Récit de la course : Les Templiers 2014, par ilgigrad

L'auteur : ilgigrad

La course : Les Templiers

Date : 26/10/2014

Lieu : Millau (Aveyron)

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Distance : 73km

Objectif : Terminer

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récit de la Grande Course des Templiers 2014

Vu que depuis deux mois je n’avais trouvé ni le temps ni l’envie de m’entraîner un peu sérieusement, je n’allais pas me mettre la rate au court-bouillon pour tenter de faire un chrono sur cette dernière grande course de l’année. J’ai été un peu gourmand et j’aurais dû m’arrêter à la TDS mais puisque je m’y étais inscrit, il fallait bien aller courir ma quatrième Grande Course des templiers. Mon planning d’entraînement depuis la fin du mois d’Août fut plutôt erratique; entre la fatigue, l’absence de motivation, les petites élongations et les coups de froid automnaux, je n’ai pas mis le paquet pour préparer ma course; Peu ou pas de dénivelé pendant mes sorties qui n’étaient pas vraiment longues, aucune séance de travail en côte ni même d’endurance de force sur un elliptique; j’avais pris trois ou quatre kilos depuis ma dernière course, bref je suis arrivé frais en touriste à Millau.
J’ai pourtant failli passer mon weekend à la maison. Anne qui projetait avant l’été de courir la Mona Lisa avait cédé son dossard après avoir enchaîné sans succès les consultations chez tous les ostéopathes, kinésithérapeutes, étiopathes et mésothérapeutes de la ville. Elle avait souffert successivement du genou, de la hanche et de la cheville, n’avait pas vraiment couru depuis au moins trois mois et avait épuisé toutes ces chances d’envisagé autre choses que quelques semaines supplémentaires de repos. Fred qui devait nous accompagner en Aveyron pour se frotter à son premier Marathon des Causses restait incertain lui aussi, suite à une douleur qui le gênait depuis le début du mois. Il suffisait qu’une météo peu engageante soit annoncée et l’affaire eut été pliée.
L’application météo de mon smartphone affichait en début de semaine une guirlande de soleil pour le weekend qui allait suivre et nous sommes partis le vendredi matin pour rejoindre Millau.
Fred et moi avons récupéré nos dossards le vendredi en fin d’après-midi sous un des chapiteaux installés au bas du Domaine de Saint-Estève. Je l’ai déjà écrit mais chaque année cela me surprend encore : découvrir ce coin de Millau le dernier weekend d’octobre pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas le Trail doit relever de l’expérimentation ethnologique; cette concentration de Trailer qui ferait passer Chamonix fin août pour une station balnéaire, est un peu effrayante; ce n’est plus tout à fait une communauté, c’est une secte. Même Théophile qui nous accompagnait, s’inquiétait de savoir si son dossard lui autorisait ou non l’accès au sas élite du “Kinder trail”. Anne a cédé, avec regret, le sien à un jeune homme, avec l’accord bienveillant des organisateurs. Nous avons dîné copieusement chez Kat & Co, un excellent petit restaurant que nous avions découvert l’année précédente. J’ai arrosé mes pennes aux épinards d’une excellente bière aveyronnaise et nous sommes retournés nous coucher auHameau Fleuri, le petit gîte dans lequel nous avions pris nos quartiers, sur les hauteurs de Millau, le long de la route du Causse Noir.
Nous sommes redescendus sur le domaine de Saint-Estève samedi matin en marchant sur le GR que suivrait chacune des courses avant la ligne d’arrivée. Je voulais aussi vérifier si le trajet que je devrais emprunter le lendemain avant l’aube pour rejoindre, à la frontale, la ligne de départ n’était ni trop long ni trop escarpé. Fred a dévalisé la charcuterie Cahuzac, monument de “l’espace restauration”, et nous nous sommes, lui, Théophile et moi gavés de jambon cru, de saucisson, de boudin noir et même de frittons de canard. Il me restait moins d’une journée pour tout digérer; lui prenait le départ du Marathon des Causses une heure plus tard.
Il est parti sous le soleil, dans le premier tiers du peloton, bien résolu à passer sous la barre des 4h30. Nous l’avons encouragé et j’ai entrepris de conduire l’échauffement de Théophile avant qu’il ne s’élance dans sa course. Ils étaient près de deux cents Palawans de neuf, dix et onze ans à s’agglutiner sous l’arche de départ. Un peu intimidé, Théophile est resté un peu en retrait. Quand ils sont partis, comme des balles, Il a mis quelques secondes avant de franchir la ligne. Il était enfermé dans un groupe de coureurs plus jeunes et moins rapides qu’il ne parvenait pas à doubler. Il a finalement réussi à s’en extirper à 500m de la ligne et à courir tout son saoul jusqu’à la ligne. Il aura couru ses 1,5km en 6’47″, soit un peu plus de 13km/h. Il était ravi de sa 45ème place et très fier de sa médaille.

médailléle médaillé de Sainte-Estève

Nous sommes ensuite montés sur le Causse pour y encourager Fred à son passage au ravitaillement du Cade. J’aurais aimé que cette fin d’après-midi au milieu des pins, au bord des gorges de la Dourbie, dure des heures. C’était un moment délicieux que de regarder passer les derniers coureurs, épuisés, de la Mona Lisa et les tous premiers concurrents du Marathon des Causses. Fred a mis 4 heures pour rejoindre le Cade. Son objectif serait difficile à tenir mais il semblait plutôt bien classé et surtout très en forme. Aussitôt après qu’il nous ait quittés nous sommes redescendus encore une fois à Sainte Estève pour l’accueillir sur la ligne d’arrivée. Il la franchira en 5h26, à la 353ème position avec des étoiles dans les yeux tant il était ravi de sa performance.
Retour au Gîte et dîner sobre en dépit de l’envie de Fred de retourner fêter sa course chez Kat & Co. Il eut fallu réserver et nous avions oublié de le faire. Comme tous les autres restaurants de la ville promettaient eux aussi d’être bondés, je me suis retrouvé avec des pâtes et de l’eau pour toute pitance.
J’ai préparé mon sac et vérifié une dernière fois ma tenue de course. Riot 5 au pied, cuissard Skins surmonté d’un bermuda Lafuma, un T-shirt zippé Lafuma et des manchons de bras Gore que j’avais acheté chez Team Outdoor, comme la plupart de mon équipement d’ailleurs. Un coupe vent jusqu’à la ligne de départ que je glisserai dans le sac quelques minutes avant de m’élancer; buff Kikourousur la tête et frontale Petzl Tikka. J’ai laissé la Myo dans le tiroir, inutile de s’encombrer avec une batterie trop lourde puisqu’il ne fera nuit que pendant deux heures, que je serai entouré de centaines d’autres coureurs, que nous monterons pendant une bonne partie de ce temps et que le reste se fera sur du plat. Je n’avais pas non plus prévu de terminer après que la nuit ne soit tombée et de descendre dans le noir du Pouncho d’Agast.
Je me suis couché avant vingt-trois heures et je dormais d’un juste sommeil quelques plus tard. Aucune angoisse n’est venue me tourmenter pendant la nuit et lorsque le réveil a sonné à 3h45, avec le décalage du passage à l’heure d’hiver, j’avais dormi presque six heures. J’ai avalé le reste du gâteau sport maison que Fred avait préparé pour son petit déjeuner de la veille et bu un grand thé chaud, je me suis équipé, j’ai épinglé mon dossard sur mon la cuisse gauche de mon bermuda, j’ai regardé les autres dormir et je suis sorti dans le froid. J’ai remonté la route du Causse Noir jusqu’à l’intersection avec le GR et, après avoir trois cents mètres, j’ai dû revenir au gîte pour prendre les bâtons que j’avais laissé dans le coffre de la voiture. Un acte manqué ? Un de mes bâtons était endommagé ; J’avais fixé un morceau de gaffer pour consolider la partie en mousse rouge que j’avais sectionnée pendant la TDS et qui s’échappait de la tige. Non seulement la poignée était devenue mobile autour de l’axe mais cela provoquait aussi des ampoules dans la paume de la main. J’aurais pu prendre les Leki que j’avais laissé à Anne, mais depuis que j’avais expérimenté ces bâtons de ski de rando sur les courses de montagne, je ne les quittais plus.
J’ai descendu la montagne en suivant le GR. J’ai adoré ces minutes sur ce sentier, seul dans le noir éclairé par ma seul frontale. Cela m’a rappelé ma nuit sur la TDS quand j’avais cessé de poursuivre le chrono et que j’avançais tranquillement dans la montagne comme enfermé dans une bulle de lumière. Je suis passé devant l’arche d’arrivée qui surplombait à distance, sombre et silencieuse, la zone de départ. Là, elle n’appartenait qu’à moi et je me suis imaginé, la franchir sous le soleil de l’après midi, acclamé par les spectateurs.
J’ai rejoint peu avant cinq heure la longue file de coureurs barricadés dans leur sas. Les minutes qui précèdent le départ d’une grande course sont toujours chargées plus que de tension, d’une forme de recueillement religieux. Les premiers communiants masquent leur inquiétude en tentant quelques traits et les abonnés aux longues courses affirment leur sage domination en exhibant négligemment le décompte de leurs derniers exploits. Ça donne ça :
« J’espère qu’ils ont pensé à installer un escalator au pied de la première côte.
- pas la peine, c’est beaucoup plus facile que toutes celles qu’on a eu pendant la troisième nuit du Tor des Géants. »
-
Je n’ai pas eu le temps de faire le malin. Ils ont balancé la musique et le ciel s’est embrasé. J’ai attendu ce moment pendant des semaines ; c’est un des éléments de la magie des Templiers. Là, la magie n’a pas opéré. Je ne suis pas particulièrement attaché au morceau d’Era, ce n’est pas mon genre, mais je m’étais habitué à ce cérémonial autour du départ et, je dois l’avouer, ça donnait un petit frisson ; j’étai ému. Là rien. Pas un poil ne s’est dressé sur mes bras. J’ai attendu deux bonnes minutes avant de franchir le tapis à partir duquel le chrono était lancé et nous nous sommes enfoncés dans la nuit.

départscène de guérilla urbaine

Je suis parti comme je l’avais promis en bout du bout du peloton, histoire de ne vraiment pas prendre le risque de me laisser aspirer et de partir trop vite. Inutile de forcer l’allure sur la route de Millau-Plage pour gagner quelques plages ; je me serais fatigué pour rien. Il y a avait tellement de coureurs devant moi que même en avançant à 15km/h, je me serais retrouvé bloqué dès la première côte.
Je connais par cœur une bonne partie du trajet. La toute première partie surtout. Après 2,5km on prend sur notre droite, la route qui monte légèrement en direction de Carbassas. 15 minutes pile poil. Je suis à 10km/h alors que les premiers ont dû s’envoler à 16km/h au moins. On atteint Carbassas 10 minutes plus tard. On n’a pas fait 4km, le faux plat nous a quelque peu ralenti. Pas de panique, je m’étais promis de rester en dedans jusqu’à Peyreleau. On traverse le Village puis on attaque l’ascension du Causse. Je ne reconnais pas le chemin qu’on avait emprunté lors des trois éditions précédentes. Est ce ma mémoire ou le parcours a-t-il effectivement changé ? Je monte les bâtons à la main en prenant soin de ne pas les utiliser puisque ils sont interdits pendant les deux premières heures. J’ai bien essayé de les accrocher sur mon sac mais, comme ils ne se plient pas, je prenais le risque d’embrocher quelqu’un avec ces pieux fixés dans mon dos.
6h10 – Je suis au sommet de la côte de Carbassas. 56 minutes de course dont un peu plus de 30 minutes d’ascension. On n’a pas encore parcouru 6km et la nuit s’étend encore au dessus du plateau. J’ai pris soin cette année de mettre des lentilles plutôt que des lunettes qui me posent des problèmes avec les frontales et la buée provoquée par l’ascension dans la fraîcheur matinale. J’avais souffert de porter des lunettes sur la précédente édition et ce fut abominable pendant la nuit sur la Maxirace. Sur la TDS en revanche, j’avais fait l’expérience des lentilles et même si je ressemblais à la fin à un lapin qui a choppé la myxomatose, ce fut plutôt concluant. J’ai continué à courir sans forcer sur le plateau et le jour s’est levé peu à peu.
7h10 – avec 15km ma vitesse moyenne sur le plateau n’est pas terrible. Un peu plus de 9,5km/h, je ne risque pas de me carboniser ; à ma décharge il a fait nuit pendant un bon moment et même si cette portion est globalement roulante, il y a tout de même un joli enchaînement de petites bosses qui constituerait un parcours vallonné en Ile de France. Je savoure ma première Pom’pote.
7h25 – 18 km, j’ai augmenté un chouïa mon allure sur les trois derniers kilomètres. J’ai profité d’un profil très légèrement descendant pour tourner à 12km/h. j’entame la descente vers Peyreleau. Je suis très relâché. Ça ne va pas très vite devant moi et il n’y a aucune pression qui me pousse à accélérer. A défaut de m’être suffisamment préparé, j’aurais au moins préservé mes cuisses jusqu’au premier ravitaillement.
7h54 – 21km. J’entre dans Peyreleau. Il y a davantage de spectateurs sur le bord de la route que lors des éditions précédentes. Sacrée ambiance. J’adore ça. Ces arrivés de « Tour de France » vous boostent le moral de façon incroyable. Je pointe au ravitaillement (21,5km) en 2h36. J’ai à peine vidé un bidon de boisson isotonique et je n’ai pas touché à mon eau. Je remplis mon bidon et le complète d’un sachet de poudre Effinov agrume. Je pioche quelques morceaux de fromage et un morceau de pain que je mange en marchant à travers les stands. 1351ème J’ai sans doute doublé quelques gars sur le plateau mais je suis incapable de quantifier cela.
Je reprends ma course aussitôt la zone de ravitaillement franchie. Je connais cette étape ; elle n’est pas très dure, ni techniquement, ni physiquement, ni moralement. Une petite bosse et hop, on est de nouveau sur le plateau, à deux pas de Saint-André. Comme tous ceux qui courent dans “le paquet”, je monte au rythme de ceux qui me précédent. Mon cardio ne décolle pas. J’avance en mode rando et je trottine lors dès que la pente s’infléchie. C’est déjà ma plus longue sortie depuis la TDS, mais ça va, je maîtrise mon sujet.
8h45 – 25km. On est de nouveau sur le plateau. La journée promet d’être belle et ensoleillée. Saint-André de Vézine n’est plus très loin. On est un peu trop en forêt à mon goût. Je préfère les passages aériens ou ceux en bordure des gorges. Progresser sous les arbres, on s’en lasse un peu. Je trouve même ce passage déprimant ; Il fait trop sombre et cette odeur de terre humide m’insupporte. Je pressens que le manque de sucre influe sur mon moral. Quand je broie du noir c’est que je suis au bord de l’hypoglycémie. Je laisse fondre sous ma langue une pastille de glucide au citron.
9h40 – Saint-André de Vézine. Second ravitaillement. 33km et 1353ème place. 4h22 de course. Je suis un peu en avance sur le temps de Fred lors de son passage au Cade dans la course de la veille. Je compare des choux et des carottes (le marathon des Causses et les Templiers) mais ces petits calculs occupent mon esprit. Je mange encore du fromage sur le ravitaillement. J’avais le souvenir que je pourrais y trouver de la charcuterie et, à défaut de jambon cru, un peu de saucisson ; mais il n’y a rien de tout cela. Je repars en espérant me refaire sur le ravitaillement suivant, à Pierrefiche.
Le tronçon qui sépare Saint-André de Vézine de Pierrefiche est sans aucun doute le plus majestueux de la course. C’est celui auquel je pense lorsque je rêve des Templiers. C’est aussi celui que les organisateurs exposent dans leurs photographies.

rajolRajol

Là encore je ne reconnais aucun des parcours des éditions précédentes. Celui-ci est plus difficile. On gagne une bosse supplémentaire entre Saint-André et la Roque. 3km après le ravitaillement, on atteint un petit village en cours de restauration : Montméjean. C’est charmant et très bobo. Il y a là un banc sur lequel je m’assiérais bien quelques instants pour admirer le paysage et laisser filer le temps. 4h51 de course et il faut remonter au dessus de la corniche de Rajol avant de redescendre sur la Roque. L’an dernier j’avais atteint Pierrefiche en moins de 6h20. Ça semble mal parti cette année. J’avais prévu de passer à la vitesse supérieure après Peyreleau mais je n’ai jamais trouvé la force d’accélérer.
On longe la corniche. C’est sublime. Les rochers, les terres âpres, les chemins pierreux, la vue sur les gorges. C’est sans doute trop aride pour ressembler au paradis mais je savoure ces pas sur les Causses.
10h38 – 39km. Rochers de Roques-Altès. Il ne reste plus qu’à descendre sur La Roque-Sainte-Marguerite, tout au fon de la vallée. J’accuse un coup de moins bien. Les jambes sont devenues plus dures ; j’ai épuisé la quasi totalité de mon eau et je sens que le reste de la course promet d’être plus long que je ne l’avais espéré. Je pensais arriver bien plus rapidement sur la Roque mais j’ai l’impression que la descente au dessus du ravin des Chenevières est interminable. J’avale ma deuxième Pom’pote, histoire de reprendre des forces et de retrouver le moral. On rejoint la Roque par le nord alors qu’on arrivait d’habitude par le sud. Ces petites pertes de repères me perturbent. Cela ne change pourtant (théoriquement) rien mais quand les choses ne se présentent pas exactement comme je les avais envisagées, j’ai besoin de quelques minutes pour reconfigurer le logiciel et m’adapter.
11h19 – 43km. J’entre enfin dans la Roque-Sainte-Marguerite… plus de 6h00 de course. Je suis très en retard et j’ai abominablement soif. Sans eau, le dernier kilomètre a duré une éternité. De nouveau les encouragements du public me remplissent d’énergie plus que n’importe quel pastille sucrée. C’est la fête dans ce petit village médiéval. Le soleil est au zénith ; les spectateurs sont chaleureux. Leurs sourires sont communicatifs. Je remplis mes bidons aux rampes à eau qui ont été installées près du pont sur la Dourbie. Je bois à m’en faire éclater le ventre et je repars à l’assaut du Larzac gonflé comme une outre.
Dans mon souvenir, la montée vers Pierrefiche est un moment pénible. Ce n’est pas excessivement long mais le premier kilomètre est un peu raide et on à un plein les pattes après la longue descente en plein soleil sur la Roque. J’avale une barre protéinée. Non seulement cela donne l’illusion de m’aider à reconstruire les fibres musculaires de mes cuisses pour cette grimpette et toutes celles qui suivront, mais en plus le gout Caramel-Chocolat est une tuerie. C’est un peu lourd et écœurant, comme avaler 300g de mousse au chocolat Michel et Augustin en plein effort et sous le cagnard, mais c’est terriblement bon et régressif.
12h00 – Je suis sur le plateau du Larzac. 45km. On est encore à 1,5km de Pierrefiche et je suis bien plus en retard que lorsque j’avais pour la première fois terminé les Templiers, en 2012.
12h13 – Pierrefiche, enfin ! 46,6 km en près de sept heures et une 1300ème position. J’ai repris quelques places pendant la longue descente. Quand je parviens à rester relâché, descendre est un plaisir. Je sais aussi que cela peut devenir une torture aussitôt que l’on est crispé ou que les genoux commencent à se manifester. Toujours pas de charcuterie. Je me console en grignotant du pain et du fromage. J’avale aussi deux gobelets de soupe agrémentée de vermicelles. Je m’assieds sur une margelle à l’écart du bâtiment qui abrite les tables du ravitaillement. La foule applaudie et encourage le fils, le mari, le papa ou le frère ; je laisse les coureurs défiler en buvant paisiblement un verre de thé sucré. Je sais que la partie qui s’annonce constituera le nœud de la course. Il faut logiquement parvenir frais à Pierrefiche car, contrairement à l’arithmétique du parcours, c’est là et pas au 37ème kilomètre que se situe la moitié des Templiers. Les meilleurs qui ont sans doute moins de déperdition, la situent peut-être un peu plus tôt ; à la Roque par exemple. Mais pour le commun des mortels et pour les derniers en particulier, les trente-cinq derniers kilomètres sont infiniment plus durs que tous ceux qu’ils ont parcouru jusque là.

Comme prévu, le segment entre Pierrefiche et Massebiau fut un enfer. Jusqu’au cinquantième tout allait pourtant pour le mieux. Certes, un peu moins de quarante-cinq minutes pour faire trois kilomètres et demi c’est un peu lent pour un coureur de marathon mais je profitais de paysages grandioses et j’aimais courir sur ces petits sentiers caillouteux. J’avais même commencé à jouer à mon jeu favori : Pacman. J’avais décompté vingt coureurs doublés et, parti comme je l’étais, ça n’allait pas s’arrêter. Les forces que j’avais reprises à Pierrefiche me donnaient des ailes. Le coup de boost que j’aurais voulu mettre à Peyreleau prenait forme ici. J’attaquais dans les descentes. Je volais et j’ai posé le pied au mauvais endroit. J’ai buté dans une petite souche qui émergeait sur le bord de la piste et j’ai fait un plongeon dans les buissons épineux qui bordaient le sentier. Ce n’était pas agréable mais ils m’ont évité de tomber plus bas, dans le ravin. J’ai atterri sur le dos. En me voyant partir j’ai contracté ma jambe et une terrible crampe m’a saisi aussitôt. Les coureurs qui arrivaient derrière moi sont venus me porter secours. Ils m’ont hissé jusqu’au bord du sentier et ont soulagé ma crampe. Je ne semblais pas m’être blessé alors je les ai laissé repartir. J’étais sonné. J’ai retiré mon sac et j’ai constaté qu’une des poches de mon Ultimate Direction PB à 140 boules avait été lacérée par les branches. Tout ce qui était à l’intérieur était éparpillé dans le fossé. Ma frontale gisait en pièce détachée ; le boitier d’un côté, les piles et le couvercle de l’autre. J’ai tout repris et l’ai casé tel quel dans la poche centrale. J’ai respiré un moment et j’ai pris le temps de déguster ma troisième Pom’pote. J’avais également flingué mon bâton. Il était tordu comme un arc et la mousse avait cédé.
Je suis reparti en marchant, désabusé. Des wagons de coureurs m’avaient dépassé et d’autres continuaient à le faire. Au bout de quelques minutes, j’ai recommencé à trottiner lentement. J’ai repris confiance et j’ai accéléré progressivement jusqu’à ce que je tape dans une autre souche et que je fasse une autre chute. Ce coup-ci je m’étais abimé l’avant bras. Pas grand-chose, une balafre noircie par la terre, qui saignait à peine. Autant dire que sur les descentes suivantes, j’étais un peu réfrigéré.
13h50 – La descente jusqu’au fond de « la cascade » (54km) a duré des heures. La Pom’pote n’y a rien changé. J’avais gâché mes chances de courir et je me suis mis à abhorrer ce parcours. En y réfléchissant bien, ces traces adhoc, qui s ‘écartaient des sentiers pour ajouter une bosse de plus et un peu de dévers là ou le chemin eut été plat, à quoi servaient-elles ? On avait taillé à la serpe pour donner davantage de difficulté à un parcours qui n’était pas particulièrement facile. Il restait des souches au milieu des traces et si on n’y prêtait pas suffisamment attention, Bing !, on finissait les fers en l’air.
Il fallait encore remonter sur le Larzac. J’étais cuit. J‘aurais voulu laisser tomber mais abandonner deux fois de suite quand Anne et Théophile sont venus jusqu’à Millau pour me voir arriver, ça ne se fait pas. Je glisse une nouvelle pastille de glucide sous ma langue en espérant retrouver un peu les forces qui m’ont échappé. J’essaie de téléphoner à Anne mais aucun réseau n’est disponible. Je veux lui dire de penser à m’apporter les bâtons Leki au ravitaillement du Cade car les miens sont inutilisables. Enfin presque. Ce sera un peu tard ; au Cade il ne restera quasiment rien pour terminer mais, dans mon état, disposer de bâtons sur lesquels je puisse m’appuyer ne sera pas un luxe.
15h00 – 60 km – Je suis de nouveau sur le plateau du Larzac, au dessus du Mona. Il ne nous reste plus qu’à descendre vers Massebiau. Je n’ai plus d’eau. Avec mes deux bidons, les segments de plus de trois heures étaient risqués ; surtout quand on n’avance pas aussi vite que prévu. Le Téléphone sonne. L’altitude a fait réapparaître le réseau. Elle propose de venir me retrouver à Massebiau. Je lui réponds que je ne préfère pas. Les voir à ce moment pourrait me donner la mauvaise idée d’abandonner alors qu’il me reste toute la montée vers le Cade que je sais particulièrement difficile. Par ailleurs, je ne peux recevoir d’assistance à ce point. Nous ne pourrions donc pas échanger nos bâtons. Il est peu probable que les commissaires de course soient aussi pointilleux sur le respect du règlement par les coureurs de fond de peloton que par les élites ; la course ne se joue pas avec moi et j’ai vu des gars puiser dans de grands sacs apportés par leur famille lorsque nous traversions la Roque, mais j’ai un principe : on n’adapte pas la règle. Comme il ne leur est pas possible de remonter au Cade s’ils viennent à Massebiau, je leur demande d’aller m’attendre au Cade. Si je compte une heure pour descendre et une autre pour remonter, je devrais y être vers 17h00.
La descente sur Massebiau fut sereine. Le plus dur de l’étape était fait. Il resterait bien sûr à remonter jusqu’au Cade mais j’aurai franchi la Dourbie et j’aurai repris de l’eau. On n’en finit jamais d’arriver. On entend la rivière juste au dessous de nous ; on la longe, on la sent, mais jamais on ne l’atteint. Une heure. Pour descendre du plateau et voir enfin le pont sur la Dourbie, c’est tout de même long pour à peine 300m de dénivelé
15h54 – Massebiau. 63,5km dans les pattes et à peine 2628 mètres de dénivelé. A peine plus que sur le Marathon du Mont-Blanc, et pourtant ces mètres là n’ont rien à voir. Ils comptent double. Il en reste encore mille à gravir et autant à descendre ; C’est dire si la course est loin d’être finie. Je suis 1462ème. J’ai morflé et je suis descendu dans le classement. C’était déjà pas terrible au départ mais la, c’est la claque. Ces dix-sept kilomètres interminables dans la pampa m’ont achevé. Heureusement je retrouve ces spectateurs qui me portent avec leurs cris et leurs applaudissements. Les coureurs qui franchissent le pont avec moi ont les traits tirés. Comme moi, ils ne sont pas au top. Des dizaines de gars et quelques filles sont assis sur le rebords qui fait face à la rampe à eau qui a été installée au pied de la montée vers le Cade. Ils récupèrent et discutent en attendant de trouver la force de repartir. Je remplis mes bidons et bois abondement mais je ne m’arrête pas. Je continue sur ma lancée pour avaler le plus vite possible le plus gros morceau de la course : l’ascension du Cade. Je prends ma dernière Pom’pote et je l’accompagne d’une barre de biscuit miel-sésame pour y puiser l’énergie dont je vais avoir besoin.
C’est parti. Je grimpe régulièrement. Je suis surpris par mon aisance à avancer sur ce chemin de croix. Le dernier quart est franchement alpin. On doit poser les mains, se tenir à des cordes. On n’avance plus. On fait la queue et on attend que celui qui précède celui qui nous précède face un pas. Je ne me plains pas. D’ailleurs personne ne se plaint. Personne n’espère plus gagner de place, on espère juste finir avant la nuit. On profite de ces pauses fortuites pour souffler et étirer ses muscles.
En atteignant la corniche, je retrouve Anne, Theophile et Fred qui m’attendent un kilomètre avant le ravitaillement. C’est génial de les retrouver là. Nous marchons puis nous trottinons ensemble jusqu’au Cade.
16h58 – Le Cade 67 km – 11h40 – 1371ème. J’ai repris du poil de la bête et quelques places pendant ce tronçon. C’est un peu inespéré mais il faut croire qu’à ce stade les autres ne sont pas plus en forme que moi. Toujours pas de Charcuterie. Ce sera le leitmotiv de mes ravitaillements. Je laisse filer le temps et les coureurs pour passer un petit moment avec Anne, Fred et Théophile. Je perds un bon quart d’heure et j’en profite pour changer de maillot. J’enfile ma première couche à manche longue. J’ai peur, avec la nuit qui arrive, d’avoir un peu froid. D’ailleurs je grelotte déjà. Mais ce n’est pas le froid. Je sais que c’est issu d’un processus nerveux. Mes nerfs se relâchent car je pressens que le plus dur a été fait. La tension qui m’avait tenu jusque là disparaît et je tremble comme si on venait de me sortir d’un bain dans un lac finlandais au mois de janvier. Je grelotte encore sur le chemin qui m’éloigne du Cade. Je dois me hâter afin de gagner un maximum de temps sur la nuit qui approche.

l'évadé du Cadel’évadé du Cade

Il ne reste plus qu’à finir. Je suis certain désormais de ne pas pouvoir faire mieux qu’en 2012. Je n’espère plus que de rapporter un maillot finisher à ma taille. Je n’ai plus de pression. Je me remets à trottiner de plus en plus vite. J’attaque bien dans la descente qui nous conduit sous le Pouncho d’Agast. Je n’espérais plus que mes jambes me permettent d’en faire autant à cette heure.
17h45 – Je suis le sentier en balcon qui serpente sous le Pouncho. La nuit tombe peu à peu. Face à nous, à l’ouest, le viaduc se détache majestueusement. Le soleil descend derrière lui. C’est sublime. Il fait suffisamment clair pour courir sans frontale. Je décide de la laisser au fond de mon sac tant que la nuit n’est pas complètement tombée. Les autres coureurs s’équipent peu à peu. Nous remontons vers le Pouncho. Enfin ! C’est un moment un peu technique mais à l’allure à laquelle nous progressons, cela n’est pas épuisant. Il faut escalader des rochers, s’agripper et poser les mains, tenir des cordes. Il fait noir, complètement. Je profite de la lumière des autres. Je n’ai pas de place pour m’arrêter et chercher ma lampe dans mon sac alors je continue à monter.
18h30 – Pouncho d’Agast – 71 km. Il ne reste plus que le dessert. Une dernière descente et c’est l’arche. Le problème c’est que je ne vois rien, que la file indienne dense s’est étendue au fur et à mesure que les coureurs atteignent le sommet et plonge en courant dans la descente. Je m’assied sur un banc et entreprend de fouiller dans mon sac pour y retrouver les morceaux de ma lampe. Sans éclairage, reconstituer une frontale à partir des débris que j’ai sous la main est un exercice compliqué. Je passe des minutes entières à retrouver comment clipper le boitier et son couvercle, enfermer les piles dans le bon sens. J’y parviens enfin. C’est en fixant la lampe sur ma tête que je réalise que j’aurais pu utiliser la lumière de mon téléphone pour y voir plus clairement. La fatigue m’a rendu moins lucide. Je sais que je devrai faire attention lors de cette dernière descente et faire en sorte de ne pas me blesser stupidement.
Je plonge moi aussi vers Millau. J’appréhende la remontée vers la grotte du Hibou, mais je la traverse s’en même m’en apercevoir. Trente minutes de descente ; ça va vite. On entend le speaker qui annonce les arrivées.
J’ai retrouvé mes jambes. Tout va bien. La fin est proche. Les lueurs au dessous de moi me sont celles de Sainte-Estève. J’accélère. J’aperçois l’Arche. Et des cris. Ceux des spectateurs qui accueillent leurs champions et ceux de Anne et de Théophile qui m’appellent, moi. Je prends Théophile par la main. Il m’entraine dans les marches qui précèdent la remontée sous l’arche d’arrivée. Il va un peu vite et je manque de tomber. Nous repartons plus doucement. J’ai franchi avec Théophile qui m’affichait un sourire qui s’étendait d’une oreille à l’autre. J’étais au fond du classement mais en le voyant aussi heureux que je termine et de récupérer ma médaille, ce n’était plus très grave.

finishers

finishers

19h19 – Millau – 14h02 – 1521ème. J’ai perdu un paquet de place en attendant au Cade et en remontant ma lampe sur le Pouncho d’Agast. Et alors ?
Je n’ai pas récupéré le maillot finisher que j’espérais. Il offrait cette année un hoodie Adidas gris un peu tristoune. D’ailleurs lorsque nous nous sommes retrouvés pour manger nos aligots saucisse au milieu des centaines d’autres « finishers » épuisés, Anne a trouvé que cela conférait un air très « Prison Break » à l’endroit

prison break
Prison Break

J’ai terminé ma course et j’en étais soulagé. Ce n’était pas celle dont j’avais rêvé mais j’étais encore enchanté d’avoir encore une fois traversé de sublimes paysages. J’étais content de terminer en profitant de ce sourire inoubliable de Théophile.
Je reviendrai à Millau l’an prochain. Anne a d’ailleurs réservé le gite dès notre retour à Paris. Peu importe le temps que je mettrai. J’espère non pas faire un meilleur chrono mais profiter pleinement de chaque instant de course. Eprouver du plaisir. Le bonheur de courir dans un endroit magique devrait suffire.

Nous sommes rentrés Lundi à Paris, après être retournés faire une petite ballade sur le Causse, avoir visité Montméjean et fait un dernier tour sur la corniche de Rajol.

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