Récit de la course : Le Balcon de Belledonne 2004, par Michel_C
L'auteur : Michel_C
La course : Le Balcon de Belledonne
Date : 25/4/2004
Lieu : Allevard (Isère)
Affichage : 2230 vues
Distance : 65km
Matos : Aucun
Objectif : Se défoncer
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5 autres récits :
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La plus belle des courses sur route
Dimanche 25 avril, 12h, je m'allonge sur la pelouse du parc des thermes d'Uriages et je ferme les yeux prêt à m'endormir.
-"Tout va bien Michel ? Tu as un problème ?"
- "Non non, tout va bien ! Je profite juste du soleil et du plaisr d'en avoir terminé".
J'ai déjà oublié le dernier avatare de la course qui m'avait pourtant mis hors de moi 5mn plus tôt : alors que je descendais le chemin (les seuls hectomètres de chemin de toute la course) qui devait m'emmener à l'arche d'arrivée 500m plus loin, j'ai du manquer une bifurcation et me suis retrouvé de l'autre côté d'Uriage et bon pour un grand tour de tout le parc pour retrouver l'itinéraire. A 1mn de l'arrivée c'est vraiment trop bête !
Le Blueb est là qui m'attend ; après quelques minutes de repos je peux enfin discuter un peu plus librement avec lui. Il m'accompagne depuis le km 54 en VTT, il m'a rejoint 1 ou 2km avant le sommet de la dernière côte précédant l'interminable descente sur Uriage. A ce stade de la course j'étais déjà cuit, j'avais les pieds en compote et je n'étais guère en état de lui faire comprendre à quel point ça me faisait plaisir de le voir là. En fait depuis le km 30 ou 35, quand les choses ont commencé à devenir vraiment difficiles pour moi, je pensais au Blueb qui m'attendait au Pinet et ça me motivait pour ne pas lacher prise. Je pensais aussi à Zébulon et ses questions sur le travail du mental. Quand je pense que j'ai eu la présomption de lui donner des conseils ! A ce moment de la course je me sens beaucoup moins fort : c'est à peine la mi-course et je souffre déjà.
Au fait, quelle souffrance ? A bien y réfléchir je n'ai pas de douleur musculaires, pas de crampes comme l'année dernière, pas de mal au ventre, un peu mal aux pieds et comme des aiguilles qui s'enfoncent dans mon petit orteil mais rien de catastrophique. Pourquoi ai-je l'impression de souffrir alors que je n'ai mal nulle part. Après tout c'est peut-être juste dans la tête alors pensons à autre chose...
Tiens à ce paysage chaque année plus beau par exemple. Depuis ce matin c'est magique : à gauche le massif de Belledonne avec ses allures de haute montagne. Il a neigé la semaine dernière et toutes les pentes sont d'un blanc éclatant contrastant de manière superbe avec la végétation vert clair dela moyenne vallée. A droite le massif de Chartreuse et ses dernière plaques de neiges en train de disparaître. Au dessus c'est un ciel bleu sans aucun nuage. Que demander de plus ?
Les rares mots que j'échange avec Yoan, mon accompagnateur, sont pour s'extasier sur la beauté du parcours. Bon c'est aussi pour lui demander une gorgé de coca, un gel ou bien encore pour lui demander de rester derrière moi pour ne pas me fausser mon rythme mais ça c'est utilitaire ça ne compte pas.
Il a bien du mérite mon accompagnateur : il s'est levé à 4h du matin pour rejoindre Allevard (le départ) en vélo et pouvoir ainsi m'accompagner sur le trajet retour. Quand je dis "m'accompagner", ça signifie rouler derrière moi (hors de mon champs visuel), m'écouter me plaindre tantôt de mon mal aux pieds, tantôt de la fatigue, essayer de différencier le grognement signifiant "Passe moi un peu de coca" de celui signifiant "Je prendrais bien un gel moi". A part ça on ne discute quasiment pas et en plus il se retrouve largué dans chaque grosse montée. Bref un travaille bien ingrat qu'il a assumé à merveille ; trouvant même le temps de prendre tout un tas de photos de la course.
Reste ce problème des montées. Je n'avais pas réfléchi à ça mais après coup il parait logique que quand ça monte fort les coureurs aillent plus vite que les vélos. Et de fait à chaque montée je doublais les accompagnateurs des hommes de têtes... maigre consolation face à mon manque de pêche.
Pendant les 2 premiers km de la course, alors que je courais sans trop de difficultés sur le plat avec le groupe de tête, j'avais espéré sans trop y croire que mes grosses séances de VMA sur les bords de Seine compenseraient mon manque de dénivelé. Mais le miracle ne s'est pas produit et dès le début de la monté au col du Barioz j'ai senti que je ne tiendrai pas à ce rythme. Comme les débuts de course se jouent souvent au bluf, je m'accroche quelques minutes : si ça se trouve les autres sont aussi au dessus de leurs pompes et vont craquer avant moi. Mais au bout d'un moment je dois lacher prise si je ne veux pas y laisser tout mon jus.
L'année dernière j'avais très peu couru avant les Balcons (environ 100km en un mois) mais j'avais fait beaucoup de ski. Du coup je galopais dans les montées mais je manquais de rythme sur le plat et dans les descentes. Cette année c'est l'inverse : peu de ski et plus de course à pied, de la difficulté dans les montées et de l'allonge sur le plat. Résultat final identique : environ 4h50' (si on ne compte pas le temps perdu à chercher la ligne d'arrivée).
Donc au bout de 4 ou 5 km je me retrouve seul, abandonné par mon accompagnateur et laché par les 3 hommes de tête. Je suis rassuré quand je vois Jean-Noel Debiossat lacher prise lui aussi peu de temps après-moi. En m'accrochant, je réussirai peut-être à revenir sur lui ... Pour les deux autres je ne me fait aucune illusion : je connais très bien Jan (c'est mon entraineur) et je sais qu'avec la forme qu'il tient en ce moment je n'ai aucune chance de le revoir sauf blessure, ce que je ne lui souhaite pas. En ce qui concerne l'Italien, il a annoncé qu'il envisageait de s'attaquer au record de l'épreuve. autant dire qu'on ne court pas dans la même catégorie.
Il faut aussi compter avec Gilles Icart, il est à ce moment assez loin derrière moi mais l'écart diminue rapidement et je sais qu'il est à priori plus fort que moi. On profite des épingles de la route pour s'encourager mutuellement. C'est un gars que j'apprécie ce Gilles, c'est à lui que je dois la plus belle "baston" que j'ai connue en course lors du Grand Duc 2003 et ça s'était terminé de la plus belle façon : par une arrivée main dans la main avant de s'effondrer sur le bord de la route dès que la ligne a été franchie. Mais je m'éloigne du sujet...
La montée s'effectue presque entièrement à l'ombre et quand j'arrive au col du Barioz je suis frigorifié. Heureusement je suis réchauffé par 3 rayons de soleils : d'abord le sourire bienveillant de Gilbert, ensuite les sommets enneigés de Belledonne et dès le début de la descente le soleil lui même.
Dans le montée j'essayais d'adopter un rythme le plus soutenu possible, mais dans la descente je préfère temporiser : je ne me souviens que trop bien des crampes qui me tiraillaient l'année dernière à cause de ces descentes à tombeau ouvert. J'en profite donc pour attendre Gilles qui n'a plus qu'une centaine de metres de retard. Seulement ça c'est mal le connaître : Gilles est un routard et les descentes sur bitume ça le connait. En fait je vois passer un avion à coté de moi qui en quelques minutes va rattraper les deux hommes de tête plusieurs centaines de metres plus loin.
A partir de là je sais que l'ordre est établit et qu'il ne me reste plus qu'à gérer le rythme jusqu'à l'arrivée et à profiter de la beauté du parcours.
Seulement dès la montée suivante un premier imprévu arrive : je me suis offert en prévision des Balcons une paire de super chaussures de compet ultra légère. Jusqu'ici c'était un vrai bonheur cette sensation de n'avoir rien aux pieds. Oui mais pour gagner du poid il a bien fallu rogner sur quelque chose. Ce n'est pas l'amorti qui est impécable, c'est la rigidité. Ca se traduit par une piqure caractéristique d'une ampoule en formation sur le petit orteil. J'hésite à m'arrêter pour la percer mais j'ai fait un double noeud à mes lacets et avec mes doigts gelés je vais perdre plusieurs minutes. J'y renonce...
Tout au long de la course je vais sentir ces ampoules se développer d'abord sur le pied droit puis sur le gauche. Ca ne m'empêche pas de courir mais ce n'est pas très agréable voir même douloureux par moments. Moi qui me vantais de n'avoir jamais de problèmes de pied, j'ai l'air fin.
J'avais pris soins de noter avant de partir quelques temps de passages de l'année dernière : j'ai 2' d'avance au col du Barrioz, 2' de retard au col des Ayes, 4' au col des Mouilles et 7' au marathon. 3h15, j'aurais bien aimé passer sous les 3h au marathon mais toutes les difficultés étant dans la première moitié de la course, il aurait fallu que je sois beaucoup plus affuté dans les montées. Je vois le retard s'accumuler et ça me désole car je suis à fond. Je n'envisageais pas de faire la perf du siècle mais j'espérais améliorer mon temps.
Ceci dit je sais que ce n'est pas perdu car l'année dernière des crampes m'avaient empêché de profiter de la fin de parcours beaucoup plus roulante ; j'avais l'énergie mais j'étais bloqué. Cette année c'est l'inverse : je suis très fatigué mais n'ai aucune douleur musculaire. Et tout se passe comme prévu : malgré la fatigue je me concentre, je pense à Zébulon, au Blueb qui m'attend, je reçois les encouragement de Yoan ... et je garde le rythme.
Quand la dernière montée arrive : un long faux plat emmenant au Pinet d'Uriage, je trouve même un peu de volonté pour relancer. J'ai un peu peur d'être parti trop tôt et de ne pas tenir jusqu'au Pinet mais qui ne tente rien n'a rien.
Enfin je rencontre le Blueb qui vient à ma rencontre. Une petite grimace en signe de bonjour c'est tout ce que je réussi à lui donner. Heureusement il est déjà passé par là et il sait ce que c'est.
J'hésite à donner tout ce qui me reste (cad pas grand chose) pour tenter de rattraper Gilles. Une rumeur dit qu'il n'est "pas loin". Bon "pas loin" ça ne veux pas dire grand chose venant de spectateurs tout frais qui ne se rendent pas forcement compte qu'a certains moment de la vie les distance se ralongent terriblement. A défaut de certitude, je n'ai pas le courage de ma lancer à sa poursuite et en reste à mon rythme soutenu.
J'en suis là de mes réflexions quand on arrive au Pinet sous les acclamations des spectateurs. A partir de là je sais qu'il n'y a que de la descente, parfois raide, jusqu'à l'arrivée. Je suis partagé entre la satisfaction d'en avoir terminé avec les montées et l'appréhension de cette descente qui n'en fini pas.
Je m'accorde le seul repos de la course : je souffle pendant 20" en tentant de détendre mes jambes, puis je me lance dans la descente. Ce n'est pas la partie la plus fatiguante de la course mais certainement celle qui fait le plus mal. 7km de descente sur bitûme dans l'état dans lequel je suis c'est terrible. Heureusement je sents l'écurie, ça m'aide à trouver les ressources pour continuer. Il y a une autre chose qui me donne le moral : un peux avant le Pinet on a passé le panneau "55km". Hors je sais qu'à ce stade de la course il ne reste en réalité qu'environ 7km. Ca a beau être débile car (je savais avant de partir que je trouverai ce panneau ici), ces 3km gratuits me font du bien.
J'ai du attaquer la descente depuis 1km lorsque je croise mon copain Christophe en vélo. Il s'est démené toute la journée hier pour trouver un vélo et les chaussures qui vont avec pour pouvoir venir m'accopagner sur ces derniers km.
-Super Michel, Gilles est juste devant.. maximum 300m...il est cuit, tu as une bien meilleure foulée ! .. tu peux revenir !
Ce coup-ci j'y vais : je serre les dents et j'allonge la foulée.
Une arrivée ensemble ça aurait de la gueule ... comme au Grand Duc où je l'avais rejoint dans des conditions identiques à 2km de l'arrivée. Et puis Gilles c'est un rude compétiteur, si il m'entend arriver il donnera tout ce qu'il a et même ce qu'il n'a pas pour relancer. Ca pourrait faire une final magnifique !
Je ne rêve pas comme ça très longtemps car l'arrivée se fait de plus en plus proche et je ne l'ai toujours pas apperçu une seule foi. Quand je traverse Saint Martin d'Uriage, le dernier village du parcours, je sais qu'il ne me reste qu'un peu plus de 2km et que ce ne sera pas suffisant pour revenir.
Maintenant ça sent vraiment la fin, on apperçoit même le parc d'arrivée 200m plus bas. Quel plaisir de savoir que dans 5mn tout sera terminé. Yoan me quitte car avec son vélo de route il ne peut pas me suivre sur les 500 derniers mètres qui coupent les virages de la route par un sentier en sous-bois. Philippe me suit en VTT puis doit aussi m'abandonner au passage d'un escalier. Quel dommage... s'il avait pu me suivre il aurait forcement vu que je manquais une bifurcation et et je n'aurais pas hurlé ces jurons de désespoirs en m'appercevant de mon erreur. Dans ce cas là quelle attitude adopter ? aller droit sur la ligne d'arrivée ? Ca va faire mauvais effet un coureur qui arrive dans le mauvais sens. Et puis je ne veux pas me priver de cette boucle dans le parc d'Uriage et du plaisir de courir au milieu des spectateurs en sachant que dans 1mn je serai le plus heureux des hommes. Je fais donc le tour du parc pour retrouver l'itinéraire. Sous l'arche d'arrivée j'apperçois mes accompagnateurs qui scrutent l'horizon un peu perplexes : ça fait 3mn que j'aurais du arriver. J'entend le speaker qui annonce l'arrivée de Michel Cercueil "le vainqueur de la précédente edition" (je crois que je ne me lasserai jamais de l'entendre cette phrase, je dois être un peu cabot) et énumère mon "palmares". C'est incroyable, il le connait presque mieux que moi. Enfin la dernière ligne droite, les applaudissements et l'arche d'arrivée.
4h54'! J'ai pas perdu ma journée !
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