis totalement en dehors du parcours. S’agissait-il de travaux à venir, ou bien du futur ravitaillement pour la grande course du dimanche ? Je n’en saurais rien. Je m’interroge sur l’absence évidente de mes suiveurs, mais refuse de rebrousser chemin. Une voiture de l’organisation viendra opportunément me confirmer mon erreur et m’indiquer la direction à prendre. Quelques bons de cabri et une bonne poussée d’adrénaline me remettent rapidement sur le chemin que j’ai dû rallonger d’un petit kilomètre seulement.
Je marche, mais je rattrape tous ceux qui m’ont dépassé en courant. Peut-être que les jusqu'au-boutistes de la course ne marchent pas aussi bien qu’ils ne courent ? Je retrouve une paire de coureurs que je continuerai de rattraper à chaque montée et qui me dépassera à chaque descente. Les découpes de la roche au-dessus de La Roque Ste Marguerite sont une pure merveille. La descente sera longue, et pas toujours très agréable, avec un long déplacement transversal ponctué de remontées et de passages en dévers, heureusement sur terrain sec. J’accuse cinquante minutes de retard sur mon horaire arrivé en bas, à la traversée du pont. Mais je suis confiant : mon horaire était optimiste et je suis bien. Pour la suite j’ai prévu des temps très lents sur ma fin de parcours donc je ne devrais pas accentuer mon retard. Nous verrons bien à Pierrefiche, et avant ça, je compte prendre la température de ma forme dans cette dernière grande ascension avant la montée finale du Monna que je redoute tant. Ca monte, monte, et monte, parfois droit dans la pente, parfois en lacets, dans les sous-bois, sans grande distraction. De la montée à bouffer, comme le trop de mie d’un pain de mie bourré dans une bouche un peu sèche : pas de craquant pour faire saliver. Le jour baisse. Mon retard me fera certainement rater les plus belles lumières à voir depuis le plateau du Larzac. Ca monte toujours. Pierrefiche du Larzac est en vue. C’est là que je vais me rééquiper pour la nuit.
18h45 – Pierrefiche-du-Larzac : quatrième ravitaillement (269ème)
Le village est charmant. J’ai moins d’une heure de retard sur mon horaire. Avec l’arrêt à venir, cela fera sûrement une heure pile de retard. Je pointe en 269ème position, toujours en progression sur le classement général, ce qui est un indicateur rassurant. La salle de ravitaillement est minuscule et pleine à craquer. La plupart des coureurs sont assis. Je n’ai aucune envie de m’asseoir. Ma devise : perdre le moins de temps possible. Je pose mon sac par terre, sous une table. J’en sors les gants, le bonnet, les derniers gels, les dernières barres, mon blouson, je change les piles de la frontale, je m’équipe. Je choisis de ne pas changer la batterie de ma petite caméra, qui devrait tenir a priori. Trois thés sucrés, quelques morceaux de pain engloutis, je repars en mangeant une banane complète et au moins quatre boulettes de pain sportif. La nuit tombe. La nuit arrive. Je suis sauvé, j’ai atteint Pierrefiche et j’en repars : dans ma tête je suis certain d’arriver au bout de cette aventure. Avec un très grand étonnement je m’apercevrai après la course que mon arrêt aura duré presque 19 minutes à Pierrefiche – ce que je ne m’explique toujours pas. Mon objectif est de m'arrêter un minimum : tous mes autres arrêts sur ce parcours auront duré entre 6 et 7 minutes, ce qui est déjà pas mal.
Je reprends un rythme actif de marche. Visiblement je suis en dessous des 7 km/h. Je ne cours plus mais j’ai la patate. Le physique est là. La nuit m’enveloppe. Ma sélection musicale pour la course marche à plein sous la chaleur de mon bonnet. Je passe Muse, les All-Stars Afro Cuban, Marillion... C’est un jour de vacances que je passe à écouter de la musique. Je pourrais le faire dans mon salon, assis dans mon canapé. Non, j’ai choisis aujourd’hui d’écouter la musique dans la forêt, enveloppé dans la nuit. C’est une ambiance particulière et unique. Ma foulée nordique est certainement en cadence avec ces accords que je n’écoute pas assez souvent. La nuit avance. Moi aussi. Le viaduc de Millau apparait au loin, éclairé de ses piles, zébrant la nuit au loin. Il reste de la distance et des obstacles. La descente vers Le Monna n’est pas si roulante pour moi : je n’arrive pas à dérouler. Le bas de mes cuisses, coté intérieur, est plutôt fatigué. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour mon timing. L’arrivée ne sera pas aussi précoce que j’avais pu l’envisager. Mon public d’arrivée sera probablement contraint de m’accueillir dans la chambre d’hôtel… quoique, je suis équipé d’une balise GPS, je peux donc toujours être cueilli à point sur le finish. On verra bien. La descente interminable se poursuit d’un plat assez long mais attendu le long de la Dourbie. Un ou deux coureurs épuisés sur le bord du chemin me rappellent les dures conséquences d’un manque d’énergie. Ayant oublié de me réalimenter depuis Pierrefiche, je prends donc un ou deux gels et une barre protéinée. Surgissant de nulle part, une passerelle quasi-imaginaire nous fait traverser la Dourbie. Dans la pénombre, on distingue une douzaine de canoës portant notre foulée jusqu’à l’autre rivage. Nous quittons la forêt pour traverser Le Monna.
Il est 21 heures. Décidément, je n’arriverai pas à 22h00. Je me dis que la dernière difficulté du parcours est devant moi : la montée du Monna, tant redoutée. J’ai montré des faiblesses musculaires en descente, j’ai les jambes un peu raides, mais le physique est là et je suis bon grimpeur : cela devrait aller, d’autant que les premiers mètres de grimpette sont plutôt rassurants. Bon il faut être honnête, la montée est dure. Mais je m’attendais à pire. C’est juste un peu long. Je penserai plusieurs fois à ces supporters, amis, coureurs, ou famille, en train de regarder en direct sur écran cette petite balise GPS, ce petit point – moi – en pleine galère au milieu du profil ascendant de cette dernière montée. Ca doit être marrant à voir. Sont-ils plus nombreux à rire, à compatir, à hurler d’encouragements ? Je ne suis pas tout seul. Arrivant sur le plateau je me demande si je ne vais pas commencer à faiblir sur le physique : ai-je assez mangé depuis Pierrefiche ? Le ravitaillement n’est plus très loin, je verrai ce que j’y trouve, mais je dois absolument manger.
22h10 - La ferme du Cade : cinquième ravitaillement (250ème)
Nous arrivons dans une magnifique salle voutée toute en pierres. Ca pue la soupe (beurk). Ah il y a des tonnes de trailers qui adorent les soupes. Moi pas. Il en faut peu pour être indisposé après une journée de course. L’odeur me rebute. Je m’assieds pour la première fois. L’ambiance est étonnement calme, silencieuse… et sereine. L’objectif de toute une journée est à porter de main. Je me fais gentiment livrer deux thés sucrés sur mon banc. Je ne touche rien à mon équipement, pas de recharge en eau. Je repars avec plusieurs boulettes de pain sportif : il faut que je veille à ne pas faire d’hypoglycémie. Un peu rouillé sur le départ, je réattaque une marche aussi active que possible. Sur le plateau, quelques bosses nous attendent : pas de problème, j’ai les jambes pour monter…. C’est juste pour descendre que c’est dur, et c’est bien là le problème : c’est principalement ce qu’il me reste !
Un arbre de Noël apparait dans la foret. Il scintille de tous ses feux. Je m’écarte de sa trajectoire, mais il reste aligné avec la signalisation de course. Il rayonne de plus en plus dans la lumière de ma frontale - « Vous allez bien ? » - « ?!!...Oui, parfait ». C’est une secouriste en embuscade dans le noir, au sommet de la descente, avec un super gilet rempli de bandes réfléchissantes. Elle veille, elle sonde, prête à embarquer tout trailer délirant. Je passe un 4x4 dans lequel quelques uns se sont déjà fait prendre. Je plonge dans la descente finale. Je coule. Le bas de mes cuisses brûle. Tout droit dans la pente, ou bien remontant entre pierres et racines, la vue sur Millau est belle, mais le sentier est une véritable tuerie. L’arrivée sur la Grotte du Hibou est interminable. Quant à ma traversée de la grotte elle est inénarrable … avez-vous déjà entendu parler de trailers qui se sont égarés dans cette grotte ? Et bien je l’ai fait : je m’engouffre dans le premier boyau venu et constate qu'il se réduit petit à petit, au point que je doive finalement me mettre à quatre pattes, progressant plus doucement je finis par repenser aux photos de la grotte, et, me remémorant des coureurs en posture bien droite, je finis par rebrousser chemin. Il me faudra explorer un deuxième boyau, debout celui-là, avec un autre coureur, puis le troisième, avant de trouver le passage si chouette. L’arrivée ne devrait plus être très loin. Les lumières se rapprochent, les échos de l’animation d’arrivée se font entendre.
23h52 – Millau : arrivée (248ème)
Les derniers lacets du parcours se dénouent. Je retrouve ma foulée que je peux dérouler. Oui j’ai la patate d’être là. Il y a deux hurluberlus qui coupent tout droit à travers champs en haut sur ma droite ; ils finiront par me dépasser, peu m’importe, qu’ils me fassent de la place, j’arrive ! Je profite à plein de cette arrivée en solo sur l’aire d’atterrissage. Quelques cris de délivrance après 19h52. J’arrive au terme de cette course si belle et si longue, et je suis bien, …. et ma petite famille est là au complet pour m’accueillir alors que minuit va bientôt sonner ! Formidable journée.
Mon petit déjeuner d’après course m’expose à des discussions sur le kilométrage du parcours (que je n’ai jamais vraiment suivi) : il y aurait eu non pas 106 km mais plutôt 112 km, ce qui pourrait expliquer une bonne partie du retard sur mon objectif, le reste étant à imputer à ma faible performance en descente. Peu importe. Place à la récupération. Elle sera plutôt bonne : à part des jambes un peu raides le lendemain, aucune courbature, ni tendinite, ni chondrite ! Seul mon poplité droit, à l’arrière du genou, se fera un peu sentir trois jours plus tard. Pour ce qui concerne les pieds, je ne recenserai qu'une ampoule et un important besoin de Nok. Plus haut, quelques dégâts cotés frottements sur la peau : je dois mieux anticiper cela à l’avenir.
Coté alimentation, sur mes presque vingt heures de course, j’estime avoir ingurgité au moins 13 litres d’eau, 22 de mes 27 gels (2400 kcal), mes 5 barres de récupération (1000 kcal), une quinzaine de boulettes de pain sportif (3000 kcal ?), une dizaine de thés sucrés (200 kcal), l’équivalent de deux ou trois bananes (400 kcal), quelques crackers salés et quelques morceaux de pain d’épice (500 kcal), soient plus de 7500 kcal pour une dépense totale estimée à près de 13 000 kcal. Je retiendrai que la fatigue peut pousser à oublier de manger.
Voilà, j’ai terminé joyeux tout en confiant que c’était une « course de malades » compte tenu de la technicité des descentes jusqu'à la fin. Un bon objectif de travail pour les prochains mois. Mais comme à l’habitude, j’ai déjà mis à la benne tous les souvenirs les plus durs pour ne garder que les meilleurs… et je me prépare déjà à réfléchir mes objectifs 2012.
Une course fantastique donc, qui serait bien sûr d'une toute autre nature avec un terrain humide (...le grand beau temps a toujours été avec moi depuis que je fais du trail !). Il me reste de belles pistes de travail, de nouveaux objectifs à mettre en perspective, de beaux souvenirs, et plein d’émotions.
** « la chaise »
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8 commentaires
Commentaire de intuitiv posté le 30-10-2011 à 08:24:20
Bravo pour ton courage
Commentaire de Bouh posté le 30-10-2011 à 08:57:43
Tu as bien géré ta course tu as du me doubler dans la dernière descente...et je me souviens moi aussi de ce chien voulant croquer tout les mollets...
Bravo
Commentaire de laulau posté le 30-10-2011 à 22:42:07
Merci pour ton récit, bonne récup...y'a plus qu'à travailler les descentes et ça sera tout bon ;)
Commentaire de fulgurex posté le 31-10-2011 à 06:59:29
superbe course, à la hauteur de ta plume. Merci de nous faire partager l'aventure.
en un an, perdre 17 kg et faire 2 ultras! voilà qui m'impressionne.
Quand à la technique sur le mouillé, ne t'en fait pas, tu vas pouvoir la travailler très bientôt... Au plaisir de te rencontrer, cher voisin.
Commentaire de Mame posté le 09-11-2011 à 09:52:29
pour le gainage des quadriceps, c'est bien l'exercice qui consiste à rester le plus de temps plié ??? Sinon, bravo, 12 mois , 17 kg évaporés, 2 ultras !!! la méthode est efficace
Commentaire de romher posté le 11-11-2011 à 12:41:02
Merci pour vos commentaires... pour Mame : l'exercice de gainage qui est décrit ne prend du temps que si tu as l'habitude de l'agrémenter d'un peu de lecture (lol).
Sinon, je vous rassure, j'ai d'abord commencé par perdre mes kg avant de reprendre progressivement, avec ensuite une règle d'or : ne jamais perdre de poids autour d'une grosse sortie !
Commentaire de manoubis posté le 17-11-2011 à 21:50:01
Bonjour,
Super vidéo et très belle perf. Le parcours à l'air très joli. Sans parler de distance, est ce que l'endurance Trail des Templiers est plus dur que le trail des Citadelles?
Merci.
Commentaire de romher posté le 24-11-2011 à 22:42:04
Bonjour, et merci. Pour les Citadelles, à priori la distance est plutot à comparer avec "la grande course" des Templiers (et non pas l'Endurance Trail, plus long). Le dénivelé se joue entre des altitudes mini/maxi 300m/1000m pour les Templiers, et il y a je crois un peu moins d'amplitude aux Citadelles mais avec au moins autant de dénivelé voire un peu plus. Les Citadelles auraient donc moins de parties roulantes. Pour ce qui est de la technicité, je ne sais pas, mais si les descentes sont aussi techniques que sur les Templiers elles seront forcément moins longues aux Citadelles... je n'ai pas encore eu la chance de découvrir l'Ariège. Quoiqu'il arrive, pour aborder les Templiers tu te prépares tout confort l'été, tandis que pour mériter les Citadelles tu dois en baver tout l'hiver !
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