Récit de la course : 6 jours d'Antibes 2011, par Poupix

L'auteur : Poupix

La course : 6 jours d'Antibes

Date : 5/6/2011

Lieu : Antibes (Alpes-Maritimes)

Affichage : 943 vues

Distance : 0km

Objectif : Pas d'objectif

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Récit de ma course de 6 jours à Antibes (2011)

Samedi 4 juin 2011 : direction Antibes

On y est. C’est le départ. 6 mois que je me prépare pour ces 6 jours. 1 mois pour 1 jour. Mais vu que ma préparation a été coupée par une blessure provoquée à 50 m de la ligne d’arrivée des 6h de Buc, ma préparation assidue n’aura finalement duré que  2 mois ½.

Je suis anxieux. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Mon expérience en ultra est plutôt maigre. Trois 100 kms à mon actif, un 6h et un 24h. Mais, j’ai préféré privilégier l’entraînement plutôt que la compétition afin de ne pas trop me fatiguer ou me blesser (et pourtant…).

Donc, en ce samedi, j’ai les mains moites. Un gros câlin à ma petite famille et c’est parti avec mon duvet et mes 2 sacs bien remplis que j’ai préparés minutieusement, si minutieusement que ma femme va me rattraper en courant 10 minutes après que je sois parti car j’ai oublié mes 2 paires de chaussettes les plus importantes. J’y crois pas !!! Mais bon… j’ai mes billets de train et une paire d’Asics aux pieds. Au cas où, j’ai l’essentiel.

Les bizarreries des réservations de la SNCF font que je voyage en 1ère classe à l’aller et en 2ème au retour. J’aurais préféré l’inverse, mais peu importe. J’arrive à Antibes à 19h15 avec quelques minutes de retard suite aux orages rencontrés sur le trajet. Il fait plutôt beau et chaud. Je suis un peu paumé en sortant de la gare. Tiens… j’aperçois un gars avec une tente Quechua et un sac de sport. Sûr qu’il va au Fort Carré. Je le suis mais n’arrive pas à le rattraper (ça commence…) vu que je suis plutôt chargé.

Après une marche de 15 minutes, j’arrive au stade. J’avais imaginé l’entrée différente à travers les images du site. L’allée du Poilu est déjà remplie de tentes et camping-cars. Le tracé du parcours est déjà prêt. Je m’installe dans une des 4 tentes communes. Une tente internationale, car occupée par les Japonais.

La soirée sera tranquille avec une petite visite rapide du port et quelques échanges avec d’autres participant(e)s, comme Jeannick qui  me rassure en me disant que ça va être très dur !!! Que je vais avoir mal partout !!! Mais que je vais y arriver !!! Sûr que je vais y arriver mais dans quel état et avec quel kilométrage ?

Dimanche 5 juin : jour J

La nuit a été plutôt mauvaise. Le matelas est confortable, mais j’ai eu du mal à m’endormir (l’excitation, l’anxiété et… les ronflements… sacré Michel… Marcheur de grand fond… non, non, je ne dénonce pas !!!).

Il ne fait pas beau. L’orage menace. Menace tellement qu’il va nous tomber dessus. J’au juste eu le temps d’aller faire quelques courses. Ensuite, plus question de sortir de la tente tellement il pleut. La tente ne s’en remettra que dans la seconde partie de la semaine. L’eau s’amoncelle autour des 4 tentes communes et commence à pénétrer dans la notre par en dessous. Je sens que ça va être une édition bien spéciale !!! On va déguster dans tous les sens !!! Le problème c’est que ça ne s’arrête pas et les orages sont violents. Je me demande si la course va vraiment partir. J’espère que oui, car je suis venu faire 144h et pas moins. Mais bon, si Dame Nature en décide autrement…

16h00 : finalement le départ a lieu. Une accalmie nous épargne momentanément juste pour nous permettre de partir. Mais l’air est plus qu’humide et le parcours détrempé. Il fait même frais. On n’a pas eu le temps de « déguster » le départ avec tout ça. Le ciel est encore noir et on pourrait se prendre encore des trombes d’eau à tout moment.

A peine le départ donné qu’un coureur « JB » part en trombe. Je regarde avec étonnement en me disant qu’il va se griller, mais il doit avoir une stratégie, faire du fractionné. Il est suivi par Franck, coureur infatigable, qui va de course en course chaque week-end. Lui par contre va vraiment se griller en partant comme ça.

Ma stratégie est plutôt simple. Courir 2h et marcher 1h. Dormir vers 2h du matin jusqu’à 5h après, on voit… mais c’est déjà tout vu… je me connais. Ça c’est le plan officiel, mais il y a le plan officieux : courir, courir et courir… je vais courir à l’instinct, à l’écoute de mon corps comme je fais tout le temps. Je l’écoute tellement bien que je me grille souvent trop tôt, mais cette sensation d’être bien en courant… je n’ai pas vraiment envie de la diminuer. Je veux juste profiter. Profiter de tout. Du paysage. Des coureurs. De l’ambiance. Je me suis entraîné comme jamais. Je pense être prêt mentalement. Je sais que j’aurai des périodes difficiles voire très difficiles. J’essaierai juste de  e pas me griller en 24h. Cette course, c’est moi contre moi. Aller le plus loin possible. Faire au minimum 600 kms, soit 100 par jour. Et si tout va bien, tenter les 700 mais ça, ça me paraît compliqué vu les différentes expériences que j’ai lues…

Quelques gouttes et une belle éclaircie nous conduiront jusqu’à la nuit. Les sensations sont très bonnes. J’avance à une allure raisonnable, pas trop vite à mon goût, mais certainement trop vite au vu du classement, car je vais me retrouver à mon grand étonnement 5ème, mais un court, très court moment. Signe que j’avance trop vite et qu’il faut se calmer. Un 0 derrière le 5 sera peut-être ma prochaine sanction de ce départ trop présomptueux. Mais on ne se refait pas… Au bout de 6h, j’ai fait 36 kms 900. Puis, de nouveau place à l’orage vers les alentours de minuit, 1h du matin. Il tombe des cordes et ça me plombe momentanément le moral. Je n’ai pas envie d’être gaugé, je décide donc d’aller me coucher.

Lundi 6 juin : fin du premier jour

Lever à 5h par un temps humide et frais. Le jour se lève doucement alors que les coureurs et les marcheurs sont encore en bonne forme. Ces premières 24h se dérouleront finalement bien avec une marque à 125 kms 050 (72 kms 775 au bout de 12h). Pourtant, je réalise très vite que refaire la même marque pour les 48h sera très compliqué. Je comprends alors ce que voulait dire Mica qui avance tel un métronome sur son tapis : les 6 jours ne doivent pas être abordés comme 6X24h, et dès cette fin des premières 24h, je crois que je vais être d’accord avec lui jusqu’au bout. Il faut tenir compte de la fatigue physique et mentale accumulée. Mais bon, par rapport à mon objectif minimum, j’ai 25 kms d’avance.

Second souci. Une légère douleur me titille le genou gauche, côté externe. Bizarre. Elle ne m’a jamais ennuyée lors de mes entraînements… je sens que les dévers du circuit vers la gauche pourrait me porter préjudice, malgré que je me sois coltiné des kms pendant 2 mois sur des circuits à tourner façon Antibes…

Troisième souci : une ampoule pointe sa douleur sur mon talon droit. Pas bon ça… ces 2 derniers soucis commencent à me trotter fortement dans la tête en cet après-midi du lundi plutôt ensoleillé et maintenant chaud. Mon genou me lance des éclairs passagers qui m’empêchent de courir comme je le voudrais. Ça m’agace.

Je tente le doc pour la 1ère fois, histoire de me rassurer. Il n’a pas trop de solution miracle pour mon genou. Il faut que je l’économise. Je repars en me demandant pourquoi je ne lui pas demandé de me soigner mon ampoule haute consommation au talon. Ok, je vais m’en occuper tout seul, plutôt mal, car elle est placée sous de la corne… j’ai bricolé un truc plutôt amateur et je ne tarde pas de refaire un tour du côté du doc où James se fait également percé un truc, enfin une grosse ampoule sous le pied. Vu sa grimace quand il lui enfile la piquouse dans le pied, je m’imagine en train de partir en courant comme un dératé (mais je suis un peu fatigué quand même, donc je ne bouge pas). Il fait la grimace le James. A mon tour…

Revoilà le doc avec son engin de torture pour aspirer le liquide (pas de refroidissement) de l’ampoule. Je mords ma casquette qui tient le choc. La vache, ça fait un mal de chien. Avant que j’oublie la douleur, va falloir quelques temps… En tout cas, je commence à prier pour ne pas en attraper d’autres…

Je repars en boitillant et en échangeant avec James sur nos petits malheurs… on fera quelques tours en marchant.

Plus tard, le ciel craquera de nouveau et j’en profiterai pour me reposer. Le début de ce 2ème 24h commence très mal au niveau kilométrage.

Je reprendrai après avoir mangé en bonne compagnie jusqu’à minuit. Mais le moral en a déjà pris un bon coup entre mon genou qui me lance régulièrement et cette foutue ampoule qui me torpille le pied droit…

Je n’ai fait que 35kms en 12h. Humilité est le mot qui me vient à l’esprit. J’ai fanfaronné dans ma tête le 1er jour et avec les objectifs que je me suis fixés. Et là… retour à la réalité. Je comprends tout de suite qu’il va falloir limiter la casse et viser les 600 kms. Je m’octroie un joker pour ce second jour avec un kilométrage qui sera plus que moyen.

Une petite douche histoire d’enlever mes 200 couches de pommade et mes 10 épaisseurs d’élasto. Sauf que l’eau va me ramollir les pieds et décupler mon mal de voûte plantaire. Ça me brûle de toute part. On voit 2 lumières incandescentes à l’autre bout du monde. Je repars à la tente en claquettes en mettant 10 secondes entre chaque pas. Le réveil risque d’être dur… mes pieds me démangent.

Mardi 07 juin : apprentissage de l’humilité

Je cours très peu depuis que je me suis levé. Mes jambes vont pourtant bien. Mais, ma voute plantaire, mon talon et mon genou court-circuitent ma foulée…

Mon tendon d’Achille gauche commence également à se réveiller. Une vieille tendinite qui joue à cache-cache. Elle se réveille les années impaires, dort les années paires.

La plante des pieds est digne d’un fer à repasser. Pratique si j’ai des maillots à repasser… moins pratique pour courir…

Ok, je me suis vu vraiment trop beau. Je vais profiter de ces 6 jours dans tous les sens du terme. Pourtant, je sais… je sais que je ne suis pas cuit. J’ai encore du gaz. L’ultra est une succession d’instants. Instants euphoriques et instants de détresse. Cette détresse est vécue différemment. Elle peut correspondre à de la récupération, à de la douleur, à de la souffrance, à un moral en berne. Moi, je la vois comme un profond vide mental. Le poids de tous mes petits problèmes physiques m’envahissent, me mangent le cerveau, éteignent la petite lumière en moi… mais pas complètement, car ça revient. Les  batteries se rechargent et ça repart. Ces 6 jours m’apprendront la durée de ces instants. Donc, en ce 7 juin, c’est l’heure de payer. Payer mes premières 24h. Payer mes heures de course du matin.

Et puis, en cet après-midi où le soleil a repris ces droits, j’ai droit à mon ampoule quotidienne au talon du pied gauche cette fois-ci cumulé au fait que mon genou me lance sur ses 2 côtés quitte à m’empêcher réellement de courir.

Je sors du doc ruiné mentalement. La course à pied est pratiquement terminée. J’ai le regard un peu dans le vide. Je ne suis pas venu pour marcher. Je suis dans la catégorie coureur !!! Je ne suis pas venu faire 250 ou 300 kms, mais au moins 600. Vais-je être obligé d’abandonner ? Non, jamais… L’abandon n’existe pas dans mon vocabulaire. Je ramperai pour finir une course… Je n’ai jamais abandonné et j’espère que ça n’arrivera jamais.

Et d’un seul coup le mental reprend le dessus. Ok man… tu me provoques, pas de problèmes. Je vais marcher jour et nuit s’il le faut, mais j’atteindrai ces 600 kms. Je suis d’un coup remonté à bloc. Plus question de faire ma pleureuse. Plus question de retourner chez le doc. D’ailleurs, ça ne me ressemble pas. Aurais-je peur de ces 6 jours ? les subirai-je déjà ?

Nouveau plan : je change de basket comme me l’a conseillé le doc. Après avoir tenté 2 paires d’Asics ultra connues de mes pieds, j’arbore mes nouvelles Mizuno qui n’étaient pas prévues pour cette course, mais tant pis. 1er effet, je suis plus à l’aise à l’intérieur. Je mets aussi une paire de chaussettes supplémentaire, contrairement à Jean-Claude qui n’en porte pas et court avec des chaussures plus qu’aérées. Je ne sais pas comment il fait avec tous les cailloux de l’allée du Poilu. Mais chacun a son style. En tout cas, miracle, ça va mieux pour mes ampoules que j’ai cimentées d’élasto et badigeonnées  de toutes mes pommades à dispo. Ça va fermenter la dedans. Je me fiche de l’odeur, du style. Ce qui compte, c’est que j’avance. Et pas qu’un peu. Je repars. Je serre les dents. Fin des 48h avec 196 kms 800. La casse est limitée, mais j’en ai pris un coup dans l’égo, moi qui ne voulais jamais faire moins de 100 kms par jour. Je repars le couteau entre les dents.

J’avance en marchant, mais pas aussi vite que les spécialistes qui cumulent un kilométrage important, impressionnant. Et les coureurs qui marchent, marchent plus vite que moi. Décidément… je m’étais pourtant entraîné à la marche, mais je suis encore faible. Mais, ça vient petit à petit. Je tire plus sur les bras. Mes pas sont plus dynamiques. J’aurai appris durant ces 6 jours que les zones d’ampoules de la course et de la marche sont différentes à cause de l’accroche du pied au sol.

Je suis de nouveau dans une bonne période. Pourvu qu’elle dure. Vu que je marche, elle devrait durer… mais la nuit est mon ennemie. Mon organisme s’éteint avec elle. Je me bats avec elle. Je  commence à penser à ma petite famille pour continuer. Mais passer minuit, c’est rideau. Je mets le clignotant. Je ne peux plus. Je suis tout de même satisfait. Je tente encore une douche car mes pieds restent en feu. Je pense au clip de Michaël Jackson « Billie Jean » où une dalle s’allume sous chacun de ses pas. Et bien, c’est pareil pour moi !!!

Mais, même effet que la nuit précédente. Mes pieds fument et je ne peux plus marcher. Comme un mille-feuilles, j’aimerais ôter chaque couche d’épiderme pour moins souffrir. Je me les masse. Ça fait trop du bien. C’est orgasmique. Je donnerais n’importe quoi pour que ma femme soit là pour s’en occuper… (Machisme ? Non…) Des massages, des chatouilles, des bains de pieds !!! Des brosses pour chiens, des limes !!!

A partir de ce moment va s’installer pour moi de nouveaux rituels. Au réveil, une attention particulière des pieds avec les pommades qui vont bien, protection des ampoules. Ça prend du temps et beaucoup de temps, mais c’est nécessaire. Il faudra également ajouter des massages réguliers de mes pieds. Toutes les 2 à 3 heures, sinon, ils crachent des flammes. Ce seront mes rituels de fin de course.

Mercredi 08 juin : renaissance

Aujourd’hui, c’est jour des enfants. Je suis parrain et ça me fera du bien au mental. De plus, c’est le départ des 72 h. Enfin, il va faire chaud et beau. Un temps pour courir comme je les aime.

Mais il va falloir aussi que je m’habitue désormais à boiter après chaque arrêt prolongé pendant 1 tour, à marcher quelques tours avant d’espérer courir un peu.

En ce mercredi, j’ai le moral et j’avance. Je suis sur de meilleures bases que la veille et ça c’est bon pour le moral. Je suis de retour aux affaires. Pourtant, je fais des erreurs de débutant à me fixer des objectifs trop difficiles et à trop long terme. J’en tirerai une leçon : un seul objectif à la fois, à court terme et atteignable.

Au bout de 60h de course, j’en suis à 240 kms 875. 60 kms pour être aux 300 bornes et rester dans l’objectif principal. En ce jour, je vais avancer, avancer et encore avancer jusqu’à l’arrivée des enfants qui mettent plein de vie sur le circuit. Il est 11h. Le soleil nous cuit, nous brunit la peau (ou la rougit), fait son œuvre et commence à dessiner sur nos peaux le contour de nos maillots et shorts.

Je complète avec mon filleul un questionnaire, compliqué le questionnaire après avoir couru 3 jours et on s’en va faire 1 tour. Je lui demande d’y  aller mollo vu que j’ai 2 poutres à la place des jambes. Ça tombe bien, ce n’est pas un grand coureur. Il me parle tellement qu’il chope 2 points de côté en 10 minutes… ça me laisse le temps de récupérer. On rigole bien en regardant ceux qui font la course avec leur parrain ou qui les chambre… Un beau moment de partage que je ne regrette pas.

Finalement, je continue sur ma lancée. Je re-cours. Oui, je re-cours. Au plus mauvais moment de la journée puisque ça tape, mais aucune importance. Je le paierai comme d’hab après, mais maintenant j’ai compris comment ça marche. Une phase positive dure de 1à 2 h, la phase négative de 2 à 3 h.

Frites-saucisses au ravitaillement me font voler. Quelques massages des pieds me ralentissent. J’ai l’impression de glisser dans mes chaussures, mais tant que c’est comme ça, c’est que les ampoules n’ont pas leur place. Je suis enfin en basse consommation… cool, je suis en phase avec la charte de développement durable des 6 jours.

Je passe les 72h de course avec 282 kms 900. Ça y est, je commence à m’éloigner fortement des 600 kms même si au fond de moi, cet objectif reste atteignable. Le truc, c’est qu’il est l’heure de payer et donc d’avancer à une allure de fourmi.

Je vais changer mon plan en cette soirée. Je vais me coucher plutôt tôt vu que j’ai que j’ai beaucoup donné depuis 5h du mat. Ce sera du 10h-2h00. Je reprendrai à la fraîche et peut-être dans de bonnes dispositions.

Les habitudes sont désormais bien prises. J’ai l’impression d’être dans un autre monde, une autre dimension. La Terre tourne et nous, nous tournons sans relâche sur un petit circuit que je connais par cœur en 15 minutes maximum. Je fais partie d’une petite communauté. J’y suis très bien. Je réalise que le classement n’est pas grand-chose. Chaque coureur, quelque soit son kilométrage, est méritant. Du premier au dernier, même si les premiers sont impressionnants de constance. Je les regarde avec envie, presque jalousie. Si mon genou me laissait tranquille… et je prends enfin conscience qu’il n’y pas de « si » qui vaille. Les 6 jours, c’est une course tactique où il faut être prêt physiquement mais surtout mentalement. Il faut être prêt à faire face aux blessures et/ou aux petis bobos, car il y en aura. Tous les coureurs auront boité à un moment ou un autre, auront eu leurs petits bobos. Il faut donc savoir gérer tout ce qui se passe dans un 6 jours et j’ai oublié d’imaginer que je serai blessé. J’ai du mal à l’accepter, c’est pourquoi, le mental flanche souvent, mais pas totalement. Je vais désormais me prendre en pleine face une phase négative qui va durer, durer, durer.

Jeudi 09 juin : un mental à double visage

Je reprends ma route comme prévu à 2h00. Jusqu’à là, je n’ai jamais eu de problèmes pour me lever, même si les nuits sont courtes – entre 3 à 4h –. La nuit sera encore longue, donc je vais l’égayer avec de la musique. J’appréhende chaque reprise après un repos prolongé, car mon genou a gonflé légèrement sur le côté externe et il est très douloureux à chaque reprise d’effort. Je boîte très bas durant 20 minutes, après ça va mieux, mais plus pour courir. Je crois qu’en ce jeudi, la course me sera proscrite.

Je vais marcher à allure raisonnable jusqu’au petit déjeuner et puis… panne sèche. Pour la première fois, la fatigue m’impose vraiment de m’arrêter en plein jour. Ce n’est pas prévu mais là, je morfle un peu en ce jeudi matin. Je m’octroie 2h de plus de pause. Pas bon, car il va falloir chauffer encore le genou…

C’est clair. Ce jeudi est la pire journée. J’ai le mental dans les chaussettes et vu qu’elles ne sont pas grandes, c’est dire. Je décide de ne plus regarder mon kilométrage, car c’est trop décourageant. Faire 3 à 4 kms en 1h, ça me détruit à petit feu. Je m’aperçois que je marche la tête qui penche à droite. Je n’ai plus la force de la tenir droite. J’essaie de penser à des choses positives. J’ai envie que la course se termine, mais en même temps, même si c’est très dur, je profite de l’environnement, de l’ambiance. Je suis conscient de vivre quelque chose d’unique dans ma petite vie sportive. La course est super bien organisée. Les ravitaillements me conviennent parfaitement. Je n’ai aucun problème gastrique depuis le début, le plus gros point positif vu que c’est généralement mon point faible. J’évite juste le coca. A l’allure des WC, je crois que ce n’est pas le cas de tout le monde.

La musique de KISS FM rythme le pas des marcheurs, la foulée des coureurs. Les chansons les plus écoutées du moment passent en boucle. Certaines me font faire quelques mouvements de danse (des mains, mes jambes ne pouvant plus faire 2 choses à la fois). J’aimerais tant courir en rythme… Je refais la chanson de Jennifer « l’envers du Paradis, c’est les 6 jours d’Antibes… ». En fait, c’est un mix de paradis et d’enfer. A choisir, c’est plus le paradis. Mais, c’est dur !

Mes jambes ne m’auront permis de ne courir que 4 tours jusqu’à 16h. Ridicule, mais le genou ne me laisse tranquille qu’à la marche. J’ai l’impression d’avoir une lime sur l’os dès que je cours. Pourtant, je m’impose une foulée économe, rasant le sol où je mouline beaucoup, mais rien n’y fait.

La plage m’appelle, mais j’y renonce. Mes pieds cracheurs de feu n’y résisteraient pas. Et puis, vu que je n’avance pas en ce 4ème jour, le temps perdu me plomberait encore plus le moral. Le moral qui joue au yoyo. Je sais qu’une bonne période va revenir, mais elle tarde. Je m’impatiente.

Avec 359 kms 775 en 96h, je me demande ce que j’ai fait en 4 jours (ben 359 kms justement !). J’ai un déficit de 41 kms par rapport à mon plus bas objectif. Comment puis-je faire moins de 100 kms par jour ? Suis-je en train de rater ma course ?

J’ai un début de réponse au repas du soir. Je me retrouve avec Denis et Eric. Nous avons tous les 3 le même objectif, et nous sommes tous les 3 nettement en retard. Le hasard fait-il bien les choses ? J’échange toujours avec des personnes qui sont en retard sur le plan de progression. On rigole de nos performances, de notre faible kilométrage quotidien.

Comme chaque soir après mangé, je téléphone à ma femme. Et je lui fais un peu peur, car j’ai le moral au plus bas en ce jeudi soir. Je me plains… un peu… beaucoup… beaucoup beaucoup… J’exagère un peu beaucoup d’ailleurs, histoire de me faire plaindre. Elle ne tombe pas dans le panneau. Elle m’engueule. Ça me vexe. Après avoir marché toute la journée, je repars en … courant. Elle me verra à la webcam courir comme un lapin alors que 5 minutes plus tôt, je lui disais que je ne pouvais plus mettre un pied devant l’autre, que j’étais au bout du rouleau.

C’est inespéré, je cours. Ça y est, c’est revenu. Je suis dans une bonne période, le couteau entre les dents. Ça durera 1h, plus court que d’habitude, certainement car j’en profiterai trop. J’ai perdu l’habitude de courir.

Après, comme d’hab, c’est l’heure de payer. Donc, je marche jusqu’à minuit et puis, je mets le clignotant.

Vendredi 10 juin : journée ordinaire

Cette journée sera un condensé de mes 2 moins bonnes journées déjà écoulées. Rien de bien significatif sinon que j’attendrai avec impatience ma liste de messages qui depuis le départ me reboostent à chaque fois. J’essaie de ne pas les lire trop vite, mais c’est toujours trop court.

Je sais que je vais finir la course même si je joue avec ma femme à lui faire encore peur par SMS sur ma forme physique. J’ai désormais un strap au dessus et en dessous du genou. Ça le soulage un peu. Sauf que j’ai une 2ème rotule sur le côté externe. Ben ouais, il a bien gonflé et n’est pas très beau à voir.

Je commence à faire le point sur ma course et m’aperçois qu’au bout du compte, j’aurai marché autant que couru. Encore une gifle. J’aurai beaucoup de leçons à tirer de cette course.

J’ai également changé d’objectif. J’essaie de limiter la casse avec un nouvel objectif à 500 kms. Nouvelle gifle. Mais j’ai fait le deuil des 600 kms. Je vais juste tenter de tout lâcher ces dernières 24h en dormant le moins possible.

Journée ordinaire où je ne fais que marcher. J’atteints péniblement les 430 kms à 16h00. Ça devrait le faire pour les 500, mais pas beaucoup plus. Je reste tout de même perplexe sur ma performance globale. J’ai l’impression de faire une performance au rabais. Mais l’heure n’est pas à se morfondre sur les 600 kms mais d’atteindre les 500.

J’ai décidé de ne pas dormir de la nuit ou de dormir le moins possible. La nuit tombée, je m’isole dans la musique et j’avance. Sauf que vers minuit…

Samedi 11 juin : jour de gloire

Vers minuit, j’ai envie de dormir. Ça me saoule cet organisme réglé comme une horloge. Je vais tout essayer pour le dérégler et gagner du temps. Je vais mentir à ma tête. Je vais faire semblant de dormir en marchant. Je vais m’imaginer marchant main dans la main avec ma petite famille. Je vais parler avec mes enfants. Je vais faire un karaoké plein air pour rester éveiller. Mais rien n’y fait. Il faut que je dorme. Je me demande combien de fois ma tête aura choisi durant ces 6 jours. Combien de fois, elle m’aura obligé. Combien de fois, elle aura inventé ? Quant ce n’était pas ma tête, c’était mon corps, mais moi… aurai-je finalement décidé une seule fois ?

Quoiqu’il en soit, je vais me coucher. Un argument aura fait mouche : mieux vaut récupérer et repartir frais au lever du jour plutôt que de ne plus avancer et de se griller définitivement. Pas idiot, mais quand on est fatigué, laminé moralement, le moindre argument nous invite à nous arrêter : un petit caillou dans la chaussure, une goutte de pluie alors que le ciel est d’un bleu azur, un lacet défait, une mèche décoiffée... Pour les cheveux, ils sont ras, donc pas de problèmes.

5h00. Nouveau départ. Dernier lever. Dernier boîtage. Dernière marche. Peut-être dernière course. Mot d’ordre : profiter. Je ne suis pas triste que ça s’arrête, mais ça me manquera, j’en suis sûr. J’espère que je ne ferai pas une course blues. Je vivais tellement avec ce projet depuis 5 mois et ça va se terminer.

Mais problème après le petit déjeuner. J’ai un terrible coup de barre. J’ai besoin de dormir. Nouveau clignotant. Dire que je ne devais plus dormir depuis la veille… Décidément, rien ne se passe comme je le veux. C’est ça les 6 jours d’Antibes !!!

Je me laisse tomber, raide comme un piquet, sur le matelas. Et trou noir… de 2h.je me réveille en sursaut. Je savais que je n’aurais pas dû. Je n’ai même pas mis d’alarme. La 1ère fois. M….e !!! Je calcule dans ma tête. Les 500 kms sont hors de portée. Quel nase !!! Je repars avec ma jambe de bois que je traîne comme un fardeau.

Je recalcule dans ma tête. Une fois. Deux fois. Mais non, c’est bon, je suis toujours dans les cordes. Je peux le faire !!! Ouf !!!

Maintenant plus question de s’arrêter. Il fait beau. Une journée de rêve. Journée de mariage aussi. Journée de fête. Profite mec. Profite. Profite de tous les coureurs. Profite de chaque coin du circuit. Profite de la vue sur la mer. Je pense à plein de choses. Je ris du discours des organisateurs sur la propreté des wc  et le fait de viser dans le bidet et non pas sur les contours. On a le rire facile quand on est fatigué. Mais, ils ont raison. J’imagine l’arrivée. C’est trop bon. Je crois que j’hurlerai. Je téléphonerai à ma femme et j’hurlerai. J’hurlerai que je l’ai fait.

Vers midi-1h, je passerai les 500 kms, objectif atteint. Mais je n’arrête pas. Pas question, j’ai trop subi. A moi de faire subir. Je décide. Et j’ai décidé de continuer. Il fait chaud. Et je marche toujours. Je n’ai pas couru depuis une éternité. Je crois que je ne courrai plus.

Mica sur son tapis arrive à 800 kms. C’est de la folie. Je suis passé 500 fois à côté de lui à le regarder ainsi que Philippe, à me demander comment il faisait à courir dans un endroit fixe. Mais sans le connaître, je ne doutais pas qu’il y arriverait. J’étais allé régulièrement sur son site et il était bien trop préparé pour ne pas y arriver. Franchement chapeau bas pour cette performance. Son acolyte Philippe a lui plus souffert. C’est bizarre comme ça se ressent. Mica, je le trouvais facile, alors que Philippe avait l’air gêné, fatigué, usé à la fin courant comme beaucoup d’entre nous après un objectif qui s’éloignait à chaque instant.

Plus que 3h, 2h, 1h. Marc a établi la meilleure performance mondiale de l’année en course. J’ai couru avec des mecs comme ça !!! J’en suis très loin, mais ça ne compte pas. C’est ça la course à pied. Pouvoir courir d’égal à égal avec les meilleurs. Les regarder de très près. Tous les drapeaux sont de sortie. C’est génial. Ça donne des frissons de partout, tellement de frissons que je me remets à courir. Il reste 20 minutes. Je ne cours pas, je vole. Je vole. Mon mal de genou a disparu. Si mes jambes pètent, tant pis. Je cours comme un malade. Je fais des tours en 4-5 minutes. Je les enchaîne sans être atteint par la fatigue. J’ai l’impression de sprinter. Je dépasse tout le monde, mais ce n’est pas ça qui compte. Je finis en trombe. Comment est-ce que je peux courir comme ça après avoir tant galéré. Je me suis menti tout le temps ou quoi ? Est-ce que j’ai vraiment mal au genou ? Je vais faire 4 tours comme je n’ai jamais fait à Antibes (normal c’était mon 1er 6 jours). Reste qu’à 16h pétante, je passe la ligne d’arrivée avec 520 kms. C’est fini, c’est de la folie.

J’ai déjà oublié tous les mauvais moments que j’ai passés. Je ne me rappelle que des bons. Tout le monde est heureux. Ai-je vraiment raté ma course ? Non. J’ai fait ce que j’ai pu. Je me demanderai encore longtemps (jusqu’à la prochaine fois ?) si je ne pouvais pas faire mieux. Sûrement. Mais, j’ai manqué un peu de modestie, de mental la nuit et d’expérience. Mais dans le moment, tout ça ne compte pas. Je me pose par terre et je récupère. Il ya tellement de monde que je ne sais plus où aller. Il faut que je me lave !!! Que je me frotte les pieds !!! Que je récupère !!! Et partager une bonne Paëlla.

 Après-course

Ma course ne s’est pas arrêtée ce samedi 11 juin à 16h. Elle a continué longtemps après dans mes rêves. J’ai continué de courir, courir et encore courir les nuits suivantes. Chaque nuit durant 15 jours… Ce fut une aventure sportive et humaine incroyable. Un défi personnel surmonté, gagné où je suis fier de ma marque à 520 kms (soit 86 kms de moyenne par jour). J’ai appris sur mon corps, sur mon mental. Je ne dirais pas que j’ai repoussé mes limites. Je me suis juste fait un face à  face avec moi-même. J’ai fait ma pleureuse. Mais la vraie leçon, c’est que le corps a des ressources insoupçonnées. Je n’ai qu’une envie,  c’est d’y retourner, mais pas trop vite non plus, car même si j’ai oublié les mauvais moments, je me rappelle qu’ils ont existé et je ne les ai encore pas tous digérés.

Je suis retourné courir 15 jours plus tard. Ça me démangeait déjà. La douleur à mon genou s’est réveillée au bout de 45 minutes. Ma douleur durant les 6 jours était-elle imaginaire ? Non. J’ai eu mal très vite et je me suis demandé comment j’avais fait pour tenir aussi longtemps. Aurais-je pu faire mieux ? Je reste persuadé que oui, mais très peu pour cette première fois. Faire 550 au lieu de 520, ça n’a pas grand sens pour moi personnellement. Donc, cette question n’a de sens que pour atteindre mon objectif de base, les 600kms. Et j’en étais loin. Ainsi, je suis satisfait de ma performance.

Dernier objectif atteint : j’ai bronzé !!! Pas qu’un peu. Je suis déjà prêt pour les vacances. Dommage que je suis bronzé façon course à pied (cou, bras, cuisses, mollets). Au moins, on se reconnaîtra sur les plages entre coureurs d’ultra !!!

1 commentaire

Commentaire de petit franck posté le 21-11-2011 à 21:40:49

bonjour
bravo pour cette course j'y etais aussi , comme tu le dis dans ton recit je suis parti un peu vite ( 144 kms le premier jour alors que j'ai fait 606 kms sur les 6 jours ) je ne sais pas si on s'est parlé pendant la copurse (j'ai parle avec pas mal de coureurs )
bonne journee
franck derrien

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