L'auteur : Kevinkikour
La course : Trail Hivernal de Moncontour - Ménestrail
Date : 6/12/2015
Lieu : Moncontour (Côtes-d'Armor)
Affichage : 2257 vues
Distance : 25km
Objectif : Pas d'objectif
Partager : Tweet
4 autres récits :
Rien qu'le nom vaut l'détour. "Menes", en breton, c’est un mont ; "Trail", en anglais, un sentier. Menestrail, un mélange de breton et d'anglais, une course pour petits et grands bretons quoi1 !
Ça se passe à Moncontour, charmante cité médiévale des Côtes-d’Armor, dont la population varie de 900 âmes en temps de paix à plusieurs milliers d’esprits frappés pour ce week-end de décembre. Ce qui rassemble ces hurluberlus, ce sont des courses pour enfants, dénommées ministrails, et des courses pour grands enfants, étalées sur deux jours :
Parce qu’il y en a qui ne veulent pas choisir entre fromage ou dessert, des défis permettent d’enchaîner deux courses : Le P'tit Défi (Crapahute + Menestrail) et le Grand Défi (Cambrousse + Grand Menestrail). Et puis il y a les lichoux2 qui se font leur propre menu: Pour moi, ce sera une Cambrousse samedi soir et un Menestrail dimanche matin, s'il vous plait. Un Moyen Défi quoi !
Mais pourquoi s'inflige-t-on tout ça, don'1 ? Personne ne nous oblige à le faire, non, c'est sûr, mais personne non plus ne nous empêchera de le faire, inch'allah3 ! Pour un parisien interdit de rassemblement, l’exil en province est devenu la seule solution pour participer à une course. Les parcours s'annoncent séduisants, avec de beaux ratios de dénivelé. Comme quoi, y a pas besoin de montagnes, il suffit d’avoir des côtes et des idées. Et puis, j'aime bien enchaîner les courses, on reste dans l’ambiance, c’est sympa, enfin, tant que les jambes suivent…
La météo annonce du temps sec et froid le samedi, de la pluie le dimanche et beaucoup de vent tout le week-end. Des conditions particulières mais après tout, si on les prend une par une, où est la difficulté ? Le froid ? Bah y a qu'à courir pour se réchauffer. Le vent, la pluie ? Bah y a qu'à prendre une veste. La nuit ? Bah y a qu'à prendre une lampe frontale. La boue ? Bah c'est bon pour le teint.
Ce sera mon premier trail nocturne, avec une préparation anesthésiée par les événements, si j'ose dire... Bref, je pars à l’abattoir, mais avec enthousiasme.
Samedi soir, c'est dans la Cambrousse qu'on va se promener. On nous passe les consignes : Des balises réfléchissantes sont positionnées tous les cinquante mètres ; comme barrières horaires, faudra pas dépasser trois heures au vingtième kilomètre. Dans l’absolu, c’est large, mais sur le moment, j’me dis que c'est justik4, va pas falloir se perdre en route, que c’est1 ! J’envoie ma maison avec moi5 : dans mon sac à dos, à boire, à manger, des vêtements secs, une loupiote de rechange et une couverture de survie, des fois que j’parte a dreuz6 ou que j’me ramasse une attaque poulout7 au milieu de nulle part.
Au départ, fait frisket8 et les nuages se font menaçants. Un p’tit tour dans la ville, quelques embouteillages pour gravir des marches et nous voilà lancés dans des ribinou9 pour de longues heures. Très vite, c’est chaud qu’on a10, j’me mets bras nus pour moins transpirer. La transpiration, c’est l’ennemie du coureur hivernal, ça fait perdre de l’eau pour rien, ça mouille les vêtements et au final, ça donne froid. Au premier passage boueux, y a un poquesse11 qui cherche sa godasse dans le lagenn12. Çui-ci n’est pas rendu13, ma doue14 !
Après trois quarts d'heure, il commence à faire sombre, les frontales prennent le relais. Gast15, y en a qu'ont des projecteurs sur la tête, on dirait qu'il fait jour à côté d'eux. Moi, j'éclaire juste mes pieds et quelques mètres devant, je compte bien économiser mes batteries pour tenir toute la course. Lorsque le terrain permet de relever les yeux, le chenillement des halos des coureurs offre un joli spectacle de lumières. J’avais jamais porté une frontale plus d’une heure, on l’oublie vite en fait. Faut juste aller moins vite et rester concentré, on n'a que quelques secondes pour anticiper les prochains pas. Le monde se résume aux quelques mètres devant nous, ça crée une sorte de bulle dans laquelle je prends peu à peu mes aises.
Au premier ravitaillement, neke tom16 quand on s’arrête, un p'tit thé chaud et ça repart ! Sur le parcours, des sentiers en forêt, des passages à découvert bien venteux, des montées, des descentes, des ruisseaux, de la boue, du vrai trail comme on les aime quoi ! Tiens, c'est-y pas un hibou qu'on entend là-haut ? Hopala17, je manque de faire mon glaouch18 en trébuchant sur des racines. Relâchement interdit, j’ai compris. Faut dire aussi qu'avec une seule source lumineuse, on ne voit pas très bien en relief.
Une fois, le ruisseau, c’est même plus qu’on doit le traverser ; le ruisseau, c'est le chemin ! Ça rafraîchit bien les doigts de pieds... Plus tard, c'est dans une pataugeoire de boue qu'on essaie d'avancer. Je crois que je préférais le ruisseau. Si je me rappelle du profil, on devrait bientôt attaquer la dernière grosse côte avant le deuxième ravitaillement. Le problème, c’est qu’on passe notre temps à monter et descendre. Est-ce qu'on monte plus qu'on descend en ce moment ? J'en sais rien, je compte plus. Vers trois heures de course, je sens poindre un début de crampe au niveau de la cuisse. Gast, ça sent pas bon, ça !
Hamdoullah19, bientôt c’est du reuz20 qu’on entend, le ravitaillement n’est pas loin, que c’est ! Une tisane maison délicieuse nous y attend, j’en reprends plutôt deux fois qu’une. J’ai décidé de faire mon gouelle21 à tous les ravitos, c’est pas cinq minutes qui vont changer kek’chose. Une demi-heure plus tard, en enjambant des espèces de talus, la crampe que je soupçonnais se manifeste. Gast ar ch'ast15, ça fait mal ! Plus moyen de lever la jambe. Bon, pas d’affolement, j’me mets à marcher, je bois beaucoup et deux minutes plus tard, c’est reparti comme en 14. Ça m’apprendra à m’entraîner correctement, ma doue beniguet22! Saletés de terroristes !
Peu après, on aperçoit enfin les lumières de la ville. On descend à l'aide de cordes jusqu'au clou du spectacle : Un tunnel étroit sous un pont avec de l'eau jusqu'aux mollets. Bon, c’est moins impressionnant que sur l'affiche, mais c’est assez original, et puis ça nettoie les chaussures. Ensuite, on revient sur du bitume pour remonter la cité. À ce moment-là, j'ai l’impression de retrouver la civilisation après dix ans d'absence, désorienté avec toutes ces lumières, sans idée aucune de l’heure qu’il peut être. Ma bulle vient d'éclater.
Juste avant l’arrivée, ce n’est pas de la boue qu'il faut traverser, c’est un champ de bataille, c’est le chemin des dames oui ! En sortant du bourbier, c’est l’autre cuisse qui se ramasse une crampe. Puten ch’ast15, laissez-moi finir, don' ! J’arrive quand même à trottiner jusqu’à l’arrivée dans le gymnase en 4h15. C’est pour demain que je m’inquiète, que c’est. Du coup, massage rapide des cuisses, une soupe et da gousket23 !
Dimanche matin, après une bonne nuit de sommeil, cap sur le Menestrail ! Un crachin breton nous y attend. C’est plutôt dans la première moitié de la course qu’on est censé morfler, je pars doucement pour ne pas tenter le diable mais ne me parlez pas de décrassage ! C'est quand même plus facile quand il fait jour, et puis on profite un peu du paysage, j’avais oublié que ça existait, tiens !
On atteint le Col du Mont Bel-Air, point culminant des Côtes-d’Armor, à l’altitude incommensurable de 339 mètres... Sans intention aucune de prêcher pour ma paroisse, c’est dans le Finistère que se situe le sommet de Bretagne, au Roc’h Ruz24, à 385 mètres, bien que le Tuchenn Kador25 n’ait pas digéré son récent détrônement pour vingt centimètres.
Le ravitaillement est donné dans la chapelle-même26, avec des dames en coiffe à l’intérieur. Pour la laïcité, on repassera, mais pour le folklore, on est servi ! Y a un peu moins de lichouseries2 qu’hier, j’ai connu le bon dieu plus généreux. Certains zappent carrément le ravitaillement, trop pressés ou mécréants qu'ils sont.
Dans la descente, y a des passages dans les bois vraiment kiffants, j’en oublierais presque mes jambes de plomb. À d'autres endroits, faut faire attention de tomber27, que c'est. Hopala Chapalain17, j’aurais mieux fait d’me taire, je glisse dans une descente et j’me ramasse sur les fesses. Neke grav’28, ça amortit.
Au bout de deux heures, je commence à avoir un coup de barre, ça devient torr penn29 tous ces sentiers qui n'en finissent plus ! Les compteurs affichent plus de 22 km, j'espère qu'on n'a pas embrayé sur le parcours du 54, gast ! Finalement, on aperçoit enfin quelques pâtés de maisons, l'arrivée se profile, ouf ! On retrouve le chemin des dames d'hier soir, mais cette fois, vu qu'c'est la der des ders, j'y vais fleur au fusil. L'armistice est signé en 2h35.
Hopala, j’apprends qu’Adèle remporte le Menestrail et finit 2ème du P’tit Défi. Perso, je suis dans le ventre mou des deux courses mais je m’autoproclame premier et dernier finistéro-parisien du Moyen Défi.
Une fois les pieds au sec, je suis complètement skuiz30. Pourtant, il me reste une course contre d'autres barrières horaires, celles d’un bureau de vote. Hélas, les trains manquent parfois eux aussi d'entraînement. Il me reste à soigner mon mal de front par des kebabs au beurre salé et mes crampes régionales par des krampouezh31 au sarrasin, inch'allah beniguet32 !
Ça devient un lieu commun de remercier les bénévoles, mais quand je pense à toute l'organisation, à toutes les balises posées, à toutes les cordes accrochées, à ceux qui restent attendre les coureurs dans la nuit et le froid, je me dis que ce ne sont pas forcément ceux qui passent la ligne d'arrivée qui ont le plus de mérite.
Verdict : Le trail nocturne, c’est vachement chouette ! Ça crée une ambiance féérique, et comme on n'a pas tous la chance d'être nyctalope, c'est curieux de constater comment les autres sens sont décuplés pour compenser la vue. À un moment, je suis presque certain d'avoir entendu le loup, le renard et la belette, même que le loup et le renard chantaient… Par contre, c'était vraiment trop crado pour la blanche hermine, elle est restée ce matin devant la haie de son champ. Encore heureux qu'il ne fît pas trop froid parce que quand l'hiver viendra, la jument de Michao elle s'en repentira pour avoir mangé tout le foin avec son petit poulain. Gast, mon récit part en distribil33, j'en arrête là sinon y a des pikez34 qui vont penser que j'ai viré drôle35.
Petit guide pour s'y retrouver avec toutes ces bretonneries:
1Quoi / Don’ / Que c’est : Marques de ponctuation à la fin d'une phrase
2Lichou : Gourmand / Lichouseries: Gourmandises
3Inch’allah : Si Dieu le veut (en breton du Moyen-Lorient)
4Justik : Ric-rac
5On n’emmène pas quelque chose, on l’envoie avec nous !
6A dreuz : N’importe comment
7Une attaque poulout : Un accident vasculaire cérébral (avouez que ça a moins de charme en français)
8Frisket : Froid
9Ribinou : Petits chemins
10C’est chaud qu’on a : Inversion syntaxique typiquement bretonne (ça aurait influencé Maître Yoda)
11Un poquesse : Un malheureux
12Le lagenn : Le bourbier
13Çui-ci n’est pas rendu : Celui-ci n'est pas arrivé
14Ma doue! : Mon Dieu !
15Gast / Gast ar ch'ast / Puten ch'ast : Mots pas très polis, en gradation ascendante vers la stupéfaction
16Neke tom : Fait pas chaud
17Hopala : Marque l'étonnement ou l'admiration / Hopala Chapalain : Renforce le hopala par une référence historique
18Glaouch : Maladroit
19Hamdoullah : Dieu merci (en breton du Proche-Lorient)
20Du reuz : Du bruit
21Une gouelle : Un goinfre
22Ma doue beniguet! : La traduction littérale en "Mon Dieu béni !" ne restitue pas suffisamment la vigueur de l'expression, je ne vois comme équivalent que le "Oh my fucking God !" grand-breton
23Da gousket ! : Au lit !
24Roc’h Ruz : Roc Rouge
25Tuchenn Kador : Tertre du Trône, d’où le jeu de mots foireux
26Dans la chapelle-même : Vraiment dans la chapelle, pas à côté quoi !
27Attention de tomber! : En français, on dirait "Attention de ne pas tomber !" mais on n'aime pas trop la forme négative
28Neke grav’ : C'est pas grave
29Torr penn : Casse-pieds
30Skuiz : Fatigué
31Une krampouezh : Une crêpe
32Inch'allah beniguet : Mélange chelou traduisible par "Si le bon dieu le veut bien" et exprimant l'idée qu'il n'y a pas de langue sacrée, qu'il n'y a que des mots qu'on pioche un peu partout parce qu'on les trouve agréables à l'oreille
33En distribil : En grand n'importe quoi
34Une pikez : Une mauvaise langue, une chipie
35Virer drôle : Devenir fou
Accueil - Haut de page - Aide
- Contact
- Mentions légales
- Version mobile
- 0.18 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !
2 commentaires
Commentaire de The Breizh Runner posté le 22-12-2015 à 10:25:52
Bravo pour ton Moyen-défi !!! Le Breton que je suis à apprécié ton récit !!
Commentaire de les machine-gônes posté le 22-12-2015 à 18:45:30
Mieux vaut s'exiler à l'Ouest, au moins tu n'as pas fini avec les "jambes en pate à quenelle"...
Superbe récit, merci.
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.