Récit de la course : Grand Raid du Guillestrois et du Queyras - 100 km 2024, par Coureur du 34

L'auteur : Coureur du 34

La course : Grand Raid du Guillestrois et du Queyras - 100 km

Date : 6/7/2024

Lieu : Guillestre (Hautes-Alpes)

Affichage : 156 vues

Distance : 100km

Objectif : Terminer

2 commentaires

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Première dans les Alpes, tombée à l'eau

Inscrit sur la Grande Traversée, le 100 kms du Grand Raid du Guillestrois-Queyras (GRGQ pour les intimes), je suis ultra (haha)- motivé pour vivre ma toute première course dans les Alpes avec des paysages qu'on annonce extraordinaires et aussi saisir l'opportunité de glaner des points pour une éventuelle participation à la Diagonale des Fous en 2025.

Pourtant, ça commence mal. La veille, en arrivant à Guillestre, j'ai un problème de voiture qui me met dans un stress incroyable. Heureusement, le problème sera réglé par un garagiste sympa. Et le soir, des fans dans l'hôtel où je loge manifestent leur ferveur devant le match de l'Euro France-Portugal qui se prolonge jusqu'aux tirs au but... Bref, peu de sommeil, un classique.

 

Le départ est donné à Abriès-Ristolas. Le parcours a été modifié sur la première partie afin d'éviter des zones encore impraticables à cause de l'enneigement tardif. Alors que l'animation commence et se met en place, patatatras, l'électricité disjoncte, l'arche se dégonfle et silence radio pour la sono. Serait-ce un signe du destin ?

Le départ à 6 heures à la fraîche démarre par une courte grimpette dans les alpages en guise d'apéro avant de redescendre pour un ravito pas bien utile après quelques kms.

Et là, les choses sérieuses commencent avec le premier col. Comme c'est le 1er, ça se passe pas trop mal mais je suis « naïvement » surpris par la durée de la montée. C'est beau, quelques lacs d'altitude, des névés et un peu de boue. Woaw,

La bascule au Col Vieux m'émerveille, le ciel et la terre se rejoignent, c'est remarquable. S'ensuit une descente de quelques kms jusqu'au 1er vrai ravito, le Refuge Agnel. J'en profite bien, je me requinque et repars gonflé à bloc pour la poursuite de la plongée dans la vallée.

De la boue, quelques gouttes de pluie et tout en bas, on remet les couverts pour le 2nd col dont j'ai oublié le nom (Col de Longet ?) . Là, je sens que ça commence à piquer, déjà, si tôt, et je réalise que la journée va être trèèèèèès longue. Il continue de pleuvoir finement, c'est comme en Bretagne mais à 2000 m d'altitude. Je suis trempé mais ce n'est pas un souci.

A l'échancrure du sommet de ce col, une nouvelle bascule débouche sur une piste très large. Vue splendide sur les massifs voisins, tout baigne ici dans une certaine éternité. La pluie a cessé, je devrais me sentir mieux mais cette longue descente me flingue, interminable. Ce n'est pas technique, c'est même super facile mais je n'y arrive pas, incroyable... Je crois que mentalement, j'ai pris très cher dans cette descente, mal préparé à l'encaisser dans les cuissots. Le décor alpin est absolument splendide, mais je n'arrive pas à en tirer de l'énergie positive suffisante pour me rebooster.

J'arrive enfin au ravito de St Véran, très joli village montagnard envahi de touristes. Petite halte pour remplir les flasques. Il faut encore descendre tout en bas pour repartir à l'assaut du 3ème col de la journée, celui des Estronques.

Et là, j'explose littéralement, la montée me fait tellement mal, le cardio s'emballe, probablement à cause de l'altitude. Je fais des pauses quasiment chaque 100 mètres. Dans mon lexique du traileur, je remets à jour ma définition du mot « Montée ». Elle fait une 10aine de kms selon les organisateurs, 3 fois plus selon moi. On n'est même pas à la moitié de la Grande Traversée que déjà, la possibilité d'abandon pollue mes pensées.

Chaque coureur qui me dépasse me souhaite bon courage, ce à quoi je réponds par une plainte, style Frodon en route vers le Mordor. Non, je n'y suis pas du tout, je ne prends aucun plaisir et n'arrive pas à sortir d'une spirale pessimiste.

Les crêtes au dessus de ma tête déchirent le ciel, le tableau est somptueux mais je n'éprouve aucun enthousiasme moteur. Encore un peu de pluie, ce n'est pas de bol que la météo soit pourrie pile-poil le jour du trail alors qu'il a fait si beau hier.

Aux forceps, j'atteins la bascule au col des Estronques, 2651m, et la situation empire : d'abord la météo qui alterne sans cesse pluie et éclaircie et cette longue descente qui me martyrise au lieu de me réconforter, comment est-ce possible. Je marche beaucoup, incapable de trottiner sans effort. J'oscille constamment entre la résignation à l'abandon et la minuscule force de poursuivre, avec une grosse option pour l'abandon.

Enfin je boucle la mi-course, à Ceillac, sa base de vie et son ravito au sec. La décision a mûri dans le calvaire de la descente, je vais jeter l'éponge. Je m'assoie démotivé et cuit alors qu'il reste 50 kms et quelque chose comme 3300m de D+.

Je discute avec un coureur sur mon désespoir et sympa, il m'encourage à repartir pour profiter de ce nouveau col, le plus beau de tous avec le Lac Miroir et le Lac Ste Anne. J'essaie de manger un plat chaud et solide mais je suis psychologiquement trop dégoûté pour avaler la moindre bouchée.

Mon moral, c'est un peu Pompéi : un grand champ de ruines mais avec de beaux restes. Parce que, oui, malgré tout, je vais bien, aucune douleur ni blessure, simplement une grande lassitude et une sorte de sidération devant les difficultés rencontrées, que ce soit en D+ ou en D-. Je n'étais pas préparé à affronter ça.

Alors « arrête de te gémir avec tes bobos, merde, tu es vivant alors repars » : à mon propre étonnement, je repars dans la grisaille et l'humidité pour gravir cette 4ème difficulté, destination le Col Girardin. Magie de l'esprit, je ne gamberge plus et, enveloppé dans ma bulle de résignation, j'avance lentement mais sûrement. Repartir est déjà une petite victoire.

Au niveau du Lac Miroir, invisible à mon passage, un photographe « officiel », le pauvre, surgit de sa tente Queshua et me demande mon dossard caché sous le k-way. Clic-clac, ses photos me montreront noyé dans la purée de pois sans le moindre aperçu du décor exceptionnel par temps clair. Dommage.

Toujours sous la pluie et dans le brouillard, je grimpe au lac suivant et sa chapelle Ste Anne. Je ne pense plus à l'abandon, en fait, je ne pense plus à grand-chose si ce n'est de me rapprocher du prochain ravito. Surprise, je me paie le luxe de dépasser quelques coureurs, c'est à ni rien comprendre. Les décors sont impressionants et je me sens minuscule dans ces immensités verticales.

Quelques épingles dans les cailloux, encore des névés, un petit vent qui s'est levé : je me caille, surtout les mains gelées par la pluie froide, mais j'ai réussi, c'est la bascule au Col Girardin, 2699 m.

La descente est horrible, des torrents, de la boue, ça glisse, ça colle, des pierres qui roulent : I can't get no satisfaction, non sincèrement aucun plaisir ! Seul moment de répit, je traverse une colonie de marmottes qui m'observent paisiblement et je souris intérieurement en pensant que ce que je subis est le quotidien de ces paisibles rongeurs.

Encore une descente qui n'en finit pas mais ça y est, je touche au but, le ravito du hameau de La Barge, km 66.6 de sinistre réputation. D'ailleurs, ce n'est pas une barge mais plutôt le Titanic. Comme un vent de panique souffle parmi les arrivants, on annonce une dégradation importante des conditions météos avec orage et grêle. J'échange avec un coureur qui m'explique qu'il a une femme et 2 enfants et qu'il ne mettra pas sa vie en danger. Les drames récents dans des trails alpins sont dans tous les esprits. Les bénévoles demandent aux coureurs d'être très prudents pour la suite et de partir à plusieurs si possible. De nombreux traileurs hésitent puis rendent leur dossard. Avec la nuit, il va faire encore plus froid et je suis insuffisament équipé pour m'en protéger en haute montagne, pas de tenue ni de gants intégralement étanches, j'ai bien merdé sur ce point, c'est peut-être moi le crétin des Alpes. Depuis des heures, je ne prends pas de plaisir à courir et n'ai pas pu jouir de la vue des paysages que j'avais fantasmés. Alors sans trop d'hésitation, ma décision est prise définitivement cette fois : je rajoute ma goutte à ce déluge d'abandons. Sans cette météo exécrable, je pense que j'aurai tenté le 5ème et avant-dernier col car les barrières horaires étaient encore loin derrière moi et je me dis que si j'atteins le ravito suivant alors j'aurai la motivation suffisante pour conclure. Mais non, c'est vraiment une journée trop compliquée et je dis Stop.

Nous attendons plusieurs heures dans le froid la navette telle une arche de Noé. Le soir tard, elle nous redescend enfin à l'arrivée, Guillestre, sous des trombes d'eau. Nous échangeons des regards entendus, nous sommes mieux là que dans cette tourmente.

 


Retour à l'hôtel vers 1 heure du mat : je reste 10 minutes sous la douche chaude à débarrasser mon corps de la boue et mon esprit des idées noires.

Le lendemain au réveil, je découvre cette nouvelle à la lecture du Dauphiné : sur la course hier, 6 traileurs en hypothermie ont été évacués en hélico. Et dans la matinée, mon portable sonne, un numéro inconu et je décroche quand même : c'est l'organisation qui me contacte pour vérifier que j'ai bien abandonné et que je suis rentré.

Zéro regret : une météo trop défavorable, ma préparation insuffisante et ma négligence sur l'équipement ne permettaient pas la poursuite de ce 100 kms. Mais je peux améliorer ces 2 derniers points pour retenter ma chance l'an prochain !

2 commentaires

Commentaire de bubulle posté le 05-09-2024 à 17:28:52

Pas trop de regrets à avoir car si tu étais reparti, tu te serais probablement fait arrêter au pied du Col de Sérenne......ou peut-être, après une grosse grosse galère de l'autre côté de ce même col.....ou te te serais fait offrir une belle balade en hélico, comme les 6 frigorifiés....dont j'étais.

On n'a pas eu de chance, c'est tout, ça le fera mieux une autre fois....et bravo pour être reparti de Ceillac car il fallait un peu beaucoup le moral pour le faire !

Par contre, le Col des Estronques, il ne fait "que" 4 km......et c'est bien le problème car, avec 800m de dénivelé, ça fait une moyenne de 20% de pente. Ce qui explique que beaucoup y prennent y joli taquet....et encore, sur une journée de chaleur, c'est un beau mouroir.

Commentaire de Coureur du 34 posté le 16-09-2024 à 20:24:13

Merci de la précision : oui, je comprends mieux maintenant pourquoi j'ai pris si cher dans ce col !! Bravo à toi d'être allé plus loin encore et comme tu dis, ça le fera mieux une autre fois. Pour ma part, j'ai quand même appris sur cet environnement si particulier qu'est la montagne alors "I'll be back" ;)

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