Récit de la course : Raidlight Ultra Trans Aubrac - 105 km 2013, par ilgigrad

L'auteur : ilgigrad

La course : Raidlight Ultra Trans Aubrac - 105 km

Date : 13/4/2013

Lieu : Laissac (Aveyron)

Affichage : 2481 vues

Distance : 105km

Objectif : Terminer

10 commentaires

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une ballade en Aubrac

Récit de l’Ultra-Trans-Aubrac 2013

à lire également sur mon blog :

http://www.ladrauniere.fr/2013/04/ballade-en-aubrac/

 

Une course commence rarement sur la ligne de départ. Elle nait quelques semaines avant, puis elle ne cesse de grandir jusqu’aux jours qui précèdent la date de l’épreuve. Une course c’est aussi un voyage une découverte et elle ne se termine jamais vraiment; On y pense longtemps après que les chronos se soient arrêtés.

Je n’ai jamais pu expliquer ce qui m’a poussé à inscrire l’Ultra Trans Aubrac dans mon programme de course 2013. Je voudrais pouvoir affirmer que j’étais inspiré par la sagesse et qu’ayant prévu de courir la CCC à la fin de l’été, il m’apparaissait indispensable de commencer à me constituer une petite expérience des courses plutôt longues; Ce n’était pas tout à fait le cas mais ce fut ma justification officielle pendant quelques mois.

En fait, j’avais envie de courir en Aubrac car j’avais un souvenir lointain de paysages lunaires dans lesquels le ciel occupe une grande place. C’est un peu faible pour justifier une absence de trois jours, traverser la France en train et abandonner femme et enfants à leur sort mais c’était ma raison.

UTA 2013

Je me suis donc naturellement retrouvé le vendredi matin à la Gare d’Austerlitz pour prendre le train en direction de Brive-la-Gaillarde. Cinq heures plus tard je montais dans un TER qui devait mettre plus de deux heures et demie pour rejoindre Rodez. J’avais très précisément prévu le déroulement de mon trajet : je brancherais mon Ipod Shuffle et somnolerais la tête appuyée contre la vitre en regardant de temps à autre le paysage défiler sous mes yeux. Je me reposerais et tout cela alimenterait mon stock d’énergie pour l’épreuve qui m’attendait.

Le monsieur qui s’est assis à côté de moi n’avait pas le même programme. Il occupait la place près de la vitre et, à défaut de voir le paysage, je pouvais regarder son paquet de chips; comme ses raclements de gorge recouvraient quelque peu la voix de Richard Ashcroft ou celle de Thom York, je n’ai pas fermé l’œil. Ses miasmes ont sauté de son corps au mien et dès Rocamadour, bien que j’eus changé de train et de compagnons de voyage, la fièvre m’a envahi.

 

I am the passenger and I ride and I ride

I ride through the city’s backsides

I see the stars come out of the sky

Yeah, the bright and hollow sky

You know it looks so good tonight

 

Il pleuvait à Rodez et, pendant les dernières minutes du trajet, j’avais pu observer que les champs tout autour de la voie ferrée étaient gorgés d’eaux et ressemblaient davantage à des rizières qu’aux plateaux arides dont j’avais rêvé.

J’ai récupéré les clefs de la voiture de location qui devait me conduire jusqu’à mon hôtel et les lieux officiels de la course, à quarante cinq minutes de là.

J’ai rejoint, à Saint-Geniez d’Olt, le point d’arrivée de la course où m’attendait Eric. J’avais échangé avec lui sur le forum Kikourou et il avait aimablement proposé que nous dinions ensemble ce soir là. J’ai laissé ma voiture sur le parking de Saint-Geniez et nous avons pris la sienne pour aller à Bertholène, récupérer nos dossards.

La pluie n’avait pas cessé de tomber, le ciel était bas et sombre; j’imaginais mal comment Météo France pouvait pronostiquer un temps très différent pour le lendemain. Nous avons, Eric et moi, papoté à propos de nos courses respectives, de la Maxi Race qu’il avait déjà couru et que je projetais de faire le mois prochain, de l’Eco-Trail de Paris et de Agnès dont la renommée s’étend largement à travers le monde du trail.

Le gymnase de Bertholène dans lequel étaient remis les dossards n’offraient pas une grande animation. J’aperçois dans un coin de la salle, Catherine, que j’avais croisé lors de veillées de Team Outdoor et qui m’avait alors dévoilé, en tant que « locale » de l’étape, quelques conseils avisés sur le parcours; mais elle avait disparu avant que j’aie pu aller la saluer.

Munis de nos dossards et de jolis Buffs verts et terre, nous retournons à Saint-Geniez  d’Olt pour y chercher un endroit où nous restaurer.

Nous nous réfugions dans une pizzeria dans laquelle, Lucas, un autre coureur, est déjà attablé. Il nous parle de ses courses, de sa dixième place à la Romeufontaine, de la façon dont il a enchaîné l’UTMB et le Tor des géants l’an passé et le double triptyque : 80km-cross-marathon du Mont-Blanc puis Echappée Belle-Montagn’hard-TDS qu’il envisage cet été. Il nousrecommande de partir lentement; très lentement et qu’il vaut mieux marcher à 8 au début, qu’à 3 à la fin.

Je quitte Eric à la tombée de la nuit, pour aller préparer mon équipement et tenter de dormir quelques heures.

La base de ma tenue est composée par un cuissard court Skins pour maintenir une sensation de compression que j’apprécie au niveau des cuisses dès que je cours plus de trois heures. Je n’aime pas courir en long mais il semble qu’il puisse faire froid à certains endroits et la course promet d’être longue; J’abandonne donc mon fidèle short Salomon et opte pour un corsaire de la même marque. Pour le haut, j’ai prévu de baptiser un maillot à manche longue Raidlight que j’ai acquis récemment chez Team Outdoor; Il m’était apparu à la fois suffisamment chaud et extrêmement respirant lors d’une sortie longue à Fontainebleau, ce devrait faire l’affaire en Aubrac.

Pour le reste : manchon de compression Skins, Adidas Supernova Riot 4 aux pieds et mon sac WASP de Ultimate Directtion sur lequel j’ai remplacé la poche à eau par une bouteille agrémentée d’un système de pipette. J’enfouis un maillot à manche longue de rechange et une veste imperméable dans une pochette de congélation et je réserve une deuxième couche Salomon pour les premières minutes de la course. J’hésite longuement à propos de mes bâtons. Je ne pense pas que les pentes des monts de l’Aubrac soient suffisamment longues pour justifier de leur transport mais la fin pourrait être pénible et ils pourraient être utiles dans les descentes où on ne peut plus plier les genoux. Dans le doute je les accroche sur mon sac; on verra bien.

 

A minuit je ne dors toujours pas. J’ai pris deux Doliprane pour repousser la montée de la fièvre et je ne cesse de me retourner dans mon lit.

Je m’en extraie à trois heures. Je me sens légèrement fiévreux mais pas suffisamment pour renoncer à prendre le départ. Je m’habille lentement. L’hôtelier a préparé un petit déjeuner matinal pour les coureurs.  Je m’installe à une table pour tenter de boire quelques gorgées d’un café tiède que j’accompagne de quelques bouchées d’un gâteau sport préparé l’avant veille.

Je saute dans la voiture à 4h15 et cinq minutes plus tard, je suis déjà garé sur le parking de la zone d’arrivée. Des navettes nous y attendent. Elles doivent nous conduire jusqu’à la ligne de départ, à Bertholène.

Je ne parviens pas à retrouver Eric. Tous les coureurs grimpent silencieusement dans les bus et s’efforcent de somnoler pendant la petite demie heure du trajet.

Nous atteignons Bertholène vers cinq heures. Nous nous réfugions dans la salle des fêtes afin d’y entendre les consignes d’avant course. Je retrouve Eric et salue Lucas à côté de qui nous avions diné la veille. Je reprends un café qui doit me donner le courage d’affronter la nuit et les premiers kilomètres. Le départ s’effectue dans la cour des ruines d’un château qui domine la ville. Ce dénivelé n’est pas comptabilisé dans la course mais peut importe nous sommes encore frais.

Un bref feu d’artifice donne le signal du départ et une longue file de lampes frontales s’étire calmement dans une descente à travers les ruelles de Bertholène. Au bout de cinq-cents mètres nous rejoignons un chemin de terre boueux et en moins d’un kilomètres j’ai les pieds mouillés. Je progresse aux côtés de’Eric. Nous nous efforçons de ne pas dépasser 10km/h mais ce n’est pas simple; l’adrénaline de la course nous tire et il est facile de s’emballer lorsque la fatigue n’a pas encore réalisé son œuvre. Il fait encore nuit et les premiers kilomètres sont très plats. J’effectue quelques exercices de gymnastique pour, tout en courant, retirer mon sac, ôter ma seconde couche, la comprimer au fond de mon sac que je replace sur mes épaules…. Eric s’est envolé. J’entends derrière moi la voix de Lucas. S’il est derrière c’est que nous allons trop vite. Je repars malgré tout vers l’avant, retrouver Eric.

Le jour se lève vers de Gabriac et du dixième kilomètre. A l’exception d’un petit raidillon au neuvième kilomètre; ça roule toujours. Nous atteignons le GR 620. Le profil se durcit un peu au niveau du quinzième kilomètre. La pluie abondante des jours précédents a transformé le chemin en torrent de boue. Nous baignons dans l’eau froide; c’est désagréable.

 

marcher sur l'eau [crédit Eric41]

 

Au vingtième kilomètre nous grimpons jusqu’au joli château de Roquelaure puis continuons notre progression sur le GR620 le long d’une crête qui domine toute la vallée du Lot et Espalion sur notre gauche. Je plonge rapidement dans une longue descente technique et sinueuse à travers une trace boueuse et ruisselante. C’est relativement glissant mais j’y prends énormément de plaisir. Il nous faut traverser Saint Côme d’Olt avant de pouvoir nous réapprovisionner sur le ravitaillement. Nous avons parcouru vingt-trois kilomètres et six-cents mètres de dénivelé en un peu moins de deux heures quarante cinq. Ce n’est pas très rapide mais cela correspond à nos estimations de temps de passage. Nous entrons dans une grande salle quasiment déserte à l’intérieure de laquelle un buffet a été dressé. Je ne m’attendais pas à une assiette de Tripoux mais là c’est plutôt frugal.

 

Un dysfonctionnement de la valve qui régule la pression de ma bouteille m’a interdit de boire correctement depuis une bonne heure. Je me jette sur le coca, en avale trois verres, règle m’a pipette, attrape deux morceaux de banane puis rejoints Eric qui téléphone à l’extérieur. Mon dossard est identifié à la sortie de la salle. Nous sommes dans les cents premiers; compte tenu qu’il y a aussi une trentaine de relayeurs qui cavalent devant nous, j’estime que nous tournons autour de la soixante-quinzième place.

C’est parti pour la seconde étape, la plus longue : plus de trente kilomètres et mille-huit-cents mètres de dénivelé positif.  Nous commençons par une petite bosse organisée en chemin de croix. Nous dépassons un couple de traileurs à côté de qui nous avions couru un peu plus tôt  dans la descente vers Saint-Côme d’Olt. Ils ont agrafé un petit drapeau breton à chacun de leurs sacs. Ils me font gentiment observer que ma bouteille fuit. J’avais, en effet, mal refermé la valve et la moitié de mon eau s’est répandue sur mon sac.

Je perds quelques minutes à refixer mon système puis reprends ma route.

Il est un peu plus de neuf heures et la promesse d’une belle journée de printemps s’affirme de plus en plus  Le bleu du ciel et la chaleur d’un grand soleil contrastent avec l’eau qui ruisselle et la boue qui colle à nos pieds .

On suit un sentier en balcon qui surplombe la vallée du Lot. Le terrain est différent; un sol sableux et des pins. On redescend vers un ruisseau sans risque de glissade. Je me prends à espérer que l’on conserve de telles conditions jusqu’au bout.

Le paysage qui se découvre est enchanteur; le chemin est bordé de bruyère.Au trentième kilomètre, je laisse filer Éric et l’abandonne pour effectuer une pause technique. Je retrouve Christian et Céline, le couple breton qui m’avait alerté quelques kilomètres plus tôt. Nous naviguons côte à côte jusqu’à l’abbaye de Bonneval. Céline occupe la troisième place du classement féminin. C’est elle qui ouvre la voie dans les descentes  que nous empruntons.

Je m’arrête devant l’abbaye afin de remplir ma bouteille d’eau. Je me laisse dépasser par un bon nombre de concurrents mais je suis assoiffé   il nous reste encore au moins vingt kilomètres à courir et il commence à faire vraiment chaud. A peine suis-je reparti que je tombe sur un groupe d’une dizaine de coureurs à l’arrêt. Ils sont pris d’un doute: quelques uns se sont aperçus que nous n’avions pas croisé de rubalises depuis prés de cinq-cents mètres. Je vérifie la trace enregistrée sur mon GPS et rassure tout le monde : nous sommes sur la bonne voie.

Je reçois, deux minutes plus tard un appel d’Eric. Il a suivi une mauvaise piste avant l’abbaye de Bonneval et vient de reprendre la course avec vingt bonnes minutes de retard. Je lui confirme que je suis repassé devant mais qu’à mon rythme de sénateur nous ne devrions pas tarder à nous retrouver.

J’atteins une large piste forestière. Les arbres masquent le ciel mais on devine que le soleil est au zénith. Le parcours est assez vallonné. Je ne lâche rien dans les côtes et je déroule plutôt bien dans les descentes. J’adore ces sensations. Descendre est ma passion. J’aime slalomer entre les cailloux, choisir sur lequel je vais poser le pied et sentir mes jambes qui s’emballent sous mon corps. Je retrouve le plaisir d’une petite godille en poudreuse ou de longues courbes en carving; le trail c’est du ski.

On quitte la forêt aux environs du quarantième kilomètre. Une large route départementale marque le changement de paysage.

Deux ou trois véhicules rouge et jaune entourés d’une armée de secouristes, occupent le carrefour. Un ravitaillement surprise ? Un carambolage ? Un accident ? Je ne saurai jamais pourquoi autant de monde cuit au soleil à cet endroit mais cela me semble tellement surréaliste après avoir couru seul si longtemps.

Je retrouve, patientant sur le bord de la route, peu après le carrefour, une dame qu’il me semble avoir déjà vue un peu plus tôt. Je la salue tout en trottinant. Dix minutes plus tard, je l’aperçois encore devant un moi. Et encore à Saint-Remy de Bedene, le village suivant. Je lui dis que son mari a beaucoup de chance d’être supporté aussi assidûment. Au Bousquet (kilomètre 48), elle m’accompagne le temps d’une poignée de minutes pour m’encourager. Nous bavardons un instant. Je ne la croiserai pas davantage. Son mari, finisher du GRP, m’aura sans doute dépassé sur le ravitaillement de Laguiole.

Je remplis ma bouteille dans un lavoir au cinquantième kilomètre. Entre la déshydratation et la dysenterie, je prends le risque de la seconde. Trois cents mètres plus loin un bénévole assure, à un croisement, une buvette improvisée avec des bouteilles d’eau fraiche. J’ignore son offre  et continue avec ma bouteille potentiellement infectée.

Les deux ou trois kilomètres qui précédent Laguiole constituent un véritable enfer. Mes pieds plongent dans un chemin inondé. J’ai par moment de l’eau jusqu’au genou. Pendant une centaine de mètre du fumier odorant se mêle à la boue. Je ne sais pas très bien dans quoi je baigne exactement mais cela ne m’a pas l’air très propre.  Tant pis pour le choléra.

À 14h30 je pénètre enfin dans Laguiole. Comme tous les villages que j’ai traversés jusque là, ça manque d’animation. A l’exception de quelques suiveurs ici où là on a l’impression de traverser des villes fantômes. Peu m’importe, le plus dur est fait. Je suis a mi-parcours mais nous avons déjà fait l’ascension de la plus grosse partie du dénivelé et les étapes suivantes s’annoncent bien moins longues.

Arrivé sous la grande Halle qui accueille le ravitaillement, je me change de pied en cap. L’organisation avait prévu de transporter jusque là des sacs coureurs  que nous leur avions confié à Bertholène. J’avais réservé des maillots de rechange, chaussettes et chaussures neuves, un collant long, des gels et des barres énergétiques pour me réapprovisionner.

J’ai conservé mon short et mes manchons de compression, enfilé un nouveau maillot et mis mes pieds au sec.

Alors que j’avale mon deuxième gobelet d’une délicieuse soupe de légume, Éric entre dans la Halle. Nous convenons de reprendre la route ensemble. À la sortie de la ville les rubalises nous conduisent jusqu’à l’entrée d’une coutellerie. Nous hésitons un instant jusqu’à ce qu’on nous invite à traverser le magasin. Nous sillonnons entre les comptoirs et les vitrines. Le shopping prend rapidement fin et nous retrouvons un terrain mieux connu à la sortie de la ville.

Un kilomètre plus tard nous faisons face à une rivière qu’il faut traverser, les pieds dans l’eau en nous équilibrant grâce à une corde tendue entre les deux rives. Je suis envahi par un profond désarroi. J’avais les pieds au sec, des chaussures neuves et il me faut déjà replonger dans l’eau glacée. Mon moral prend un coup.

Une nouvelle aventure débute lorsque l’on rejoint le GR du Tour des Monts d’Aubrac. Les trois premiers kilomètres sont un peu pénibles. Une large route en ligne droite en plein cagnard. On n’en voit pas la fin. Nous cessons de courir dès que la pente s’affirme un peu et reprenons tranquillement notre trot sur le plat et dans les pentes. Mon rhume ne m’a pas quitté. Je renifle, je crache ; ça ne va pas très bien.

Au soixante et unième kilomètre nous pénétrons dans la forêt de Laguiole. Les premières traces de neige apparaissent. Une neige de printemps molle et mouillée qui ressemble à de la boue. Le soleil amorce son déclin

Je perds Éric un peu avant la station de ski de Laguiole. Il a un meilleur rythme que le mien. Céline et Christian me doublent eux aussi; Les temps sont durs.

Au soixante-sixième kilomètre, je cours seul au milieu d’une station de ski déserte. On dirait qu’une bombe atomique a rayé toute humanité sur des centaines d’hectares. Des remonte-pentes immobilisés des pistes sans skieurs. Rien ni personne.

Je grimpe rapidement jusqu’au point culminant du parcours; un haut pylône que j’avais aperçu en  quittant Laguiole,  symbolise ce sommet : 1404 m. La température s’est rafraîchie. La neige s’étend à perte de vue. Je suis sur la lune. Une lumière de fin d’après midi accentue les contrastes des paysages qui m’entourent. Je devrais prendre le temps de photographier tout ce qui s’offre à mes yeux. J’extraie ma seconde couche du sac et dégrafe mon joker : les bâtons. Je n’en ai eu jusque là aucune utilité mais j’appréhende de courir sur la neige et il me semble qu’ils m’aideront à m’équilibrer.

Je repars dans une longue descente à travers un large champ. Je suis seul et au bout du monde, c’est sublime. Mes jambes m’emportent, je suis dans un rêve. Je cours depuis plus de onze heures mais je vais bien.

l'Aubrac

 

Une forêt de nouveau. La neige se fait plus profonde. Mes pas qui s’enfoncent me rappellent la Romeufontaine. J’ai froid aux pieds et mon équilibre est précaire. Je progresse difficilement. Je sens la fièvre qui remonte. Ma gorge me fait souffrir. Trois kilomètres qui durent des heures. Je suis seul. Un ruisseau dans lequel je dois encore plonger mes pieds. Un coureur me rejoint. Il me suivait depuis un bon moment et me dit qu’il a eu du mal à me rattraper: j’avançais à un bon rythme. Cela me surprend. C’était loin d’être mon impression.  Je le laisse passer et je décroche.

Au soixante-douzième kilomètre, je traverse une route nationale. Je suis las. La bénévole qui sécurise le passage me demande si je souhaite m’arrêter et abandonner la course.

Je n’y avais pas pensé. Cette idée me paraît insensée. Je suis à moins de cinq kilomètres de la fin de l’étape et la dernière partie dessine un profil que j’affectionne. Une belle descente de 27km, fut-elle à travers des chemins détrempés.

Je me lance à l’assaut des Bouals, le buron qui abrite le ravitaillement suivant. De la neige encore mais la descente est aisée. Je repense à ce que m’a dit la bénévole. Je pense à la boue et à l’eau; j’imagine des galets glissants dans la nuit. J’ai peur de la fièvre et du froid. Je pense à mon temps. J’ai dépassé les douze heures de course et je ne finirai pas en moins de quinze heures. Une idée que je n’avais pas quelques minutes avant m’a été insufflée et se met à germer dans mon esprit.

Je n’irai pas plus loin. Arrivé aux Bouals, j’ai abandonné, comme ça, sans raison.

J’apercevrai Eric une dernière fois, alors qu’il quitte le ravitaillement des Bouals.

 

Ne chipotons pas cette course fut un échec. Courir longtemps n’est pas suffisant pas plus que de grimper plus de 3000 mètres de dénivelé; ce qui compte c’est de remplir le contrat et de terminer la course sur laquelle on s’est engagé. J’avais signé pour 105km et je ne suis pas allé au bout.
La longue distance n’est pas une affaire de dingue, ni même une question d’entraînement c’est une relation entre un corps et sa tête.
Il y a quatre ans à peine, je n’aurais même pas imaginé être capable de courir 10km sans y laisser mes jambes, mon cœur et mes poumons; quant à participer à un semi-marathon, ce n’était tout juste pas concevable. Je couvre aujourd’hui la distance d’un marathon plusieurs fois par semaine et je sais pouvoir associer l’ascension et la descente de plus d’une dizaine de fois la hauteur totale de la tour Eiffel avec des distances qui dépassent de loin celle d’un simple marathon. Un corps peu tout, il suffit d’en avoir conscience.
Alors, oui,  les kilomètres que j’ai avalés représentent un joli paquet mais ce n’est pas cela qui m’a arrêté. Ce n’était pas non plus ceux qui restaient à parcourir; quant aux côtes, j’avais fait l’essentiel, il ne restait plus qu’à redescendre. J’avais encore des jambes pour ça, surtout qu’à l’instar du ski, descendre en hors piste est devenu ma spécialité.

La course est une lutte intérieure pendant laquelle toutes les bonnes raisons de cesser le combat s’opposent à celles qui nous poussent à continuer. J’ai abandonné parce que les premières, à un moment de la course, ont dominé les secondes. Quelques heures plus tôt leur poids me serait apparu dérisoire et c’est de nouveau le cas aujourd’hui.

La raison déterminante de mon abandon était qu’après avoir passé une douzaine d’heure les pieds dans l’eau glacée des sentiers transformés en torrents de boue, la neige molle de printemps et les champs transformés en rizières, la perspective de courir la nuit pendant encore trois ou quatre heures dans de telles conditions m’a paru insupportable. Voilà.
C’est dingue non ? Courir 105km pourquoi pas mais endurer ce que vivent la quasi totalité des paysans asiatiques tous les jours de leur vie, je n’en ai pas eu le courage.
Que peut un corps, hein ?

Je suis d’autant plus déçu que je faisais, à mon niveau, une course plutôt honorable: à l’heure de mon abandon je pouvais encore espérer une place dans la première moitié du classement. Je sais maintenant que j’aurais du prendre vingt bonnes minutes pour me poser et réfléchir. J’en avais le temps; je ne l’ai pas pris. Bien qu’elle ait mûrit pendant plus d’une heure pendant que je pataugeais dans la neige, sur les plateaux de l’Aubrac, ce fut une décision trop hâtive. On ne réfléchit pas de la même façon les pieds dans l’eau que sur un banc au soleil en savourant un toast au cantal.

Ce fut une erreur de débutant. Le doute et le découragement sont profondément inscrits dans l’ADN de l’utra-endurance. Les coureurs expérimentés le savent, pour dépasser ces murs, il faut laisser le temps faire son œuvre. Je saurais m’en souvenir.

Est-ce là une logique de dingue ou de grand malade ?

Ce que je décris là constitue le côté obscur de l’ultra-trail.Il y a aussi une face lumineuse. C’est elle qui me porte.
Quand je pars pour courir pendant des heures je vois les villes et les paysages comme jamais je n’aurais pu les voir. Chaque chemin, chaque colline, chaque arbre se révèle à mes yeux comme si j’étais le premier homme à les découvrir. Ce que j’ai observé hier restera gravé dans ma mémoire. Les collines et les sentiers qui partent de la vallée du Lot et rejoignent les monts de l’Aubrac. Et l’Aubrac, c’est sublime. Pendant quelques heures on a l’impression de faire corps avec un espace. Pour qui aime la photographie, le trail constitue une source d’inspiration infinie. Et puis il y a, pour finir, cette sensation de voir et de sentir ce que nul autre ne peut voir; aller au bout de soi et du monde avec une simple paire de chaussures; c’est magique. Courir c’est l’anti télévision.

Au milieu des étendues désertes qui surplombent Laguiole, les derniers mots de Rudger Hauer dans Blade Runner ont surgit et résonné dans ma tête. : « I’ve known adventures, seen places you people will never see, I’ve been Offworld and back… frontiers! I’ve stood on the back deck of a blinker bound for the Plutition Camps with sweat in my eyes watching stars fight on the shoulder of Orion… I’ve felt wind in my hair, riding test boats off the black galaxies and seen an attack fleet burn like a match and disappear…”
Un truc de dingue, assurément.

à lire également sur mon blog :

http://www.ladrauniere.fr/2013/04/ballade-en-aubrac/

10 commentaires

Commentaire de poucet posté le 27-04-2013 à 08:35:39

Hello Ilgigrad ... le lien vers ton récit ne fonctionne pas. Si on fouine un peu, ol arrive à le retrouver via ta fiche. Dommage, car c'est un beauy récit, trés bien écrit, agréable à lire ...
C'est également une analyse lucide et honnête de ce qu'il t'a manqué pour terminer.
Et ben ... tu n'as plus qu'a y retourner l'an prochain !!!
@+

Commentaire de ilgigrad posté le 27-04-2013 à 09:45:28

Je te remercie infiniment pour tes remarques.
Pour le lien, j'ai mofifié hier et ce matin certains paramètres de mon site; il est resté inacessible pendant quelques heures. Ceci explique sans doute cela, mais tout est rentré dans l'ordre et le lien devrait fonctionner de nouveau désormais.
Je reviendrai courir en Aubrac l'an prochain. J'ai trop aimé ces paysages pour ne pas essayer de profiter enfin de la longue descente jusqu'à Saint-Gêniez...
À bientôt sans doute.

Commentaire de PhilippeG-637 posté le 30-04-2013 à 15:48:49

Bonjour Ilgigrad,
Magnifique récit, très bien écrit, comme quoi on peut être capable de courir tout en ayant un cerveau développé (c'est une blague ;-))
J'adore tes descriptions, les évasions qu'elles nous procurent...
Bien dommage, pourtant dans mes souvenirs de ton trail des marcassins, tu semblais bien parti !!
Les mystères de l'ultra...
Bonne récup et bon courage pour la suite de ta saison.
Philippe

Commentaire de ilgigrad posté le 30-04-2013 à 16:08:06

Salut Philippe,
Ton commentaire est très flatteur. ...et savoir que que l'on puisse prendre du plaisir à me lire me donne finalement presque autant de satisfaction que de terminer une course.
Pour en revenir à l'UTA, j'ai fait l'erreur de ne pas appliquer les conseils que tu m'avais donnés après les Marcassins (une autre déroute d'ailleurs*). Tu m'avais recommandé de partir prudemment, très prudemment et je suis peut-être parti un peu trop vite. Le ciel bleu et la beauté des paysages m'auront grisé. J'y retournerai très certainement l'an prochain, pour finir cette fois.
Peut-être nous y croiserons-nous ?
J'ai vu que ton programme de l'été est chargé; Je te souhaite donc d'excellentes courses.
à Bientôt,

David

* Je viens de m’apercevoir que je ne fais le récit que de mes échecs... je devrais analyser cela.

Commentaire de PhilippeG-637 posté le 30-04-2013 à 16:24:24

Merci David.
Je te souhaite de le finir si tu le tentes l'an prochain, j'ai couru la 1ère édition et ne sais pas si j'y retourne un jour, il y en a tant à faire, pffff...
Sinon un truc qui me revient, pour finir mon 1er ultra, c'est un copain qui m'a attendu sur la fin, pour m'empêcher d'abandonner donc pour toi cela pourrait marcher également:
Finir avec un autre coureur en s'encourageant mutuellement pour éviter l'abandon.
@+
Philippe

Commentaire de ilgigrad posté le 30-04-2013 à 16:57:08

J'ai couru une bonne partie de la course avec Eric41, un autre Kikourou avec qui j'avais dîné la veille. Mais ce n'est pas facile de tenir une même allure sur de telles distances. On synchronise difficilement ses coups de mou, et, à la fin, les décisions stupides, on les prend tout seul. Mais tu as raison, se savoir attendu par un pote, ça change pas mal les choses !

Commentaire de Feneb posté le 20-03-2014 à 13:53:13

Joli récit ... A moins de 4 semaines de prendre - à mon tour - le départ de l'UTA, j'y vois là comme un avertissement salvateur quant à la difficulté du parcours, et surtout un appel à faire preuve d'humilité vis à vis de la course ...

Tu rempiles en 2014 ?

Commentaire de poucet posté le 20-03-2014 à 19:58:03

Salut Feneb. Je ne serai pas au départ cette année, mais je retournerai faire ce TransAubrac. C'est vraiment une course comme j'aime, véritablement authentique et à taille humaine. Pour cette année je serai au départ du Défi des Seigneurs dans les Vosges du Nord.
Bonne course à toi, j'espère que vous aurez une météo aussi agréable que l'an passé.

Commentaire de ilgigrad posté le 20-03-2014 à 16:42:33

Salut Feneb,

Je te souhaite une bien meilleure réussite que la mienne. J'espère que les chemins seront un peu moins gorgés d'eau cette année; si c'est le cas tu pourras profiter pleinement de ce parcours qui a laissé un magnifique souvenir dans ma mémoire. Je ne reviendrai pas en Aubrac cette année; je ne sais pas ce qui m'a pris, j'avais prévu de faire le Marathon de Paris... j'y retournerai sans doute en 2015 si tout va bien.
A bientôt et surtout fais une excellente course !
David

Commentaire de gj4807 posté le 04-12-2016 à 18:45:12

Je découvre tardivement ce récit en flânant sur kikourou à la recherche de mon "programme" 2017.
Et je l'aime beaucoup. C'est joliment écrit et diablement honnête.
Merci donc.

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