Récit de la course : Andorra UT Vallnord / Ronda dels Cims 2016, par CharlyBeGood

L'auteur : CharlyBeGood

La course : Andorra UT Vallnord / Ronda dels Cims

Date : 15/7/2016

Lieu : Ordino (Andorre)

Affichage : 3516 vues

Distance : 170km

Objectif : Pas d'objectif

4 commentaires

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Pourtant, que la montagne est belle...

Juillet 2016 – Andorre – Ronda del Cims 

 

Cela faisait déjà quelques temps que j’avais repéré cet ultra dans les calendriers de trail. Il remplissait beaucoup des critères qui me tiennent à cœur : 170km (ou 100 miles), découverte d’un nouvel environnement, course réputée pour sa bonne organisation. Le point négatif : son accès, peu aisé depuis Genève, avec une dizaine d’heures de voiture ou un vol sur Barcelone et un transfert pour Andorre. Autant dire que j’ai choisi la seconde option !

 

La course présente un autre grand atout à mes yeux : elle est « logique », en proposant le tour de la Principauté par les cimes (d’où son nom, Ronda del Cims, pour les polyglottes…). D’aucuns diront qu’ils ne voient pas bien la logique de partir d’Ordino, se taper 170 bornes, 13'500 D+, peut-être 60 heures de course pour… se retrouver au point de départ ! Ami contradicteur, je te comprends, j’admire ta perspicacité et ta sagesse de ne pas t’inscrire à une telle épreuve. Ces réflexions m’auront aussi effleuré pendant la course, soit trop tard pour éviter l’inscription… !

 

Comme prévu, l’organisation est au top. La distribution des dossards est simple, rapide, sans vérification du matériel obligatoire (je me suis toujours demandé à quoi servait un contrôle dudit matériel le jour avant la course, avant même que les sacs ne soient définitivement paquetés). Les « cadeaux » offerts sont conséquents et de bonne qualité. Le briefing, en trois langues et deux sessions, est précis, rôdé, complet et… pas toujours rassurant s’agissant de la difficulté qui attend les coureurs ! La météo est parfaite (jusque-là, je le pensais…) avec du soleil et une absence de vent durant toute la course. C’est plein de confiance que je suis donc parti reposer tête et jambes.

 

5h45 : la douce musique de mon portable, tirée des meilleurs groupes de percussion répertorié sur mon smartphone, me tire des bras de Morphée qui me gratifiait de toutes ses attentions. Peu de temps pour trainer au lit, il me faut mettre la dernière main à ma préparation. Bouclage du sac, boisson, vérification de la température pour l’habillement d’attente dans le sas et pour le début de course, petit grignotage pour ne pas partir le ventre vide : le temps file et c’est à moins de 15 minutes du départ que je me fais badger. Deux mots du chef de course pour confirmer les infos du briefing et pour demander une minute de silence (de plomb, impressionnante…) pour les victimes de l’attentat de Nice qui s’est déroulé la veille, puis c’est le feu d’artifice qui lance la course.

 

Les deux premiers kilomètres consistent en une boucle sur bitume pour étirer le peloton, dans Ordino, avant de prendre de la hauteur par un étroit sentier qui crée un petit bouchon pour les coureurs « normaux » qui n’ont pas entamé ces 170 km par un sprint… Le contraste est immédiatement saisissant entre Ordino, village/ville, et cette végétation très luxuriante. Après environ une heure de course, un coup d’œil en contrebas offre une vue imprenable sur la ligne de départ et les maisons, qui semblent déjà si loin et pourtant si proche.

 

La course est assez nerveuse, corollaire des sentiers étroits que nous parcourons. Comme souvent, en début de course, c’est un peu la cour des miracles qui peut s’observer, avec quelques concurrents aux looks ou démarches improbables. J’en ai même trouvé un qui cumulait les deux, avec un habit type colonial (avec bob plutôt que chapeau, quand même…) et une claudication prononcée qui fait craindre la chute un pas sur deux.

 

Les 15 premiers kilomètres de montée, à peine entrecoupés de petites descentes, pour varier le rythme, se passent bien. Je suis calé dans les foulées des coureurs qui me précèdent, prends avec la zen attitude ce début de course un peu « en dedans » et profite de lever le nez pour découvrir ces fameux paysages andorrans, très vert jusque vers 2000m, puis très minéral. Tout au plus me posé-je quelques questions sur cet essoufflement que je ressens, anormal à ce stade de la course et à ce rythme, jusqu’à ce que mon petit cerveau me rappelle que la Collada Ferreroles, 1er des 15 sommets majeurs de la course, se situe quand même à 2600m et que l’altitude pourrait avoir une certaine influence sur cette respiration de boxer asthmatique !

 

Le paysage sommital est très à mon goût, lunaire à souhait, avec de la roche noire qui fait le contraste avec la guirlande de coureurs aux couleurs vives qui traversent le pierrier pour entamer la descente sur le premier ravito (qui est également le lieu du dernier de la course, mais ça c’est dans une cinquantaine d’heure si tout va bien…). Après la traversée d’un magnifique torrent par un pont qu’Yves Dutheil n’aurait pas renié, le refuge Sorteny offre la première pause de cette course dont je ne perçois pas encore toute la difficulté. Ce sont déjà 21 km qui sont derrière moi, toujours ça de pris, en 4h15. En plus, plaisir de découvrir de l’inédit sur un ravito : melon et pastèque sont au rendez-vous ! Une bouchée de fraicheur à chaque fois !

 

Reprise dans la pente pour basculer dans une large vallée paisible et parcourue d’une rivière qui sera notre fil conducteur sur quelques kilomètres. Le peloton est à présent étiré et seuls des petits groupes de circonstance se forment. Le Portella de Rialp est de ces montées traitres où tu aperçois le sommet dès son entame, avec l’impression que ce ne sera qu’une formalité… avant de te rendre compte qu’il n’en est rien, que les pourcentages sont quand même bien présents et qu’entre pente et glissades dans les pierres et la poussière, le col va se mériter. Récompense, la vue y est magnifique, chaines de montagnes et lacs bleu azur.

 

Au loin, les lacets de la station d’Arcalis, qui vient de voir le tour de France y faire étape, sous la grêle…, se dévoilent déjà à nos regards. Seul hic, ce qui doit être le ravito donne l’impression d’être grosso modo à la même altitude que celle où nous nous trouvons et… nous descendons ! Pas de miracle, dans ces cas, il y aura de la remontée, ce qui ne manque effectivement pas d’arriver. Cela marquera mon premier coup de barre. Grosse fatigue, jambes un peu flagada, bouche sèche, je décide de lever le pied et d’assurer une petite série de photos, un stop technique pour grignoter et de m’offrir un moment de contemplation du joli lac au bord duquel je m’arrête.

 

La fin d’étape est de ces parcours en dévers dans des prés à vaches, toujours difficiles pour les chevilles et l’équilibre. Jolie petite cascade, encouragements nourris des spectateurs nombreux à se prélasser au soleil dans l’herbe et dans l’attente de leur(s) héro(s), puis arrivée au ravito (7h 30 de course, 32 km). Je ressens le besoin de m’asseoir, de respirer un coup. Je n’ose pas la soupe (bouillon de poule qui ne m’inspire vraiment pas), mais je me laisse tenter par une salade maïs-thon à la sécheresse indéniable qui me prend du temps à avaler. Un peu d’eau gazeuse, de coca, je ne suis déjà pas très « facile » du côté gastrique…

 

La reprise est assez dure, surtout qu’elle est tout sauf passionnante, avec une remontée des pistes de ski d’Arcalis. J’aurais peut-être dû en profiter, plutôt que faire la fine bouche, car la sortie de la vallée, par la Bretxa d’Arcalis est raide et glissante de poussière. Les bâtons justifient la balade que je leur offre en étant une aide considérable dans les appuis permettant une progression sans avoir l’impression de patiner dans « Holiday on ice ». Un regard sur le parcours effectué me fait distinguer des colonnes de fourmis fluo au milieu de la caillasse, arcboutées sur leurs bâtons et progressant comme des chenilles processionnaires.

 

La descente se fait dans un pierrier, mais aussi dans une superbe vallée comme Andorre semble en posséder des dizaines. Les éboulements de roche et de terre viennent mourir dans les lacs limpides que nous longeons avec une seule envie, s’y arrêter, poser les grolles et mettre les petits petons au frais pour quelques minutes. Mais tel n’est pas l’option du moment et c’est d’un pas peu enthousiaste que je m’éloigne en contemplant d’un regard avide mon Eden du moment qui s’efface derrière moi.

 

Deux bénévoles me tirent de ma léthargie en me faisant bifurquer à 90° pour suivre un nouveau val. Montée douce puis vraiment ardue pour atteindre la crête qui est un magnifique moment. Le parcours a épousé la ligne de crête dont la demi-lune offre des vues de magazine, avec les coureurs qui se détachent au sommet de la montagne sur fond de ciel profond. Je me sens bien, heureux de partir pour une longue descente qui me semble permettre un petit pas de course alerte. J’y fais l’inventaire de tous les types de terrain (sente herbeuse, caillasse, « droit dans la pente » herbeuse, bois). Une dernière remontée relativement longue mais de faible dénivelé nous amène au refuge du Pla de l’Estany, au pied du fameux Comapedrosa, point culminant de la course (11h de course, 44km).

 

Mon euphorie est inversement proportionnelle à la pente qui m’attend : je commence à avoir vraiment des soucis alimentaires… Difficulté à définir ce qui me donne envie dans ce ravito… Je bois un peu de jus de fruit, laisse tomber le bouillon (trop froid), tente deux tranches de salami, mais je sens que le cœur n’y est pas. Le soleil est par ailleurs sur le point de tirer sa révérence pour ne réserver ses attentions qu’à l’autre versant du Comapedrosa, du coup il fait vraiment froid. Je ne m’attarde par conséquent pas trop et entame ces bons 1000m de D+ du mieux possible, dont 900 D+ en 3 km… Je gère mon pas, cherche systématiquement la pierre qui m’évitera de trop solliciter les jambes en limitant la hauteur de la marche. J’ai beau m’astreindre à un rituel de gestes, rien n’y fait, je peine à avancer.

 

Après ce début d’ascension qui me rappelait le Grand col Ferret du Massif du Mont-Blanc, c’est un pierrier dans toute sa splendeur qui nous attend. Sente à peine visible, pierres de taille variable mais systématiquement contraire à celle que l’on souhaiterait, couloirs raides et glissants au point qu’il est nécessaire de poser les mains pour arriver, à quatre pattes, à progresser. Autant le dire tout de suite, les efforts nécessaires à la progression auront gagné par ko au 3e round contre mon estomac… J’ai en effet juste le temps de faire un pas en dehors de la piste pour voir repasser en sens inverse le maïs (qui ne poussera pas dans ce milieu hostile…), le thon (qui ne reverra de toute façon pas la mer…) et le jus de fruits du dernier ravito… Ce n’est pas le moment le plus agréable de la journée, mais l’événement a au moins l’immense avantage de me libérer d’un poids et de me sentir plus léger. En contrepartie, je sais que je ne suis pas près d’ingurgiter à nouveau quelque chose vu la sensibilité de mon estomac.

 

Le géant semble bientôt dompté. Il ne reste plus que quelques encablures pour entrer à nouveau dans la lumière du soleil qui me nargue depuis trop longtemps, là-haut, au col. Il se mérite, les glissades dans la poussière et les pierres ne se comptent plus, chacun a peur de partir à la faute et de dévaler la pente. Les chutes de pierres déclenchées par les autres concurrents sont légion et concourent à l’inquiétude. Enfin, le soleil éclaire mon visage, la chaleur et la lumière reviennent… pour mieux constater que le col ne marque pas la fin de la montée, mais que nous allons bien marcher sur le toit d’Andorre, à 2942m. Un dernier effort au son de la cornemuse – une tradition sur la Ronda del Cims à cet endroit – et je peux poser mes fesses quelques minutes pour admirer le panorama à 360° sous la clarté chaude de la fin de journée. Il m’aura fallu 2h30 pour venir à bout de ce mur.

 

La descente est à l’avenant, dans la caillasse. Le moins que je puisse dire c’est que pour moi qui aime bien la descente, je ne suis pas gâté dans cette course où les occasions de laisser aller les jambes et le corps dans la pente sont réduites à la portion congrue… Deux-trois épisodes de glissades sans skis plus tard, je rejoins le pied du Comapedrosa, la pénombre et de magnifiques lacs alimentés par les névés qui sont encore bien présents et me permettent de toucher la neige, petit rituel que j’aime observer en montagne. La luminosité est particulière, nous sommes comme attiré par l’échancrure de la montagne qui marque la fin de ce plateau, avec une lumière blanche, presque divine, qui se reflète dans le lac.

 

Une fois n’est pas coutume, la suite du sentier, jusqu’au ravito, est « roulante », c’est-à-dire qu’il y a possibilité de trottiner de temps à autre. Cela détend un peu les muscles. Le Refuge Comapedrosa est atteint après 14h30 de course. J’en suis au 50e kilomètre.

 

Afin de reposer un peu mon estomac, je décide de m’octroyer une petite sieste dans un dortoir. Ce sera une trentaine de minutes de somnolence agréable malgré une doublette de coureurs qui n’a pas compris que dans le concept de repos, il y avait une composante de silence qui peut se révéler assez plaisante pour les autres personnes présentes. Bref, ne pas s’énerver, de toute manière je ne tiens pas à partir pour la nuit de sommeil...

 

Incapable de manger ou boire, je repars dans le froid qui s’est installé avec la prise de pouvoir de la nuit. Veste sur les épaules, frontale allumée – un vrai phare de voiture, cette nouvelle lampe ! – et yeux écarquillés pour repérer les balises, je me lance dans cette étape nocturne. Il y a toujours un aspect irréel, magique, de la course de nuit. Les frontales des traileurs permettent de deviner le parcours, le ciel nous gratifie de pléthore d’étoiles supplémentaires que nous n’avons pas l’habitude de voir et une sorte de halo ouateux se crée, comme une bulle autour de la tête, par la grâce des rayons blancs de la frontale et de l’humidité ambiante.

 

Le sentier est relativement aisé, à travers champs pour ce que j’arrive à en deviner dans cette nuit sans lumière. Montées et descentes alternent avant d’entamer le toboggan herbeux, soit une descente à travers champs et tourbières sur trois kilomètres. Lorsque les pieds ne s’enfoncent pas dans le terrain spongieux, ils glissent ou se tordent sur d’énormes touffes d’herbe glissantes. Cela me rappelle un peu UT Côte d’Azur Mercantour, où j’avais déjà largement pesté… Ce n’est pas non plus la fin de l’étape qui va remonter mon degré de satisfaction vu que l’accès au Col de la Botella se fait par une piste de ski... Je l’atteins après 19h de course (60 km).

 

Il fait froid. Je prends tous les risques et me lance dans l’ingestion d’une soupe. Son seul avantage est d’être chaude, car elle n’a pas de goût. Dommage qu’ils ne connaissent pas le bouillon en cube, cela changerai totalement la perception de la pitance. Je me complais quelques minutes au coin du feu, mais l’immobilité n’est pas très bonne conseillère à ce stade de la course, au milieu de la nuit. J’attaque donc les quelques kilomètres en balcon qui vont m’amener au pied du dernier col qui me fera basculer dans la vallée de la base de vie.

 

Chacun passe le temps comme il l’entend, surtout la nuit où il est difficile de se divertir avec les paysages. Pour ma part, je me rends compte que des musiques s’imposent à moi, sans vraiment que je les choisisse. Un air trotte dans ma tête et y reste, tournant encore et encore (je ne parle pas de la chanson de Cabrel). Durant cette heure sans grandes difficultés, dans les bois, j’ai eu la visite de Souchon (« rame, rame, rameur, ramer,… » et « …on avance, on avance, on avance, tu vois pas tout ce qu’on dépense, faut pas qu’on réfléchisse ni qu’on pense, faut qu’on avance »), qui étaient assez à propos. J’ai aussi passé en boucle quelques chansons du top 5 de mes enfants (Henri Dès et Aldebert, mais aussi Calogero, plus en phase avec « Yalla » et « Face à la mer »), un ou deux Goldman (« J’irai au bout de mes rêves », « Encore un matin ») et, je n’arrive toujours pas à m’en expliquer la raison, Tina Arena, « Aimer, jusqu’à l’impossible, aimer d’amour invincible, c’est possible », que je n’apprécie pas le moins du monde… Peut-être la séquence des mots : impossible, puis possible, à l’image de ce que j’espère être cette course !

 

A force de ritournelles, je suis arrivé au pied du Col de Montaner, dernière montée importante avant la base de vie que j’attends avec impatience. La montée est sèche avant d’offrir, pour une fois, un sentier qui fait des lacets ! Tout arrive ! La fin du parcours se fait sur les crêtes, c’est un peu chaud à deux trois endroits, mais rien en regard de la descente qui s’annonce : raide, sur herbe glissante ou sentes pierreuses, droit dans la pente, sans parler de quelques liaisons avec des chaines pour passer des rochers. C’est un nouvel exemple de ces descentes tout sauf reposantes, voire dangereuses… Déjà de mauvais poil, je le serai encore plus lorsqu’il faudra remonter environ 150 D+ au milieu de la descente pour passer le Col Jovell et enfin fondre (façon de parler vu qu’il est difficile de vraiment tracer…) sur la Margineda, au km 73. Après 24h de course, je m’offre une bonne douche, me change et vais m’étendre une heure et quart pour dormir. Avant de repartir, le test : manger quelque chose. J’arrive péniblement à ingurgiter un peu de riz et du melon, ainsi qu’à boire un demi-verre d’eau gazeuse. C’est pas le Nirvana…

 

Après deux heures de break, à la limite de la barrière horaire, ce qu’un bénévole se fait fort de rappeler à tous les coureurs en parcourant la salle au rythme de « les coureurs de la Ronda ont encore 15 minutes pour partir »,  je reprends la route. Les deux premiers kilomètres étant plats et bitumés, je le fais en douceur, en discutant avec un coureur d’une des autres courses. J’entame plein d’entrain la montée raide de 600 D+ dans les bois. Il fait vraiment très chaud, même s’il n’est que 9h du matin. Nous sommes au point le plus bas du parcours, dans une sorte de cuvette. Néanmoins, je vais bien, je monte allégrement et régulièrement. Je double quelques concurrents, me fais difficilement rattraper par ceux des courses plus courtes. La base de vie aurait-elle eu des effets miraculeux ? Je redescends en trottinant pour atteindre une jolie cascade où je m’arrête un moment pour des questions… bref, je m’arrête !

 

Aurais-je perdu quelque chose durant mon arrêt ? Impossible de redémarrer correctement. Plus de jus. La pente n’est pas dure, mais elle ressemble à l’Everest… Je ressens la chaleur, l’absence d’énergie, le ventre barbouillé… Bon, pas d’affolement, juste se concentrer sur les pas, un devant l’autre, chacun me rapproche du but. Petit pointage inopiné où les bénévoles m’expliquent avec force de détails la suite du parcours jusqu’au ravito. Vu la qualité du balisage, je ne l’écoute que d’une oreille, je ne pense pas me perdre. Je descends en marchant, courir me rendant un peu nauséeux. Petite section dans un bois, de belles maisons en pierre abandonnées jalonnent le parcours qui remonte à présent vers le ravitaillement de Coma Bella, qui est un hôtel. Chaque pas ascensionnel me semble être réalisé à 8000m d’altitude, en dette d’oxygène. Je commence vraiment à cogiter et à m’inquiéter. Cela va faire 17h que je ne mange et bois presque rien, je n’ai plus de jus, la chaleur est écrasante et je pars pour une partie du parcours très exposée, en plein soleil, et sans rapatriement possible en cas d’abandon pour les trente prochains kilomètres.

 

Après 30 heures de course, je pénètre dans l’hôtel. Je m’assieds, tente d’évaluer objectivement mon état de forme et les risques éventuels. Durant ces quelques minutes de réflexion je me rends compte que je ne peux même pas envisager de manger ou boire ce qui est proposé au ravitaillement. J’ai décidé. Pour moi, l’aventure s’arrêtera ici, à mi-parcours. La perspective de monter le Pic Nègre en plein soleil compte tenu de mon intolérance à la nourriture et la boisson aura eu raison de mon envie de finir cette course. La proximité de la barrière horaire ne me laisse pas non plus vraiment la possibilité de reprendre tranquillement du poil de la bête. Tant pis, ce sera mon premier échec dans un Ultra de 170km, le premier échec d’un vrai objectif de l’année. Je rends mon dossard à la bénévole qui me fait encore hésiter en me disant que j’ai l’air tellement bien, mais non, je crois que c’est la décision de la raison, j’arrête.

 

Le retour sur Ordino se fait en mini-bus. Je reste barbouillé. Je suis triste mais convaincu. A l’arrivée, le vainqueur de la course achève son pensum. J’arrive en même temps que lui, sauf qu’il a fait tout le tour à pied, lui ! C’est impressionnant de l’imaginer déjà là. J’aurai au moins eu la satisfaction de voir, pour une fois, l’arrivée du vainqueur : on se console comme on peut…

 

 

J+1 : environ deux heures après l’abandon, j’ai pu recommencer à m’alimenter. Une sieste, un repas le soir, une nuit de sommeil, je me sens à nouveau bien. J’en profite pour accompagner des bénévoles sur un poste de ravitaillement. J’ai des fourmis dans les jambes, à défaut de courbatures… Je prends un peu d’eau et je pars à la rencontre des coureurs, en escaladant à l’envers leur antépénultième col. Je suis très bien, j’adore encourager les courageux encore en course, leur donner des infos sur ce qui leur reste à faire. J’atteins le Pas de les Vasques et discute avec les bénévoles qui ont passé la nuit sur place, puis je redescends pour aller à un autre poste plus loin et renouveler l’opération. Résultat de la journée, 25km et 1200 D+, et moult questions sur mon abandon...

 

 

J+7 : une semaine après mon échec, les ressentis se sont décantés et les regrets se sont clairement imposés. Certes, la raison commandait de ne pas insister, mais cela pourrait être le cas dans 90% des ultras, tant il est évident que l’effort demandé au corps est hors norme et qu’il nécessite des temps d’adaptation durant la course. C’est donc au niveau de la pensée positive que je dois aller chercher des réponses. Lors de cet abandon, je me suis laissé submerger par les risques et les aspects négatifs (plus de nutrition et hydratation, chaleur étouffante, parcours exposé, rapatriement peu aisé,…) au lieu de valoriser les aspects positifs (déjà la moitié du parcours réalisé, certainement la plus dure ; au prochain ravito, il restera moins de 70km, un gros tiers du parcours ; j’ai eu un regain de forme après la base de vie, c’est qu’il y a de la ressource, il faut laisser le corps s’adapter ; si je dois abandonner, il y a des refuges sur le parcours où je peux me reposer une ou deux heures avant de redescendre à pied, etc.).

 

Je retiens par conséquent deux leçons essentielles, qu’il me faudra mettre en application dans les prochaines courses :

1) je dois faire un bilan objectif des points négatifs et positifs avant de prendre une décision et

2) il est interdit d’abandonner à un ravitaillement où je me trouve (sauf blessure), je dois repartir pour la prochaine étape et je reviendrai sur mes pas si cela ne va vraiment pas.

 

Le corps humain est une magnifique machine qui s’adapte à tous les terrains et à toutes les situations. Malheureusement, le conducteur n’est parfois pas à la hauteur… une fois n’est pas coutume !

4 commentaires

Commentaire de arnauddetroyes posté le 24-08-2016 à 00:16:30

j ai un copain qui a comme toi dut arrêter,pour la chaleur,la fatigue,une chute et il a été le dernier à devoir abandonner sur cette course.Il m a explique que l idée d être si pret de la dernière bh la dissuade de continuer.Le parcours est vraiment dur et rien que de s incrire à la ronda c est deja quelques chose d énorme.Merci pour ton CR et pour la belle partie que tu as deja faite.

Commentaire de sonicronan posté le 24-08-2016 à 12:38:01

Bravo pour ton récit. Et je pense que tu as beaucoup appris de cet arrêt prématuré. C'est bien d'écrire là-dessus et rappeler de temps en temps à quel point on puise loin dans les ressources.Je pense que cette course est l'une des plus dures qui existe dans ce format (voire la plus dure). Il faut vraiment l'avoir dans la tête et ne jamais se laisser envahir par le doute. J'ai personnellement eu beaucoup de mal sur la section pic nègre, pas de la case. Mais l'arrêt au pas de la case m'a fait du bien. Il faut que tu y reviennes et ça ira mieux.

Commentaire de AldeBleau posté le 22-10-2017 à 22:13:19

Belle leçon de trail !
Il est clair que, au-delà de notre forme du moment, c'est le mental qui dirige..
Donc, "on a la main" dans la grande majorité des cas !
Une soupe chaude, un beau paysage, le sourire d'une bénévole, la tape amicale d'un camarade de course tout aussi hésitant...et on repart, doutes et douleurs effacés,
batteries rechargées, regard sur l'horizon des crêtes...

"Tot dret!"

Commentaire de --- posté le 28-05-2018 à 16:09:03

Merci pour ce beau CR. Ta réflexion sur la décision d'abandonner est intéressante.
A quelques semaines de la ronda c'est bien utile.

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