Récit de la course : 24 heures de Villenave d'Ornon 2024, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : 24 heures de Villenave d'Ornon

Date : 31/8/2024

Lieu : Villenave D'Ornon (Gironde)

Affichage : 298 vues

Distance : 206km

Objectif : Pas d'objectif

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Quelle dinguerie !

Quelle heure est il quand je discute gentillement avec ce jeune coureur  ?
-Il est impressionnant ce russe, avec sa foulée légère et régulière, on comprend qu'il soit premier, me dit-il
- Oui il est très fort. Mais tu sais, sur le 24h, le premier c'est moi pour le moment, avec plusieurs tours d'avance 
- Tu es premier ? Quelle dinguerie !


Pour comprendre cette exclamation aussi spontanée que pertinente, il faut rembobiner un peu le film de la course, et nous placer juste avant le départ. Le speaker nous présente Sergei I, qui a un record perso de 267 km, et qui est venu ici pour battre le record de l'épreuve (246 km) m'a confirmé son copain de club. Et quand on voit sa table de ravitaillement perso, on comprend qu'il n'est effectivement pas venu ici pour rigoler : des dizaines de bouteilles, de gels et de capsules impeccablement rangées et etiquettees témoignent du sérieux du personnage. 

Ma table est située juste à côté et témoignage aussi de la façon dont je vais aborder cette course : trois sachets plastiques contenant respectivement quelques barres de nougat, des barres cafeineee et une mini trousse à pharmacie, deux Powerade, et... c'est tout. Je ne sors même pas mes affaires de rechange que je laisse en désordre dans mon sac de sport. Je ne suis pas là pour battre un record, mais d'abord pour engranger les kilomètres sous le soleil à un mois du Spartathlon, sans trop taper dans la machine.

Et ça tombe bien, il y en a, du soleil ! On annonce 28 ou 29 degrés, mais avec l'humidité ambiante le ressenti est bien plus élevé. Résultat, nous avons chaud tout de suite. Heureusement, les organisateurs placeront rapidement des bassines d'eau et des éponges qui nous permettront de nous rafraîchir, et me permettront d'arroser tout à l'heure quelques copains pas trop mécontents de la farce. Autre bonne surprise, il y aura des Mister Freeze au ravitaillement, et ces glaces à l'eau m'apporteront un peu de fraîcheur et de sucre bienvenus.

L'organisation est parfaitement rodée, et les bénévoles rivalisent de gentillesse. Le circuit d'environ 1100 m est dessiné autour d'une piste d'athlétisme : nous en faisons le tour dans un sens, demi tour derrière un but de foot, nouveau tour de piste et nouveau demi tour derrière la tribune. C'est l'endroit où est situé la zone de ravitaillement. Ici, une table est divisée en petits carreaux qui sont nos espaces réservés. C'est magique : nous demandons ce que nous voulons aux bénévoles et au tour d'après, nous retrouvons dans cet espace la pastèque ou le verre de bière rêvés. Parfois , c'est le bonheur, nous y trouvons un petit message d'encouragement envoyé par nos proches et aussitôt transmis. Nous avons en plus nos tables de ravitaillement personnel où nous pouvons disposer nos petits trésors et, pour les plus chanceux, discuter avec nos accompagnateurs. Pour finir de planter le décor,  de nombreux barnums pour les équipes du relais bordent ce que j'appelle la ligne droite des stands, qui font que nous ne serons jamais seuls. Car il n'y a pas que le 24h aujourd'hui : courses de 3h, de 6h , de 12h et de 24h, en individuel ou en relais, course et marche, feront que nous serons plus de 300 coureurs en piste (mais pas tous en même temps, heureusement).

Voilà, le décors est planté, et je voulais par ce bavardage exprimer mon ressenti du début de course : je regarde, je découvre, je discute avec les copains, sans m'intéresser à la compétition. Quand, après 3h de course, le speaker commence à donner toutes les heures le classement, j'apprends un peu avec surprise que je suis 3eme, à seulement 2 tours de Sergei. Il est parti prudemment. Pour ma part, je peux jouer le podium, histoire de rendre les choses plus intéressantes.

Le podium, mais sur quelle marche ? Vincent est parti comme un fou et je me doute qu'il ne tiendra pas. Sergei m'étonne : non seulement il n'est pas sur un rythme très soutenu, mais il s'arrête environ 5 minutes toutes les heures et semble se masser les pieds. Début de blessure ? Coup de chaud ? Ou gestion impeccable de la course pour produire son effort cette nuit ? La question me travaille, d'autant que je lui prends chaque fois un tour, voire plus. Résultat, je me retrouve avec 5 puis 8 tours d'avance à la fin de l'après midi. Incroyable.

C'est vrai que j'avance bien et je commence à me dire que je peux atteindre la barre des 200 km. J'en discute avec Jimmy, un coureur expérimenté et sympathique , qui m'assure que si je passe les 100 km en 10h15 à 11h, les 200 sont dans la poche, d'après les tables de Bruno Heubi qu'il semble connaître par cœur. Nous sommes d'après lui deux à pouvoir le faire aujourd'hui, Sergei et moi, et il me prévient que Sergei ne devrait pas trop ralentir cette nuit. Je partage cet avis.

Malgré mes 9 tours d'avance, rien n'est gagné, effectivement. D'ailleurs Sergei accélère maintenant que la chaleur est tombée, en trois tours il me double deux fois, mon avance fond comme neige au soleil. Il attendait donc son moment. Je m'attends à le voir rapidement réapparaître dans mon rétroviseur, mais c'est finalement à sa table de ravitaillement devant moi que je le vois assis quelques tours plus tard, ce qui signifie que je lui reprend un tour. 

Je ne sais pas combien de temps ça peut durer, cette histoire, mais le fait qu'il n'écrase pas la course me titille et je suis décidé à ne pas lui rendre les choses plus faciles. Je raccourci encore les arrêts au buffet, oubliant presque de boire, ce que je vais amèrement regretter plus tard. Je ne mange plus, mais ça c'est normal. Je cours quasiment tout le temps, ne m'autorisant la marche que sur les 100 m moins bien éclairés derrière la tribune, habitude prise cette après midi pour m'arroser à la fontaine. J'oublie complètement les projections sur le kilométrage final, seul compte maintenant cet écart de 8 tours. 

La pluie se met à tomber et Sergei mets une cape de pluie pendant que je continue, un tour gagné, +9. Elle redouble, il mets un pantalon et moi une simple veste, +10. Le vent devient violent, les barrières s'envolent, les éclairs zebrent le ciel, les organisateurs sont contraints de neutraliser la course. Bah bénef , le temps joue en ma faveur.

Moi qui n'ai pas l'habitude de m'arrêter en course, cet arrêt m'est bénéfique. Je peux mettre des vêtements secs, m'asseoir enfin, envoyer des messages à ma famille, boire et manger un brin, pendant que l'horloge tourne à mon avantage. 

Le vent se calme à peine et sous la pluie toujours battante, les courageux bénévoles remettent les barrières en place. C'est le moment que choisi Sergei pour  se remettre à courir. Scène ahurissante. Imaginez un coureur seul dans sa cape de pluie, avançant contre l'averse encore violente, sous la lumière crue des projecteurs éclairant un stade désert au milieu de la nuit pendant que des dizaines de coureurs le regardent les yeux écarquillés. Il faut dire que Sergei est le seul à ne pas parler français, mais si la scène peut prêter à sourire, j'y vois pour ma part le témoignage que sa motivation est intacte. Il sera arrêté par les organisateurs et rejoindrai sa place en bougonnant.

Après une bonne heure d'arrêt forcé, l'orage se calme enfin et nous repartons. Il reste 10h de course, j'ai 10 tours d'avance, le calcul est simple. L'arrêt m'a fait du bien, je repars tambours battants, et ne cède rien dans la première heure. C'est le jeu des fractions. Prendre 10 tours en 10h est faisable, en 8h ce sera un peu plus compliqué, en 5h ça deviendra difficile, en 2h quasiment impossible. Je ne sais pas si je suis clair, mais ma ligne d'arrivée est un peu plus proche que celle de Sergei. Ma stratégie sera donc de maintenir mon avance le plus longtemps possible, sachant que vu le pedigree du bonhomme, infiniment plus fort que moi, je n'ai pas toutes les cartes en main. 

Et là je voudrais rendre un hommage à mon adversaire du jour. Alors que de nombreux coureurs auraient lâché l'affaire voyant que leur objectif kilométrique est inatteignable, en raison d'une méforme et de l'arrêt d'une heure, lui ne lâche rien. Jamais je ne le verrai marcher ou prendre un long arrêt. Avançant toujours de sa foulée légère, les oreillette visées sur la tete, regardant droit devant lui, le regard impénétrable, se filmant parfois avec sa GoPro, il continue imperturbablement, poursuivant son objectif que j'ignore, alors que sa marque sera loin de ses standards. Un comportement de champion.

Et moi dans tout ça ? Ben pareil. Je suis dans une belle forme, et le duel que je vis si intensément fait que je ne ressens pas la fatigue. Ce n'est pas mon adversaire, mais l'ami grâce auquel je donne le meilleur de moi même. L'objectif de ne pas trop taper dans la réserve est oublié depuis longtemps. Les kilomètres s'enchaînent malgré les ampoules qui me rappellent parfois leur existence, et je me dis que la barre des 200 est accessible, ce qui constituerait quoi qu'il arrive un beau succès.

Mais ma boussole, ce sont ces 10 tours d'avance. Le parcours permet de s'observer régulièrement. Je jubile quand je le vois réclamer un bol de soupe, il va perdre quelques centaines de mètres. Je m'inquiète, quand c'est moi qui m'arrête, de perdre un précieux tour. Ma joie est indescriptible quand, alors que je le pense sur mes talons, je le vois sortir des toilettes juste devant moi. Pour le moment, ça tient.

Et le jeu des fractions joue en ma faveur. Je compte combien de temps, ou combien de tours, il lui faut pour me reprendre un tour. Je compte parfois en kilomètres, parfois en minutes, le temps nécessaire pour me doubler. Quelle que soit l'unité, le constat est le même : il ne me reprend rien. 

Le jour se lève doucement, éclairant d'une lueur blafarde le stade silencieux. C'est comme ça que j'ai toujours imaginé le soleil d'Austerlitz, pas un soleil étincelant, mais une lumière timide permettant de compter les survivants et de comprendre enfin qui a gagné la bataille. La fin de la course est dans 3h, j'ai toujours 10 tours d'avance (soit 11 km), il lui faudrait tourner 4 km/h plus vite que moi pour me dépasser, c'est quasiment gagné. Encore une demi heure, voire une heure, et ce sera joué.

C'est à ce moment que je prends le temps d'échanger avec le jeune coureur, puis avec d'autres. Ces rencontres, c'est la beauté des 24h. Bastien qui marchait en canard cette nuit est reparti d'une allure presque normale, je lui demande son secret : il a compris comment gérer ses ampoules. Problèmes d'ampoules également pour la légende Robert, qui aura continué jusqu'au bout. Certains ont disparus, ou sont allés dormir dans les tentes plantées le long de la piste. D'autres reapparaissent. Hiromi, qui finira troisième, continue imperturbablement. Les relayeurs assurent le spectacle et je me sens privilégié d'en profiter de si près.

Les coureurs du 12h finissent. Plus qu'une heure pour nous, avec mes 10 tours d'avance, l'affaire est réglée. Je franchis peu de temps après les 200 km. Alors que je pense finir en marchant, récoltant les fruits de mon combat homérique, un bénévole me félicite :

- 200, bravo, c'est ça que tu cherchais ?
- Au départ je pensais à mon record, 205, mais avec l'interruption...
- Mais non, il est à ta portée ton record, tu peux le faire !

Le repos, ce sera pour plus tard. Je continue à trottiner, m'offrant à peine une deuxième section de marche, au niveau du demi tour. Je finirai avec 205,8 km.

Il reste un quart d'heure à peine, et Sergei que je croise une nouvelle fois, me félicite. Cette poignée de main me transporte. À mon tour, je félicite tous les coureurs qui sont sur mon chemin, nous tombons presque dans les bras les uns des autres, dans cette fraternité inégalable des circadiens. Rarement un slogan de course n'aura été si justifié, il s'agissait vraiment des 24h du bonheur

 

4 commentaires

Commentaire de philkikou posté le 12-09-2024 à 21:44:43

Bravo beau 200kms, beau duel au soleil et sous la pluie, et belle perf. !

L'ambiance de ces courses horaires est vraiment particulière et chouette entre coureurs !!

Spartathlon quelle date ? Déjà fait et terminé il me semble ...

Commentaire de marathon-Yann posté le 13-09-2024 à 18:38:59

Merci de ton message !
Oui, le Spartathlon fait et terminé deux fois, prochaine tentative le 28 septembre. Ça approche !

Commentaire de jpoggio posté le 15-09-2024 à 08:45:15

Chouette récit, pour une belle course, merci.
Et la preuve une fois de plus que la compétence clé en ultra, c'est le calcul mental !

Commentaire de FabKangs posté le 17-09-2024 à 21:19:00

Bravo Yann, j’étais sur la même course, je finis à 164km de mon côté.
Tu retranscris très bien l’ambiance de ce 24h (c’était mon premier) et de ces bénévoles toujours aux petits soins.

Je t’avais bien repéré sur le circuit mais je pensais honnêtement te voir parti trop vite, paraissant essoufflé dès les premières heures de courses mais tu as très peu baissé d’allure et je te voyais bien prendre tour après tour (même si compliqué de suivre le classement sans assistance).

Rigolo ta discussion avec le jeune coureur, preuve de ta discrétion sur la course, j’ai eu quasiment la même à 22h de course avec Greg qui finit 5em.
Lui :« T’as vu le russe, il est vraiment au dessus y’a plus que lui qui court à cette heure ? »
« Heu oui mais tu sais qu’il est deuxième ? Le premier c’est le mec en bleu. »
« Ah c’est vrai qu’il m’a souvent repris, je pensais pas qu’il était devant »

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