Récit de la course : 24 heures d'Eppeville 2009, par c2

L'auteur : c2

La course : 24 heures d'Eppeville

Date : 9/5/2009

Lieu : Eppeville (Somme)

Affichage : 2149 vues

Distance : 0km

Objectif : Pas d'objectif

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24 heures d'Eppeville 2009

24 heures d’Eppeville

De l’autre côté du dossard ou comment replonger dans le monde des circadiens.

  

Les acadiens ont beaucoup souffert en leur temps. Rien n’a été et ne sera rose pour les circadiens non plus. Il faut le savoir et s’en rappeler. Toujours.

  

24 heures : Marie me l’avait bien dit à Saint-Maixent en me voyant trotter sans fin avec beaucoup de difficulté sur le final. Que cette épreuve est ridicule. Tourner en rond sur un circuit microscopique on l’on va repasser plusieurs fois par heure. Il y a tant de belles épreuves nature ou route. Incompréhension totale. J’entends encore ses mots : moi la-dessus, jamais. Je n’avais pas relevé ni contredit, quelque peu déstabilisé par l’argumentaire et la médiocrité de mon résultat. J’avais encaissé, troublé. N’était-elle pas dans le vrai ?

  

Quelques années avaient passé très orientées ultratrails pour tous les deux. Parfois chacun de son coté, parfois ensemble. La diago ou l’ultramarin, main dans la main, quels souvenirs. Et puis l’ami Bruno, néocircadien s’y était mis aussi. Une fois, 2 fois, 3 fois avec de très très gros résultats. Pensez donc, 230 au premier essai !!!

  

Quelques négos et arguments entre eux plus tard et quelques euros en moins dans la poche et nous nous retrouvons dans ce petit village. Marie un dossard à la main, évidemment. Il n’y a que les idiots qui ne changent pas. Fermez le banc. Je suis là aussi, mais en porteur d’eau, en intendant, en coach. Pour aider bien sur. Tiens donc. Pour réapprivoiser la chose aussi, inconsciemment. C’est évident, même si je ne veux pas encore le reconnaître, ni le dire.

 

  8h : tout est calme ou presque dans ce fin fond de la Somme. Quelques tentes bariolées de coureurs prévoyants confirment que le GPS ne s’est pas planté. C’est là.

Comme au Mans un tour du circuit tranquille, en première, pour la reco. Analyse fine. Mais c’est quoi cette côte !!! Jusqu’au château d’eau. La vache. Futur col au fil des heures. Ca va morfler. Un déroulé look goudron de 2810m, version plutôt longue, petits pavillons, quartier tranquille dans ce rayon full open 24/24 du magasin course à pied.

 

  Le mot du jour local est lâché. En triple 24 

24 heures, 24ième édition, 24°C peut-être au soleil en ce début d’après-midi.

  

24heures: voyage en volonté, sur la planète mentale. Lutte dérisoire à la recherche d’un point immatériel normalement finalisé par un nombre à trois chiffres qui commencera par un 2 pour les maous-costaux. Pour les autres, la recherche d’un gros chiffre au rang 2 sera l’objectif du jour. Très dur. Pas de banderole, pas de décompte ou de clocher de village à visualiser. Absence de repères. Cinéma dont la pellicule tourne en boucle sur sa bobine comme dans le film « un jour sans fin » aux 43 répétitions. Rien que çà. Bonjour : « c’est le jour de la marmotte,…. ». P…., j’ai l’impression d’être déjà passé par là. Sortir de cette spirale. Mais pourquoi continuer puisqu’on est déjà arrivé. Mais pourquoi repartir sur un tour, alors que cette chaise…… Lutte dérisoire contre le chrono. Il faut en avoir des…….. euh !!!, disons plutôt du mental.

  

10h: Dernières consignes. Départ dans le gymnase qui sera traversé à chaque boucle. 

  
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Fin tuyau de coureurs qui s’échappe par une porte dérobée sur l’arrière et peut déjà s’exprimer au grand jour et dans la lumière. Ca part follement vite pour certains. Premier blanc temporel sans bipède sur l’anneau qui ne durera pas. Quelques tours pour finaliser une bonne dilution des acteurs sur le parcours. L’attention des spectateurs est maintenue en permanence : Les épisodiques qui passent, un peu surpris ou incrédules. Ceux qui accrochent en posant des questions, et qui au fil des réponses, regardent ces gens là, de plus en plus comme des extraterrestres ou des fous. Enfin les pros, souvent de la confrérie, organisés, avec fauteuils et tables, qui jaugent, commentent, supputent, pèsent les forces en présence, prêts à bondir en tendant un breuvage maison ou « LA » barre céréale miracle qui va redonner du peps à leur poulain engagé dans cette danse. Les prénoms que l’on commence à mémoriser. Les tenues, les silhouettes, les démarches reconnues à longue distance comme un radar de dernière génération qui piège les véhicules en voyant avant d’être vu.

  

12h : Marie est bien. Bien en ligne. Bien régulière. Je sais qu’elle sait faire. Sans s’affoler. Sûre de son fait. Sans crainte de se retrouver derrière. Bien dans sa tête et dans sa stratégie. Avec ses moyens : Sérénité, régularité, endurance…… Patience, patience.

 

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13h : Il fait chaud, pas trop sur le bord de piste mais pour ceux qui cavalent, c’est une autre affaire. Une bière à la main assis dans mon fauteuil je me fais gentiment recadrer par un concurrent. Il a raison. Je cache l’objet de la tentation. Un peu de décence et de respect, j’avais oublié. Je scrute, j’observe mais je n’encourage pas. Ce n’est pas le moment. Le besoin n’est pas encore là. C’est vraiment le début. Si les indicateurs ne sont déjà plus au vert après 3 heures, il y a alors gros soucis.

  
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15h : Une couche grise sans réelle menace a envahi tout le ciel. Bien joué. Version éclipse soft. Les corps apprécient. Torricelli baisse la tête et l’épiderme lui en sait gré. Les risques de pluie vendus ces derniers jours s’éloignent. La météo, compréhensive, semble jouer le jeu.

  

18h : La table à secousse et le tamis commencent à faire leur œuvre et leur travail de sape parmi les coureurs. Imperceptiblement. Quelques lézardes de ci de là. Premiers doutes. 8 heures déjà ou seulement, c’est selon.

  

19h : Je trie les SMS et les messages. Les distille à la coureuse, en médecin référant, comme autant de vitamines pour son cerveau. Ca pousse derrière dans l’oreillette. Visite de la Haute-Loire que j’aime beaucoup avec une place de 43ième pour Marie au scratch.

  

22h : Mi-temps. Premier bilan. 82 bornes. Correct. Et 10ième tour de suite à vitesse constante. Le bestiau est solide genre satellite interstellaire lancé dans le vide et que rien ne peut ralentir. Aucun signe de faiblesse.

  

23h : Extinction des feux. La sono extérieure ferme son caquet, au grand plaisir des voisins proches et peut-être pas vraiment intéressés voulant certainement démarrer leur nuit. Les coureurs vont aussi bientôt la démarrer la nuit. Mais franchement sous une autre forme. Monde à l’envers. Certains se déshabillent pour se glisser entre les draps tandis que d’autres se rhabillent pour engranger les kilomètres tout en luttant contre le froid et le sommeil.

  

1h : 100km dans le panier, la course démarre vraiment maintenant. Entrée dans le top 30. Je note méthodiquement les heures de passage, calcule la régularité, traque la fatigue à travers les chiffres, suggère un truc à avaler, teste discrètement le mental et la lucidité, tend un verre de glucose, évoque la possibilité de s’habiller encore plus chaudement par prudence, cherche l’infime faille qui pourrait s’amplifier et mener à la cata mais ne trouve rien. Marie maîtrise, comme une grande. Ca roule. Je pense qu’elle est câblée pour ce type d’épreuve.

  

3h : La croix rouge maraude sur le circuit régulièrement en véhicule. Bien vu. Questions décibel, c’est au plus bas dans le gymnase. Des coureurs sont à l’horizontale, qui dans les tribunes, qui sur un lit improvisé.

 

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Les gobelets du bar bien alignés aux contenus roses et bleus et les tables perso trahissent un monde étrange, différent. Deux fidèles serveuses attentives attendent négligemment le chaland, un doigt sur le microonde, prêtes à dégainer un bol de soupe fumante ou un liquide noir au fumet corsé qui réveille. Heure creuse par excellence.

 
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 Autre monde à l’envers. Diable de chrono qui n’avance pas assez vite. Et pourtant c’est là que va se faire la marque, pour certains la différence pour d’autres les accessits. Maître mot : relancer. Relancer, si l’on peut encore. Comme le ressort d’un vieux réveil de famille qui ne veut plus rien savoir à travers les générations. Allonger le pas. Augmenter cette amplitude pour les marcheurs ou la fréquence de la foulée devenue étriquée pour ceux qui sont encore des coureurs afin de gratter de précieux mètres en plus.   

4h du mat : J’aime ce moment. Plus personne ne triche avec lui-même. Le hachoir et la toile émeri ont fait leur œuvre. Il reste l’essentiel. Des tenues plus chaudes qui ont progressivement transformés les bipèdes de la veille. Des traits tirés, des masques figés, des sourires perdus, des petits rictus, des gestes mécaniques, des corps un peu plus raides qui se résument à une simple volonté d’avancer. Encore et encore, jusqu’à l’overdose. Gestions des restes. Des silhouettes fantasmagoriques à l’allure de plus en plus gauche. Vivement le jour, un brin de chaleur pour réchauffer les carcasses. Comme des vieillards perclus de rhumatismes. Vivement la fin. Encore 6 heures. La vache, 6 heures. C’est long, trop long. Pas encore mentalement gérable. Cela ne ressemble vraiment encore à rien. Même pas à une sortie longue. Gorgée de fatigue la manif unitaire des muscles lance un ultimatum et attend un signe fort du cerveau. C’est quand qu’ca s’arrête cette co….rie. Réponse laconique de l’autorité et commentaire acide : « encore un quart de l’épreuve », « quoi, mais c’est pas possible, on va se mettre en grève ». Grosse déception. Ramollissement progressif du cerveau qui essaie encore d’y croire, de recoller les morceaux avant d’être dilué et divisé en deux coulées de plomb descendant au fond des pompes.   

C’est le moment, je pense. Ils en ont sûrement bien besoin. Lors de leur rentrée dans la nuit en sortie de ravito quittant cette douce chaleur du gymnase, face à eux-mêmes. J’essaie quelques petits mots que j’adapte au mieux selon les coureurs, selon leur état et selon leur personnalité dont je me suis fait une image au fil des tours.

 

  

5h : J’ai froid, malgré les 4 couches et le tour de cou. Limite gants. Les pares-brises blanchissent. Je navigue du gymnase au stand perso à coté de la voiture. Et monte la garde au pied du dressing ambulant, prêt à bondir et répondre à la moindre exigence, version concierge de luxe : « Eppeville24, bonsoir, à votre service, j’écoute…. »

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Un peu de calcul mental, pour passer le temps. Dans moins de 2mn, elle devrait être là. 5, 4, 3,….Et elle est là. Une vraie horloge. Je lui propose de faire un tour ensemble. Elle décline. Raté. Au prochain, je force la main, j’ai vraiment trop froid. Enfin je bouge. Je découvre ce qu’elle aura bientôt déjà vu 50 fois. Le plaisir n’est bien sur pas le même. Commentaires ramollis d’un côté et découverte juvénile de l’autre. Les lignes droites, l’usine sucrière dans le fond sur la droite, la piste du stade, les virages, les stands d’animation de particuliers dont un encore actif et puis le « col ». Gymnase en bout de ligne droite, fin de boucle.  

L’aube : L’info est toute fraîche comme le temps d’ailleurs. On vient de la lui transmettre. Elle a pris le pouvoir chez les féminines. Un peu étonnée. Je sentais bien un truc depuis quelques temps. En observateur, le plus attentif possible. Les autres concurrentes que l’on voyait moins souvent, les signes de faiblesse, les problèmes alimentaires. Et puis la chose est tombée, comme ça venait. Sans forcer. Il n’y a ni stratégie, ni tactique là-dessous. La clé est simple et toute trouvée. Tout le monde a ralenti, mais elle, moins que les autres. Tout simplement. Adepte de la pose minimalis liquidus alimentum. Evidemment facile sur le papier. Il suffisait que le corps suive. Accès au top 25.

  

8h : L’affaire semble pliée sauf gros soucis. L’euphorie gagne doucement.

 
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9h : On marche cote à cote. Encore bien vite. J’ai un second métier, standardiste. J’annonce la fourchette finale dont les dents se resserrent. Mais c’est tellement facile avec une métronome. Je parle podium mais ne lâche pas encore le mot victoire, par peur de je ne sais trop quoi. L’écart est conséquent, plus de deux tours et rien ne revient de l’arrière. C’est mathématiquement imparable. Les paroles du jour reviennent à nos oreilles du bord des trottoirs : « Allez Marie ».

  

9h40 : Le dernier tour est engagé. De nombreux coureurs sont accompagnés. Les jeux sont faits. Rien ne va plus. Au contraire, tout va bien !!! Pose sur un stand sauvage de particuliers fort sympathiques. Curieux hasard. Les deux futurs vainqueurs s’y retrouvent ensemble. Marie tient son rang et fait honneur à l’apéro. D’autres aussi. Ambiance, ambiance. Notre brésilien vainqueur (199.509) s’enroule déjà dans son drapeau. Un dernier col, pour la route, ligne droite des stands. 

  

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9h45 : Un bénévole s’invite à ses côtés et explique sa mission de suiveur-contrôleur-mesureur. Il ira jusqu’au bout du chrono. Sortir du gymnase, une dernière fois, pour gratter encore un petit quelque chose, dur, dur.

  
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10h : Arrêt poteau télégraphique pour simplifier la marque. Nous plantons gentiment notre suiveur pour la mesure précise. Retour tranquille jusqu’à la base. La foulée n’est plus la même, se grabatise. Qu’elles sont longues ces centaines de mètres du retour. Les pompes ont rougis par endroit. Ca doit pas être jojo à l’intérieur.

 

  10h20 : Le cerveau passe sur off. Tout se relâche. Les jambes flageolent et se durcissent. Ce n’est plus la même personne. Hypo au bord des lèvres et syncope en embuscade. Position assise au plus vite et blancheur du visage. Un peu désagréable. Pas d’affolement. Du grand classique. Sale quart d’heure à passer avant les réjouissances.

146,706   Annonce, applaudissements, montée des marches, podium, honneurs, coupes, cadeaux, interview,

tout redevient évidemment plus facile.

 

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 Immense merci Gérard pour ton organisation
Réflexion à chaud
genre dialogue  
Therminator : « Je reviendrai »                                                                                                                
 Christian

4 commentaires

Commentaire de Mustang posté le 19-05-2009 à 23:35:00

récit palpitant d'une épreuve hors norme, joli coup de projo sur l'épreuve circadienne.

Ce journal heure par heure est passionnant à lire!

bravo pour Marie!!! vraiment intense!!
totale admiration!

Commentaire de CROCS-MAN posté le 20-05-2009 à 14:30:00

un polar, un film noir, un documentaire sur les pays de l'est de l'avant guerre, toutes les impressions y passent, un récit intense et passionnant. A lire absolument avant de se lancer sur la discipline et je le ferai en décembre.
Un grand BRAVO à MARIE la CHAMPIONNE.
MERCI.

Commentaire de riri51 posté le 21-05-2009 à 11:30:00

MERCI...vivement le mois de décembre, que je découvre cet univers que tu décris si bien...et FELICITATIONS à Marie!

Commentaire de runner14 posté le 23-05-2009 à 19:43:00

SALUT C2!Super récit de ce 24h qui tiens en haleine jusqu'au bout le lecteur(trice)!
Avec cette belle description de la cicardie ,c'est sûr ont aura d'autres adeptes sur ces épreuves c'est cool!
Un granD bravo à Marie qui a géré de façon méthodique sa progression et sa finalité récompensée.
Reste plu qu'à toi aussi de te lancer dans ces sentiers horaires avec ferveur ,la discussion étant un facteur propre à l'officie de cette belle aventure humaine!

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