L'auteur : LeSanglier
La course : Raid Montpellier Valencia
Date : 29/4/2007
Lieu : Montpellier (Hérault)
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Distance : 500km
Objectif : Terminer
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Préambule – Samedi 28/04/07 : dans le TGV
Le TGV roule à une allure incroyable, il parcourt des centaines de kilomètres en quelques heures. Moi, j’aurai besoin de huit jours pour en faire autant. Me voici parti vers Montpellier en ce samedi, pour participer au Raid Montpellier-Valencia. Voici à peine trois semaines que je sais que je vais y participer, autant dire que ma préparation est inadaptée. Je ne sais d’ailleurs pas vraiment à quoi m’attendre : ça fait deux ans que je m’y intéresse de près, sans avoir pu me libérer pour y participer. Cette année, l’occasion était trop belle, j’ai foncé. Me voici donc dans le train, à imaginer ce qui va venir (on trouve peu d’informations sur ce raid), mais en ne me posant pas trop de questions sur ma capacité à l’avaler. Je commence malgré tout à être assez expérimenté en ultrafond, ayant roulé ma bosse sur nombre d’épreuves relativement difficile. Alors, un raid de 500km en huit étapes, ça ne me fait pas plus peur que ça. Ah la la, l’insouciance de la jeunesse… J’aurais pourtant du me méfier !
Mon sac est énorme : il faut prévoir de quoi bivouaquer (on nous fournit juste la tente) pendant huit jours, de quoi manger chaque matin (seul le repas du soir est inclus), et bien sûr de quoi s’alimenter en course. Le confort risque d’être important sur ce genre d’épreuve, les principe d’étape quotidienne nécessitant d’être aussi frais que possible chaque matin. Au niveau du matos de course, j’ai prévu un short et un cuissard, un t-shirt long (mon t-shirt UFO fétiche qui a déjà fait pas mal de bornes un peu partout), ma veste Raidlight MP500, 5 paires de chaussettes, 2 paires de runnings route, et mon sac à dos 10l.
A l’arrivée du TGV, je retrouve Stéphane Ruhlmann (UFO77 sur le forum UFO), qui a gagné sa participation deux ans plus tôt, et a du abandonner sur blessures à la seconde étape. Il n’avait jamais couru d’ultra auparavant. Cette année, il vient prendre sa revanche, après deux saisons bien remplies. Ma sœur Marie est déjà sur place, elle fera partie de l’équipe de bénévoles pendant la dizaine de jours sur laquelle s’étale l’épreuve. Côtoyer ce milieu lui plait beaucoup, et malgré le travail qu’être bénévole implique, le séjour peut être une parenthèse permettant de s’aérer l’esprit.
L’organisation vient nous chercher en car aux abords de Montpellier, et nous emmène directement au bivouac où nous allons passer deux soirs. Rencontres et retrouvailles s’opèrent alors, avant de procéder aux vérifications médicales et matérielles. Tout le monde semble ok, que ce soit sur le 250km (6 engagés) ou le 500km (28 engagés). Quelques manques sont vite comblés (des aspis-venins achetés en express à la pharmacie du coin, il paraît qu’on peut rencontrer des serpents sur le parcours) et la dernière journée tranquille se termine par un apéritif officiel et le premier festin dînatoire. Chouette, si c’est tous les soirs comme ça !
Parmi les engagés, je reconnais quelques clients, comme Bernard Constant, Janne Kankaansy (vainqueur entre autres de la Transe Gaule), quelques habitués des ultras planétaires (Romain Valle une valeur sûre, Philippe Grizard, Marianne Blangy), et rencontre des inconnus ou presque, comme Jean-Christophe Agosta (ESCALAMONACO sur le forum UFO) ou Philippe Rosset (Lssuis sur le forum UFO). J’imagine bien le Finlandais en futur vainqueur, et je ne suis pas le seul…
Le brieffing de Christophe Médard, l’organisateur en chef, est assez cool, mais en même temps empreint de menaces. On est tous là pour se faire plaisir, on va traverser de superbes endroits, mais ce sera dur, et si on part trop vite, c’est droit dans un mur qu’on finira. Christophe souhaite que chacun se fasse plaisir et aille au bout de l’épreuve, dans un état correct, et pas complètement à l’agonie. Je prends la mesure de ses paroles, et commence à m’interroger sur la réelle difficulté de l’épreuve. L’aurais-je sous-estimée ?
Etape 1 – Dimanche 29/04/07 : Montpellier – Marseillan
Première étape du RMV, 70,5km annoncés : ça commence plutôt fort ! Le départ cérémonial est donné Place de la Comédie, en plein centre-ville. Les coureurs sont tout sourire devant le parterre d’officiels et les membres de l’organisation du raid. Le temps est clément, la température s’annonce élevée dans l’après-midi. Je gratte les quelques boutons dûs aux moutiques qui nous ont agressés en masse la veille au soir, au camping de Marseillan, où nous attend notre bivouac du soir. Je n’ai qu’une vague idée de ce qui m’attend, grâce au road-book donné le matin même et au brieffing qui précède le départ. Je sais juste que les terrains seront variés, et qu’il va falloir sérieusement s’économiser pour pouvoir aligner sept journées supplémentaires !
Le départ est donné dans un grand hourra collectif. Les deux premiers kilomètres sont neutralisés, jusqu’au bord du canal où se donne quelques minutes plus tard le vrai départ chronométré. L’euphorie est présente parmi le peloton, et nous partons tous à bon train vers notre destinée. Stéphane et moi cheminons ensemble, apprenant à nous connaître à ce rythme tranquille. Devant, on devine le favori de l’épreuve, le Finlandais Janne Kankaansy entouré d’un petit groupe.
Au sol, les flèches orange se succèdent assez régulièrement. Elles ne sont pas très nombreuses, mais couplées au road-book elles permettent de trouver sa route sans trop d’hésitation. Toutefois, quelques kilomètres plus loin, Stéphane et moi rebroussons déjà chemin sur une voie barrée par une croix orange, voie qui s’avèrera finalement la bonne.
Remis dans le droit chemin, nous faisons route commune un long moment avec Romain Valle et Philippe Grizard. S’enchaînent alors nos premiers kilomètres de piste, de bitume, de terre… Le terrain est varié, l’orientation change souvent, les paysages sont agréables et évoluent au fil des kilomètres. Nous songeons un instant à monter sur le dos de quatre chevaux paisiblement installés dans une prairie histoire de gagner quelques kilomètres heure, mais nous ne sommes pas bien sûrs qu’ils soient d’accord.
Premier ravitaillement, où chacun peut refaire le plein d’eau et grignoter quelques friandises sucrées. Un peu monotone le premier jour, le menu se diversifiera par la suite, nous offrant même quelques agréables surprises. Premières montées également, sèches et caillouteuses, un peu surprenantes pour moi qui m’attendait à passer beaucoup de temps sur route, et à emprunter seulement quelques sentiers assez roulants. Mais la surprise est agréable, je préfère de loin ce genre de terrain.
L’heure est donc venue pour moi de me faire plaisir. Je lâche mes compagnons de route et survole les sentiers caillouteux, en prenant soin de ne pas trop entamer mon physique et surtout de ne pas chuter. J’imagine Janne le Finlandais, qui a du passer ici même quelques dizaines de minutes plus tôt : le pauve n’a jamais couru de trail. Il est très costaud, soit, mais sur route. Personne n’est capable de dire s’il s’en sortira sur ce type de terrain.
Une dernière vue sur Montpellier du haut d’une colline me permet de reprendre mon soufle, et de me jeter de nouveau dans la course, tourné vers l’avenir et Valencia. Je repars du second CP seul pour entamer une longue montée sur un chemin d’abord assez large, puis sur un monotrace perdu au milieu des pins. C’est très agréable, les kilomètres défilent sans heurt, je reprends plusieurs coureurs qui restent beaucoup plus prudents que moi dans les descentes. On me lancera même un « tu descends bien pour un Parisien ! ». Grmbl, je ne suis pas plus Parisien que la Reine d’Angleterre !
Toujours est-il qu’à ce rythme j’approche du CP3, et double… Bernard Constant, excusez du peu ! Celui-ci marche, l’air pas content du tout et franchement fatigué. Je reste deux minutes avec lui, pendant lesquelles il me dit que même en marchant son cardio lui annonce 145 battements par minute. Forcément, ça inquiète ! Bernard a gagné le RMV l’année passée, et il a connu bien d’autres réussites sur des épreuves de renom, comme la Sakura Michi. Le voir dans cet état me fait un peu mal, mais il est vrai qu’il a été gravement malade cet hiver, et n’a pas pu s’entraîner suffisamment pour revenir à son meilleur niveau.
Quelques minutes plus tard et un parking de supermarché traversé en cherchant à la hâte les marques orange, j’arrive au CP3 où Vincent Perreau essaie de se reprendre, allongé dans l’herbe et enveloppé dans une couverture de survie. Marie, ma sœur, m’explique qu’il est là depuis un petit moment, mais ne veut pas abandonner. Je me ravitaille rapidement, et repars à bonne allure sur un long chemin qui me fait un peu peur (je ne vois aucune marque pendant assez longtemps).
Enfin nous arrivons sur les abords de l’étang de Thau. Celui-ci est immense, et ses abords sont… vaseux. Une espèce de tourbe à moitié sèche le borde, et nous sommes obligés de courir dessus. La sensation est étrange, pas très agréable, mais ça ne dure pas bien longtemps. S’ensuit un peu de route, de champs, d’abords de vignes, puis de nouveau l’étang et ses rives bien pourries. Encore un CP, puis les abords d’étang se transforment en succession de ports peu engageants. L’état général des bâtiment laisse à désirer, des amas de ferrailles et de vieux bâteaux pourrissent un peu partout… Le lieu pourrait faire office de décor à une terrifiante poursuite au sein d’un thriller. Au milieu de tout ceci, des jeunes et des familles sont installées pour la journée, des sardines grillant au-dessus de braises de palettes, le Ricard et le rosé coulent à flots. Les quolibets et les encouragements vont bon train forcément, mais moi aussi je poursuis ma route à bon train, toujours pas entamé par la cinquantaine de kilomètres déjà courue.
Parfois l’horreur à l’état brute assaille mes narines. Je ne suis pas hypersensible au niveau de l’odorat, mais par endroits une odeur indicible vient encombrer l’atmosphère. Des usines de mise en boites de moules jouxtent le parcours, et devant certaines d’entre elles des bennes entières de crustacés jugés inaptes à la consommation pourrissent au soleil. Des milliers de mouches volent autour de ces tas de déchets, et l’odeur qui en émane soulève le cœur. J’essaie de passer ces endroits sans respirer et le plus vite possible, mais malheureusement courir sans respirer n’est pas aisé !
Enfin l’étang à l’état brut est de retour, finies les mauvaises sensations. Je traverse des marécages, puis une pinède, puis une seconde… et plus de marques ! Je cherche, je scrute, j’observe, je lis et relis mon road-book, mais rien à faire ! Sachant qu’il faut retourner vers l’étang par la suite, je coupe à travers champs après une descente un peu sauvage de talus, pour retomber presque illico sur une marque… Youpi ! Vive l’instinct. Le soir au bivouac, j’apprendrai que José Picazo, qui comptait quarante minutes d’avance sur le second à ce moment de la course (selon ses dires) s’est lui aussi perdu dans cette pinède, et y a complètement perdu son avance.
Encore dix kilomètres à parcourir, je suis seul depuis des heures et des heures. Encore un peu d’herbes hautes dans une propriété privée, un peu de tourbe, un gué histoire de se mouiller un peu les pieds, un soupçon de sable très souple qui fatigue bien les jambes, et nous pénétrons en ville sur un petit port. Les gens attablés aux terrasses me regardent passer curieusement. Je suis super heureux d’être à ma place, et pas à la leur, j’ai l’impression de vivre intensément à ce moment précis.
Enfin un petit bout de piste m’amène à la route qui nous offre un dernière kilomètre de bitume avant le camping. C’est difficile de courir en permanence quand depuis des heures on est seul, si bien que j’alterne de larges plages de marche avec un peu de course. Et soudain, je vois débouler derrière moi un duo de coureurs : Philippe Grizard et Philippe Rosset. Le second nous lâche au train, mais nous attend sportivement pour franchir en trio la ligne d’arrivée en 8h26. Devant, Janne Kankaansy, José Picazo et Jean-Christophe Agosta finissent ensemble à pratiquement 10km/h de moyenne. Janne est tombé une fois dans la descente la plus technique, et le soir même, il me dira qu’il ne s’attendait vraiment pas à quelque chose de si difficile ! Il a eu très peur dans la journée.
Le bilan à l’issue de cette première étape est mi-figue mi-raisin. Le RMV s’annonce plus difficile que ce à quoi je m’attendais, c’est certain. Mes pieds ont un peu souffert (échauffements sous les deux pieds et une ampoule), mais un passage le soir chez les podologues me remet d’aplomb. En fait, je n’ai jamais prêté attention à la préparation de mes pieds (notamment passage chez un podo une dizaine de jours avant course), et ce manque m’est directement préjudiciable ce soir.
La douche est parfaite, elle me fait oublier les mauvaises odeurs rencontrées dans la journée. Le repas pantagruélique et délicieux servi par l’équipe des traiteurs est revigorant ; chaque soir, ce sera un véritable bonheur de découvrir les mets que nous prépare le cuistot, et de s’asseoir (difficilement) pour savourer ses plats. Par contre la nuit qui suivra ne sera que peu réparatrice. Le couchage en commun sous deux grandes tentes ne permet pas un sommeil complet. Mon matelas gonflable m’apporte un minimum de confort, mais chaque nuit est sujette à des réveils intempestifs trop fréquents.
Ce soir, Vincent Perreau finit par rallier l’arrivée, complètement épuisé. Il tient difficilement debout, et doit s’asseoir dans sa douche pour ne pas tomber. Il n’arrive plus à s’alimenter, et craint vraiment pour sa santé. Son départ le lendemain est complètement hypothétique. Bernard Constant est moins touché, mais a beaucoup peiné pour rallier l’arrivée dans les derniers. Ca ne lui ressemble pas, et on sent bien qu’il n’aime pas ça. Gérard Poirot n’est pas parvenu jusqu’au bout de l’étape, il a stoppé son avancée au dernier CP. Le lendemain, il repartira au sein du groupe des coureurs du 250km.
Etape 2 – Lundi 30/04/07 : Valras – La Franqui
Un transfert en car nous amène au casino de Valras : départ sur la plage. Les 27 coureurs s’élancent à l’assaut du sable mouillé en bordure de mer, mais la Méditerranée n’est pas l’océan, et l’absence de marée ne nous laisse qu’un minuscule bandeau de sable dur et pentu pour avancer. Sans ça, c’est la sable mou de la plage qui nous attend ! A ce petit jeu, nombreux sont ceux qui se font surprendre par une vague et se font mouiller les pieds… Quelle joie de commencer la journée les pieds trempés !
Cette étape est longue de 62,7km et nous a fait lever dès l’aube. Enfin, c’est juste une expression, puisqu’en fait on s’est tous levés avant l’aube, au son des Beatles qui chantaient « Back in the USSR », une tradition, paraît-il. Ca met de bonne humeur ! Surtout que la nuit n’a pas été des meilleurs, entre les moustiques, les ronflements, la fraîcheur, pas facile de fermer l’œil plus d’une heure d’affilée. Autant dire que tout le monde est en super forme ce matin !
Bon, la mienne, de forme, n’est pas mauvaise. La machine a été facile à relancer, et après 3 bons km de plage on attaque un peu de chemin terreux, et du goudron en bord de canal. J’avance à bonne allure, aucune difficulté à signaler. Les pêcheurs nous voient passer les uns après les autres, ils doivent se demander ce qu’on fabrique ici… D’ailleurs, des locaux me demandent un peu plus loin ce que nous fichons, et à ma réponse ils restent interloqués. Passage dans un village, et c’est reparti pour trois gros kilomètres de plage. A la sortie, je rattrape quelques coureurs, mais les reperds au ravito qui arrive immédiatement après.
S’ensuit alors une course-poursuite dans un décor magnifique : nous évoluons sur de minuscules sentiers pierreux au milieu de deux barres rocheuses. Des senteurs méditerranéennes s’élèvent du sol, des plantes masquent à demi le sentier, nous griffant parfois les jambes de leurs feuilles acérées ou de leurs tiges épineuses. C’est génial ! Plus loin, des arbres abattus obligent chacun à les enjamber ou à passer dessous, gestes inhabituels pour nous qui répétons toujours les mêmes. Ca grince, mais ça passe.
Je récupère dans une montée José Picazo. Le coureur boite en se tenant la cuisse, il pense à une déchirure. La veille, il était plutôt heureux de finir en tête, mais tous avaient en tête l’inexpérience de l’homme en ultra : soit, il avait couru plus de 50 marathons de par le monde, mais jamais davantage en distance, et encore moins de course à étape. Cette blessure ne me surprend guère, même si elle me chagrine un peu : c’est tout de même dommage de devoir abandonner si rapidement…
Soudain, surgissant du bas-côté, un coureur nous rattrape. Il est surmonté d’un casque de VTT sur lequel est fixé une… caméra ! Je reconnais alors Stéphane Halbault (Stef34 sur le forum UFO) qui cette année fait partie de l’organisation, après avoir brillamment terminé l’édition 2006 du RMV. Stef nous suit un moment en nous filmant sur un petit monotrace pentu qui zigzague dans la forêt. Il nous lâche quelques minutes plus tard, alors qu’un mur se présente à nous : pas d’autre choix que de l’escalader ! La pario fait six mètres de haut, mais les prises sont nombreuses, et finalement c’est plus simple qu’il n’y paraît. Encore une fois, je pense à Janne le Finlandais, qui a sérieusement du se demander où il était tombé !
Arrivé là-haut, la vue est superbe. Mais pas trop le temps de trainer : on nous encourage et nous repartons en descente cette fois vers le prochain ravito qui se fait un peu attendre. Finalement le voilà, au bout d’une paire de kilomètres de large piste alternant avec du minuscule sentier technique. Figues et eau fraiche me requinquent, et je repars comme neuf.
La suite, on nous a prévenus, est peu balisée, car nous entrons sur une zone de recueillement à la mémoire des disparus en mer. Eparpillées autour du chemin caillouteux et pavé par endroits sont dressées un grand nombre de stèles. De toute façon, pas moyen de se tromper, c’est toujours tout droit, à fond ! Ou presque… Surtout qu’il vaut mieux ralentir lorsqu’on entre dans les Forfes de la Crousade, sous peine de chuter de quelques mètres depuis le surplomb en ciment. On n’est pas là pour se tuer !
Autant j’ai adoré ce passage sous les arbres, technique et ludique à souhaits, autant je ne sens pas bien les kilomètres qui s’annoncent. Au programme : un peu de bitume et de la piste, le tout très plats, pendant 17km. A ce moment de la journée, le soleil tape, il fait chaud, et les prochaines heures se feront sans un poil d’ombre. Dès lors, mon rythme ralentit considérablement, jusqu’à se transofrmer en marche tranquille. D’une part je ne veux pas me faire violence sous ces températures que mon corps supporte mal, d’autre part moralement je suis atteind par ces lignes droites et plates que le road-book nous annonce.
Vincent Perreau, que j’avais doublé le matin même à l’agonie, me repasse à un joli rythme le long du canal. Je croise régulièrement des cyclistes qui se promènent tranquillement, ainsi que des plaisanciers qui sirotent punch et vin blanc à l’ombre d’un parasol sur leurs péniches reconverties en navires touristiques. J’accuse le coup, j’avance lentement, mais j’avance, dans l’espoir d’apercevoir enfin l’Ecluse Sainte-Lucie où siège le prochain CP.
Enfin j’y suis ! L’eau fraiche est un bonheur, l’ombre un luxe, la position assise une libération. Je traîne de longues minutes vautré sous les arbres près de la table, ignorant ronces et moustiques. D’après les bénévoles, peu de coureurs déjà passés sont sortis indemnes de cette portion moralement difficile. C’est déjà ça, je ne suis pas le seul à avoir souffert ! Pour l’heure, il est temps de repartir, à un bon petit rythme : plus que douze bons kilomètres !
Un petit passage en ville finit de me rendre les idées claires, mais la lecture du road-book me fait de nouveau suer : c’est une plage de 7km qui va succéder à un gros kilomètre de paséos. Ouille, le sable, ce n’est pas l’idéal pour bien avancer ! Juste avant la plage, je rattrape l’Espagnol José Peribanez qui semble en mode marche depuis un moment. Tous les deux, avec très peu de mots (il ne parle pas Français et je baragouine l’Espagnol), nous arriverons à nous relancer dans le sable mou en bord de plage pour ne pas perdre trop de temps. A l’approche de la ligne d’arrivée, nous apercevons un petit groupe qui nous a remontés facilement en empruntant le haut de plage pourvu d’un sable beaucoup plus dur et courable. Nous accélérons pour arriver tous les cinq ensemble en 8h51 : 25 minutes de plus qu’hier pour 8km de moins, cherchez l’erreur !
Devant, Jean-Christophe Agosta et Philippe Mora mettent seulement 6h44 à boucler l’étape, Janne est 20 minutes derrière. Le soir, il me dira qu’il a eu de nouveau très peur devant la mini falaise de 6m à escalader, surtout que sa chute la veille lui avait légèrement endommagé une main. Bernard Constant boucle cette étape en un peu plus de 8h, avec des sensations loin d’être bonnes. On sent bien qu’il ne repartira pas le lendemain. Vincent Perreau finit 25mn devant moi, apparemment sa fin d’étape n’aura pas été des plus facile : vu notre différence de vitesse au moment où il m’a doublé, il aurait du être bien plus loin à l’arrivée. Toutefois son état est bien meilleur que la veille au soir ! Ernesto a abandonné le matin même. Cet Espagnol est une figure du raid, présent année après année avec son magnifique Hulsky. Ils courent ensemble, sans qu’on sache trop lequel des deux tire l’autre. Ernesto restera jusqu’au bout dans la caravane du raid, courant des morceaux d’étape par ci par là.
Etape 3 – Mardi 01/05/07 : Le Boulou – Figueiras
Stéphane m’a prévenu : cette étape est une étape clé dans le raid. Outre le passage symbolique de la France vers l’Espagne, elle nous offre un parcours montagneux, puisque nous aurons ce jour à traverser les Pyrénées, rien que ça. Oh, il n’est pas prévu de nous faire monter au sommet du Canigou, mais tout de même, le passage de la frontière se négocie à plus de 700m, ce qui n’est pas négligeable quand on part et qu’on revient au niveau de la mer. Au programme, plus de 1300m de D+ pour 66km, des sentiers techniques, et… un temps très couvert ! Quel contraste par rapport aux deux premières étapes, où tous ont souffert de la chaleur. Cette fois-ci, c’est de l’humidité que nous risquons de souffrir, puisque le départ est donné sous un ciel très nuageux et balayé par un vent violent.
Au vu du dénivelé annoncé, je prends mes bâtons, comme Stef et plusieurs autres coureurs. Ils me seront utiles tout au long de la journée, et surtout ils me permettront de m’économiser en vue des cinq étapes restantes. La veste Raidlight est dans le sac à dos, prête à sortir au cas où…
D’entrée, nous débutons l’ascension vers le Perthus, petit village mi-français mi-espagnol. Perché à 290m d’altitude, son col permet de transiter d’un pays à l’autre : touristes et frontaliers empruntent quotidiennement la route. Pour notre part, c’est par une large piste puis une petite route que nous progressons lentement. Je marche presque sans discontinuer, ne courant que lorsque vraiment la pente est nulle. Je compte m’économiser un maximum. D’autres, comme Philippe Grizard, courent sans cesse, mais ne montent pas plus vite, ce qui provoque quelques réactions amusées : « ça ne te gêne pas trop de marcher à-côté de moi alors que je cours comme un dératé ? ».
A ce rythme tranquille le premier CP arrive ; le temps de recharger en eau, et c’est reparti, en direction du Fort de Bellegarde, toujours en montée. En fait nous ne sommes pas au bout de nos peines : il reste presque 500m de D+ à gravir d’ici la frontière. Nous quittons la ville, puis empruntons des pistes toujours assez roulantes, mais toujours montantes. La pluie se met à tomber, d’abord fine elle ne nous inquiète pas trop Stef et moi. Nous ne prenons pas la peine de sortir nos vêtements de pluie, mais bientôt, elle s’accentue, redouble, et n’a plus rien à voir avec le léger crachin qui nous rafraîchissait quelques minutes plus tôt. Trop tard, nous disons-nous, pour sortir la veste, maintenant que nous sommes détrempés elle ne servira plus à grand chose. Le temps d’une petite photo devant des autochtones ovins, et nous poursuivons notre ascension, seuls au milieu de ces étendues montagneuses.
Je m’attendais à un passage de la frontière significatif : un bâtiment, une barrière, des gardes… Mais non ! Rien de tout ça bien entendu pour délimiter la frontière entre France et Espagne en plein milieu des Pyrénées ! Nous parvenons Stef et moi dans une petite clairière, sur un petit replat. Au milieu trône un rocher devant lequel flottent les deux drapeaux nationaux. Une petite pause s’impose : nous prenons tour à tour une photo sous des trombes d’eau, et nous dirigeons gaillardement vers le ravito qui se tient dans le 4x4 de l’organisation. Là nous attend la plus belle des surprises : bière, pain et charcuterie nous sont offerts ce jour pour marquer le coup du passage de la frontière. Je m’enfile une canette entière, Stef se contente d’un fond, nous faisons le plein des poches à eau (bien qu’il suffirait d’ouvrir la bouche quelques minutes pour s’hydrater suffisamment) et repartons avec à la main de jolis sandwichs jambon et saucisson un peu détrempés.
Nous empruntons une route goudronnée, qui descend, descend, descend… un long moment ! L’allure est bonne, les cuisses tiennent le coup, nous en profitons pour accélérer un peu l’allure. Une paire de kilomètres plus loin les sentiers reprennent leur droit, la plupart du temps toujours en descente. La cadence est élevée, sans être non plus dangereuse pour notre avenir. Plus nous avançons plus les chemins se rétrécissent, et nous nous retrouvons bientôt sur un minuscule monotrace perdu dans la montagne. Parfois, la végétation masque nos pieds, et c’est un peu à l’aveuglette que nous progressons. Le sentier est technique, pierreux, raviné par la pluie toujours drue. Nous marchons fréquemment dans des flaques, des mares : tout est trempé, mais on se marre ! Ce passage est vraiment génial, ludique à souhaits. Stef en profite pour tomber, on rigole un bon coup, mais on fait attention quand même. Il reste cinq jours après la balade humide du jour, il ne faut pas se griller !
Encore un soupçon de route montante, et nous nous retrouvons en vue d’un village qui va s’avérer charmant, mais désert. Pas une âme qui vive semble-t-il dans ces petites rues typiquement catalanes. Nos pas résonnent sur les pavés, nos yeux sé regalent de ces façades de pierres aux fenêtres fleuries. Soudain, au virage suivant, nous tombons nez à nez avec Marie, officiant seule au CP. Elle est gelée, sa table posée sous une arche offerte aux quatre vents. Heureusement, la seule habitante du village qui n’a pas émigré l’a prise en pitié et lui a offert du café bien chaud… Ravito express, et nous filons vers la sortie du village, avec en tête l’idée qu’il faut bien faire attention à ne pas se perdre dans les carrières…
Un peu de route et nous voilà à l’assaut d’un terrain boueux à souhaits : une espèce de glaise très attachante nous colle aux baskets, c’est d’un lourd… Les aboiements des chiens ne nous détournent pas de notre route, les panneaux « prohibido el paso » non plus. Nous contournons une usine, et pénétrons dans la forêt et les carrières. Gauche, droite, on en profite pour regarder un entrepôt de stockage magnifique, tout en pierres. Les marques sont présentes, le road-book nous aide, on ne se perd pas. Youpi !
Plus loin, un autre village ; derrière nous, nous voyons revenir un coureur. Stef et moi nous interrogeons sur son identité, mais il nous rattrape assez vite, coupant court les hypothèses. C’est Philippe Mora, qui s’est perdu assez méchamment quelques heures plus tôt. Etrange, il n’y avait guère lieu de se perdre aujourd’hui. Je connais un peu Phillippe pour avoir couru la Trans Aq’ 2005 avec lui, et il est vrai qu’on lui prête le qualificatif d’étourdi : il court vite et longtemps, mais il n’a pas toujours l’œil aux aguets. C’est fatal sur ce genre de raid ! Nous cheminons un gros quart d’heure ensemble, sur un terrain ludique en sous-bois, puis il nous lâche. Il arrivera près d’une demi-heure avant nous ce soir-là…
L’alternance se poursuit : encore un peu de route, que nous avalos à bon train, nous obligeant même à marcher dans la côte qui nous mène vers un nouveau village : toujours penser aux jours suivants. Nous revenons de nouveau sur des terrains boueux, en bordure d’une autoroute en construction. Le chemin est défoncé par des engins de chantier, nous nous enfonçons dans un bourbier difficilement praticable. Sur le road-book est indiqué que nous devons passer dans deux tunnels, sous les voies en construction. De loin nous repérons les boyaux ronds et étroits, long chacun d’une vingtaine de mètres. Il pleuviote toujours, nous devrions être heureux de nous abriter quelques secondes. Mais non, ces tunnels sont des passages désagréables, mettant mal à l’aise : s’y retrouver plongé donne l’impression de descendre dans un lieu d’où l’ont ne remontera pas. Les pas sont approximatifs sur la tôle ondulée rendue glissante par l’eau et les cailloux amoncelés là, les sons sont amplifiés par les parois métalliques, la noirceur est intensifiée par la clarté en extérieur : l’ambiance est glauque, malsaine.
Rapidement, nous traversons ces passages avec une pensée pour les claustrophobes qui ont du ou devront passer ici aussi. La suite, c’est du sauvage, du brut de décoffrage : pas de bitume, pas de pavés, pas de chemin, pas même de piste. L’idée est d’aller d’un point orange à un autre point orange, comme on peut. Le vol serait la solution la plus pratique pour franchir le ravin en bordure d’autoroute qui se présente à nous, sachant que bien entendu ce ravin est empli de ronces. Malheureusement, nous avons laissé notre deltaplane au bivouac, et devons d’abord descendre à la vas-y j’te pousse, négocier le fond du ravin sans glisser dans le ruisseau en contrebas (6 mtres d’à-pic), puis remonter en face sans se déchirer les mains en empoignant une ronce. Pas facile avec plus de 60 bornes dans les pattes ! Encore un petit tunnel pour se remettre de nos émotions, une centaine de mètres à la jugeotte dans les hautes herbes, et nous retrouvons du macadam, du vrai, du bon, du solide, pour le dernier kilomètre de la journée.
Autant dire qu’elle fut éprouvante, cette journée, équivalente sur le papier à une Saintélyon (kilométrage et dénivelé) et bouclée en 8h21, 11ème ex-aequo. Devant, Jean-Christophe et Alain Prost-Dumont finissent en 6h38, 1/2h devant Janne. Derrière, les frères Zambaux terminent à la ramasse en 11h17, les deux souffrant de leurs releveurs. Ce soir, le bivouac est un peu triste : tout est humide et sent le chien mouillé. La nuit va être fraîche, peu reposante. Heureusement, le bar du camping est ouvert, nous permettant de déguster notre première cerveza !
Etape 4 – Merdredi 02/05/07 : Palamos – Blanès
« Cette étape, c’est la plus belle. C’est aussi la plus dure ». Ainsi commence le brieffing de Christophe lors du petit-déjeûner précédant l’étape de ce mercredi. Il nous remet les road-book, et bien sûr nous nous empressons de lire par le détail le menu du jour : 69km, des montées, des descentes, des escaliers en veux-tu en voilà. Ce sont nos jambes qui vont apprécier !
Le soleil brille sur Palamos, le contraste avec la veille est saisissant, et heureux ! Le peloton s’ébranle plutôt rapidement sur les premiers kilomètres de paséos. Les jambes sont bonnes, finalement l’étape d’hier n’a pas fait de dégats chez moi, tous les niveaux sont au vert, alors que nous avons déjà près de 200km dans les jambes. Par contre la fatigue se fait un peu sentir, les dernières nuits n’ont pas été parfaites, loin de là !
Le paséo se termine, nous nous trouvons aux pieds d’un petit sentier montant. A partir de là pendant 3km nous allons nous ré-ga-ler ! Toujours au plus près de la mer, nous alternons entre sentiers de type GR, escaliers en ciment, petits tunnels taillés dans la roche, descentes sur les plages, sable et rochers… Le temps est magnifique, la température agréable, et nous jouons au yoyo Stef et moi avec d’autres coureurs. Stéphane (Halbault) nous filme quelques instants avec une caméra juchée sur son casque : nous sommes de véritables stars !
Après ce superbe passage, nous reprenons un peu de paséo, puis alternons la ville pour contourner le port (où nous manquons nous perdre Stef et moi !), la plage et les paséos. Premier CP, nous arrivons alors que deux camarades repartent. Plein d’eau, un peu de sucré, vidage des chaussures qui ont emmagasiné un peu de sable, et c’est reparti pour une visite touristique de la ville : musée, monastère, poste de police…
Et nous voilà une nouvelle fois partis à grimper. Il doit être aux alentours de midi, il fait chaud, trop chaud. Stef et moi n’apprécions guère la forte chaleur, et nous souffrons, moi davantage que lui j’ai l’impression. Illusion ou réalité, il me semble que je monte à deux à l’heure. Encore une fois, je songe à l’économie, et je ne force pas, car je sais très bien que puiser dans mes ressources sous cette chaleur provoquera des dommages pouvant prêter à conséquence par la suite. Au début la piste est large, et petit à petit elle se transforme en sentier un peu plus technique. Une nouvelle fois, cailloux, ravines, racines et rochers encombrent le passage, et c’est un régal que de progresser au milieu de ces minis-obstacles. Le temps passe beaucoup plus vite et de manière beaucoup plus agréable que sur une piste roulante.
Fin de l’ascension, passage par un petit col, puis redescente sur une piste large mais complètement ravinée. On lâche un peu les chevaux, en surveillant très attentivement la droite du chemin, puisque nous devons bifurquer sur un minuscule sentier, nous indique le road-book. Il faut toujours rester attentif, les erreurs de navigation peuvent coûter cher, en temps, en énergie, et en inlux nerveux. Nous trouvons notre petit sentier, très étroit, sinuant entre rochers et arbres. Le sol est al dente : souple, amortissant, à peine encombré de quelques racines et cailloux. La voûte naturelle faite du feuillage des arbres locaux nous protège du soleil : Stef et moi retrouvons toute notre vigueur perdue sous les soleil. Nous filons, sur le plat et en descente, jusqu’à ce qu’un de mes pieds butte sur une racine. Tombera, tombera pas ? Boum ! Et un Emmanuel étalé de tout son long au sol. Ca secoue sur le coup, mais une fois relevé on en rigole tous les deux, sans perdre une seconde.
Trois minutes plus tard, nous rattrapons Philippe Mora. Cette fois il ne s’est pas perdu, mais il s’est blessé. Chute, mauvaise gestion, accumulation de la fatigue des trois premiers jours ? Nous ne le saurons pas, Philippe reste réservé face à nos interrogations. Il doit être déçu, c’est sûr, d’avancer à un kilomètre par heure appuyér sur un bâton de fortune alors que la veille encore il jouait le podium. Nous le laissons là, sachant le prochain CP assez proche, et repartons à bonne allure. Un gros quart d’heure plus tard, nous parvenons au CP devant un ancien monastère, nous ravitaillons, et nous apprêtons à repartir lorsque notre Philippe arrive… Hum, il est bien rapide le bougre pour un coureur à demi-mort ?
Nous poursuivons notre balade, toujours grandiose au niveau des paysages : nous en prenons plein les yeux, et plein les narines. S’amorce alors une longue, très longue descente, sur une piste assez large et roulante. Nous en profitons pour bien avancer, de toute façon, vu la pente, on ne pourrait pas aller moins vite ! Les cuisses crient un peu, mais le plaisir de la vitesse est plus fort. Les lacets s’enchaînent : virage à droite, virage à gauche, prise de corde en entrée de virage et sortie presque dans le bas-côté, nous nous amusons tous les deux comme des gamins. Nous croisons des randonneurs qui montent tranquillement, et semblent impressionnés de notre allure. Plus bas encore, tout un groupe de randonneurs ira même jusqu’à nous applaudir : nous ne sommes pas peu fiers ! D’ailleurs, nous manquons, comme toujours dans ce cas, louper un virage à gauche nous menant sur le bord d’une roubine (ruisseau) et à l’intérieur d’une ville.
Tout de suite, le contraste est saisissant. Nous voici sur un trottoir, en train d’attendre qu’un feu passe au vert pour traverser une rue… Etonnant ! Les passants nous regardents du coin de l’œil, et nous faisons mine de ne rien voir. Nous remontons les rues à l’aide de notre road-book, et… entrons dans un petit snack ! Il n’est pas indiqué sur le road-book, mais le défaut de Coca-Cola au dernier CP nous a fait très mal au moral, et nous avions décidé de nous venger en achetant une canette chacun à la première occasion. Voilà qui est fait, dans un Espagnol approximatif et à l’aide des mains, nous devenons les trailers les plus heureux du monde avec chacun une canette entre les mains. Bon sang qu’il est divin ce breuvage glacé qui vous coule dans la gorge, quand vous en rêvez depuis 30km ! A petites gorgées, nous vidons nos canettes, en cherchant la suite de l’itinéraire.
Nous voici repartis à monter, monter, toujours sous la chaleur, mais heureux de notre pause rafraîchissante. Encore un peu de chemin, un soupçon de bitume, une traversée de route avec moults précautions (le road-book spécifie très clairement les endroits dangereux), et nous nous retrouvons face à un talus. Une marque orange en haut de celui-ci nous indique que nous sommes au bon endroit, d’ailleurs des traces indiquent bien que quelques personnes sont passées ici. Bon, il n’y a plus qu’à retrousser les manches (en fait c’est déjà fait depuis longtemps) et à s’arrocher où on peut pour hisser ses 70 et quelques kilos en haut du talus. Nous croiserons Christophe un peu plus loin avec son chien, il semble très heureux des surprises du jour, et prend plaisir lui aussi à profiter des sentiers que nous offrent les traceurs espagnols.
Encore un CP, puis des escaliers qu’on monte, qu’on descend, des pistes qui montent, qui descendent… Autant dire qu’on en prend plein les cuisses. Mes mollets ne me tirent pas du tout, effet des bas Booster ? Possible. Globalement, je ne souffre pas, musculairement je sens que ça tire un peu, mais ça reste dans le domaine du confortable. Je continue à prendre mes comprimés de Sporténine tous les 15 à 20km environ.
De nouveau nous progressons sur un long paséo, le paysage qui s’offre à nos yeux à notre gauche est superbe. Plages, anses, criques alternent avec espaces aménagés, la mer baigne le tout, le ciel est d’un bleu profond derrière les carreaux teintés de mes lunettes solaires… Instants de bonheur. Nous jardinons un peu au bout de ce paséo, anticipant la remontée vers la rue par un escalier horrible. Du coup, nous loupons une cinquantaine de mètres en bord de mer, et perdons pas mal de temps à retrouver les traces orange. Nous retrouvons notre chemin juste avant une superbe terrasse de bar face à la mer. Je note soigneusement cet endroit, avec la ferme intention de revenir écouter les doux airs de jazz qui s’échappent de l’intérieur avec ma chérie.
Et toujours nous montons, nous descendons. C’est le maître mot du jour : dénivelé. Oh, pas de montées ininterrompues de 500m, mais d’innombrables petites pentes ou volées d’escaliers qui mises bout à bout usent sérieusement l’organisme. Je sens que mes pieds commencent à faire un peu de bruit en heurtant le sol, et que mes genoux reçoivent un peu trop de chocs. Mais en même temps, il est difficile de faire autrement que d’avancer à bonne allure, tant les chemins sont joueurs et les paysages agréables. Nous traversons une pinède, longeons un jardin botanique (les villes du coin semblent très fans de jardins botaniques !), et après un joli petit sentier minuscule nous nous retrouvons devant le chef d’œuvre du jour : « Sentier montant très raide dans la pinède » nous indique notre road-book. Sachant que toute la journée nous avons eu le droit à des sentiers plutôt raide, le fait que celui-ci soit indiqué comme « très raide » nous fait un peu peur. Je prends un gel, à juste titre : la pente est démoniaque. Heureusement que nous ne sommes pas en plein soleil, mais dans une pinède !
Le souffle un peu court, nous parvenons tout de même en haut. Facile, non ? Nous retrouvons dans un nouveau petit sentier qui se termine en cul-de-sac. Qu’à cela ne tienne, une marque orange nous indique qu’il faut encore une fois escalader un talus et se laisser tomber dans la rue voisine. Dans la rue descendante, un escalier sur la droite doit nous emmener plus bas. Nous descendons la rue, guettant une nouvelle fois sur la droite ; nous descendons, descendons… Pas d’escalier ! Gromellements, c’est que ça descend longtemps ! On nous indiquait 50m… Fatalement, le bas de la rue arrive, et nous dévoile un nouveau cul-de-sac. Enfer et damnation ! Nous venons de nous taper 600m de descente pour rien ! Le moral dans les chaussettes, nous remontons la pente, injuriant d’avance cet escalier qui s’est dérobé à nos yeux. Dégoutés, nous le trouvons où il devait se situer d’après le road-book : en retrait par rapport à la rue, il n’était pas évident à voir au premier coup d’œil. Le soir, nous apprendrons que tous ou presque l’ont également loupé, ça réconforte un peu…
Quelques (beaucoup !) volées de marches plus loin, un petit bout de plage et un chemin de ronde nous mènent au dernier paséo de la journée. Encore une étape que nous finissons tous les deux, 8ème ex-aequo en 9h56. Devant, l’arrivée s’est faite à quatre : Janne a profité des derniers kilomètres roulants pour faire son retard sur Jean-Christophe, Didier Pommey et Alain Prost-Dumont. Ils terminent en 8h13, jolie performance vu la difficulté de l’étape ! Philippe Mora termine finalement en 11h19, ce qui montre qu’il n’était pas si blessé que ça. Marianne Blangy finit escorté de trois hommes forts en 12h49… Ce doit être long, me dis-je en les voyant arriver le soir au bivouac. J’aurais du me garder de penser ça ! Les deux frères Zambeau sont contraint d’abandonner relativement tôt dans la journée. Nous voici déjà à la moitié de la course, Jean-Christophe possède une heure d’avance sur Janne. Les deux hommes semblent encore frais. De mon côté, je me classe dixième au général, à ¼ d’heure du 7ème. Nous ne sommes plus que 19 en course, 9 ont déjà laché prise.
Etape 5 – Jeudi 03/05/07 : Garraf – Tarragona
Cette fois, ça y est, je suis dedans : cinquième étape, et je ressens enfin toutes les sollicitations mécaniques que mon organisme a du encaisser les quatre jours précédents. En me levant, je sens et j’entends mes genoux grincer, un signe qui ne trompe pas. La distribution du road-book ne me soulage guère : nous aurons 69km à parcourir aujourd’hui. Je sens d’entrée que la journée va être longue. D’ailleurs, le transfert en car va être à l’image de cette journée : long ! Il s’avère qu’un des véhicules (celui du père de Christophe) a été pris dans un carambolage, retardant méchamment le départ. Nous attendons en plein vent, sur le bord d’une route nationale, et je m’inquiète un peu de la journée à venir.
Enfin le départ est donnée, et d’entrée nous montons sur un raidillon en macadam. Rapidement nous nous retrouvons sur du sentier caillouteux, avec en point de vue loin à droite d’énormes carrières ouvertes dans la montagne. Stef et moi sommes une nouvelle fois partis ensemble, et nous avançons plutôt pas mal après quelques hectomètres de chauffe. D’ailleurs, au bout d’une vingtaine de minutes, nous rejoignons Janne qui décidément n’est pas à l’aise sur des montées techniques (c’est encore pire sur les descentes techniques : autant dire qu’il trace sur le plat !). Enfin lorsque le terrain redevient favorable, l’ordre est de nouveau respecté et nous le voyons s’envoler petit à petit, nous distançant sans effort au train.
Plusieurs kilomètres de large piste s’enchaînent avec des sensations pas trop mauvaises. Il ne fait pas trop chaud pour le moment, le terrain est plutôt plat dans l’ensemble après la montée initiale. Mais à l’approche du dixième kilomètre, la situation change, puisque nous redescendons vers la mer et la ville de Sitges. Je sens bien mon genou droit et compense dans la descente en fléchissant les genoux et en contractant fortement les muscles de la cuisse pour ne pas trop solliciter l’articulation. Nous arrivons aux abords de la ville, cherchons un peu les traces sur le macadam, mais ne perdons finalement pas trop de temps. L’un comme l’autre nous avons faim, et nous attendons impatiemment le moment de nous acheter un sandwich. Nous passons une ou deux sandwicheries, mais Stef préfère attendre les paséos. Nous traversons la ville et nous retrouvons bientôt en bord de plage, sur ces fameux paséos. Ces larges étendues plates sont un repos pour mon genou, je les bénis alors qu’avant le raid, je me disais que ce serait ces kilomètres de plat infinis qui me coûteraient le plus moralement parlant.
Nous passons le premier CP en fin de paséo, et attaquons une plage de galets. Forcément, les appuis complètement inégaux et mouvants qu’on peut trouver sur des galets ne sont pas une partie de plaisir pour les articulations. Ca grince de tous les côtés, et parfois une douleur vive se fait ressentir. Stef a un peu mal au releveur gauche de son côté. Rapidement nous quittons les galets pour retrouver de la piste, passons devant une discothèque et nous retrouvons dans un réseau de sentiers au milieu de touffes d’épineux. Quelques hommes sont là, se promenant à pied seul ou par deux. Un peu fatigués nous ne prêtons guère attention à ces personnes, mais plus tard nous apprendrons que ce lieu que nous avons traversé est un haut lieu de rencontre pour les hommes qui aiment les hommes… Et bien !
Les sentiers redeviennent un peu plus techniques, avec de nombreux cailloux et des rochers rendus un peu glissants par la fine bruine qui tombe par intermittence. De plus, notre itinéraire recommence à monter et à descendre, parfois jusqu’au niveau de la mer. Nous en profitons bien sûr pour apprécier la course sur le sable (mou et fuyant) qui commençait un peu à nous manquer. Tour à tour Stef et moi prenons la tête, mais je sens que mon rythme est légèrement inférieur au sien. Après un petit tour sur des paséos, nous voici arrivés sur le bord d’une voie ferrée. Pas de sentier réellement tracé, nous sommes obligés de marcher et courotter quand c’est possible sur le ballast tombé au bord de la voie. C’est assez pénible, parfois je laisse échapper un gromellement lorsque le pied butte contre une grosse pierre, répercutant des virbations jusqu’au genou.
Enfin nous revenons sur un terrain stable : 10km de paséos nous séparent du CP2. Il pleuviote toujours, nous sommes bien évidemment trempés. Nous courottons à un petit 9km/h, mais j’ai du mal à suivre Stef, mon genou me fait vraiment mal. Nos yeux lorgnent sans cesse sur la droite, pour tenter de repérer une boutique vendant des sandwichs, mais c’est chose rare sur les paséos, qui plus est en cette saison. Finalement, nous apercevons ce qui ressemble à deux sandwichs dans une espèce de bar, et nous empressons de les acheter avec deux canettes de coca. Le coca nous fait un bien fou, les sandwichs un peu moins : ils sont tout mou et la pluie qui nous arrose n’arrange rien. Un peu déçus mais tout de même revigorés, nous poursuivons notre déroulé sur les paséos, guettant au loin le prochain CP.
Dans ma tête, mille pensées se bousculent. Je n’arrive plus à penser correctement, je ne suis plus totalement lucide. Caché sous ma casquette, je ne vois du monde qui m’entoure que les pieds de Stef devant moi. Parfois ils s’éloignent, et je dois forcer l’allure pour les rattraper. Ces accélérations provoquent des élancements dans mon genou, c’est difficile à supporter. D’ailleurs, je commence à ressentir les effets de la compensation musculaire : l’intérieur de ma cuisse droite me semble fortement durci, et mon genou gauche commence aussi à me titiller. Je sens que mon corps perd de son homogénéité peit à petit, et que la force que je ressentais hier encore me quitte inéluctablement. Et toujours ces pieds devant moi qui avancent en cadence, et toujours ces accélérations pour les rattraper. Je ne parle presque plus, me contentant de grogner de brèves réponses lorsque Stef me pose une question. J’ai envie d’être seul : ne plus retarder mon compagnon (car je sens que je deviens un boulet pour lui) et pouvoir étancher ma souffrance et ma peine sans honte, dans mon coin.
A plusieurs reprises, j’insinue que je ne pourrai tenir le rythme toute la journée, et qu’il devrait vivre sa vie. A chaque fois, Stef me répond que ça va aller. J’imagine que lui aussi souffre de sa tendinite du releveur, mais il ne le montre pas. Finalement, épuisé des efforts consentis, je ralentis le rythme, et vois les deux pieds qui m’ont servi de lièvre depuis si longtemps s’éloigner petit à petit. Je baisse la tête sous ma casquette, et me sens soudain immensément seul. Immanquablement, quelques larmes de rage viennent s’ajouter à l’humidité ambiante : me voici en pleine tempête intérieure. Il me reste plus de 30km à parcourir aujourd’hui, et je suis à la dérive complète. Deux minutes plus tard, un petit groupe me double, Romain Valle et Philippe Grizard me demandant si j’ai besoin de quoi que ce soit : « Une paire de genoux » leur réponds-je…
Cinq minutes de plus me mènent au second CP, km 39 environ. Les deux podologues et le médecin sont là, Stéphane Halbault également. Je ne dois pas être en bon état, puisque tous semblent un peu inquiets. Je parle un peu avec Stéphane, qui se veut rassurant sur l’avenir : « ça va revenir ». Mouais. J’ai d’énormes doutes, les deux genoux en vrac, je souffre et ne prends aucun plaisir depuis déjà une paire d’heures. Je sens que je m’oriente vers un long calvaire pour boucler cette journée, et qu’il en reste encore trois pareilles derrière. Dans ma tête, le mot abandon prend de plus en plus de place. « Pense à l’avenir, aux prochaines courses, ne te blesse pas irrémédiablement ». Puis ausitôt après « Allez, essaie encore un peu, 12 bornes jusqu’au prochain CP, au pire trois heures à tenir, tu verras là-haut ». Maryse, le médecin, me donne un anti-inflammatoire à faire fondre sous la langue et me masse le genou à l’arnica. Je me laisse faire, docile, tout en continuant à gamberger ferme. Stéphane me sent proche de l’abandon et tente de me réconforter. Je me ravitaille et repars enfin, clopin clopant.
Aussitôt, la douleur qui s’était estompée tranquillement assis au CP revient en force. Je marche, lentement, en ayant l’impression d’être complètement à la ramasse. Eric Lagneau me double sur le paséo ; il avance plutôt fort, en alternant de toutes petites périodes de course avec de toutes petites périodes de marche. Plutôt randonneur que coureur, Eric s’aide de ses bâtons qui lui permettent d’économiser ses jambes. Il est très massif, puissant, et fort en gueule : le genre de gars qui n’abandonne pas. Le voir avancer ainsi me redonne un peu de pêche, et j’essaie de m’accrocher quelques instants, mais je dois vite me résigner : je ne peux suivre ses 7km/h de moyenne.
C’est fini, je n’ai plus du tout le moral. Le ciel est gris, il ne pleut plus mais je suis toujours trempé. Je n’ai pas chaud, forcément à l’allure où je me traîne je ne me réchauffe pas. Mon corps réclame un arrêt immédiat, une chaise, un lit, du repos. Lorsque je regarde mon genou droit, je ne distingue même plus l’articulation : il a gonflé à la même taille que ma cuisse et est tout rouge. J’en ai marre, depuis des heures je n’ai plus aucune sensation agréable. Je songe quelques instants à stopper tout ravitaillement pour déclencher une hypo, un malaise, n’importe quoi qui serait irrémédiable et me contraindrait à stopper net, de manière « justifiée ». Parce que malgré tout, je sais que si j’abandonnais maintenant, je me le reprocherais éternellement : douleur ou pas, je suis capable de poursuivre, la preuve en est.
Je cherche à joindre ma chérie au téléphone pour mendier un peu de réconfort, mais rien n’y fait, je ne peux l’appeler. Il faut dire que mon mobile a pris l’eau l’avant-veille (l’étape détrempée de la frontière) et depuis j’ai bien du mal à émettre ou recevoir des appels. En même temps, je pense que cette impossibilité de communiquer avec Sandrine est une bénédiction : je suis presque sûr que de l’avoir en ligne m’aurait fait craquer. Les mètres défilent les uns après les autres, sur une alternance de paséos et de plages. Je ne profite plus du paysage, de ce qui m’entoure : tel un autiste, je ne perçois plus les stimuli, je suis renfermé sur moi-même, sur ma douleur et ma peine. A ce moment précis, je suis sûr d’une chose : le RMV se terminera sans moi.
Enfin, après un temps indéterminé pendant lequel je flotte dans un espace embrumé de souffrance physique et morale, j’arrive au CP3, km 51 environ. De nouveau les podologues et Stéphane m’accueillent. Ils sont heureux de me voir arriver ici. Cédric et Christelle, les podos, me massent chacun un genou à l’arnica. Ca mousse, c’est assez désagréable pour eux, j’en ris. Ils se plient en quatre pour me soulager un peu, et le fait est que ça fonctionne. Le massage est une bénédiction, et leurs plaisanteries chassent quelques instants mes idées noires. Je m’enquiert de la suite du parcours : roulant, ou avec des parties techniques ? On m’assure que le reste est très roulant, du paséo, du sentier presque plat, ça va le faire !
Rassuré et revigoré par les massages, je reprends la route au petit trot. Je fais tout pour ne pas plier mon genou droit, par conséquent mon pied droit traîne au sol à chaque foulée. Je déteste les gens qui traînent les pieds, et me voici à mon tour obligé de le faire… Un peu plus loin, je me rends compte que je viens de repartir pour 18km ! C’est de la folie… 18km, ça va peut-être me prendre quatre ou cinq heures ! Des heures suivantes me restent peu de souvenirs, seulement la sensation d’avancer en alternant marche et course, dans le désespoir le plus complet. Des passages techniques avec rochers me font hurler, les descentes me font pleurer, je suis à la dérive. Un coureur avec bâtons me double (Dominique Chaillou), j’essaie de le garder en ligne de mire, mais il s’échappe inéluctablement sur une longue plage.
Je ne sais pas combien de bornes il reste, je ne sais pas quelle heure il est, depuis combien de temps je suis parti. Tout n’est qu’incertitudes. Une seule chose est sûre : je suis sur le bon chemin. Je repère des marques en fin de plage, facile à l’allure où je progresse. Je longe un camping, et m’entends apostropher par quelqu’un, tout là-haut, à l’intérieur du camping, dans une pinède : « hé toi en bas, comment on fait pour descendre ? ». C’est Dominique, qui m’a doublé quelques dizaines de minutes plus tôt. Il n’a pas vu la sortie de plage et s’est engagé dans le campgin, comme plusieurs autres ce jour. Je lui indique la sortie la plus proche que j’ai vue en passant, et poursuis mon chemin, en bénissant je ne sais qui de m’avoir guidé correctement.
Dominique me rattrape rapidement dans la pinède qui succède au camping. En lisant le road-book, je m’imagine passer un petit quart d’heure tout au plus dans la pinède, et donc rejoindre la plage où se tient l’arrivée du jour au maximum dans une vingtaine de minutes. Malheureusement, j’ai mal estimé mon coup, la pinède est bien plus longue que prévu. Qui plus est, le sentier est parcouru de racines, et descendant. Je souffre, Dominique me distance. Soudain, un ange passe à contresens : une jeune femme athlétique et court vêtue monte à l’attaque de la pinède, à vive allure. La diversion fait bon effet et pendant quelques secondes j’oublie mes maux. Quelques instants après, entre deux arbres, j’apperçois sur la plage en contrebas l’arche rouge synonyme d’arrivée, et de délivrance.
Soulagement : dans dix minutes au plus je serai arrivé. Sans me presser outre mesure, je termine la descente en clopinant, et finis la centaine de mètre de sable mi dur en courottant. Stéphane Halbault vient à ma rencontre, heureux de me voir arriver au bout de cette étape éprouvante pour moi. Je ne suis même pas heureux pour ma part. Je suis fracassé physiquement et moralement, et je sais fermement que je ne repartirai pas le lendemain.
Le chronomètre à mon arrivée indique 10h15 ; Stef est arrivé en 9h16, finalement je suis étonné de cet écart d’une seule heure. Devant, Jean-Christophe finit seul en 6h58, prenant 32 minutes à Janne, sur un terrain qui lui était pourtant favorable. Derrière, Frédéric Borel a encore une fois accompagné Marianne Blangy ; ils finissent tous deux en 11h39, et arriveront pendant que je suis en train de manger. Quelle journée ! Vincent Perreau a du abandonner au matin, quelques minutes après le départ : il souffrait trop. Nous voici réduits à 18 coureurs.
Une fois douché et mon campement installé, je file manger. Tout le monde est déjà attablé, me voici dans la situation des derniers arrivés, étrange comme tout peut basculer si vite. Je mange copieusement, comme tous les soirs, discutant sans grand entrain avec mes camarades. Jean-Christophe semble un peu inquiet de mon état, à juste titre. Je m’assieds difficilement (il faut enjamber le banc pour s’asseoir) et me relève avec autant de mal. Mes genoux sont douloureux et gonflés. Je suis las. Je me couche rapidement, sans préparer mes affaires du lendemain, sans consulter ni médecin ni podologue, sans prendre aucun médicament ni appliquer aucune pommade, sachant que de toute façon la course est terminée pour moi : je ne repartirai pas demain. Enroulé dans mon sac de couchage, mon buff serré autour de la tête, mes boules Quiès dans les oreilles, je passe ma meilleure nuit depuis le début du raid.
Etape 6 – Vendredi 04/05/07 : L’almetla Del Mar – Ampolla
Branle-bas de combat, réveil sous la tente : il est l’heure d’y aller. Tranquillement, je me réveille. Je ne suis pas pressé : pas besoin de me préparer ce matin puisque je ne pars pas. Stef à-côté de moi se réveille doucement aussi, depuis un jour ou deux il petit-déjeûne directement dans son sac de couchage, c’est autant de temps de gagné. C’est vrai qu’il est difficile de se lever le matin, de sortir de son sac de couchage chaud pour se retrouver en petite tenue dans cet air froid et souvent humide. Stef ne sait pas quelle décision j’ai prise hier, personne d’ailleurs ne peut l’imaginer. Je me décide finalement à me lever pour aller petit-déjeûner.
J’ouvre mon sac de couchage, je plie mes jambes, mes genoux grincent, craquent, mon muscle anormalement sollicité hier est tendu, déjà contracté. Je rassemble mes victuailles et mes affaires de toilette et je me lève précautionneusement : je m’attends à avoir mal. Effectivement, ça fait mal. Mais pas tant que ça, j’ai connu bien pire, hier par exemple. Je ramasse mes affaires, et me dirige vers la tente collective. La marche ne me fait pas souffrir, ça fait juste un peu mal. Un peu surpris, je déjeûne rapidement, passe aux bâtiments des toilettes, et reviens à ma tente, l’air dubitatif. « Qu’est-ce que je fais maintenant hein ? Ce serait criminel d’abandonner dans ces conditions ! ».
Soudain, un éclair illumine l’intérieur de ma tête, en même temps qu’un coup de tonnerre désagrège toutes ces noires certitudes qui l’emplissaient hier : ce raid, je vais le terminer. Empli d’une énergie nouvelle, je file préparer mes affaires et ranger mon matériel de bivouac, le temps presse. Je prends mes bâtons pour l’étape du jour annoncée à 52,5km, comptant sur eux pour me soutenir lorsque je souffrirai. Je n’ai pas entendu grand chose du brieffing, je ne sais pas trop ce qui m’attend, et c’est tant mieux. Je découvrirai sur place.
Descente du car sur le lieu de départ, nous enfilons nos coupe-vents et nous accrochons les uns aux autres : le moins que l’on puisse dire, c’est que ça souffle ! Cette sixième étape est l’étape dite « des éoliennes » : nous traverserons dans la journée deux « parcs éolic », véritables champs d’éoliennes à flanc de montagne, exposés bien entendu à des vents forts et réguliers. Concentré, je règle mon sac, mes bâtons, mon coupe-vent, écoute le brieffing, et pars dernier en marchant.
Une fois les articulations et muscules réchauffés, je me mets à courotter tranquillement, en m’aidant de mes bâtons. Le sol est à peu près plat, fait de macadam, c’est parfait pour moi. Rapidement, je remonte Philippe Mora, Marianne et Frédéric, Michel Sourisseau. J’ai retrouvé une véritable allure de course, et pas une pénible claudication : je suis heureux. J’ôte mon coupe-vent sans m’arrêter grâce à l’aide de Frédéric, et poursuis ma route pas loin des 9km/h. Qu’elle semble loin la journée d’hier !
Toutefois, je reste prudent : mon road-book m’indique que vers le 9ème kilomètre, nous devons entrer dans un rio (un torrent) à sec. Ca risque de ne pas être roulant… Arrive ce moment que j’apréhende, et effectivement, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est chaotique comme terrain ! D’entrée, je progresse au milieu d’une véritable jungle de roseaux, ronces, herbes hautes, qui masquent tout du sol fait de terre et grosses pierres. C’est très rock’n roll ! Deux-cent mètres plus loin, la végétation est plus clairsemée ; il nous reste encore plus de 3km de rio. Le fond de celui-ci est fait de petites pierres plates plutôt instables et d’agglomérats de rochers sur lesquels on peut bien avancer, à condition de sauter d’appui en appui. Le tout est parsemé de ronces et autres arbustes qui n’ont rien d’autre de mieux à faire que de s’accrocher à vos jambes. Heureusement, mes bâtons me sauvent dans cet exercice périlleux qu’est la remontée du rio, et je prends grand plaisir à progresser dans ce terrain a priori hostile.
La fin du rio arrive, nous voici projetés dans une oliveraie. Une oliveraie en Espagne, c’est de la culture en escaliers : une marche de terre avec des oliviers dessus, une contremarche faite d’un muret de pierres, etc. Parfois de petits escaliers grossiers sont taillés dans les murets, permettant de transiter de marche en marche… Ragaillardi, j’avale marche par marche, en évitant de me percer un œil aux branches des oliviers (ils sont bas !). D’ailleurs, du coin de l’œil, j’apperçois plusieurs coureurs juste devant moi. Incroyable, j’ai rattrapé du monde ! Juste après les oliviers, nous entreprenons de grimper une colline à la sauvage : pas de chemin, juste de vagues traces entre les épineux. Il en faut pus pour arrêter des RMVistes à leur 6ème étape, si bien que la colline est vite avalée.
Je lève les yeux du sol, et suis surpris de contempler de si près ma première éolienne : elle est là, à quelques mètres, impressionnante. L’édifice fait 60m de haut, ses pales au nombre de trois font 30m de diamètre. Le vent souffle, rageur, puissant, et les pales tournent, tournent. D’autres, plus loin, ne fonctionnent pas : elles sont stoppées si le besoin énergétique est comblé, l’électricité ainsi produite n’étant pas stockée, tout l’excédent est perdu. Je suis également surpris de ne voir aucun cable partir de chaque éolienne : tout est souterrain, et finalement le système ne dépareille pas trop dans cette région montagneuse. Les pales en tournant font un peu de bruit, mais rien de bien méchant, et de toute façon le vent qui souffle constamment en rafales rend à moitié sourd !
La large piste roulante monte et descend tout au long de ce parc éolien, et je me régale en regardant le paysage sur ma droite. J’ai doublé Eric dans la montée, et ai en ligne de mire Philippe Grizard et Stef, que je rattrape au CP1. Stef est content de me voir remonté sur eux ; je les laisse repartir deux minutes avant moi, préférant faire ma course du jour seul et prendre le temps qu’il faut. Maryse le médecin, présente à ce CP, me trouve bien meilleure mine qu’hier : pas étonnant ! Je repars tranquillement, et de toute façon je ne pourrais faire mieux. Je sens que ça commence déjà à coincer, et que le reste ne va pas être une partie de plaisir.
Un long chemin de croix commence. Mon allure est faible, mon genou droit me fait de nouveau souffrir, le gauche se manifeste nettement aussi, et mes muscles compensent toujours. Heureusement, je dispose de mes bâtons, que je suis obligé de régler couramment : je m’appuie sans doute trop dessus, puisqu’ils se rétrécissent au fur et à mesure des kilomètres. Quinze kilomètres de pistes roulantes et de macadam plus loin, j’arrive enfin au CP2. La chaleur est déjà présente, le plaisir ne l’est plus. Marie m’accueille au CP, maigre réconfort. Des fleurs ont été cueillies et décorent le lieu, j’avoue à la cueilleuse un peu déçue que ça me laisse de marbre. Encore vingt kilomètres…
Je repars, puisqu’il n’y a pas d’autre choix : je vais le finir ce RMV. Quelques kilomètres de route me mènent vers le second parc éolien, qui se trouve être en altitude. Donc forcément, ça monte, et plutôt raide par endroits ! Heureusement, la route n’est pas passante : hormis un véhicule de l’organisation, je n’en verrai pas un seul passer. Il fait chaud, je sue à grosses gouttes, et monte à une allure plutôt convenable. Au passage, je salue une dame âgée, assise chez elle au bord de la route, dans la cour d’une maison à vendre. Je ne sais pas si cette dame est saine d’esprit, mais j’imagine que de passer quelques années en ce lieu battu par des vents violents doit facilement faire perdre la raison.
Enfin le sommet est là. Je jette un œil à la pancarte, nous sommes à un peu plus de 450m d’altitude. Pas mal ! Le vent souffle toujours violemment, je ne m’attarde pas, et pars pour la traversée du parc d’éoliennes. Robert, le photographe officiel de l’épreuve, profite du panorama grandiose pour prendre quelques clichés. Je profite quant à moi de quelques centaines de mètres roulants pour allonger un peu le pas, car je sais que nous allons avoir droit à une descente abrupte qui me coûtera beaucoup de temps et d’énergie.
Bon, maintenant que nous sommes en haut, il n’y a plus qu’à descendre. Autant le chemin montant a été roulant, autant le descendant va être… cassant. Entre sentier sinueux et tout droit dans la pierraille, les ronces, les murets et les rochers, le retour à basse altitude s’avère difficile et douloureux. Derrière moi, ça revient vite : je prends tellement de temps à descendre cette partie qu’en d’autres circonstances j’aurais adorée, que je me retrouve beau dernier, les fermeurs derrière moi. Mon moral n’en prend même pas un coup : je reste concentré sur mes pas, de peur de mal poser le pied et de souffrir encore plus, voire de chuter. Bon an mal an, je finis par arriver en bas du tronçon difficile, et tente de recourir une fois les routes retrouvées. Ca fonctionne. L’allure n’est pas énorme, mais j’avance.
Un petit tour au CP3, qui est au même endroit que le CP2, et je repars, toujours dernier. Je tente de dérouler un peu les jambes sur cette route presque plate, ça répond à peu près bien. Oh, la douleur est toujours présente, mais elle n’a plus rien à voir avec les élancements que je ressentais une heure plus tôt dans la descente. Sous une fine pluie qui tombe par intermittence, je termine les douze kilomètres restant à bonne allure, distançant Philippe Mora et Michel Sourisseau d’une grosse dizaine de minutes. 8h30, c’est le temps qu’il m’aura fallu pour boucler les 52,5km du jour. Jean-Christophe termine encore une fois premier en 5h52, une demi-heure devant Philippe Rosset. Janne, qui s’est perdu dans la journée, est une nouvelle fois distancé. L’Espagnol José Peribanez n’a pas pris le départ ce matin, blessé : nous ne sommes plus que 17. Mes deux dernières journées catastrophiques m’ont fait descendre de la 10ème à la 12ème place. Mais l’essentiel est préservé : je suis toujours en course, et je vais finir le raid.
Etape 7 – Samedi 05/05/07 : Benicarlo – Benicassim
Hier soir, je suis passé sur la “table d’opérations”, comprendre dans la tente où officient podologues et médecin. Maryse m’a posé deux pansements occlusifs sur les genoux : tartinage sans faire pénétrer de pommade anti-inflammatoire, recouvert d’un film plastique alimentaire, lui-même recouvert d’une bande pour maintenir en place. Ce pansement est à garder toute la nuit, et va délivrer constamment des doses d’anti-inflammatoire directement là où c’est nécessaire. En parallèle, j’ai eu droit à un petit cacheton bleu (du viagra ?) d’anti-inflammatoires.
Ce matin, le lever a été un peu douloureux, mais pas calamiteux, et je me sens serein face à l’étape du jour. Au programme, 66km proposant une grande variété de terrains. Stef, qui souffre de plus en plus de sa tendinite du releveur, part avec moi. Notre allure est similaire, ni l’un ni l’autre ne faisons d’effort pour se mettre au rythme de l’autre. Enfin, Stef m’avouera de temps en temps qu’il a du forcer pour me suivre. Je suis tout heureux de pouvoir recourir avec lui, moi qui me croyait définitivement largué. Les premiers kilomètres sont assez roulants, nous avançons à bon pas jusqu’au CP1, jouant au yoyo avec d’autres coureurs, notamment Philippe Grizard qui nous rattrape après s’être méchamment perdu. Dommage, car il avait une bien jolie allure !
Depuis quelques kilomètres, nous cheminons en bord de mer sur des chemins plutôt roulants. Le paysage est superbe : la mer s’étale toujours à notre gauche, la côte en cet endroit est découpée, rocheuse. C’est assez sauvage, plutôt inhabité, et franchement agréable. Le temps est superbe, un poil chaud peut-être. Régulièrement, des vététistes nous croisent ou nous doublent, par contre nous rencontrons peu de promeneurs à pied. Nous nous sommes détachés Stef et moi du reste des coureurs, et nous progressons à un rythme très correct sur des pistes peu balisées. De temps à autres, nous détectons une marque orange presque effacée, reste du balisage de l’année précédente dans le sens inverse.
Mon genou me fait mal, mais c’est très supportable. Musculairement, ma contracture est en rémission, mon muscle beaucoup plus détendu qu’il ne l’était les deux jours précédents. Mon genou gauche ne me fait pas très mal quant à lui, autant dire que c’est presque la fête. Nous arrivons bientôt au CP2 : ravitaillement, mise à niveau, et c’est reparti pour la suite des réjouissances : goudron, plage, paséo, plage, paséo, port, paséo, plage… Nous alternons les surfaces, les paysages et ne nous ennuyons pas un instant. A deux, nous discutons de tout et de rien, de notre passé sportif (ou pas) et de l’avenir qui se joue dans notre pays que nous avons quitté quelques jours plus tôt. Je pense aux dires de Don Winkley : « un kilomètre couru avec un ami est un kilomètre gratuit ». Pas faux.
33km d’effectués, la moitié de l’étape. Stef et moi avons grave les crocs. Nous reluquons les boutiques sur les paséos depuis déjà quelques dizaines de minutes, sans trouver notre bonheur. Au milieu de restaurants, Stef aperçoit un bar accueillant. Nous regardons rapidement la carte, mais ne voyons rien de bien concret en terme de sandwichs. Au culot, Stef va voir le barman et lui explique difficilement ce que nous souahiterions tous les deux, en mentionnant bien sûr le fait que nous participons à une course et que nous sommes pressés, que diable ! Hum, pas bien sûrs que la gaillard ait tout compris, nous nous asseyons à une table et faisons semblant de lire le journal en sifflotant. Trois, quatre minutes passent, nous commençons à nous inquiéter… Puis soudain le gaillard réapparaît, tenant entre ses mains deux magnifiques sandwichs : jambon de pays, fromage, tomates, le tout fourré dans deux pains croustillants à souhaits. C’est terrible, jamais de ma vie je n’ai vu si appétissant sandwich. Nous arrosons notre repas trois étoiles d’un coca 1998, remercions le type (si je n’avais pas mal aux genoux je lui aurais baisé les pieds) , le payons et repartons en dégustant notre prise. Y a pas à dire, ça te requinque un bonhomme un tel festin !
Les paséos et les plages se succèdent les uns aux autres ; un dernier secteur goudronné nous mène tout droit sur une plage de galets. C’est parti pour 2,5km de galère… Ce sol très instable et fuyant est pratiquement impossible à courir, mais rapidement nous découvrons un chemin beaucoup plus roulant juste au-dessus de la plage. C’est parfait, nous l’empruntons, et retrouvons de suite une allure plus convenable. Un poil de plage et de paséos plus loin, c’est le CP3 qui arrive, km42,5 : et hop, encore un marathon dans la poche. Nous nous faisons la réflexion que nous venons de bouffer un marathon en 5h15, ce que d’autres parviennent tout juste à faire frais et avec l’entraînement adéquat. Comme quoi, on n’est pas si mal en point !
Après ce CP arrive un gros morceau : 7km environ de plage de galet. Autant dire qu’on va y passer un bon moment, Stef et moi. A droite, une réserve naturelle d’oiseaux un peu marécageuse, à gauche, la mer : pas le choix, c’est galets jusqu’à plus soif. Parfois, nous trouvons quelques dizaines de mètres de chemin terreux, instants de bonheur où nous pouvons courotter ; parfois, les galets sont suffisamment tassés et ordonnés pour nous permettre d’allonger le pas ; bien souvent, ils se dérobent sous nos pieds, et nous glissons, trébuchons, nous enfonçons, réduisant drastiquement l’allure. Mais c’est comme deux morts de faim que nous avançons, courbés en avant, la rage au ventre : nous la bouffons toute crue cette plage de galets !
CP4, nous sommes toujours bien, et n’avons même pas eu peur lorsque nous avons vu sur la fin de la plage de galets des messieurs tout nu nous montrant leur zigounette. Paraitrait même que certains en ont vu faire des choses un peu cochonnes. Hum. Pas trop le temps de traîner, en plus le soleil cogne : nous ne nous attardons pas au CP et traçons notre route. C’est toujours le même shéma : paséo, plage, route… Toujours identique, et à la fois toujours si différent. Les paysages nous enthousiasment, au fur et à mesure des heures nous nous retrouvons à l’endroit que plus tôt nous apercevions au loin. C’est génial de progresser ainsi sur la côte, et de mesurer ce chemin parcouru.
Nous quittons le bord de mer et empruntons une route goudronnée qui monte fortement. Malgré ça, l’allure est correcte ; nous nous obligeons à marcher, toujours dans l’idée de se préserver. En haut de la côte, la vue porte très loin sur la gauche et la côte que nous venons de longer. C’est beau. Malheureusement, après la montée, il faut redescendre, comme bien souvent. Je souffre de mon genou, Stef n’aime pas non plus ce moment. Fin de la descente, nous lisons le road-book et ne sourions guère à l’idée de la suite : 5km de voie ferrée désaffectée.
La montée sur le remblai est une épreuve à elle toute seule : 3m de talus à escalader, c’est difficile lorsqu’on ne peut plus plier un genou. Stef m’aide à me hisser tout en haut, puis nous entreprenons d’avancer sur le ballast. Celui-ci est composé de petites pierres à angles aigus totalement désagréables pour le pied. Finalement, la plage de galets c’était une promenade de santé à-côté de ce fouttu ballast. Et puis ici, pas moyen de trouver d’échappatoire : on bouffe de la caillasse jusqu’au bout ! Ce tronçon est long, très long, et pénible, très pénible. Marie est venue à la rencontre des coureurs, nous la trouvons un kilomètre avant la fin de la voie ferrée. Elle nous rassure sur ce qui reste à faire : après être descendus de cette horreur, c’est pratiquement terminé. C’est déjà ça !
Effectivement, après avoir fini de jouer au petit train, nous pénétrons dans Benicassim via un peu de route et terminons sur un paséo cette nouvelle journée passée ensemble. Dixième ex-aequo en 8h52, ce n’est pas top mal ! Bon, ça n’a rien à voir avec les 6h50 de Jean-Christophe, qui arrive 8mn devant Alain Prost-Dumont et Didier Pommey. Ce soir, nous avons plus de 450km au compteur, il reste donc moins de 50km. Les années précédentes, la dernière étape tournait autour de 42km, plutôt en montagne. Je m’attends donc à souffrir encore le lendemain, mais ce sera la dernière fois !
Etape 8 – Dimanche 06/05/07 : Sagunto – Valencia
Bonne surprise à la distribution des road-book : seulement 38km, presque plats. Je suis soulagé ! Le départ est différé : les derniers partent environ 1h30 avant les premiers, ce qui devrait rassembler les arrivées de tout le monde (y compris du 250km) dans une petite tranche horaire. Confiants, nous partons Stef et moi de Sagunto en tête de notre peloton réduit à une petite dizaine de personnes. Dans la descente un peu technique, je suis obligé de procéder lentement, et nous laissons passer Philippe Mora que nous voyons s’envoler rapidement au loin. A ce moment, nous ne donnons pas cher de sa peau : partir si vite alors qu’il est blessé, la suite risque d’être dure.
La descente de la colline terminée, le chemin devient roulant, sillonnant au milieu d’orangers. Les odeurs sont agréables, nous cavalons à bonne allure : un ancien à vélo a même du mal à nous doubler ! Le soleil tape déjà fort, et les chemins empruntés sont peu abrités. Je bois beaucoup, Stef un peu moins que moi. Rapidement nous arrivons devant un couvent, signe d’une montée sur sentier devant nous mener à un col. Nous nous forçons une nouvelle fois à marcher dans la pente, parce que la forme nous incite plutôt à y courir.
CP1, km10 environ : il reste moins de 30 bornes ! Nous nous ravitaillons rapidement, et apprenons surpris que Philippe est passé plus de dix minutes plus tôt ! Les coureurs du 250km sont partis d’ici. La suite est une piste descendante sur laquelle j’essaie d’oublier mon genou, non sans peine. Nous rattrapons bientôt une route assez passante, ainsi que deux coureurs du 250km marchant avec résignation sur le bas-côté.
La suite n’est pas très agréable : c’est une succession de routes et de pistes cyclables en bord de nationale. Nous sommes en plein soleil, il fait chaud. Je m’hydrate très régulièrement, et donc vidange régulièrement aussi. Stef a un peu de mal de ce côté. Nous cuisons au soleil comme des lézards, courant toujours sur le bitume qui commence aussi à chauffer. Nous voici cette fois sur le bord d’une autoroute ; après bien des passages physiquement difficiles, c’est cette fois-ci le mental qui est mis à rude épreuve. Enfin, comme une libération, nous voyons devant nous le magasin et l’hôtel devant lequel se tient le CP2. Yes ! Cédric, le podologue, s’éclate devant sa clio : il danse au rythme d’une (horrible) musique, et nous reçoit comme des princes. Je croise les doigts pour que sa batterie ne soit pas à plat quand le moment de repartir viendra, et nous poursuivons notre route.
Un pont et un rond-point plus loin, nous revoici en bord de mer, sur un chemin emprunté par piétons, vélos et voitures. C’est peu carrossable, pas agréable (bord d’autoroute), mais ça nous rapproche de l’arrivée : il reste une petite dizaine de kilomètres. Un arrêt pipi plus loin, Stef semble un peu préoccupé. Il y a de quoi, puisque j’apprends quelques minutes plus tard qu’il y avait des traces de sang dans ses urines… Ouille ! Immédiatement, nous ralentissons l’allure : il est hors de question de risquer sa santé. Nous marchons la plupart du temps, et nous accordons quelques phases courues de temps en temps. En même temps, Stef se réhydrate à fond, et essaie de joindre Maryse, la toubib, ce qu’il ne parviendra pas à faire.
C’est donc à une allure largement revue à la baisse que nous entrons dans la Marina de Valencia, surprenant et joli ensemble architectural qui mêle zone portuaire et zone d’habitation. Les contournements de bassins se succèdent, allongeant démesurément des distances finalement assez basses. Nous rattrapons une coureuse du 250km à cet endroit, mais elle nous distance rapidement, préférant couper à travers les immeubles plutôt que de suivre le bord des bassins. Enfin nous sortons de ce dédale aux airs de Venise, et pénétrons sur l’ultime paséo qui doit nous mener à l’arrivée. Seule inconnue : sa longueur !
Ce paséo est plutôt chouette, et la plage qui le borde agréable, seulement il est bondé, et Stef est toujours très inquiet. Nous prenons donc notre temps, zigzagant entre les promeneurs, empruntant les endroits ombragés lorsque c’est possible. Il est bien long ce paséo au final : peut-être trois ou quatre kilomètres. Un moment, nous croyons toucher au but, mais non, ce que nous prenions pour la fin du paséo n’est qu’une interruption : il reprend juste après. Qu’à cela ne tienne, ce n’est pas à 1km du but que nous allons échouer. Nous prenons notre mal en patience, et courottons jusqu’à apercevoir, la fameuse structure gonflable rouge, signe de l’arrivée. Forcément, l’allégresse est là, et c’est sous les hourras de l’organisation et des coureurs déjà arrivés que nous franchissons ces ultimes pas.
Satisfaction du devoir accompli, voilà ce qui me vient à l’esprit. Pas de pleurs, de grosse rigolade, d’émotion intense : juste une profonde satisfaction, celle d’être passé outre les moments difficiles et d’avoir tenu bon, malgré les maux subis. Sans doute que j’aurais été moins satisfait de la même course réalisée sans blessure, c’est peut-être idiot de penser ça mais c’est mon impression.
Nous terminons 11ème de l’étape du jour en 4h47. Devant, Philippe Mora a tenu bon : il réalise le meilleur temps, avec presque une heure de moins que nous ! Les arrivées se succèdent, certaines émouvantes, d’autres douloureuses (Janne s’est fait une entorse aujourd’hui, il est temps que le raid se termine sans quoi il aurait fini à l’hôpital !). Jean-Christophe conserve bien évidemment sa première place, amplement méritée. Il a géré l’épreuve comme un expert, achevant les 8 jours à un peu moins de 9,5km/h de moyenne. Janne finit second, 2h30 plus loin, et Alain Prost-Dumont 3ème. Stef fait 11ème, et moi 12ème à 7,2 km/h de moyenne générale. Pas de quoi fouetter un chat !
Epilogue – Dimanche 06/05/07 : Associations et célébration
Enfin l’heure arrive de rencontrer ceux pour qui ce raid a été monté en grande partie : les enfants de Residencia Infantil, une association de Valencia qui permet aux parents d’enfants gravement malades d’accompagner leurs enfants tout au long de leur hospitalisation. Je suis à la fois heureux d’avoir terminé ce périple, et triste d’apprendre que ces petits Espagnols qui nous sont présentés ne seront pas tous là l’année prochaine. Que faire, que dire ? A part « profites » de tout ce qui t’est donné, vis à fond ce qui s’offre à toi, oublies les petits maux et souviens-toi des grandes joies. L’intégralité des bénéfices générés par le RMV est reversée pour 50% à Residencia Infantil, et pour 50% à Espoir pour un Enfant, association française oeuvrant pour l’hospitalisation d’enfants de pays défavorisés. C’est important de savoir que toute cette sueur versée par les organisateurs, les bénévoles, et les coureurs, aura servi non seulement à satisfaire les envies d’évasion de 80 personnes, mais aussi et surtout permettra à des enfants de mieux vivre leur maladie.
La suite n’est qu’orgie houblonesque et vinicole, après passage par notre chambre d’hôtel (ouais, un vrai lit ce soir !). Tapas, bière, repas, remise des prix, tout s’enchaîne si différemment des soirs précédents que j’en ai un peu la tête qui tourne. A moins que ce ne soit à cause des litres de boisson de récupération ingurgités ? Une belle et difficile aventure s’achève. Il en restera des souvenirs pour toujours, des marques de bronzage pendant quelques semaines, et un p.…. de mal de genou pendant quelques jours… Ainsi va la vie !
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7 commentaires
Commentaire de gdraid posté le 21-05-2007 à 16:58:00
LeSanglier, je ne regrette pas d'avoir lu jusqu'au bout, et d'une seule traite, l'excellent récit très long, de ta course si difficile, de 500km, sur 8 jours.
Bravo pour la façon dont tu as géré cette épreuve.
J'y apprends beaucoup pour moi-même.
Bravo pour la façon dont tu as rédigé ce récit facile en lecture, avec humour et technique liés.
Je me suis cru par moment sur le terrain, peinant à tes côtés.
Bientôt en juin, à Antibes, je rencontrerai un ami, ancien coureur de cette course mytique. Gérard CAIN.
J'avais lu son récit, avec beaucoup d'admiration.
Il organise les 6 jours pour tourner en rond, au sein du fort Carré d'Antibes, sur 1025m de piste.
Lesquels de mes jambes, de mon ventre ou de ma tête me feront abandonner ? Je m'accrocherai aux souvenirs de tes réflexions, pour finir comme toi jusqu'au bout.
JC
Commentaire de Say posté le 21-05-2007 à 16:58:00
Salut Manu!
Ce n'était pas un récit de lopette dis moi! J'ai mis un temps fou à le lire.... Mais 500Km, ce n'est pas non plus n'importe quoi ;-)
Bravo pour ton exploit, car pour moi c'est vraiment très très très fort ce que tu as fait. Merci également de nous avoir fait partager ces moments où aligner un pied devant l'autre est déjà une victoire en soi.
A peluche
Coli, admiratif!!
Commentaire de Karllieb posté le 22-05-2007 à 11:18:00
Quel récit ! Et quelle course ! Je n'ai pas encore eu le temps de lire ton CR en entier. Je me le garde pour le savourer tranquillement en imaginant courir avec toi sur les sentiers et les routes entre la France et l'Espagne. Bravo Sanglier !
Karllieb
Commentaire de l'ourson posté le 22-05-2007 à 19:19:00
Bravo le Sanglier !! Si j'avais su... je me suis baigné à la plage de la Franqui le lundi 30/4 et j'y ai vu l'arrivée de la 2ème étape de ce périple de ouff sans savoir que tu y étais :-(
Commentaire de agnès78 posté le 23-05-2007 à 23:00:00
Eh ben alors Manu!!!!
Quel récit!!!!
Que dire de plus que BRAVO à la fois pour ce magnifique récit et cette belle performance!
IM-PRES-SION-NANT!!!
Merci de nous faire partager cela!
Encore BRAVO!
bises et à bientôt
agnès
Commentaire de LeSanglier posté le 24-05-2007 à 09:25:00
gdraid : merci pour ce commentaire, toutefois je retiens une de tes phrases "Je me suis cru par moment sur le terrain, peinant à tes côtés.". J'espère qu'outre les peines tu as aussi entr'aperçu les joies qui ont émaillé cette superbe épreuve.
Je connais un petit peu Gérard pour avoir cavalé à ses côtés à plusieurs reprises, et j'ai failli venir aux 48h d'Antibes qui ont lieu à la fin de l'épreuve des 6 jours. Tu verras, tu vas te retrouver très bien entouré, sur le circuit comme à-côté, et cette ambiance très particulière va te porter tout du long vers ce que tu es venu chercher. Bonne course.
Colimaçon : hé oui, une épreuve de 500km (490 en fait, la honte !) méritait bien ces vingt et quelques pages en caractère douze. Merci pour ce commentaire, un peu fort toutefois puisqu'on ne peut pas parler d'exploit. Les courses de Philippe Grizard et Mariane Blangy en sont déjà plus proches : l'un est détenteur d'une prothèse de hanche et en passe d'en recevoir une deuxième, l'autre a subi moults opérations des pieds et souffre constamment, même en marchant. Ca, c'est autre chose que de marcher et courir quand tout va bien.
Karllieb : merci de prendre le temps de tout lire, j'espère que tu ressentiras bien les paysages, les senteurs, les reliefs, les sols, la complicité, la solitude, la difficulté mais aussi les immenses plaisirs apportés par cette épreuve. Et qui sait, peut-être auras-tu envie de fouler les sols entre Montpellier et Valencia ?
l'ourson : argh ! J'espère que tu as applaudi au moins ? Héhé. Remarque, les arrivées étaient vachement étalées, les derniers mettant pratiquement deux fois plus de temps que les premiers. Elle était bonne la mer ? Je ne m'y suis même pas baigné, juste trempé les pieds, et encore, par inadvertance, runnings comprises !
agnès78 : merci Agnès pour ton commentaire, mais tu sais, tout ça c'est que du chiqué, en fait j'ai pas pu prendre le départ le toubib m'a trouvé inapte, alors j'ai un peu inventé la suite en romançant et en mettant un peu de piquant pour rendre ça vivant...................... Pas trop mal réussi hein ? Héhé. Bises !
Commentaire de Karllieb posté le 24-05-2007 à 14:21:00
A'y est Sanglier ! J'ai tout lu. Je dirai comme Agnès... IM-PRES-SIO-NANT ! Et de fait, ça donne envie... même si je ne suis pas encore au niveau d'une telle course (loin de là). Mais voilà un beau projet de course pour dans quelques années.
Karllieb
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