Récit de la course : Trail de Haute Provence - Ultra de Lure - 77 km 2018, par Thibaud GUEYFFIER

L'auteur : Thibaud GUEYFFIER

La course : Trail de Haute Provence - Ultra de Lure - 77 km

Date : 12/5/2018

Lieu : Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence)

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Distance : 77km

Objectif : Pas d'objectif

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Le récit

Une odeur de café-gobelet et de petit déjeuner avalé trop vite se lit sur les visages froissés par une nuit visiblement interrompue. Les coupes vents disparaissent, les bâtons encore ligotés sur des sacs gilet microscopiques attendant leur heure. Chacun à ce matin son âge et les poches de ses plus beaux voyages sous les yeux.  Les mains se serrent à la hâte sous les frontales bleutées qui virevoltent comme des insectes affolés et tracent des arcs libres sur la cathédrale Notre-Dame du Bourguet. Ces caresses modernes laisse indifférente cette belle moyenâgeuse tandis que les rues froides de sa place servent de couloir au vent froid de cette fin de nuit. 
Il est cinq heures et Forcalquier la douce provençale au charme baroque, comme un Phoenix, se ranime pour la cinquième année à la même date. Elle bruisse des sons d'un théâtre moderne, les sons d'une joute d'une nouvelle ère. La course des hommes, sans rien, pour rien vers ce qu'elle a de plus haut de plus beau à offrir. Une course contre le temps, un vieux compte à régler de 77 km sur la crête de cette belle oubliée de haute Provence: L'ultra de Lure vient de commencer.

Absorbés, concentrés les pieds cherchent la pose, les faisceaux le bon angle et les cœurs le rythme des corps. On se jauge et on transpire déjà dans les herbes mouillées avant d’atteindre la ferme fortifiée d’Ybourgues.  La course est nerveuses, groupée on se double, redouble dédouble dans la pâleur de l’aube. Le premier passage technique ne calme pas les ardeurs les crampons s’accrochent vainement dans un single tout en éboulis ou tout dévisse sauf le bonheur de se sentir libre, en course en glisse, sur un fil, aiguisé, qui taille .

Dans le ciel bleu délavé par l’averse de la veille, le petit hameau de pierres calcaire resserré sur son rocher se détache : Le Rocher d’Ongles. Un cliché pour photographe ou rêveur de santons, un paradis pour des lavandières en exil. La lumière sur les pierres déjà sèche se pose sur les radiers des champs d’où coulera l’huile essentielle à flots. En parlant d’huile essentielle on se ravitaille, j’extrais ma collection de gravillons qui a colonisé mes chaussures dans la descente, on a encore le temps…Après les belles maisons en pierres de Lardiers et ses fontaines on s’enfonce dans la magnifique hêtraie qui monte au Sommet de Condras. Une combe de feuilles morte amollit nos pas, les sapins blancs se mêlent au décor. Les nuques dégoulinent, les concurrents du marathon de Lure qui démarrent leur épreuve nous dépassent avec une outrageuse facilité. En attendant je partage mes pas avec un jeune coureur Belge en vacances. On parle carte de bière et de trails en Wallonie, «  la Bouillonnante  » et le «  grand trail lacs et Châteaux » qui traverse la Belgique et le Luxembourg. Ca y est il me fait déjà rêver à d’autres départs. Mais en attendant ça monte fort, et enfin la forêt cède. Les garrigues, les pelouses, et quelques rares genets égaillent les landes rocailleuses, les ravines calcaires filent sous les pieds. La crête est un spectacle, les coureurs sortent les téléphones, cairn en assiettes calcaires, mont Ventoux à 40km de vol d’aigle, vue à 360°… dur d’être insensible.

Mes pieds tapent, les blessures qui m’ont arrêté tout l’hiver se taille une place dans ma chair et mon cerveau même si je fais tout à cet instant précis pour ne pas renouveler leur bail. Le refuge de Lure arrive enfin, bouillon et pâtes vermicelle archi cuit, surtout continuer à s’alimenter tant que ça va encore. Les bénévoles sont du sourire en barres, de l’humanité en intraveineuse. Allez, je roule, ça descend le marathon de Lure quitte notre trace, on remonte sur les antennes relais de Lure. Un monument Karstique en ligne de mire inratable. Le temps se dégrade les nappes de brouillards en lambeaux glissent comme des folles sur  les écailles blanches en pierres du géant. Au sommet les névés sont encore là et s’accrochent comme des teignes sur le tombant des corniches. Ambiance montagnes ; mes bras sont rougis et glacés par les rafales pendant que je frissonne de bonheur. On plonge grosse descente  solitaire sur Pierrefeu. Bon à force de jouer avec le niveau d’eau je me fais piéger, voilà que ça arrive et que je tourne à sec en essayant de l’oublier. Un panneau descente dangereuse me tire un sourire et me ranime, glissade sur des vieux névés pleins d’aiguilles dans des fonds de gorges. Tout ceci est tellement vivifiant que je termine affalé sur le sol  au ravito à m’enfiler des shoots de boissons énergétiques bio fournie par la course (incroyable comme elles passent bien). Bon décidemment on est bichonnés par l’organisation, il y a même des panneaux plastifiées avec des blagounettes sur le parcours pour nous remonter le moral, c’est du jamais vu et c’est juste génial. Je repars avec les tendons d’Achilles sur tendus mais le cœur rasséréné. La descente sur une superbe draille calcaire m’emballe de plus en plus et descend de plus en plus fort seul petit bémol je suis seul depuis un moment complètement dans mes pensées et à l’évidence il n’y a plus une balise. Je viens de dévaler à bloc un kilomètre dans la mauvaise direction. Je remonte en m’insultant pour ma stupidité et mon inattention. La seconde féminine Christelle Bassereau a fait comme moi. On fini par retrouver le croisement inratable balisé comme une piste d’atterrissage à Roissy, c’est incroyable la puissance des rêveries.

Christelle me relance, solide grimpeuse, agile descendeuse, elle fait monter la température.  Elle me raconte avec beaucoup de légèreté son parcours d’athlète à faire blêmir les caïds de plus d’un club. Beau moment de partage et de collaboration comme seuls les ultras en offrent. On rejoint sans s’en rendre compte Saint Etienne Les Orgues on a fait 63 km le soleil brille de nouveau et on ne s’attarde pas trop. On a dépassé la magnifique petite église de Fontienne avec sa pelouse parfaite, chaque année je passe devant je me dis que Romy Schneider et Alain Delon aurait pu s’y marier dans une autre vie…

Nous revoilà sur la route on rattrape du monde, des égarés, des blêmes, des tordus  par la chaleur qui grimpe, des trop fatigués pour désormais vraiment courir. Je me sens bien, je prends un peu le large et en fait je crois que j’ai hâte d’aller voir les spectaculaires champignons calcaires des Mourres. C’est dingue d’imaginer que la mer était là haut et que l’érosion à elle seul a taillé ses arches et ses protubérances bulbeuses qui se détachent sur un décor quasi désertique. La descente plonge au travers de ses sculptures à ciel ouvert, on saute des balcons calcaires et déjà à portée de main les toits de Forcalquier. Le pays de cocagne sans pubs, sans feu rouge pleins de gens qui veulent juste vivre bien, les tuiles vieillies, le cloître des Cordeliers et c’est les sourires, les bénévoles qui coupent la circulation, le bruit la fête la musique, le speaker qu’on n’écoute plus ou qu’on ne fait plus qu’écouter. Tout s’entrechoque, jump sur le tapis rouge, médaille autour du cou, pause sur une chaise, la délivrance et le bonheur d’avoir traversé le rêve fou de Vincent et de son équipe !

 

Merci aux fous et longue vie à l’ultra de Lure !

 

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