Ayant reçu ces dernières semaines pas mal de MP pour des demandes d'avis ou conseils sur la prise en charge podologique, je me permet de me fendre d'un petit sujet à ce propos. Comme ça si certains ont des questions qui ne sont pas trop intimes, tout le monde pourra en profiter.
Avant de commencer, quelques vidéos sympa évoquant des concepts que j'évoque souvent (stress mécanique, progressivité, minimalisme/maximalisme) :
Revue de quelques études par Blaise DUBOIS (un peu technique et barbare.. A moins d'être vraiment au taquet, passez à la vidéo suivante) :
Partie 1 d'un débat super intéressant sur le minimalisme/maximalisme, notion de stress mécanique et d'entraînement :
Partie 5 du même débat, sur la biomécanique de course dans le cadre du minimalisme/maximalisme :
Vous pouvez regarder le débat en entier, c'est assez passionnant.
Blaise DUBOIS (physiothérapeute - alias kiné - québécois) est LE spécialiste du minimalisme dans le monde. J'adhère pas mal à sa vision des choses (en étant un peu moins extrémiste), sauf s'agissant des semelles
. Il a une vision des semelles un peu biaisée, au travers du prisme qu'est la podologie en Amérique du Nord. Les semelles orthopédiques là-bas, c'est UNIQUEMENT du contrôle de pronation/supination d'arrière pied, ce qui correspond à la podologie française d'il y a 20-30 ans, avec en plus de ça des matériaux qui sont hyper-rigides, bloquant totalement le travail élastique du pied.. D'ailleurs, les semelles n'intéressent que bien peu les podiatres américains (qui sont un mix de chirurgien et de podologue, sans l'aspect pédicurie).
De ce fait, quand je l'ai rencontré avec d'autres podologues français, il était assez surpris de la prise en charge podologique en France; tout en restant tout à fait sceptique dans la mesure où rien de ce que l'on fait n'est prouvé scientifiquement (de plus en plus de podologues deviennent Docteur en biomécanique grâce à la récente réforme des universités mais la recherche n'en est qu'à ses balbutiements). Or, il est très friand d'études scientifiques.
Sinon quelques questions que je vois souvent :
Pourquoi devrais-je mettre des semelles alors que je n'en ai jamais eu besoin ?Au même titre que la vue évolue avec l'âge, la qualité des tissus mous du corps évolue également, aussi ce que supportait votre corps à 20 ans, ne le sera peut-être plus à 40, et encore moins à 60. A geste technique égal par contre ! Car avec l'âge, on se rend compte que le corps des coureurs peut trouver des stratégies de diminution d'impact et d'économie énergétique. Mais aussi et surtout, comme évoqué par Blaise DUBOIS dans la 2ème vidéo de la liste ci-dessus, tout est question de rapport entre le stress mécanique (tension, vibration, torsion, pression etc..) appliqué sur une structure anatomique donnée, et sa capacité à encaisser ce stress.
Cette capacité pourra être augmentée par un entraînement progressif bien dosé; quand le stress mécanique pourra être diminué en optimisant le geste technique, la posture (ou plus largement l'équilibre dans le travail musculaire).
Ainsi, à mon humble avis, il ne faut pas tellement voir les semelles orthopédiques comme des cales. Le corps humain n'est pas une chaise. C'est une structure dynamique qui fonctionne grâce à des systèmes inter-dépendants, un peu comme un voilier, à l'échelle du pied comme à l'échelle du corps tout entier. La position des voiles va influencer la tension sur les cordes et inversement. Vos membres sont donc un peu comme des mats, des vergues ou des voiles dont le positionnement est influencé par le jeu de tensions dans les cordes que sont vos muscles (et inversement donc !).
Les semelles orthopédiques permettent de jouer sur la position des mats et vergues du pied (aspect plutôt biomécanique des semelles, les gros reliefs), mais aussi sur la tension des cordes que sont vos muscles (aspect plutôt proprioceptif grâce à des éléments de correction qui vont dans une faible mais suffisante mesure activer ou inhiber le travail de tel ou tel muscle).
De ce fait, les semelles ne sont pas tellement quelque chose qui vient palier à un organe défaillant (hors orthopédie pure et dure après de grosses opérations ou autre), mais aussi et surtout quelque chose qui permet de modifier l'équilibre dans le travail musculaire.
Partant de cela, les podologues essaient d'améliorer la posture ou le mouvement en équilibrant le travail musculaire. Personnellement, j'étudie une méthode assez proche de Mézières. Lorsque l'on s'intéresse à la posture, aux chaines musculaires, on s’aperçoit que l'on est tous dans un certain déséquilibre. Mais il arrive que pour une raison X ou Y, ce déséquilibre s'accentue et sorte des limites de ce que le corps de mon patient arrive à compenser/accepter (cf partie 1 du débat sur Youtube). Ce patient pourra alors se retrouver dans un déséquilibre qui n'est plus supportable lorsque les contraintes mécaniques sont augmentées (le patient a mal quand il court mais pas quand il marche), voire même alors qu'elles ne le sont pas.
Le but des semelles sera alors de retourner dans cette limite acceptable, en jouant sur le local (pied) ou en visant plus haut (genou, bassin, dos) en partant du principe qu'en agissant sur un muscle, une articulation, on va entraîner une réaction en chaîne de bas en haut.
C'est ce que fait un kiné/ostéo ou autre d'ailleurs. Il ne se contente pas de constater la douleur et de dire "manque de bol, vous êtes en déséquilibre". Bien souvent, en plus d'agir sur le symptôme (bien souvent en local), il essaiera de faire en sorte que le patient trouve ou retrouves un "équilibre dans son déséquilibre". Il aura alors comme outil la thérapie manuelle, les étirements, le renforcement musculaire (etc..) et pourra plus ou moins s'éloigner de la structure lésée, en espérant toujours entraîner une réaction en chaîne pour que le corps retrouve sa capacité à s'auto-réguler, son adaptabilité.
Dois-je mettre une paire de chaussures pour pronateur, ou autre alors que je porte des semelles ?Bien souvent, les podologues conseilleront une paire de chaussures universelles en présence de semelles orthopédiques, partant du principe que la correction réside dans la semelle orthopédique. Même si je suis globalement d'accord avec ça, je ne serais pas forcément aussi catégorique.
Par exemple, les chaussures pour pronateur vont à mon sens d'avantage avoir pour effet de limiter le tassement asymétrique de la mousse EVA, en utilisant des duretés plus importantes en interne. Mais ce tassement ne sera pratiquement pas présent chez un coureur avec une course plutôt médio-pied, ou même avec un faible appui talon plutôt proprioceptif, quand bien même il aurait un gros valgus d'arrière pied. Donc pourquoi pas une chaussure pour pronateur en plus de semelles pour un coureur lourd avec une foulée dégueulasse (
), pour optimiser leur durée de vie. C'est plutôt l'expérience personnelle qui répondra à ce genre de question. Dans le doute, on préfèrera conseiller une chaussure universelle, histoire de ne pas prendre de risque.
150€ pour une paire de semelles orthopédiques ??!!Je pense que le savoir-faire et le temps ont un coût. Lorsque vous allez chez le podologue, non seulement vous payez ce savoir faire (acquis dans sa version "de base" après 3 années d'études à 10000€ de coût de scolarité par an, puis par des formations post diplôme coûtant 5x plus cher en terme de coût par jour d'enseignement), mais aussi le temps passé à réaliser l'examen clinique (qui durera souvent une bonne demi-heure; éventuellement moins chez les plus expérimentés et savants d'entre nous qui sauront prendre des raccourcis intellectuels) puis à fabriquer les semelles.
Vous payez aussi les matériaux mais aussi et surtout le plateau technique qui coûte grosso modo ce que coûte le plateau technique d'un dentiste de quartier (ça se chiffre en dizaines de milliers d'euros chez les podos qui sont bien équipés).
Et enfin, vous payez la personnalisation de l'objet qui vous est rendu. Il ne s'agit pas (chez la majorité des podologues) d'un truc tout fait qui sort d'un tiroir comme chez Décathlon. Et le sur-mesure ça a un coût, parce que ça demande plus de temps et de savoir faire que de la fabrication standardisée. C'est ce qui explique qu'à qualité similaire de tissu, une chemise va me coûter 100€ dans le prêt à porter qualitatif, 150€ dans la demi-mesure industrielle (adaptation de patrons prédéfinis à votre morphologie, avec quelques options de personnalisation et une fabrication industrielle) et 250-400€ dans la grande-mesure (le vrai sur-mesure artisanal, où le patron de votre chemise est crée uniquement pour vous, à l'ancienne, avec du carton, un crayon et des ciseaux; avec toutes les options de personnalisation possibles et imaginables et une fabrication à la main).
A titre indicatif, il faut savoir que la France doit être le pays dans le monde où les semelles sont les moins chères (comme la consultation chez un médecin généraliste d'ailleurs !). Dans tous les pays européens limitrophes, elles vous coûteront 2 à 3 fois le prix français (pour une qualité qui ne sera pas supérieure d'ailleurs, la France étant vraiment en tête de wagon s'agissant de la podologie : on a inventé la semelle thermoformée moderne, on est précurseurs pour tout ce qui touche à l'approche podologique du traitement de la posture etc..), tout comme dans les pays anglophones. Même au Brésil ça vous coûtera plus cher ! Quelle fut ma surprise, à l'occasion d'une formation là-bas, de découvrir en parlant avec un podologue local (qui sont en fait des kinés fabriquant des semelles) qu'il fallait compter 1/2 salaire mensuel moyen brésilien pour s'offrir des semelles
, soit un prix supérieur au prix français en appliquant le change real/euro, et ce sans même ajuster par une quelconque variable liée au niveau de vie de chaque pays !
Donc voilà... Sachez qu'en France vous avez de la plutôt bonne came à prix cassé.
. Après, il faut se renseigner pour aller chez la bonne personne. Notre formation initiale étant largement perfectible, la qualité de la prise en charge dépendra d'un cabinet à l'autre de l'investissement (en temps et surtout en argent) dans la formation professionnelle continue.
Pourquoi des semelles alors que j'ai une foulée médio-avant pied ??Il y a 20-30 ans, la podologie était obnubilée par la pronation de l'arrière pied. De nos jours, de plus en plus de podologues - en particulier en France - gardent (ou pas) cette notion bien en tête quand ils vous prennent en charge, mais aussi traitent par leurs semelles l'avant pied. Pas forcément parce que votre avant pied a un problème d'ailleurs. Mais aussi et surtout pour modifier votre biomécanique de marche/course. C'est d'ailleurs à l'avant pied que l'on trouve les capteurs de pression (cf notions de proprioception et posture) qui permettent de jouer sur le travail du Tibial Postérieur ou des Fibulaires par exemple, qui seront des muscles clé dans pas mal de pathologies du sportif.
Une paire de semelles orthopédiques, ça ne doit pas être une simple base thermoformable moulée à la forme de votre pied, avec un peu d'amorti ou de rebond par ci par là (cf semelles Sidas chez Décathlon). C'est aussi et surtout des éléments de correction à des endroits clés, dont le choix et le placement sera propre au patient, à sa pathologie, à sa pratique. Du sur-mesure quoi !
Mon kiné et/ou ostéo m'a conseillé d'aller voir mon podologue pour faire modifier mes semelles, que dois-je faire ?Bah va voir ton podologue, on t'a rien proposé d'autre.. Tu peux être sûr d'une chose : un patient en situation d'échec thérapeutique alors qu'il est traité par un podo, un ostéo, un kiné, un occluso, un orthoptiste, médecin du sport (liste non exhaustive) se verra toujours dire que c'est la faute des semelles..
Bouuuhh, vilaines semelles, VILAINES ! Le vilain corps étranger dans la chaaauussuuuure !
Dur dur la vie de podo !
Voilà, c'est déjà un bon début. N'hésitez pas si vous avez des questions sur tout ce qui touche à la podologie