Récit de la course : Samoëns Trail Tour - Ultra Tour du Haut Giffre 2019, par Khioube

L'auteur : Khioube

La course : Samoëns Trail Tour - Ultra Tour du Haut Giffre

Date : 15/6/2019

Lieu : Samoens (Haute-Savoie)

Affichage : 4030 vues

Distance : 91km

Matos : Des chaussures Altra Lone Peak 3.5, pour le reste on s'en fiche.

Objectif : Faire un temps

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UTHG, coitus interruptus

Allez, c’est parti. Ce weekend, c’était l’UTHG à Samoëns. UTHG, comme Ultra Tour du Haut Giffre. 92 bornes, 6700 mètres de dénivelé, autant dire que c’est une belle tannée. Ceux qui suivent de près ma spectaculaire carrière de traileur, ici ou dans la presse, se souviennent peut-être que je l’ai déjà couru l’an dernier, j’avais fini en 20h54, à la 289eplace. Enfin quand je dis couru, c’est un bien grand mot, ça fait quand-même du 4km/h. Mais j’ai couru parfois, je m’en rappelle.

Alors évidemment, la question qui vous brûle les lèvres, c’est « mais pourquoi t’y retourne, Guigui, c’est pas comme s’il n’y avait pas d’autres courses sympatoches dans le coin où se démonter les cuisseaux ! ». Franchement, j’y ai pas mal réfléchi pendant que je galérais sur les sentiers ce samedi, et j’ai eu un peu de mal à me rappeler la genèse du projet bis repetita. Et en même temps, j’étais à peu près sûr qu’à un moment donné ça faisait sens de revenir ici, qu’il y avait eu une logique au moment de cliquer sur le bouton « s’inscrire ». 

Puis finalement, je me suis dit que c’était pas vraiment pour la course qu’on avait resigné, mais plutôt pour le chalet avec piscine qu’on a loué avec les copains. Parce que faut voir le chalet, mon gars. Ça, c’est le facteur X, les autres courses peuvent pas lutter. Il y a sans doute d’autres chalets avec piscine dans le massif, mais celui-là, il défonce, la piscine aussi, et puis comme j’ai bien envie de me refaire un shoot de cascades, nous voilà repartis pour un bon gros tour dans le cirque du fer à cheval, le bout du monde, tout ça tout ça.


Loana et Jean-Edouard sont attendus au bar...


Alors, je passe vite sur la prépa, parce que c’est un sujet tabou, j’ai tourné à 15 bornes par semaine… On dira pour être gentil qu’on a tout misé sur le qualitatif. La Saintexpress à Noël, 46 bornes sur l’Ultra Boucle de la Sarra il y a six semaines, et puis au milieu de tout ça, ben ça a trottiné à gauche à droite, avec l’enthousiasme d’une limace neurasthénique. Ah, et puis j’ai grimpé, beaucoup, toujours avec la médiocrité qui me caractérise. Ni fait, ni à faire, qu’ils écriront sur ma tombe.

Arrivée à Samoëns le vendredi midi avec Tom et Marie, un peu plus tard que prévu parce qu’ils ont eu du mal à dire au revoir à leur fiston (les faibles). Moi j’ai laissé la p’tite chez sa nounou et je me suis barré en courant, sans demander mon reste, comme un vrai Pascal Brutal. 

Tout le monde arrive au compte-gouttes, tranquillement. Les Parisiens te préparent les sacs façon NASA dès 16h, ce qui met un coup de pression à tout le monde, alors je plonge vite dans la piscine pour que personne ne voie que je pleure en pensant au barda que je vais devoir me trimballer pendant toute la journée. Finalement je me motive avant la tombée de la nuit, et je dois dire que je suis plutôt content du travail: à grands coups de sachets congélation, je t’ai fourré toute une panoplie de rechange, histoire d’avoir quelques bricoles un peu chaudes à enfiler au cas où, j’ai pris des compotes et des barres Baouw (ben oui, pour faire comme Thévenard), et j’ai trois flasques pour survivre entre deux ravitos parce que je sais très bien qu’avec ma vitesse ascensionnelle je pourrais vite ressembler au gars d’Into the Wild (à la fin du film, quand il est sec comme un gressin), si je ne me trimballe pas avec une citerne sur le dos.

 

 Moi, regardant les copains parisiens préparer leurs affaires...

 

 Le dîner est classique, riz-poulet, une p’tite bière et un shot de Get 27 histoire de se détendre, et puis au lit. La nuit est un peu pourrave, je sais que j’ai quand-même dormi parce que j’ai fait des rêves chelou mais je suis bien cramé au réveil. Pour le petit déj, il y a toutes les écoles autour de la table. La crème, les pâtes, le pain, la banane… Moi j’ai du riz au lait, voilà. Michel et Augustin, hein, parce qu’il faut se respecter. Riz au lait de droite, s’il vous plait.


Michel et Augustin, justement...


 On décolle après une petite photo de groupe, parce qu'on ne déroge pas à la tradition du selfie à la frontale, avec les traces de drap sur la joue et les yeux qui collent, on est au top.


I'm a rabbit in your headlights...


On marche vers le départ, il nous faut à peu près trois minutes pour comprendre que le coupe-vent sera de trop, on se croirait au Vietnam.


Il fait lourd ce matin.


Installation dans le sas, dépôt du sac d’allègement, rien à signaler. On forme un petit groupe de cinq gars, on décide de partir ensemble. Avant de partir, je repense à ma nouvelle devise dans la vie, inspirée de Game of Thrones (merci, Ultrarunningmemes sur Insta, pour toutes les conneries) : que dit-on au dieu de l'abandon ? PAS AUJOURD'HUI !

 

Méthode Coué


Le début du parcours est d’un intérêt à peu près nul, puisque c’est une bouclette dans le centre-ville, mais c’est pour étirer le peloton avant d’attaquer la montée. Classique, donc. Malgré ces préliminaires, la montée se fait doucement, on a le temps de dire des âneries, toutes les blagues classiques de l’ultra sont faites en l’espace de trois minutes : « c’est roulant » quand ça grimpe à mort, « j’avais prévu de placer mon attaque ! » quand ça bouchonne, etc.


Bon sang, qu'est-ce qu'on rit.


Assez vite, je me retrouve avec Baptiste, la machine, parce que Tom et Antoine sont partis devant. Baptiste pourrait être avec eux, mais il a décidé d’être raisonnable. Tom, lui, a décidé de jouer au berger: et vas-y que je me laisse doubler pour aller voir si tout se passe bien de mon côté, et vas-y que je te colle une accélération pour rejoindre Antoine un peu plus haut. Pour un mec qui a oublié de s’entraîner en 2019, je me dis qu’il est sacrément fougueux, je mets ça sur le compte du manque et de l’euphorie – un peu comme un taulard fraîchement libéré qui débarque au bordel. Au bout d’une heure environ, peut-être moins, je préviens les gars que je vais pas les suivre s’ils continuent de monter à cette allure, parce que je suis en train de forcer. C’est pas flagrant, j'suis pas à l’agonie, mais c’est suffisant inconfortable pour que l’idée de mettre le cligno et de rentrer dormir me traverse l’esprit. Et ça, c’est pas très bon quand il te reste 85km à parcourir – surtout sur une course qui en compte 92. Tom, gentil comme il est, me lance des « allez, courage » toutes les dix secondes, mais je sens que je suis en train de me cramer.


Tom, revenant sur un concurrent en descente...


Puisque je m’étais pris une belle hypo dans la face en 2018, j’ai décidé d’être moins con cette année, ou du moins d’essayer. En arrivant au premier ravito, j’ai déjà descendu mes deux flasques, et j’ai mangé une barre Baouw. Je continue de faire mes devoirs comme un petit fayot en remplissant mes flasques et en descendant quelques grands verres d’eau et de coca, histoire d’être large. Il fait pas bien beau mais il fait toujours aussi lourd, je sue comme un bœuf, on dirait Zidane. Encore un coup de cul et c’est le début de la descente, un peu technique au début et puis ça se calme. C’est long, par contre, surtout quand on commence à entendre les encouragements des proches qui doivent être à 100m à vol d’oiseau mais qu’on continue de faire des lacets dans la forêt. J’ai perdu Tom, ou plutôt je n’ai pas trop essayé de le suivre, je sais qu’il aime bien descendre vite et doubler comme un sauvageon, moi je suis dans une optique de gestion. Et puis j’ai trouvé un gars qui descend comme moi, on discute un peu, alors ça me va.

J’arrive au ravito de Cret au bout de 3h38, je pointe à une assez calamiteuse 432eplace. Tom est là, je pense qu’il a traîné un peu pour m’attendre, Baptiste, Antoine et Rob’ sont sur le point de repartir. Après un rapide conciliabule, on prend la décision la plus sage: je dis aux camarades de filer parce que je surchauffe alors qu’ils sont en feu (la nuance est subtile). Aurélie et Fanny, ravitailleuses de luxe, sont encore là. Elles me demandent comment ça va, je leur demande si elles ont une place dans la voiture. C’est une boutade, mais ça dit bien ce que ça veut dire, j’ai pas trop la foi. Je me refais une barre Baouw, je mets deux minutes à la déglutir – et à peu près deux ans en ressenti. Il fait comment, le Thévenard, pour tourner à ça pendant tout un UTMB ?! Toujours la même histoire, on-boit-on-mange-on-remplit-les-flasques-et-on-se-barre. Comme j’en ai marre de peiner, je décide de chercher une raison valable de lever un peu le pied. Je consulte ma montre, et je vois que quand je monte à l’allure où on montait jusqu’à présent j’ai le palpitant à 170 bpm, ce qui est du grand n’importe quoi sur une course pareille. Puisque c’est ça, je vais écouter mon cœur (c’est mon côté boys’ band). Comme toujours quand on est un minimum sympa, on se fait vite des camarades avec qui tailler le bout de gras pour oublier qu’on est en train de se faire l’équivalent de 15 montées à Fourvière d’une seule traite. Je suis dans la team grimpeur des plaines: curieusement, les mecs qui grimpent à mon allure viennent plus souvent de Paris ou de Quimper que de Chamonix.


Mon ressenti dès qu'il y a une côte de plus de 3%...


Il y en a même un qui me dit qu’il était déjà sur l’UTHG l’an dernier et qu’il avait été arrêté à la toute première barrière horaire, ce qui m’amène à me demander si je serais pas devenu très très lent d’un coup, sans vouloir lui manquer de respect. Les premiers coureurs du 53km me déposent dans l’ascension, bon, normal, un peu plus tard c’est au tour de Clément de passer comme une flèche, lui qui se dirige tout droit vers une très belle 18e place.

Arrivée au ravito de Folly, même protocole, j’aperçois Dawa Sherpa, léger, je repars avec mes gusses. L’un d’entre eux m’explique qu’il fait tout au cardio en ultra, je trouve ça plutôt futé et décide de suivre un peu son exemple. Je pense beaucoup à mes camarades d’entraînement Jérôme et Ludo, qui sont un peu les Yoda et Gandalf de l’ultra. Ils avancent tranquillement, ils profitent, et ils finissent. Vu que je suis un peu le maître incontesté de l’abandon, ze King of DNF, je me dis que je devrais peut-être m’inspirer un peu de ces deux loustics. Bon, le résultat, c’est que je perds mes camarades parce que je me suis arrêté pour faire des photos et bouffer une Pom’Pote, mais c’est pas bien grave : comme dit l’adage, un de perdu, un plus lent de retrouvé. Au-dessus du refuge de Folly, c’est le début de la neige.


 

Je vois que c'est toujours aussi moche dans le coin, 20 sur 20, vive la France !


La roulance à l'état pur


Contrairement à l’année dernière, où il y en avait beaucoup, eh ben y en a des tonnes. Un sacré chantier. Au début, c’est pas trop gênant, parce que c’est relativement plat, on doit avoir une borne à faire avec un léger dévers qui t’oblige à tout le temps regarder où tu mets les pieds alors que le paysage est canon, mais bon. Je me casse bien moins souvent la gueule que l’an dernier, ce qui m’autorise enfin à dire à Kalenji que leurs crampons étaient pourris et à Altra que je les aime. Finalement, on arrive à la partie du parcours qui rend l’UTHG célèbre, à ce qui en fait le Walibi du Criou, le Disneyland du Giffre, les toboggans.


Tout va bien. Serein.


On arrive en haut d’une pente bien raidasse, genre piste rouge, et il y a un bénévole qui nous dit qu’il vaut mieux éviter de faire de la luge parce qu’il y en a un paquet qui se sont cramés les cuisses. Bon. Alors je commence à descendre, je dois m’enfoncer jusqu’au genou, et puis je finis par me prendre une boîte et je glisse sur le cul pendant dix mètres. Rebelote un peu plus loin, sauf que le gars nous dit que le plus simple est encore de s’asseoir directement dans le toboggan. Pendant ce temps-là, j’entends des trucs bien rassurants dans le talkie, du genre «Ouais, vous pouvez me préparer des nouvelles compresses avec de l’antiseptique parce qu’on n’en a plus, là?». Cool. Je suis du genre docile, moi, alors je m’assois, et voilà que je pars pour une descente de bien 100 mètres sur un toboggan qui est manifestement taillé pour le cul d’une gamine de douze ans. Je dois avoir une fesse et demie qui rentre, alors ça me défonce bien la cuisse qui ne rentre pas dans l’équation. J’essaie de freiner avec les pieds, normal, mais ça ne marche pas. Je mets les mains, ça fait mal, je mets les bâtons, c’est nase. J’en arrive à freiner avec les coudes et je me défonce l’épaule. Et puis quand tu descends, c’est cool, il y a des cailloux pour finir le travail, des fois que la neige ne suffisait pas, et puis tu vois des traces d’un rouge assez douteux…

Pas de casse de mon côté, mais j’ai quand-même bien flippé alors que j’avais juste trouvé ça rigolo-tout-plein l’année dernière. Et puis le dernier toboggan, alors là, on rentre dans un autre domaine. Je glisse, bon, ça ne se passe pas trop mal, mais je constate que j’arrive pas à m’arrêter. J’ai beau appuyer aussi fort que possible avec les pieds, tout ce que je fais c’est accumuler la neige entre mes jambes. Pendant ce temps-là, le mec qui glisse derrière arrive pleine balle, ce qui fait qu’il me rentre dedans, son entrejambe étant juste séparé de mes fesses par environ trois mètres cube de poudreuse. Notre convoi dépasse un bénévole, je lui fais savoir qu’un mec est en train de tenter une approche un peu lourde mais il ne bronche pas. OK, je pensais qu’avec #metoo on accordait un peu plus d’importance que ça au consentement mais passons. Évidemment, le Harvey Weinstein du trail et moi-même, on pèse lourd, surtout qu’on charrie une belle avalanche entre nos cuisses, donc on finit par rattraper le mec devant nous, et puis le convoi finit par s’écraser lamentablement en bas de la pente. Tout le monde compte ses doigts, ses orteils, le reste, et c’est reparti.

 

La descente jusqu’au cirque du Fer à cheval se fait tranquillement, j’ai une pensée émue pour moi-même au moment de traverser le petit ruisseau sous la cascade, c’est là que je m’étais lamentablement vautré sur l’an dernier. Pas le moindre soupçon de glissade cette fois, j’en viens à me demander si je courais avec des peaux de saucisson sous les godasses. Je suis assez pressé d’arriver au Refuge de Boret, que je décrète être le plus beau coin de tout le parcours, ce qui est pas peu dire. La terrasse avec la vue la plus folle de l’Europe de l’ouest!


La petite maison dans la prairie


Évidemment, pas trop le temps d’en profiter, et puis pas trop envie non plus parce que qui dit Boret dit descente et qui dit descente dit ravito. Une fois en bas, il faut se cogner les quatre bornes qui me séparent du camping. Je me souviens que c’était long, mais ma mémoire avait un peu allégé l’affaire. En fait c’est interminable! Et puis il fait tellement chaud! On était franchement bien, au-dessus de 2000m, on respirait! Là, c’est la fournaise, et puis il y a la rivière juste à côté qui nous nargue… J’ai retrouvé un de mes camarades de cordée, il a un peu la flemme comme moi de courir, alors on se met sur courant alternatif. L’an dernier je m’étais efforcé de tracer comme un Jim Walmsley avec de l’arthrose, histoire d’essayer de rattraper Tom. J’étais allé bien plus vite, mais j’avais pété comme un pop-corn au ravito. Là, bon, j’aimerais bien ne pas être déjà au bout de ma vie après 35 bornes, donc je gère. Je me dis que c’est ce que feraient Jérôme et Ludo, qui sont un peu les Pif et Hercule de l’ultra.

 

L’arrivée au camping du Pelly est cool, on déboule sur un petit pont où il y a la blinde de monde, ça fait Alpe d’Huez, on se croirait presque à Zegama. Alors, forcément, tu cours un peu, histoire de ne pas passer pour un saltimbanque. Le truc, c’est qu’avec le bitume je prends encore 10 degrés dans ma tronche de Britannique, et puis il y a un léger faux plat montant alors je capitule. Tant pis pour la dignité, au moins je profite plus longtemps des encouragements. Donnez, donnez, donnez-moi!, dirait Enrico.

J’arrive au ravito à 12h30, ce qui fait 8h30 de course. Il me semble que j’ai environ 30 minutes de retard par rapport à l’an dernier, mais je sais très bien que je me la suis jouée très nonchalante jusque-là, c’est pas comme si j’avais été à bloc tout du long; et surtout je suis bien plus frais, ce qui colle à l’objectif de base: être encore un tout petit peu fringant à Salvagny. Donc tout va bien.

Au ravito, il y a encore les WAGs, ça fait plaisir, mais il y a aussi Tom. Alors ça fait plaisir aussi, mais ce n’était pas trop prévu, surtout qu’il est en tongs; or, je sais de source sûre qu’il n’a rien d’un Tarahumara. Donc je lui demande ce qu’il fout, il me dit qu’il s’est bloqué le dos dans un des toboggans. La lose. Je suis bien désolé pour lui, mais le malheur des uns fait le bonheur des autres puisque j’ai le droit à une assistance de luxe. On me file un sandwich, on me remplit les flasques, on va me chercher des nouilles… c’est Byzance. Alors pour les nouilles, par contre, on repassera. Parce que, franchement, qu’est-ce qui est bon dans les nouilles, quand on court? C’est le sel, évidemment. Alors qu’est-ce qui déçoit gravement quand on mange des nouilles sur un ravito? Eh ben c’est quand il y a pas de sel dedans, bon-sang-mais-c’est-bien-sûr. Je pense que le génie qui a concocté cette recette est le même qui achète du coca zéro. Well done, Einstein.

 C’est reparti pour un tour, montée à Praz. Il y a 800 de D+ d’un coup, ça va être longuet. Je repense forcément à l’an dernier parce que c’est à ce moment-là que j’avais sérieusement commencé à flancher: impossible de faire redescendre le cardio, des pauses toutes les 30 secondes… Là, je continue de regarder la montre, je reste autour de 135 pulsations, et je ne m’arrête jamais. C’est marrant, il y a un vrai changement d’ambiance: plus personne ne parle, on est passé du carnaval à la marche funèbre en l’espace d’une heure. Je me trouve un lièvre, je lui emboite le pas. Je pourrais le doubler, mais, hmm, pas envie. C’est long-long-long, mais on finit par sortir du bois et on a le chalet dans la mire. Encore une bonne dizaine de lacets, au moins on a de l’air, ça redonne un coup de fouet. Une fois en haut je me pose trois minutes, histoire d’engloutir une des compotes que j’ai piquées à Maya avant de partir, de descendre une flasque et de prendre deux photos.


Toujours aussi dégueulasse.


Et puis hop, c’est parti pour la longue descente bien roulante jusque Salvagny. Je n’ai pas trop la foi de courir partout mais je fais l’effort. Je profite de chaque ruisseau pour m’arroser copieusement, je me demande pourquoi je ne suis jamais venu faire une rando ici alors que ça doit vraiment être cool de profiter pleinement du coin sans être pressé. Un jour peut-être. En descendant je fais la causette avec deux gars du Beaujolais, eux aussi ont un œil sur les barrières horaires. Bordel, mais c’est quoi ce délire?! J’ai envie de penser que je suis large mais ça commence à me faire flipper. Va donc falloir que je commence à m’entraîner comme il faut ?! La deuxième moitié de la descente n’est pas très sexy, on est sur un beau chemin carrossable comme les stations de ski savent les faire, c’est roulant mais pas très intéressant. Finalement j’arrive à Salvagny à 15h19, dans le top 400. Oui, à la 399e place. Que je suis loin...

 

Quand on a les barrières horaires au cul...


Bon, ce n’est pas si catastrophique, parce que Rob’ est encore là, Il finit sa pause. Et puis je suis toujours serein, ce qui m’étonne beaucoup d’ailleurs: je vais finir par croire que je ne vais pas abandonner, bordel ! C’est pas moi, ça… Toujours la même routine, je bois comme un trou, je fais des stocks de flotte (une flasque en plus parce que c’est long jusqu’au refuge de Grenairon, quel vieux renard je fais!), et je mange. Ça passe encore plutôt bien, sandwich et soupe, pastèque, un peu de bidoche. Y a que le Tuc qui ne me fait pas rêver, ce qui est quand-même un comble quand on fait du trail, c’est un peu comme refuser l’hostie à la messe. Dernière astuce du filou, je mâchouille les chewing-gum au citron que j’avais soigneusement planqués dans mon tube de sporténine, histoire de me faire un simili-brossage de dents, quel luxe. Et puis on repart. Tom m’accompagne quelques mètres, il me dit à tout à l’heure, je lui dis à tout à l’heure et merci. C’est si touchant.


La réaction appropriée quand un trail refuse un Tuc.


 Alors, la montée à Grenairon, c’est un truc interminable, et puis c’est toujours au beau milieu de l’après-midi en ce qui me concerne, alors autant dire que je ne vais pas envoyer du lourd. Au moins, on est un peu planqués dans les sous-bois, c’est commode. J’ai déjà de bons coups de soleil sur les avant-bras et la nuque, j’aimerais limiter la casse si c’est possible. Tom m’a suggéré de découper la montée en portions, façon Kiri, et de faire cinq minutes de pause toutes les demi-heures. Je lui ai proposé une version alternative, avec une demi-heure de pause toutes les cinq minutes, mais il n’a pas trop goûté ma stratégie. Tant pis, je suis clairement en avance sur mon époque. Toujours est-il que je monte paisiblement, en essayant de ne pas trop penser au fait que cette montée me gave d’une force atomique. J’ai un truc qui me permet de passer le temps: je réfléchis déjà à ce que je vais écrire dans mon récit de course. On dit souvent qu’il ne faut pas écrire la course avant de l’avoir courue, eh ben moi je l’écris pendant que je la cours. Bon, je ne m’invente pas non plus une vie, genre « à peine était-il sorti du bois qu’un cougar bondit sur Guillaume, les crocs en avant », j’ai pas douze ans. J’essaie juste de penser aux trucs «intéressants» qui se sont passés et qui mériteraient d’être racontés. En l’occurrence, il n’y a vraiment rien de ouf à dire sur cette montée. J’ai doublé une fille en bas, voilà, et puis un gars qui faisait une pause parce qu’il avait mal au genou et hésitait à repartir. Plus loin je me suis arrêté pour manger une compote, le mec m’a doublé et m’a demandé si ça allait, je n’ai même pas eu le temps de lui répondre que, oui, ça va, il a ajouté «ça a pas l’air», merci pour le compliment, je lui ai juste dit «ça va, je fais une pause pour manger une compote». Ce n’était pas non plus la péripétie du siècle, on n’est pas tout à fait sur une histoire à la Pierre Bellemare mais c’est bien le seul truc qui se soit passé pendant une heure.

Et puis, au bout du 150e lacet, je tombe sur un grupetto. Évidemment, je suis surpris, parce que normalement il n’y a plus trop de groupes à ce stade de la course (j’en suis à 58km) et puis avec ma vitesse, je ne suis pas censé rattraper qui que ce soit en montée. Le souci, c’est qu’il s’est mis à faire de l’orage, le ciel est bien gris et on entend le tonnerre au loin. Je ne pensais pas que ce serait un problème dans l’immédiat, mais il s’avère que l’orga a décidé de tout arrêter pour ne pas avoir de morts sur la conscience.


Je ne veux pas être pessimiste, mais ça se couvre, là...


Quand j’apprends ça je suis un peu déçu, parce que je faisais ma course tranquillement comme cela m’arrive assez rarement, je menais bien ma barque, mais en même temps je comprends la logique. En plus j’ai déjà presque 60 bornes et 4000+ dans les mollets, ce n’est pas comme si j’étais frustré, et puis ce n’est pas comme si je n’avais pas déjà une belle médaille de l’UTHG à la maison, je m’en remettrai.


Ma profonde déception en apprenant qu'il faut rentrer à la maison


Je commence donc à redescendre, j’appelle Tom pour qu’il vienne me chercher (merci encore) et puis j’appelle les filles à la maison. J’apprends que Maya est en train de goûter, c’est là que je me rends compte qu’il n’est que 17h, j’avais l’impression qu’on était en milieu de soirée. En même temps, bon, il fait presque noir, et puis ce n’est pas tous les jours que je me lève à 2h30… D’une minute à l’autre il se met à pleuvoir, je passe de trop chaud à froid, tout le monde enfile son coupe-vent et trace. Dès qu’il y a la place je double comme un malade, je me prends pour Kilianito dans la descente, à la fois parce que je ne suis pas un grand fan des grêlons dans la tronche et parce que je n’ai pas envie que les grêlons deviennent des troncs. Pragmatisme, quand tu nous tiens. Alors qu’il ne reste que 400m à parcourir je croise un pick-up de l’orga. Le type demande à tous ceux qui ont des bâtons pliables de les plier, et aux autres de les laisser dans le pick-up. Moi, bon, je suis du genre docile, bon-chien-chien-à-sa-mémère, alors même si je suis à deux minutes de la route principale je m’exécute, parce que j’ai acheté des bâtons monobrin il y a à peine deux semaines et que je n’ai pas vraiment envie de finir en kebab. Je trace, et à peine arrivé en bas je retrouve Tom et Marie, dont je dégueulasse sans vergogne le siège arrière, ils ne m’en voudront pas (ou le cacheront bien). Après coup, je me rendrai compte que j’aurais mieux fait de désobéir à l’organisation, parce que mes bâtons ont disparu de la circulation. Ah, acheter des bâtons non pliables, c’était vraiment une idée lumineuse. C’est moins cher, ah ben c’est sûr, sauf si tu dois en racheter une paire à chaque course ! Avec un pif pareil, on va m’appeler Cyrano. Le Cyrano du trail. Cyrano de Singletrac.


Prendre des bâtons monobrin par temps d'orage.


 

Au final, je m’en tire bien, parce que parmi les camarades il y a Rob’ qui a passé trois bonnes heures planqué dans les bois sous sa couverture de survie pour ne pas se faire rôtir, ou encore Titouan qui a dû rentrer tout seul comme un grand et qui ressemblait plus à un Mister Freeze qu’à un traileur en arrivant au chalet.

En définitive, je suis super content de cette course parce que j'ai appris plein de trucs: j'ai appris à faire un sac correctement (merci à Lucy Bartholomew pour les tips), et surtout à prendre le temps d'aller vite, tel un TGV. Ca me resservira forcément, un jour ou l'autre. Je ne serai plus ze King of DNF.

 

Les remerciements ont beau être un passage obligé dans les récits de course, un peu comme le pointage dans un ultra, ils n’en sont pas moins sincères. Alors je dis un grand merci à tous ceux qui sont venus au chalet ce weekend-là, qu’ils aient couru ou non, qu’ils aient été finishers ou non, c’était top. Et puis un autre grand merci à ceux qui m’ont soutenu de loin, ça m’a fait chaud au cœur aussi. L’an prochain je reviendrais bien, mais je ferai plus court, histoire de pouvoir enfin vraiment profiter du cirque et des cascades !


Juste merci de ouf, quoi!

6 commentaires

Commentaire de Arclusaz posté le 20-06-2019 à 18:17:31

un récit désopilant avec plein de belles trouvailles : la partie sur les toboggans est top ! Souvent quand même, on pourrait se demander un peu où est le plaisir là dedans. Mais c'est de l'humour british.
Sinon, j'ai eu Maya au téléphone qui cherche partout ses Pom Pot.....
Bravo

Commentaire de Khioube posté le 20-06-2019 à 18:58:14

Ha ha, merci Laurent! Figure-toi qu'elle ne m'en a même pas voulu. Mais je crois quand-même que j'ai bien fait de les prendre en douce...
Puisque la course était tronquée, il me restait du jus pour le récit, alors j'ai tout donné (avec un titre comme "coitus interruptus", tout cela sonne très douteux...).

Commentaire de Arclusaz posté le 20-06-2019 à 19:24:13

Tu as quand même eu droit à de longs préliminaires. ...

Commentaire de Mazouth posté le 21-06-2019 à 09:05:55

Excellent récit pour commencer ma journée, j'adore :)) Mais maintenant j'ai envie d'être au Boret au lieu d'être au boulot, c'est malin :p
En tout cas bravo, tu es finisher... ben oui, sortir vivant de cette tempête c'est être finisher, picétou !

Commentaire de Jean-Phi posté le 21-06-2019 à 11:09:38

Chouette CR tout en humour et décontraction... Comme ton entraînement ou plutôt le mien ! Parce que se lancer sur cette course sans training c'est comme aller au bordel sans capotes : vachement risqué !
Donc bravo pour tes 60 bornes et 4000m de D+ et place au non entraînement pour la suite (fais gaffe quand même !)

Commentaire de Khioube posté le 23-06-2019 à 18:57:45

Merci, Jean-Phi ! C'est vrai que la nonchalance est toujours une stratégie dangereuse en ultra. Pour ma part, bon, ce n'est pas trop un choix, c'est le mieux que je puisse faire avec l'envie actuelle. Mais je vais retrouver la foi ! A la prochaine !

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