Jeudi 29 mai
13h10
Il a sauté la barrière pour se placer à l'avant du peloton, ce n'est pas trop son genre mais les autres gars du club ont fait de même, alors ...
Mille coureurs et près de vingt "jaune et noir" d'Alençon ; il est venu pour le club malgré les 61 km du trail d'Ecouves qu'il doit théoriquement courir trois jours plus tard.
L'arche de départ n'est qu'à quelques mètres, "C'est trop près", se dit-il. Il sait qu'à 58 ans, il n'approchera plus les 39 minutes et d'ailleurs, il ne se sent pas de jambes depuis ce matin, il a l'esprit ailleurs, près de sa fille qu'il a accompagnée la veille à ce qui est certainement sa dernière visite de contrôle à la maternité. "C'est certainement pour ce week-end" lui a-t-elle dit.
Pas de jambes lors de l'échauffement avec Hervé. Il va partir comme une bombe pour tenter le passage sous les 39 min, lui. Onze ans de moins, ça aide...
Jean-Paul est devant lui. Ce solide V2 le bat régulièrement en cross et vient de faire un beau 40' lors de son dernier 10 km. Il lui dit de se placer plus avant, il ne se sent pas le courage de le suivre.
13h20
Seize à l'heure durant 400 mètres, ce n'est pas raisonnable mais aussi très étonnant. Il y a une demi-heure, il aurait été incapable d'atteindre cette vitesse mais la magie de la compétition opère à nouveau. Cependant, il lève le pied rapidement après avoir traversé la rivière et effectue son premier kilomètre en 4'16. Le terrain est relativement facile puisqu'il ne quitte que peu le bord de Sarthe. Il y a bien une petite côte sur la rive nord mais rien de méchant. Il s'aperçoit qu'une fois de plus il est bien plus performant en montée et en descente que sur le plat, doublant dès qu'une difficulté se présente. L'expérience du trail, sans doute.
Après trois kilomètres, il aperçoit le débardeur de son club une centaine de mètres devant lui. C'est un ancien, mais lequel ? Un deuxième maillot un peu plus loin est, lui, parfaitement identifiable, c'est le grand Jean-François qui est de 1956 comme lui mais dont l'allonge le met hors de portée. A ce moment, le jeune Guillaume le passe avec facilité, il est parti prudemment, se relevant tout juste de blessure. Un salut à Jean-François et il file facilement vers un chrono de 40'12". Nouveau passage de Sarthe, il n'est pas descendu sous les 13 à l'heure comme il le craignait.
Allers-retours le long du quai Louis Blanc, l'occasion d’encourager ceux qui le devancent. Thierry est tout rouge à la poursuite de son fils Aymeric. Le gamin est facile mais l'expérience parlera en plaçant le père douze secondes devant à l'arrivée en 39'02". Hervé n'est pas loin mais semble sur des bases de 40 min.
Jean-François est toujours hors de portée mais le maillot jaune et noir qui se trouve entre eux deux se rapproche, c'est Marc. Il a beaucoup de respect pour Marc, pour son calme, sa disponibilité, sa force tranquille mais aussi pour son palmarès. Marc a quatre ans de plus que lui mais il ne peut l'approcher que rarement. En route pour une troisième place V3, Marc gère puissamment sa course. C'est le moment de l'accompagner.
Un jour, il a sprinté avec Marc à l'arrivée d'Alençon-Médavy au risque de vomir. Il l'a emporté et Marc l'a sportivement accepté avec un sourire. Il était fier d'avoir battu une légende locale. Aujourd'hui, il s'agit de suivre ce brillant V3. Il essaie bien de prendre de temps en temps le relais mais Marc mène la plupart du temps.
Dix kilomètres, c'est bien court et on s'achemine vers de nouvelles épingles à cheveux quai Louis Blanc mais avant, on franchit encore la Sarthe non sans avoir rattrapé Jean-Paul sous le coup d'un moins bien en l'encourageant à suivre le train mené par Marc.
Petit treize à l'heure Pont Perrin puis on repasse au-dessus des quatorze. Jean-Paul craque et perd 1'20" en moins de deux mille mètres.
Quinze cents mètres à croiser d'abord ceux qui précèdent puis ceux qui suivent comme dans les lices d'un tournoi. Jean-François a confirmé son avance, il finira quinze secondes devant. En remontant, il aperçoit Valérie qui est à moins de deux minutes, l'assurant de la première place V2. Bonne nouvelle pour le club !
Dernière ligne droite, il passe légèrement devant Marc. Celui-ci, prenant cela pour une invite, repasse devant et lance un train à seize à l'heure. Il suit une seconde derrière. Aujourd'hui, le respect l'emporte sur la pugnacité. C'est un ancien judoka et il sait quand il doit s'incliner pour saluer.
42'22" puis 42'23" : 209 et 210 sur 1060 classés, il remercie Marc pour lui avoir permis de se maintenir à ce niveau modeste mais très satisfaisant.
Une petite pluie passagère le fait s'abriter sous une tente où il retrouve Mohammed, le champion du club. Il n'est pas trop satisfait de sa sixième place en 31'05" malgré sa première place Espoir.
Le futur grand-père, lui, est fort heureux de sa 24ème place V2. Il n'a pas été aussi euphorique depuis des jours. La magie du club, la magie de la compétition...
La veille, en attendant que s'achèvent les examens de sa fille et de la petite vie qui s'y abrite, il avait cheminé le long de cette même Sarthe au niveau de l'hôpital d'Alençon. Il avait contemplé son reflet et s'était demandé si c'était bien lui, cette ombre.
Cinquante kilomètres plus au sud, dans la cité des Cénomans, c'était bien moi.
4 commentaires
Commentaire de philtraverses posté le 31-05-2014 à 19:12:50
Bravo "il". Belle perf, belle vie, petits bonheurs, beau et simple à la fois. Inaccessible pour certains..
Si j'ai bien compris c'est la veillée d'arme pour le trail d'écouves. 61 croisements de doigts..
Commentaire de Mustang posté le 31-05-2014 à 20:53:04
Bravo pour ta course, un peu plus de 42 min sur le 10, respect. Belle ambiance pour la vingtaine d'athlètes de l'A3 dans une saine émulation sportive ! Bravo à tous!
Grosses pensées de Montpellier où Mireille et moi vivons du bonheur à prendre soin de notre petit-fils !
Commentaire de Insomniac Trailer posté le 01-06-2014 à 09:47:05
Il m'impressionne vraiment ! Bravo à lui et bon Trail d'Ecouves !
Commentaire de Arclusaz posté le 05-06-2014 à 11:30:33
Oui mais il parle aux oiseaux
Au soleil et aux forêts
Oui mais il parle aux ruisseaux parfois
Quand le temps n'est pas trop froid
Gérard Lenorman (ça ne s'invente pas !), philosophe français du 20eme siècle (plus discret au 21eme siècle)
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