L'auteur : bubulle
La course : Transgrancanaria - 125
Date : 23/2/2018
Lieu : Gran Canaria (Espagne)
Affichage : 3284 vues
Distance : 125km
Objectif : Pas d'objectif
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11 autres récits :
Cela faisait un petit moment qu'elle me faisait de l'oeil, cette Transgrancanaria. Pour en avoir effectué le suivi live ces dernières années, notamment pour suivre les aventures de Françoise et Xavier qui en sont des habitués, mais aussi les beaux résultats de Caroline, que je n'hésite pas à qualifier d'amie.....les noms de "Teror", "Tunte", "Tejeda", "Roque Nubio", "Garañon", m'étaient déjà bien familiers.
Les planètes se sont alignées en cette année 2018 : j'ai fait la croix sur mon habituel Vulcain et je vais remplacer les pentes glacées et le vent du Puy de Dôme par les pentes ensoleillées.....et le vent....de la Grande Canarie.
Comme beaucoup sur cette course, nous avons jumelé la course avec des vacances sur place. La course au début des vacances....comme ça, sur le reste des vacances, l'esprit n'est pas occupé par la course....juste par ses souvenirs !
Nous avons choisi de loger avant la course, plutôt dans le Nord de l'île, près de Las Palmas....et de migrer dans le Sud après la course. Cela permet d'être à la fois près du départ et de l'arrivée avec la seule contrainte de "descendre" à Maspalomas (l'arrivée) pour aller chercher le dossard avant la course....et voir une copine...:-)
On ne s'était pas revus depuis le podium du 80km du Mont-Blanc....2013
Mais ce n'est jamais que 45 minutes d'autoroute et c'est finalement pratique. D'autant plus que cela permet aussi, pour le retour, de revenir par le centre de l'île et, donc, de "reconnaître" un peu les lieux où ma Super Suiveuse va se rendre pendant le samedi de la course.
"Reconnaître" aussi un peu les routes très tortueuses de l'intérieur, et confirmer que les liaisons sont à préparer très soigneusement si on compte faire la course avec un proche qui suit de point en point.
Pour ceux que cela intéresserait, j'ai mis ici le roadbook que j'avais préparé pour Elisabeth. Il inclut même des points de rencontre sur la première nuit, que nous n'avons pas utilisés. Oubliez juste les références à "Santa Brigida" et "El Sao" (du moins le "El Sao" dans le Sud) car c'étaient nos logements.....très bien, d'ailleurs, si vous voulez les adresses : http://www.perrier.eu.org/~bubulle/roadbooks/transgrancanaria-2018/points-elisabeth.docx
La météo s'avère au final favorable. Il pleut cependant une grande partie du vendredi (la course part à 23h locales le vendredi), ce qui contraindra les organisateurs à décaler le Maraton sur le samedi, car les conditions sont épouvantables sur les sommets avec, notamment, des trombes d'eau (on en reparlera). Mais, comme prévu, tout s'arrête en fin de journée, et le départ va être pris sous un beau ciel étoilé. La température est fraîche (environ 12-15°C), sans plus.
Le parcours est relativement nouveau. Il a été modifié en 2017 pour partir de Las Palmas tout au Nord-Est de l'île, alors que précédemment il partait d'Agaete, sur la côte Ouest. Les points de passage sont parfois communs, mais dans unn ordre différent de précédemment où le parcours "remontait" vers le Nord-Est, jusqu'à Teror, avant de revenir sur le centre de l'île. Les deux parcours sont communs à partir de la Cruz de Tejeda (km 75 environ). La fin est également nouvelle, au delà de Tunte (km 98) mais depuis 2016 si j'en crois les récits.
Ce récit sera en fait le deuxième, sur Kikourou, avec ce nouveau parcours.
Belle ambiance au départ, très "espagnole", évidemment, avec ce Reggaeton inimitable où le rythme est toujours le même....parfois un peu saoûlant, mais finalement très amusant lorsque pris au deuxième degré. La playa de Las Canteras à Las Palmas est très animée lorsque nous y arrivons après avoir sagement choisi d'aller manger un peu à l'écart (si vous cherchez des adresses pratiques pour manger des pâtes avant la cours, je recommande Vai Piano, près de la Basilica Santa Ana.....il a aussi l'avantage d'ouvrir à des heures plus allemandes qu'espagnoles).
Préparation relativement tranquille pour moi, avec le soutien indéfectible d'Elisabeth, qui sent bien mon petit stress (comme souvent avant un gros morceau). C'est un peu un challenge que cette distance en tout début de saison....et juste 4 semaines après le Raid 28. Mais je me sens par contre bien en forme, donc je pressens que cela devrait bien se passer. Le roadbook est préparé pour 27 heures ce qui correspond a priori à mon niveau usuel sur Ultra au delà de 100km (merci aux bases de données de l'ITRA, bien pratiques pour cela....)....du moins pour un début de saison. J'espère cependant bien, un peu secrètement, faire mieux. Et je vivrais un peu comme une déception de faire moins bien, sans parler du fait de ne pas finir...:-)
Bref, le moral est bon et je suis stressé, tout va bien.
Cette course sera cependant une nouveauté avec ce départ en début de nuit. Certes, j'ai déjà pratiqué cela bien souvent (Le Puy-Firminy....7 fois, Saintélyon, l'Origole), mais pas pour ensuite passer une journée entière et un début de deuxième nuit ! La gestion du temps et du sommeil sera donc nouvelle.
J'ai tablé sur des arrêts conséquents aux ravitos (espacés, tous, d'environ 15 kilomètres, donc environ 2h30 à 3h, à chaque fois). Une quinzaine de minutes à chacun, je me connais, je ne suis pas un foudre de guerre aux ravitos.
Le temps de se dire au revoir avec Elisabeth, avec rendez-vous au lendemain matin, entre 7h et 8h30, au Preya de Los Reyes, au km 50. Elle va avoir une grosse journée le samedi, donc me suivre aussi pendant la nuit sera exagéré, bien que cela soit techniquement possible car le parcours est accessible en de nombreux endroits (voir mon "roadbook suiveur").
Je me place au milieu/fond du dernier sas de départ. Le plan est clairement de partir à l'arrière du peloton pour ne pas être entraîné par une vitesse trop élevée sur la première partie de nuit qui sera très largement montante : je me connais dans les montées, je ne résiste pas aux envies de pacmaniser....donc tant qu'à pacmaniser, autant le faire pas trop vite...:-)
Le départ est donné pile à l'heure, après un chant traditionnel canarien (du moins c'est ce que je suppose), qui a de petits airs corses. Feu d'artifice, ambiance prenante : VENGA, VAMOS, ÁNIMO....on va entendre cela toute la course durant, à la moindre personne croisée. (pour info, Ánimo, j'en ai conclu que ça veut dire "Courage").
L'immense serpent rouge de près de 900 coureurs sur la plage est magnifique. Je dois dire que je n'aimais a priori pas cette obligation d'une lumière rouge à l'arrière, mais cela va donner à la première nuit un côté impressionnant, quand on voit devant soi la petite guirlande de loupiottes rouges. C'est aussi parfois désespérant, quand tu vois la guirlande rouge TRÈS HAUT au-dessus de toi....
Pour l'instant, on commence par 2km de sable. L'air de rien, c'est pas simple : il faut un peu viser pour éviter le sable trop mou.....et aussi les flaques laissées par la marée descendante.
Contrariété rapide : j'ai eu l'idée idiote de mettre dans le mini sac Bob l'Éponge accroché à mon sac à dos, ma pharmacie. Je ne mets usuellement rien dans ce petit sac, qui est juste un porte-bonheur et ma marque de fabrique. Et....ça ballote sans cesse en faisant du bruit, c'est horripilant. Pire : à un moment, je le sens balloter plus que d'habitude......le sac est tout bonnement en train de se détacher et j'ai failli le perdre (ce qui aurait été une catastrophe absolue.....comment ça, je suis superstitieux?).
IL NE FAUT JAMAIS INNOVER SUR UN ULTRA, retiens cela, jeune Jedi qui lis ce récit.
Le temps de m'arrêter, de toute virer dans la poche principale du sac à dos, de réattacher solidement le vaillant Bob....j'ai du perdre 100 places....:-). Pour tout dire, je crois même entendre Luca Papi discuter quand je redémarre, alors que Luca (qui a terminé les 269 kilomètres de la 360°, il y a 8 heures seulement...et qui repart pour 125km) est parti totalement à l'arrière du peloton.
Je dois donc être à ce moment là 850ème au moins. Moi qui voulais partir "bien à l'arrière", me voilà servi.
Les 2 kilomètres de plage, par contre, c'est joli, mais c'est long et pas si simple : il faut essayer de viser le sable le moins mou pour ne pas se tuer les jambes d'emblée.....et quand même éviter un peu les flaques laissées par la marée. Et, également, se faire violence pour ne pas galoper comme tout le monde car, évidemment, ça part trop vite....même aussi loin à l'arrière.
La première côte, d'environ 200D+, s'avale relativement facilement. Bien évidemment, j'enclenche aussitôt ma marche préférée comme ce sera le cas dès que ça montera. Toujours amusant, cependant, de voir encore et toujours des adeptes du trottinement puiser déjà dans leurs réserves sur ces premières côtes. J'ai ainsi un V3 espagnol que je vais beaucoup jouer à suivre en marchant pendant qu'il s'obstine à courir...:-)
Je craignais un temps frais (la journée a été très pluvieuse et ventée)....c'est évidemment tout l'inverse. C'est tout juste si je ne repasse pas en tee-shirt....et j'ai du mal à supporter mes indispensables gants blancs (mais sans gants, les ampoules sont certaines).
Ambiance de feu à la première traversée de route ("La Costa" sur mon roadbook "suiveur"). Les "Venga", "Vamos", "Animo" fusent de partout. Par contre, ce point là (situé au km 7) est à déconseiller aux suiveurs car un gros bouchon s'est formé sur la route en raison du passage continu de la course pendant probablement (déjà) 20 minutes.
Nous sommes à 51 minutes de course, j'en ai prévu 53. Je surveille cela car je dois tenir Elisabeth au courant de mon éventuelle avance afin qu'elle puisse éviter de stresser sur le risque de me manquer au petit matin.
La redescente qui suit est caractéristique de ce que nous allons souvent avoir sur cette partie de nuit : mi-chemin, mi-route, mais une pente de plus de 20%, cela tape fort en dévalant....il va falloir beaucoup gérer ces petites descentes. S'ensuit un passage assez glauque dans un fond de "barranco" (un canyon à sec) qui sent assez horriblement.....la mierda. On sent qu'on est encore dans les faubourgs de Las Palmas, ce n'est guère bucolique.
Un petit coup de cul pour un nouveau petit hameau (avec des spectateurs dès qu'il y a une maison), on redescend pour un nouveau « barranco » et là, mon profil m'avertit déjà qu'on commence une partie qu'il va falloir gérer : plus de 4 kilomètres en faux plat montant au fond de ce canyon, sur un chemin un peu cahotique, avec les coureurs qui s'espacent de plus en plus.....là aussi, savoir gérer, c'est savoir marcher de temps en temps, malgré la pente faible, pour ne pas s'épuiser totalement. J'accepte encore de perdre les places que j'avais regagnées dès que la pente s'élevait....ou dès la première descente un peu technique.
C'est quasiment un soulagement, au ènième détour de ce canyon, que de voir le serpentin de lumières rouges s'élever enfin sur un côté pour atteindre un hameau perché environ 150 mètres au-dessus de nos têtes. En plus, cela permet de souffler un peu car le single dans la végétation ne permet aucun dépassement et le rythme est.....nous dirons « tranquille »....:-)
Le tout nous amène au premier ravito (avec un public très nombreux) au hameau de Santidad Alta (Arucas), au km 16,6. Je l'atteins en 2h09, pour 2h16 prévues. Je ne m'y attarde pas plus de 5 minutes, le temps de, méthodiquement, recharger la flasque (j'ai du boire....300ml!), picorer fruits secs, banane, jambon, fromage....et envoyer l'indispensable SMS signalant le 1/4h d'avance que j'ai déjà.
A ce point là, je suis 654ème (le pointage est en entrée).
La suite du programme, jusqu'au ravito suivant de Teror, je l'ai déjà dans la tête : montée, replat montant, grosse montée.....et descente sur Teror. Dit comme ça, c'est tout simple.
De toute façon, la montée en sortie de Santidad Alta, on la voit bien au dessus de nos têtes. Pas beaucoup de souvenir de cette partie là, c'est relativement roulant, un pourcentage assez moyen (dans les 10%). Juste à la fin, avant le point "El Palmar" de mon roadbook suiveur, j'ai la bonne surprise de voir devant moi....une casquette rouge Kikourou. Il s'agit de medelek, que je n'avais pas encore rencontré jusquue là et avec qui nous allons nous croiser jusqu'à l'arrivée (mais ça, on ne le sait pas encore, on peut juste l'espérer).
Par contre, lui relance sur le « plat » et s'éloigne donc un peu quand nous passons El Palmar.
Une ènième fois dans une ambiance sympathique....je ne sais pas si beaucoup suivent « leur » coureur, mais on peut en pratique arrive à se voir 7 ou 8 fois sur ce début de course car les croisements de route sont nombreux : il faut juste faire des kilomètres de spaghettis routiers dans la nuit, mais les routes de la Gran Canaria sont excellentes.
Arrivés à El Palmar, la vision est à nouveau impressionnante : on devine dans le clair de lune (c'est le Premier Quartier) les montagnes autour, et juste au-dessus de nous, un joli serpentin rouge qui zigzague dans la montée......haut.....très haut. Il n'y a en fait que 270D+ au dessus de El Palmar, mais de nuit cela impressionne beaucoup.
La montée devient alors franchement plus raide. C'est le moment de me tester un peu...:-). Il y a des coureurs un peu tout le long, donc rien de plus rigolo que d'enclencher une solide montée à grandes enjambées. C'est ballot, j'ai juste oublié de compter combien auront ainsi été dépassés, mais je fais un bon score : quelques dizaines au bas mot. Je vois medelek en haut, juste derrière moi : il a apparemment embrayé derrière la mobylette quand je l'ai dépassé au pied de la côte...:-)
Nous sommes désormais à 820m d'altitude et allons suivre pendant 1 ou 2 kilomètres un petit canal d'adduction d'eau. Il y en a en fait plein la montagne, de ces chenaux d'irrigation. Du coup, cela fait un chemin tout plat qui serpente au milieu de la végétation (beaucoup d'eucalyptus à cette altitude). C'est amusant, mais évidemment, je me fais dépasser, comme toujours sur le plat.
Quand la descente s'amorce enfin, elle est un peu technique au début donc je replie les bâtons et zouuuuuuu, on en profite un peu. On voit le village de Teror en bas, on sait bien où on va, sur ces 200D-. Par contre, quand on arrive sur de la route bitumée, je calme le jeu : c'est bien de faire l'andouille, mais il est encore un peu tôt pour de fusiller les cuisses. Le village de Teror, que nous avions visité le vendredi matin, est le bienvenu, tout de même. Je reconnais évidemment la place de la basilique Nuestra Senora del Pino et son gigantesque laurier.
Extrait du film de medelek : la petite lumière rouge devant, c'est moi..:-)
Le ravito de Teror est finalement atteint en 3h54, alors que j'avais prévu 4h08. J'ai donc doublé mon avance, mais essentiellement à cause d'un ravito plus court que prévu à Arucas. A Teror, par contre, je prends exactement les 10 minutes prévues, à nouveau en prenant méthodiquement mon temps : fruits secs, bananes, un peu de salé, un refill des flasques, un SMS pour donner des nouvelles en confirmant que je prends de l'avance sur le roadbook. Et je ne m'attarde pas plus car le ravito est en extérieur et il ne fait plus très chaud (j'ai toujours mon unique couche....et plus de buff depuis le deuxième kilomètre).
Je suis à ce moment là 641ème, donc 13 « places de gagnées » (comme il y a en fait 11 abandons à Arucas, cela relativise un peu).
La suite des opérations......eh bien, c'est encore largement de la montée, je le sais bien. C'est une des caractéristiques de cette course que le premier tiers est ascendant en grande majorité, le deuxième est une alternance de montées/descentes....et le dernier sera très majoritairement descendant. En même temps, sur une île, difficile d'imaginer autre chose....:-)
Bref, mon profil m'annonce une longue montée de 500D+ sur 6km, jusqu'à Lanzarote, une descente assez raide de 300D- immédiatement suivie d'une remontée de 200D+ pour aboutir au dessus de Fontanales, le ravito suivant, à 12km de là.
La sortie de Teror est longue, très longue. Nous nous élevons progressivement dans les maisons au dessus du village, de hameau en hameau, avec de courts replats sur ces fameux chemins d'irrigation. Les sections de montée sont par contre très raides : aux Canaries, quand ils font des routes, le 20% ne leur fait pas peur !
On finit par basculer dans un petit vallon plus sauvage et.....au-dessus de nos têtes : le serpent rouge, quoique un peu plus clairsemé, donne bien le ton. Je maintiens le rythme sans forcer, sur cette section : je me sens plutôt bien, mais il est temps de gérer cette fin de nuit sans trop tirer sur les réserves. Comme toujours, d'ailleurs, ce qui paraît très très haut l'est moins qu'on imagine et me voici à cet ènième point haut (nous sommes désormais à 1068m) en 1h13 pour 1h19 prévue. Vitesse ascensionnelle en apparence très faible, mais le rythme est fortement brisé par de petites redescentes, donc au final c'est plutôt pas mal.
La descente sur le village de Valsendero est très rapide et un peu technique. Un des rares points où, bien qu'il y ait une route, un suiveur n'aura pas le temps matériel de se rendre....et où nous passerons donc dans une grande solitude, d'autant plus que je me retrouve curieusement très isolé, soudain (j'aime bien). Je gère la traversée du vilage, en faux plat descendant, en y alternant marche et course, pour reposer un peu les cuisses.
Et on repart presqu'aussitôt dans une nouvelle montée d'environ 300D+, très raide sur la moitié, puis plus progressive. Là encore, peu de souvenirs de ce passage, je devais être largement en mode "débranché". En plus, on ne dépasse plus guère et on n'est plus dépassé. Et il fait nuit. Bref, pas grand chose à raconter....:-)
C'est donc assez "rapidement" qu'on dévale sur Fontanales par une petite route (il y a encore pas mal de sections bitumées sur cette partie, dès qu'on approche d'un village).
J'atteins ce troisième ravito, au km 39, en 6h18. Je m'y octroie royalement un quart d'heure, notamment pour faire un petit ménage de pieds (poussières, gravillons, et toutes ces petites choses qui deviennent irritantes à la longue). L'avantage c'est que le ravito est ici dans une salle, donc on ne prend pas froid trop vite. Or, je sais que le ravito suivant, celui du barrage de Los Peres, sera en extérieur au lever du jour, dans un creux, donc probablement très frais. Autant s'attarder ici. Je prends le temps d'avaler du chaud, de m'alimenter un peu plus, d'envoyer l'indispensable SMS (qui annonce que j'ai maintenant 30 minutes d'avance). Je suis très optimiste : sans forcer, pour le moment, je suis large sur mon tableau de marche....qui était certes assez pessimiste.
Les barrières horaires sont loin : j'avais 1h d'avance à Teror, j'en ai désormais plus de 3 heures. J'imagine Elisabeth qui va bientôt se réveiller, se préparer et se lancer pour 1h de conduite sur les spaghettis canariens pour me retrouver au km 50. Je repars donc totalement reboosté de Fontanales.
Je suis désormais.....581ème. Certes, je n'ai pas dépassé 60 coureurs depuis Teror, mais il y a eu 20 abandons à cet endroit là et, surtout, il est probable que pas mal de coureurs ont pris plus de temps à Teror.
Et, comme depuis le début, nous repartons....pour une nouvelle montée. Il s'agit cette fois d'atteindre la crète de Majadales, à plus de 1300m d'altitude, soit encore 300 mètres supplémentaires. En pratique, c'est une montée raide sur deux bons kilomètres puis en faux plat montant sur le reste. Je ne me souviens à nouveau de pas grand chose, probablement parce qu'il n'y a pas grand chose dont se souvenir.
Une fois en haut, par contre, il ne fait vraiment pas chaud, ça je m'en souviens bien....:-). Je résiste un peu à sortir la veste, mais je me connais, je vais rapidement être inconfortable. Je remets juste les gants que j'avais abandonnés, ce qui me vaudra cette remarque d'un des coureurs alentours : « Aha, Manos Biancos ! ». Visiblement, mes gants blancs ont toujours du succès, la nuit....:-)
Sur cette crète de Majadales, c'est un peu magique : la nuit est claire, la "vue" est dégagée, et on devine les sommets et vallons alentours, encore verdoyants (comme toute la partie Nord de l'ïle). Nous sommes désormais très isolés les uns des autres et c'est donc une file assez ténue de loupiottes qui s'égrène sur cette crète débonnaire.
Je me rappelle mieux de la carte à cet endroit : plusieurs kilomètres de section globalement descendante sur un plateau, avec une assez longue partie sur route. Je me connais : faut gérer. Donc, je gère.
Foulée rasante sur la route (alias "la foulée de Beaux"), petites coupures de rythme en marchant. Garder plein de jus, ne pas s'emballer. Tant pis si ça revient de l'arrière, à mon avis ce ne sera pas la dernière fois de cette course où on me dépasse....:-)
Surtout que, bon......y'a quand même un petit truc qui a l'air de pique sur ce profil :
PROFIL EL SAO
Cet espèce de "trou" nous préfigure un petit "quelque chose" que je pressens un peu coton.
Je pressens bien.
Cette descente vers El Sao est.....une plongée. Un sentier ultra-étroit, ultra pentu, dans une végétation humide des pluies de la veille. Si vous aimez du technique, vous êtes servis, il y a tout ce qu'il faut ici. On ne distingue même pas le fond du vallon, bien que le jour commence à poindre faiblement.
Seul avantage : alors que nous étions jusqu'ici isolés, le peloton se resserre nettement. Assez rapidement, nous formons une file indienne et la descente se fait plus en mode marche que course. Alors, bien entendu, ça peut être un peu irritant de se traîner ainsi, mais il faut le prendre positivement : on se fatigue moins !
Cette descente va donc être looooongue, du moins en apparence. En réalité : 30 minutes pour descendre de 950m à....521m. Ce n'est pas stratosphérique, mais on a vu pire. Tout le monde est d'ailleurs étonnamment patient, personne ne tentant des dépassements (de toute façon, si quelqu'un avait essayé, je l'embrochais).
Le ravin d'El Sao vu depuis le barrage de Los Peres
Et, bien sûr, une fois qu'on a descendus....eh bien il faut remonter...:-). Cette montée est en fait la plus longue de la course : 880m entre le fond du ravin d'El Sao et le sommet du Tamadaba, à 1426m. Cependant, comme elle est interrompue au milieu par le ravito de Presa de Los Peres, elle paraître moins longue.
Il est d'ailleurs impressionnant, au tout début de la remontée, de se retourner et de voir le superbe serpentin de frontales qui plonge dans ce trou, dans ce petit jour naissant. Une section difficile, par forcément totalement appréciée sur le coup (car le terrain était quand même très glissant), mais un beau passage.
La remontée est plus civilisée et se fait relativement facilement. La frontale est rangée, je sais que je retrouve ma chérie là-haut, tout va TRÈS bien.
Et ça ne loupe pas : aux premières maisons, je vois au loin le tee-shirt bleu de la "Team Bubulle" et j'accélère encore ma marche nordique sur la petite section bitumée qui reste pour nous rejoindre juste à ce barrage.
Me voici donc....et plus seul.....à ce barrage de Los Peres. On en est à 8h45 de course pour 9h30 prévues, j'ai même réussi à prendre encore de l'avance malgré cette descente difficile (je crois que je l'avais anticipé d'après la carte).
J'ai prévu d'y passer 15 minutes et je vais y passer.....15 minutes. Décidément, cette planification de course est plutôt réussie, ce que me confirme évidemment Elisabeth. Je sors la veste coupe-vent car il fait vraiment froid en ce petit matin. La lumière est par contre magnifique et on commence à avoir une belle idée des paysages superbes que nous allons enfin voir.
Je passe en 518ème position à ce ravito, donc 63 places de gagnées....qui peuvent être tout autant une partie des 32 abandons de Fontanales....ou du temps gagné au ravito précédent....ou encore une belle remontée (on a le droit de se croire bon, c'est-ce pas ?).
Je repars bien requinqué pour ce qui s'annonce être une belle montée, au sommet du Tamadaba, dont la forêt de pins des Canaries nous domine de 600 mètres. Je vais faire un bon kilomètre avec la veste, que je finis par ranger pour aussitôt basculer en mode "jour", ce que je pensais faire initialement au ravito, mais il y faisait trop froid. Plus de manches longues, le tee-shirt est de sortie, les lunettes de soleil également, le reste est rangé et.....c'est parti pour une grosse montée.
Effectivement, ça va donner. Curieusement, j'ai encore oublié de compter, ce que j'aime bien faire, souvent, mais en gros, c'est "No Pasaran". Surtout d'ailleurs les deux français qui me dépassent sournoisement en coupant un lacet (berk) et que je vais me faire un malin plaisir de redépasser sur place dans les deux lacets suivants. Pas faire chier Raoul.
Bon, 550m/h, rien de bien terrifiant, mais sur une pente de seulement 13% de moyenne, c'est plutôt pas mal. En gros, ce Tamadaba, c'est une montée bien régulière, en sous-bois, sur un terrain assez facile. Long, mais rien de difficile.
En haut, la vue est un peu cachée car la forêt couvre tout le sommet (en plus, on passe légèrement dessous), mais les échappées nous révèlent de superbes paysages et une lumière parfaite. Ce n'est pas encore le grand beau : les sommets plus lointains du Roque Nubio et du Pico de Las Nieves sont dans les nuages encore.
Normalement, je peux retrouver Elisabeth au moment où le parcours rejoint la route touristique qui fait le tour du massif de Tamadaba. La redescente est assez progressive et j'y entre plus en mode gestion : les cuisses commencent à chauffer un peu et je ralentis assez nettement, me faisant même redépasser par plusieurs coureurs dépassés précédemment.
Pas d'Elisabeth au carrefour. J'apprendrai en fait plus tard que, bien qu'il suffise de 15 minutes pour monter depuis le barrage, elle a logiquement fait un peu de tourisme et avait peur de me manquer.
Elle a donc attendu un peu plus loin au delà de la Cruz de Acusa (le parcours longe en fait une petite route....déserte, où les encouragement de ma Super Suiveuse sont un peu solitaires). On se retrouve à nouveau à la Cruz de Acusa, un col un peu perdu au milieu de la forêt où je lui indique que je commence à attendre le ravito d'Artenara avec impatience car j'ai un bon coup de fatigue.
C'est où, le ravitooooooo ?
Par contre, j'ai bien vu sur le profil que se dissimule ici un sacré bon gros coup de cul, entre 1100 et 1300m, qui fait un peu "bossounette" sur le roadbook, mais qui est loin d'être négligeable en pratique. Tout le monde y est d'ailleurs un peu scotché : on sent que la nuit a fait son oeuvre....et on peut pressentir qu'Artenara sera un des premiers gros mouroirs de la course (si j'avais su que c'est là que Caro décidera d'arrêter, je n'aurais pas pensé ça....désolé, Caro !).
Il reste à plonger sur le village d'Artenara pour retrouver le ravito où.....je ne vois pas Elisabeth ! Étrange, je suis un peu inquiet : aurait-elle eu du mal à le trouver (il a changé de place par rapport à l'indication que j'avais) ? Je commence donc par lui envoyer un SMS.
En fait, c'est tout bête....il ne fait pas chaud du tout, les suiveurs ne sont officiellement pas autorisés à entrer dans les ravitos (en pratique, ce n'est pas si strict, sauf à Garanon) et elle attendait donc dans la voiture. Elle arrive alors que je suis en train de repérer ce que je pourrais manger.
A ce ravito, qui est la mi-course, il y avait apparemment de la nourriture chaude : riz et légumes. « Avait » car.....il n'y en a déjà plus aux 2/3 du peloton. Je n'hésite pas : je récupère une assiette non terminée qui traine sur une table et je la termine. On n'en est plus à ça près.
J'ai quand même besoin de chaud et d'une plus grosse coupure. C'est le premier ravito où j'arrive vraiment fatigué (c'est juste la moitié de la course, en distance) et je trouve que c'est un peu tôt pour ça. J'y croise Alexandre, un ami Facebook que....je rencontre pour la première fois, en fait, ainsi que medelek à nouveau. Elisabeth, pendant ce temps, me ravitaille en bouillon chaud (un des petits avantages de l'assistance que de ne pas avoir à se bouger).
Avec medelek et Alexandre au ravito d'Artenara
Je suis un peu moins structuré et clairement plus fatigué, ici. On sent que ça va commencer à devenir difficile.
Du coup, la coupure va être conséquente : 30 minutes (10 seulement étaient prévues), mais c'est vraiment nécessaire, surtout que les deux sections qui suivent vont être difficiles, avec du gros dénivelé montant et descendant. Cela étant, je suis arrivé avec 1h15 d'avance sur le roadbook et je repars avec encore près d'une heure d'avance : aucun péril en la demeure.
Curieusement, pas de pointage sur ce ravito : nous le cherchons soigneusement au cas où on l'ait loupé, mais non, rien.
Je repars un peu plus à contrecoeur, ça devient un peu plus dur partout dans le corps et il se profile une très longue montée de 500D+ jusqu'au Risco de Chapin, une crète face au Roque Nubio. Montée qui, sur le profil, a l'air un peu irrégulière et assez longue (4,5km). De plus, ce n'est pas encore le grand beau temps et on ne voit que des nuages, là-haut. Il ne fait plus très chaud, mais je reste en tee-shirt, je me connais.
Il faudra un bon kilomètre avant de retrouver une vitesse de croisière, pendant lequel une petite japonaise en tee-shirt violet me dépose littéralement sur les premières pentes. Je vais ensuite l'avoir en point de mire tout le reste de la montée.
Il y a finalement un pointage à Artenara, mais en sortie de village. Je suppose que c'est parce que la course « Advanced » partait de ce point. Je pointe en 506ème position, en gagnant donc encore 12 places, malgré cet énorme arrêt à Artenara. Mais les 21 abandons du Barrage et les 36 d'Artenara (dont Seb Chaigneau, Caro, Émilie Lecomte...) doivent largement expliquer ce gain de place alors que j'ai clairement reculé au sein de la course.
Artenara, mi-course. 12h de course. Je devrais donc arriver en 24 heures? La suite va montrer que ce type de mathématiques simplistes oublie de tenir compte de certains facteurs (indice : les callouix de m....a).
Le rythme va revenir très doucement, mais je ne fais clairement pas d'étincelles sur cette montée. Je me fais même ponctuellement dépasser, plus que je ne dépasse, ce qui est un signe. En fait je crains assez fort à l'avance la longue descente sur Tejeda car je sens bien les cuisses un peu (beaucoup) dures.
Le temps est malheureusement totalement bouché au Degollada de Las Palomas (1623m), un peu au delà du sommet (1752m) où le sentier retrouve la route et où je retrouve évidemment Elisabeth qui fait l'ambiance avec 2 ou 3 autres groupes de suiveurs, l'un d'eux même muni....d'une cloche un poil incongrue ici...mais tout est bon pour retrouver du moral.
Sortie de la brume au Degollada de Las Palomas
Le début de descente vers la Cruz de Tejeda me confirme que ça va être difficile. Les cuisses hurlent de plus en plus sur cette pente assez forte et je dois parfois faire des pauses en marche pour les empêcher d'exploser. Je suis toujours de loin « ma » coureuse japonaise et nous nous faisons ponctuellement dépasser. Tout cela n'est pas très brillant....
Un « check » rapide avec Elisabeth à la Cruz de Tejeda (un col touristique façon « grands cols des Alpes ») : il y a soudain beaucoup plus de monde qui n'a rien à voir avec la course car on se rapproche des stations balnéaires du sud de l'île. Rendez-vous « en bas », à Tejeda : il y a 500m à descendre en un peu plus de 3km, on voit le village en bas.
Petite pause pour repasser en mode « tee-shirt » car j'avais remis un peu de chaleur pour le passage précédent, un peu exposé et dans les nuages. Il fait maintenant franchement chaud.
Je m'astreins à ce pas utiliser les bâtons pour descendre (ce qui freine assez inéluctablement) et je finis même par dépasser enfin ma coureuse japonaise.
Tejeda est assez étonnant : très touristique, il y a du monde un peu partout et nous courons plus ou moins sur les rues, un peu dans l'indifférence générale. De plus, le ravito est tout en sortie de village, un peu à l'écart. Elisabeth a pas mal galéré pour se garer, ce qui était un peu une suprise (en fait, l'astuce est de se garer à la sortie du village, sur la GC-60 vers le Sud).
Elle tombe d'ailleurs sur moi un peu par hasard dans le village avant le ravito, que j'atteins finalement en 13h57 pour 14h55 prévues. Je suis donc désormais dans l'allure de mon roadbook, on dirait.
Un peu entamé? Nooooon, si peu !
Ravito en extérieur, sur une terrasse, mais comme on est en plein après-midi, ce n'est pas un problème. La chaleur est désormais vraiment forte, il devient clair que la montée au Roque Nubio va être une tuerie. Si j'y survis, le gros de la course sera fait et ça devrait le faire jusqu'à la fin. Mais....il apparaît quand même diablement haut, ce rocher (qu'on ne voit en fait pas vraiment, depuis Tejeda). Cela va être la plus longue montée d'une traite, sans interruption : 700 mètres de dénivelé. J'ai été assez large sur le roadbook : 1h43....mais l'impression qu'il va falloir cela.
Au ravito....sous le monstre de montée qu'il nous faudra avaler
Je reste « seulement » 12 minutes à Tejeda alors qu'a posteriori, j'ai l'impression d'y avoir traîné. J'ai encore gagné 9 places, probablement uniquement au jeu des abandons à ce point là (28), puisque le pointage précédent était après Artenara.
Et je repars avec les encouragements précieux de ma chérie. Rendez-vous à la base vie de Garanon, environ 700m plus haut et dans......2h30 à 3h, disons....
Je repars....juste derrière ma japonaise, d'ailleurs. Oh, pas bien longtemps car j'ai décidé d'attaquer cette côte lentement, sans même forcer. Il va falloir la gérer sur une longue durée et on est en plein soleil, ça cogne fort.
La tactique de « 50 mètres de D+, une gorgée » revient tout naturellement. Comme toujours, d'une part ça passe le temps, d'autre part ça force à boire. Certes les flasques contiennent un mélange improbable de Cola espagnol, de flotte et d'Overstims.....mais ça passe (j'ai un peu un estomac en béton armé, gros avantage en ultra).
Ce qui est un peu désespérant avec cette ascension du Roque Nubio, c'est qu'on monte à l'Est de l'escarpement rocheux et qu'on finit par en faire un grand tour par son versant Nord avant de finir de monter à l'Ouest. Bref, on n'en voit pas trop le bout.
Après ce début poussif, je finis par retrouver un rythme de croisière, certes pas très élevé, mais suffisamment régulier pour ne plus avoir l'impression de ne pas avancer. Je m'offre par contre une petite pause "Pom'Pote" à peu près au milieu de la montée.
Je faisais plus le malin 2 jours avant la course !
Le passage au Roque Nubio est très sympa mais je dois dire que j'ai mieux profité de la balade deux jours avant lorsque nous sommes venus jusqu'ici en mini reconnaissance. Je prends que même le temps d'admirer la vue qui porte jusqu'à Ténérife et à l'énorme sommet du Teide, point culminant d'Espagne, qui émerge d'une couronne de nuages à quelques dizaines de kilomètres de là.
J'atteins le demi-tour du Roque Nubio, après avoir traversé le tout dernier plateau de lave solidifiée, bien éprouvant pour les pieds. J'y suis en 16h09, pour 17h08 prévues au roadbook. L'heure d'avance est toujours là, je suis pile dans le rythme du roadbook, je sais qu'il était lent donc....je ne suis pas très rapide....:-)
Je suis pointé 480ème. Pas d'illusions, les 17 places gagnées ne le sont que par le jeu des abandons de Tejeda car j'ai assez certainement été dépassé plus que je n'ai dépassé.
Une fois ce Roque Nubio grimpé, l'erreur serait de croire que la base vie de Garanon est immédiatement là. Il est reste encore environ 4 kilomètres d'abord descendants, puis remontants à partir d'un barrage. Quand on n'espère qu'une chose, se poser au ravito, c'est....long.
Le seul événement sera que j'ay reviens sur ma japonaise en violet, qui a retrouvé une compatriote. Plus très à l'aise en descente alors que je me force encore à y courir un peu, elle commence à faiblir pas mal....comme d'ailleurs maintenant la majorité des coureurs autour. Si je l'ai bien identifiée, elle abandonnera d'ailleurs à Garanon.
L'arrivée à Garanon fait du bien : je vais pouvoir me changer avec le sac laissé à la prise du dossard. C'est assez psychologique, mais le fait de redevenir « propre »" fait toujours beaucoup de bien sur un ultra.
Je retrouve bien évidemment encore mon assistance de luxe : ce sera la dernière fois car Elisabeth doit maintenant aller récupérer notre deuxième location, un BnB perdu dans une vallée à l'Ouest de Maspalomas. Une adresse très tranquille si on aime....la tranquillité...:-) (pour info : El Drago Del Sao, sur AirBnB). Par contre, la route pour y accéder, sauf à faire un immense détour par la côte, est....assez technique....:-). Rien qui n'effraie cependant la Team Bubulle, qui a déjà fait pire sur certaines routes suisses.
En attendant de se séparer, Elisabeth m'encourage à aller voir les kinés. Un massage des cuisses, cela ne peut pas faire de mal et avec les deux immenses descentes qui nous attendant, et une fin très roulante, ça ne peut être que bénéfique, même s'il faut y "perdre" 30 minutes.
Les kinés espagnoles sont géniales ! D'abord, elles sont très sympa et serviables....et la « mienne » s'occupe génialement de mes deux cuisses en béton. On y passe certes du temps à faire l'avant et l'arrière (surtout que j'ai la cuisse volumineuse, ce qu'elle me confirme), mais je ressors de la table de massage tout à fait requinqué.
Je passerai au final 50 minutes à cette base vie. Bien sûr, c'est énorme, mais plus je fais d'ultras et plus je vois que j'ai besoin d'assez gros arrêts. Et comme cela me réussit plutôt bien, pourquoi changer pour une « tactique » plus hasardeuse d'arrêts éclairs. Je confirme par contre à Élisabeth que le sommeil est hors de question. Il y aura une deuxième nuit (du moins un début) mais pas de dodo nécessaire.
Je repars donc en 17h49 pour 18h29 prévues. J'ai consommé une partie de mon avance et n'ai « plus » que 40 minutes d'avance sur le roadbook et ses 27 heures. Le rêve secret des 25h et d'arriver avant minuit semble quand même un peu loin même si je soupçonne qu'il est possible de gagner pas mal de temps sur des prévisions largement pessimistes.
On verra bien. En attendant, il faut se lancer à l'assaut des dernières hauteurs du Pico de Las Nieves. « Il reste un marathon »....et on se donne rendez-vous dans 7 heures environ, à l'arrivée.
Eh bien en fait non. Je ne m'en rends compte qu'au bout de quelques kilomètres, mais le parcours d'obstine à ne pas monter dans cette forêt, en direction de la crète qu'on voit au dessus. Nous « coupons » de biais dans la forêt en montant certes un peu mais pas aux 1830m prévus.
En fait, les très fortes pluies du vendredi, qui ont conduit à reporter le Maraton (qui part de Garanon) ont rendu le terrain très difficile, voire dangereux à certains endroits. Les organisateurs ont préféré éviter cette dernière montée par souci de sécurité. Nous allons donc « économiser » environ 150D+ et 1 ou 2 kilomètres. Et donc, un gain de temps probable de 20 à 30 minutes.
Avec mes cuisses toutes neuves, j'arrive bien à courir sur de longues sections. C'est même amusant, ce sous-bois car c'est un peu un marécage et il est donc très rigolo de passer « droit dedans » en imaginant un peu ce qu'a du être le départ du Maraton, ce matin. J'ai un bon « lièvre » devant avec un coureur qui m'a dépassé lors d'une de mes pauses « Cyrano » mais que je n'ai pas envie de laisser partir loin devant.
Du coup, le rythme est assez bon. J'ai replié les bâtons, le terrain devient progressivement plat descendant....puis franchement descendant au milieu d'une énorme coulée de lave solidifiée. C'est plutôt amusant de courir là-dessus même si c'est très dur pour la plante des pieds, à la longue.
Courir sur une coulée d elave (extrait du film de medelek)
Peu à peu nous basculons du côté Sud et on voit le village de Tunte (San Bartolome de Tirajana) très très très bas en dessous de nous. Il y a quand même plus de 800 mètres à descendre.
Le sentier sur la lave se transforme progressivement en une étonnante « route » construite en grandes dalles de lave. « Route » datant, selon une borne rencontrée à un moment, de 1953, et qui constituait alors le seul accès à la région autour du Pico de Las Nieves.
« Route » impressionnante, avec ses lacets et sa pente à 20% voire plus par endroits. Elle comporte même des marches, ce qui confirme qu'elle ne devait être utilisée que par des animaux.
Extrait du film de medelek, la fameuse route....
« Route » par contre très destructrice pour les jambes et surtout.....les pieds. Certains mentionneront à l'arrivée avoir eu le dessous des pieds totalement détruit à ce moment. Cela se prolonge jusqu'à la Cruz Grande, ou Paso de la Herradura, où on croise une vraie route (c'est un bon point de suivi pour un suiveur, après Garanon).
A la Cruz Grande.....on en a fait la moitié ! Il reste à poursuivre par un chemin plutôt long de 4km qui finit de descendre les 350 derniers mètres de dénivelé avant le village. Là encore, un chemin parfois revêtu de dalles en pierre (mais bien irrégulières, là).... où on finit de se massacrer le dessous des pieds.
Chemin piégeux, d'ailleurs : j'y recontre un coureur qui s'y est fait une entorse et qui descend un peu difficilement (mais en y arrivant tout seul, ce qu'il me confirme lorsque je l'interroge).
Le ravito de Tunte est long à arriver, mais.....quelle ambiance ! La sono diffuse l'inimitable « Spanish Party Mix » où, certes tous les morceaux se ressemblent....mais qui a l'avantage d'être bien entraînante et joyeuse. Joyeux comme les bénévoles qui mettent la grosse ambiance à ce ravito. En plus, on a un peu l'impression qu'ils sont deux pour un coureur, ce qui fait qu'on est servis comme des princes. Il suffit désormais de s'asseoir sur une chaise et un bénévole arrive pour proposer de remplir les flasques.
Je m'organise par contre un peu mal à ce ravito. J'hésite à sortir, ou pas, la veste. En fait, j'ai eu bien chaud dans la descente, mais là, un peu aux courants d'air il fait assez vite froid. Il faudrait ne pas traîner, mais.....je traîne pour ranger les lunettes, sortir la frontale, en changer la batterie de manière préventive, hésiter à remettre le TS manches longues, me décider finalement pour les manchettes, etc, etc.
Bref.....15 minutes. Certes, c'est ce que j'avais prévu, mais ce sont 15 minutes mal utilisées, je trouve. Je mets aussi un SMS à Elisabeth qui a à nouveau besoin de savoir où j'en suis.
J'en suis...à 1h20 d'avance sur le roadbook. Certes, j'ai fait une belle descente, je pense....mais une bonne partie de ce gain de 40 minutes est surtout dûe au léger raccourcissement de la course. Mais on ne va pas bouder son plaisir, n'est-ce pas ? Du coup, il ne semble pas impossible de terminer en moins de 25 heures.....mais je suis loin de faire de tels calculs. Je suis quand meêm 491ème, soit 11 places de perdues depuis le Roque Nubio, largement, je pense, du fait de l'arrêt très long à Garanon.
Je repars en mode « marche » de Tunte. Il est assez long de sortir du village et de toute façon, ça monte. Il reste quand même encore 27 kilomètres, c'est long !
J'ai sorti la frontale, mais....la Stoots décide alors de me faire des siennes. Elle reste bloquée à la plus forte puissance, impossible de la ramener en arrière (ce contacteur magnétique des Wapi, abandonné depuis par Florian, est un souci récurrent de ce modèle : j'ai l'impression que la mienne commence à faiblir de ce côté là). Au final, je décide de sortir la frontale de secours, ma brave vieille Stoots Minimax, bien rustique. Et dans l'affaire, je réabandonne la veste que j'avais prise à Tunte à cause du froid sur le ravito. Je vais bien passer 5 minutes à farfouiller tout cela au milieu de nulle part, en me faisant passer par une bonne dizaine de coureurs.
Quand je repars, je suis vraiment tout seul. Devant...et au-dessus, je vois des frontales ça et là. Et même des frontales TRÈS au-dessus. Anormalement au-dessus. Il y en a à droite, il y en a à gauche, c'est bizarre. Certes le chemin fait des lacets ici, pour contourner un escarpement, mais nous sommes censés remonter à 1120m seulement, et nous sommes déjà à 1000 (merci l'altimètre).
Je comprends rapidement que des coureurs devant se sont probablement égarés. Je ne peux pas faire grand chose pour eux : 2 ou 3 frontales sont vraiment loin et haut et il y a d'autres frontales qui semblent, elles, sur le bon chemin. Crier dans le noir pour les alerter (en quelle langue ?) serait inutile, voire contre-productif. Je dois donc déjà m'occuper de moi et être TRÈS vigilant sur le balisage.
C'est un peu l'occasion de parler du balisage. Je l'ai trouvé parfois un peu déroutant : il doit y avoir des conventions tacites un peu divergentes entre les espagnols et nous. Le balisage « de répétition », juste après une bifurcation, est souvent peu évident. Il y a de temps en temps des balises équipées d'un signal rouge clignotant : ça c'est plutôt bien. Elles signalent souvent une bifurcation difficile à voir, mais pas toujours.
Les balises peuvent être assez fortement espacées quand il n'y a pas d'ambiguïté particulière, il ne faut donc pas toujours être étonné de ne pas en voir sur 200 ou 300 mètres. Mais, globalement, il est de très bonne qualité.
Bref, je me mets à faire très attention pour m'assurer de voir régulièrement du balisage. En pratique, le sentier fait un ou des lacets et contourne l'épaulement de la montagne pour basculer dans la vallée voisine, mais ne monte pas très haut là où j'ai aperçu des frontales. J'espère pour eux qu'ils auront compris leur erreur à un moment sinon je me demande bien où ils sont partis !
Je pressens depuis longtemps que cette descente va être l'un des deux derniers moments clé de la fin de course. Soit un long calvaire soit un très gros gain de temps si les jambes veulent bien rester là. Il y en a en effet pour 8 kilomètres à descendre de 1186m à 306m. Ce n'est pas une pente énorme, on pourrait imaginer une descente roulante.
Absolument pas ! On est dans le Sud de l'île, donc au royaume de la caillasse. Il n'y a que ça, partout. De plus la pente est irrégulière : on descend parfois assez fortement, puis on prend ensuite de longues traversées très faiblement descendantes. On ne voit RIEN de là où on va : cette vallée est totalement déserte et ce n'est qu'à 2km environ d'Ayagaures qu'on en voit les quelques rares lumières (c'est un tout petit village).
En plus, la solitude à ce moment de la course est quasi totale. Usuellement j'adore ces moments un peu magiques, mais là je vais trouver cela TRÈS long, d'autant que j'ai à nouveau du mal à courir en descente. Les cuisses sont très dures, donc les appuis sont peu sûrs et.....le terrain est très instable. Je vais me tordre plusieurs fois les chevilles sur des appuis manqués, dont deux fois quasi consécutives sur le pied droit (j'aurai ensuite pendant 2 jours un tendon très gonflé).
Du coup, je suis relativement, voire très, lent. Je suis très largement dans ce mode marché-couru que j'affectionne en descente quand je suis fatigué, avec les bâtons qui servent pas mal de béquilles.
Ce n'est pas SI lent que cela au final : je vais mettre 1h28 pour descendre alors que mon roadbook tablait sur un pessimiste 1h41. Mais ce n'est quand même pas très rapide et, même si je dépasse 2 ou 3 coureurs plus lents, je suis dépassé par un peu plus.
Surtout, les cuisses dégustent fort et, la grosse fatigue aidant, mon pas n'est plus du tout sûr. Sur la fin, en prime, la succession de torsions de chevilles entame bien mon moral. Je me sens lent, je me sens très fatigué, je me sens tout seul dans ce désert de caillasses. J'attends désespérément d'arriver au fond de la vallée près du deuxième barrage au dessus d'Ayagaures, qui sonnera la fin de cette descente infernale et de cet océan de cailloux.
Sur cette partie finale, je rattrappe d'ailleurs un pauvre roumain totalement dégoûté qui me dit avoir les pieds en compote, ne plus pouvoir avancer sur des cailloux instables, et vouloir arrêter à Ayagaures. Et, là, où j'encourage rarement à abandonner.....je me surprends à lui confirmer qu'il a raison et que la suite serait un calvaire absolu pour lui. C'est dire l'optimisme de mon état d'esprit en arrrivant ENFIN sur cette « route » entre les deux barrages.
Et c'est vrai que je la redoute, cette fin. Je sais qu'après un coup de cul et une descente rapide, une très grand partie des 17 kilomètres restants va se faire dans un canyon désert où il n'y a guère de raison que le monceau de cailloux de mierda soit plus faible que le monceau de cailloux de mierda de cette descente ci.
Gros moral, donc, en arrivant à Ayagaures, du type « bordel, mais combien de temps est-ce que je vais en chier comme ça à pas avancer ? ».
Objectif n°1, donc : envoyer le SMS à Elisabeth qui va lui annoncer qu'elle va devoir être patiente à l'arrivée et que je ne vais pas être si loin que ça de mon roadbook pessimiste.
Ah bin non, finalement. Pas de SMS.
Tout simplement parce que.....bin elle est là au bord de la route avec une petite dizaine de fantômes. Elle s'est tapé 1h30 de route depuis notre BnB (essayez de regarder « El Sao-Ayagaures » sur Google Maps, pour comprendre), juste pour être là. Parce qu'elle sentait bien que ça pourrait aider son zinzin de bubulle qu'elle a vu quand même bien entamé sur cette fin de journée. Quand j'essaie d'expliquer la valeur que peut avoir le soutien apporté par nos compagnons, ou compagnes, ou amis...bref tous ceux qui se tapent des heures d'attente en des endroits improbables, juste pour être là.....c'est difficile à faire comprendre la valeur que ça a.
Mais là, c'est magique. Oh, je n'étais quand même pas dans l'état d'esprit d'arrêter là, je me serais sans problème accroché jusqu'à la fin, mais l'apparition de « Team Bubulle » au bord du chemin à Ayagaures, ça a été exceptionnel surtout que là, pour une fois, je ne m'y attendais absolument pas.
Et que dire des bénévoles du ravito, de ce ravito-mouroir perdu au fin fond de sa vallée, dans ce village microscopique entouré d'une mer de cailloux (de mierda, je rappelle) ? Là aussi, ambiance « Reggaeton », on est accueillis comme des princes, je n'ai même pas le temps de me poser qu'un gentil garçon m'apporte une assiette de paëlla, qu'une autre bénévole me propose d'aller remplir mes flasques, qu'on me demande si ça va (la tête doit dire le contraire). Bref, l'expression « bénévoles aux petits soins » prend tout son sens.
On se promet avec Elisabeth de s'offrir une belle compil de cette spanish disco « DJ Madrid » pour se faire des souvenirs plus tard car, ce ravito (et celui de Tunte), malgré l'état lamentable du bonhomme, c'est un grand et beau souvenir de cette course.
Un peu moins glamour, le souvenir des deux toilettes bouchées qui m'empêche de réaliser totalement mes projets pour cet arrêt....:-). Le seul moment où j'ai failli gerber de la course : amis poètes, bonjour. Tant pis, j'extrais le sachet spécial « PQ » du sac, et je trouverai bien un buisson quelque part, des fois y'en a qui arrivent à pousser dans ces cailloux de mierda (pour info, et pour rester dans la poésie, je vais tellement en chier par la suite que je vais complètement oublier ma pause-caca à faire).
En attendant, bin faut aller affronter les cailloux. Je repars donc au bout de 15 minutes, pile ce qui était prévu. J'ai à ce moment 1h25 d'avance sur le roadbook et je suis 508ème. Encore pas mal de places perdues, à la fois au ravito de Tunte, pas si bien géré, et dans cette infernale descente.
On voit quelques frontales dans la montée vers la petite crète au dessus d'Ayagaures. Je m'en méfie de cette montée : 200D+ sur un profil, ça se voit à peine, mais sur le terrain, c'est haut. En pratique, elle se fait par de très larges lacets sur une route en terre qui a la largeur d'une petite autoroute.....et une pente plutôt faible. Le meilleur terrain pour moi à ce moment de la course : marche nordique, ça je sais encore bien faire. 3km de montée en 1/2h, on a vu pire.
Pas contre, tout seul de chez tout seul. Je vois bien des frontales "derrière", mais à 500m au moins. Devant, de temps en temps, je vois de temps en temps clignoter une lumière rouge, je m'en rapproche, je m'en rapproche.....et c'est juste un balisage doté d'une de ces petites lumières.
La route finit par basculer de l'autre côté, mais nous la quittons au bout de quelques centaines de mètres pour la toute dernière descente....évidemment dans une orgie de cailloux instables. Il n'y en a que pour 150 mètres, mais on espère quand même toucher rapidement le fond de ce canyon.
Erreur. Grosse grosse grosse erreur. C'est pire au fond. Imaginez en gros marcher dans un lit de rivière pendant 6 kilomètres avec des cuisses en bois, des cailloux qui roulent partout, dans le noir, au milieu de maigres buissons. C'est juste abominable. On guette les rares moments de répit où le sol redevient régulier....sur 10 mètres. On imagine que ça ne va pas durer, que plus on va se rapprocher de la fin de la vallée, plus cette espèce de piste aura été fréquentée par quelques véhicules et, peu à peu, devenir plus praticable.
Nada. Que dalle. Fume. C'est comme ça pendant SIX FOUTUS KILOMÈTRES. Impossible de courir, et même une marche un peu efficace est difficile. Et ce canyon tourne et retourne, et re-retourne.....A chaque courbe, on se prend à espérer apercevoir quelque lumière au loin, qui indiquerait qu'un va enfin déboucher sur la plaine côtière.....mais on aperçoit juste une autre courbe, puis une autre, puis une autre.
Je n'ai pas les distances sur ma montre, alors je me repère à l'altitude puisqu'on doit en gros revenir au niveau de la mer. Sachant que la fin, c'est à peu près 3 ou 4 kilomètres dans une espèce de canal asséché "en ville", je me dis que lorsqu'on arrivera à 50m d'altitude, ce sera bon.
Sauf qu'on est partis à 260 et que ça descend leeeeeeeentemeeeeeeent.
A un moment, Alexandre (un trailer de nos Yvelines que je connais par Facebook et que j'ai déjà croisé ça et là sur la course) me rejoint. On fait quelques centaines de mètres ensemble en nous lamentant de concert et en supputant la distance parcourue. C'est avec lui que je vais avoir le moment le plus déprimant de cette fin de course.....le panneau « 10 kilometros ante meta ». Aaaaaaaarg! DIX FOUTUS KILOMETRES ENCORE. On se lance dans de savants calculs. Alex a entendu que les cailloutos de mierda, ça se finit à 3,2km....Arg, il nous reste plus de 6 bornes de cet océan de caillasses.
Finalement, il a des jambes un peu plus vaillantes que les miennes, il arrive de temps en temps à courir quand les cailloux se raréfient....et je vais le voir s'éloigner (très) progressivement (il arrivera quand même 12 minutes avant moi).
Me voilà à nouveau tout seul. Et ça tourne, et ça retourne. Et un éboulis par ci, et un autre par là. Très ponctuellement, le chemin se transforme en chemin presque civilisé avec deux traces de « roues ».....je place un démarrage à 6 à l'heure en MN. Et ça recommence à rouler dans tous les sens.
Je vais passer une heure à ce jeu infernal. Une heure pour faire les 5,6km (j'ai mesuré après coup) de cailloux ronds pourris de mierda. Souvenez-vous de cela si vous lisez ce récit pour préparer votre TGC à venir et s'ils conservent ce parcours. 5600 mètres de cailloux de 400 centimètres carrés (20x20, sauf qu'ils sont ronds, mais on ne va pas chipoter) de surface moyenne, sur une largeur de 3 mètres. ....cela nous fait 420000 cailloux, vous pourrez essayer de les compter pour passer le temps....
Bref, on finit, à la ènième courbe, par enfin apercevoir quelques vagues lumières, puis la vallée s'élargit un peu, le chemin se civilise vaguement et.......on arrive sur une route en terre de 20 mètres de large qui sort d'on ne sait où. Au loin, loin, loin, loin......on voit l'autoroute.
Un kilomètre et demi de route en terre ultra-mega-hyper-plate. A pu les cailloux, on pourrait courir, voler vers l'arrivée tel le phénix. Sauf que, bon, les guibolles commencent à ne plus rien vouloir savoir. Donc, allez hop, méthode de choc : cyrano : « je fais 200 mètres en courant, je marche 100 mètres, je fais 200 mètres en courant.... ». Ça occupe, de compter les pas (bin oui, tant qu'à faire, hein). Et puis d'abord, les deux frontales derrière, je veux pas qu'ils reviennent.
Mince, ils reviennent, ils ne font pas de Cyrano, eux, pfffff. Et me revoilà tout seul, avec ces deux frontales qui s'éloignent doucement. Je suis une grosse limace verte. La honte de la course à pied. Le vieillard de Maspalomas. Le pire, c'est que je suis allé plus vite que mon roadbook, quand même. C'était vraiment un roadbook de maison de retraite.
Le panneau annonçant 5km à l'arrivée est passé à ce moment là. J'envoie un SMS à Elisabeth car je me doute qu'elle m'attend bien plus tôt. Il est difficile d'imaginer qu'il me faudrait 3h15 pour faire 17km sur un profil « facile ».
Je lui ferai même un SMS par kilomètre, du coup, ça occupe. Car, c'est loooooong, cette fin. On descend dans cet espèce de canal glauque qui file tout droit vers la mer, il n'y a personne ET IL EST ENCORE PLEIN DE CAILLOUX PAR ENDROITS. Je guette le fameux « Parque Sur », le point de contrôle situé à 3km de l'arrivée. Qu'est-ce qu'on nous y fait faire ? Remonter sur l'avenue au bord du canal, pointer et.....redescendre dans ce fichu canal, pour en ressortir 300m plus loin. A ce niveau là c'est franchement du vice quand on sait que certains en sont quasiment à descendre des escaliers à reculons.
En tout cas, à ce Parque Sur, j'en « profite » pour rejoindre et dépasser mes deux frontales de devant. Du coup, ils vont me motiver pour tout la fin. Je me mets le défi qu'ils ne me rattrapent pas : c'est certes un défi idiot, mais ça motive car, une fois sorti du canal, cette fin est très très longue, sur des avenues désertes avec des lignes droites interminables : « allez, je cours sur 2 palmiers, puis je vais marcher sur 1 palmier, puis je recours sur 2 palmiers ». Je fais du cyrano-palmier, la version canarienne des fins de course galère.
Y'a plus de palmiers sur la dernière avenue, zut. Bon, tant pis, je vais compter les pointillés de la route : « Je cours sur 15 pointillés, je marche sur 10 pointillés ».
Enfin, on entend le haut-parleur au loin, le speaker qui s'échine pour mettre de l'ambiance sur une ligne d'arrivée.....un peu déserte, Elisabeth le confirmera, elle qui y a attendu plus de 2h30.
Enfin le dernier rond-point, des barrières, des humains (la vie nocturne d'une station balnéaire canarienne fréquentée par des seniors allemands, ça ne palpite pas des masses).
En tout cas, les rares spectateurs sont enthousiastes, merci à eux et......bin voilà, paf c'est fini.
On fait le beau sur la ligne pour espérer avoir de jolies photos, on retrouve évidemment sa Super Suiveuse pour s'écrouler sur une barrière et on savoure.....
C'est quand même un beau challenge, cette course. Aussi long aussi tôt dans la saison, je suis fier de me l'être avalé. Largement dans l'objectif, avec 1h20 d'avance sur le roadbook (25h41 au final, 501ème). Un tout petit regret de ne pas avoir réussi à arriver avant minuit : c'était possible en gérant peut-être un peu mieux (ravitos plus courts ou un peu plus d'économie avant Artenara, peut-être). Mais je suis en fait à mon niveau.
Debrief avec medelek, arrivé....4 minutes avant moi
J'ai beaucoup aimé le parcours, sans conteste. Bien sûr, il est dommage de faire la partie Nord de nuit, mais c'est ce qui permet de faire la partie centrale, avec les plus beaux paysages, de jour. Bien sûr, si on trouvait mieux que ces infâmes cailloux et ce canyon final mortel....mais la carte prouve qu'il n'y a en fait pas grand chose d'autre pour terminer après Tunte et Ayagaures. C'est surtout dommage pour les plus courtes distances, notamment le 17km qui est constitué essentiellement....de ce fameux champ de cailloux.
J'ai aussi fait une belle course car j'avais mon soutien de course : la nuit entière a été passée à attendre le ravito du barrage où on se retrouverait et la surprise d'Ayagaures était....juste magique. Et que dire ensuite du retour du guerrier au BnB perdu dans les vallées du Sud, après la course, à 2h du matin et où il fallait conduire une bonne heure malgré la fatigue d'une journée énorme. Ce n'est pas rien que de dire que ces ultras, on les fait à deux et, surtout, on les fait bien mieux à deux.
Et, en plus, les vacances aux Canaries après la course, je vous le confirme, c'est un super bon plan !
Rendez-vous désormais....dans trois semaines sur des terrains de connaissances : nos forêts de parigots pour un 8ème Ecotrail !
! ¡ Hasta la vista ! Reggaeton !
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10 commentaires
Commentaire de Lécureuil posté le 10-03-2018 à 18:31:45
Bravo bubulle
Et toujours aussi amusant à lire
A ce rythme tu vas mettre 4 jours à la swisspeaks !;-)
Commentaire de patfinisher posté le 10-03-2018 à 18:50:14
J avoue...pas encore lu entièrement... je me le réserve comme un book du soir pour faire de bons rêves... une chose est sûr, tu n'as pas de "nègre".
Ca me donne de bonne idées pour 2019... GRAND BRAVO au Team Perrier !
Commentaire de Robineto33 posté le 10-03-2018 à 20:36:55
je n'ai fait que l'advanced (63 km) mais ton CR m'a rappelé tout à fait des sensations vécues durant ce trail que j'ai trouvé également trés "plaisant".
Bravo!
Commentaire de medelek posté le 10-03-2018 à 22:56:42
félicitation maillot à pois!
Un récit de bubulle, ça remplace bien un bon film (j'ai presque mis autant de temps pour le lire), on retrouve bien l'esprit de la course et les différentes émotions que l'on peut y vivre.
En espérant se recroiser sur d'autres pentes, venez à l'UTPMA, il n'y a pas de cailloux de mierda et les paysages sont tip top.
Commentaire de Arclusaz posté le 11-03-2018 à 08:29:45
Bravo El Bubullito !
on peut dire que tu maîtrises la gestion de course et l'art du CR précis.
Par contre, c'est balot, j'ai tout bien lu, et pas une seule fois le mot "saucisson". Donc, course pas validée, à refaire (dans ma grande bonté, j'aurais même accepté le terme "chorizo").
Commentaire de franck de Brignais posté le 11-03-2018 à 16:16:49
Encore une belle histoire que vous avez écrite à 2 ! Bravo, d'abord, à Elisabeth pour sa patience d'ange de suiveuse sans faille (oh que c'est bon !!)... puis à toi pour avoir dompté les cailloux "roulane" des fonds de lits de rivière ! Bonne récup' !
Commentaire de Cheville de Miel posté le 12-03-2018 à 09:28:47
Encore un Ultra de fini, encore du beau travail d’équipe, encore un chouette CR! T'as capacité a enchainé est quand même unique!
Commentaire de RayaRun posté le 12-03-2018 à 11:05:44
J adore le roadbook de maison de retraite ou le Cyrano palmiers ou Cyrano pointillés ! Ta technique de course est toujours unique ! Et bien sûr Bravo Elisabeth, tu as beaucoup de chance d avoir une telle assistance !
Commentaire de pinafl posté le 12-03-2018 à 13:58:45
Décidemment, ces cailloux de fin de course font l'unanimité.
Commentaire de Benman posté le 21-03-2018 à 18:35:50
Je vois que tu as réussi a compter les cailloux, ce qui est le signe d'une grande lucidité. Retiens déjà un dossard pour le premier trail martien. Le potentiel est là et tu te décris même comme une "grosse limace verte (ASSE Powa?). Bravo pour ton abnégation y compris à compter les palmiers et les pointillés quand il n'y a plus de cailloux pour te divertir. Et bien sûr bravo pour cette course en tandem
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