Récit de la course : 24 heures de Saint-Fons 2004, par rodio

L'auteur : rodio

La course : 24 heures de Saint-Fons

Date : 10/4/2004

Lieu : St Fons (Rhône)

Affichage : 3667 vues

Distance : 60km

Objectif : Pas d'objectif

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Le récit

Saint-Fons, petit coin perdu du Lyonnais où se cotoient usines tubulo-fumantes, rails et chemins de fer surlignés de trains, terrain de football au flanc d'une jolie colline où vont guerroyer quelques chevaliers du kilomètre qu'on additionne. Sous les ramures bienveillantes d'un sapin centenaire et d'une rangée de peupliers à peine caressée de vent, vont se dérouler les 24 heures pédestres de Saint-Fons.

Je ne vous raconterai pas la globalité de la course, je lui ai fait quelques infidélités. Mais je peux vous faire quelques portraits, des vues de dos souvent, quelques profils, des entre-vues, il m'est même arrivé de voir comme si il n'y avait rien (à tel point qu'il n'y avait probablement rien).

L'avant-course est riche de rencontres. Le Mille-pattes, petit par la taille, mais haut en couleur, la mine de celui qui sait serrer les dents qu'il a bien alignées. Le Bruno Heubi, le sourire rare et la mine sérieuse. Le gentil Etienne (Marronnier)qui porte un si joli nom, à moins que cela soit son nom qui le porte. Yves 83, que j'ai du mal à remettre sur les rails de ma mémoire virtuelle de prime abord, mais dont les contours joviaux replacent en gare. Steve l'amerlo, l'oignon du 03 (Yves Chomont) au sourire carnassier de celui qui est venu pour dévorer la course, j'en passe, j'en oublie, yen a trop. Ca se bouscule d'un passé hérissé de montagne, noyé sous la pluie, charrié d'Arve en colère, de Sherpa déchaîné. C'est promis, je donnerai mon aide au chacal, à l'electron, à qui voudra supporter "le casse-pied". Et je m'éclipse, laissant la lune éclairer le futur théatre des 36 heures du championnat des trains de marchandise.

Retour le lendemain matin. Mêmes éléments de décor : trains indifférents et ferroyant dans un entrelac sonore, tintant encore aux vitres embrûmés des locaux motivés.

C'est parti. Le peloton s'ébranle, les muscles et les visages se tendent, la course pousse son premier cri. Les styles et tactiques de course s'affichent, mais vingt quatre heures d'effort auront raison de la plupart et seule une poignée de fiers Don Quichotte parviendront à chevaucher d'une traite cette rossinante mâtinée d'aliboron. Pour l'heure j'ai d'autres chats à fouetter et je me retire de nouveau. La nuit sera longue et mes poulains (chacal et electron) auront sans doute besoin d'un peu d'avoine amical jusqu'à potron-minet.

20 heures 45. Plus d'une dizaine d'heures que nos affâmés de kilomètres en série maltraitent corps et âmes pour nourrir leur passion. Emmanuel CONRAUX donne libre course à sa foulée efficace. Yves CHOMONT d'abord prudent lui emboîte le pas et les deux courent de conserve. Jean-Marc DEWELLE, alias Cyrano sort le fleuret et s'en va pourfendre les deux cent kilomètres.

Vas-y rodio, chausse les fumantes, va chercher un peu de plaisir.

Le chacal ayant refusé le festin prématurément (il y aura d'autres bombances), je branche l'electron et nous voilà sur un tempo de randonneurs sportifs à l'assaut des barres électroniques... Késaco ? Une technique, une méthode, une martingale, une façon de résoudre l'addition propre à l'ami electron. Fort d'un long passé d'arpenteur galopant, l'atome bonhomme s'agite par palliers. Il franchit les kilomètres comme d'autres des barres de saut en hauteur. C'est une façon d'avancer, de progresser, de passer des caps, toujours avec cette philosophie : je fais avec mes moyens et tout ira bien. Pour l'heure, il vient de toucher la barre des 70 km, et il vise celle des 82 km qui constitue son record de kilomètres effectués d'une traite. Nous avançons d'un bon pas et je ne doute pas qu'il pourra taquiner les 140 bornes s'il parvient à rester debout sans trop s'arrêter.

La nuit a pris le dessus, mais l'éclairage est tel que je peux vivre de l'intérieur les tressaillements de la course. Invariables et réguliers, Yves et Emmanuel se tiennent la main dans l'effort. Je repère certains numéros de dossards qui reviennent souvent et le Shadock est parmi ceux-ci. Hervé BEC va montrer un beau tempérament et surtout que l'union fait la force...

J'infidélise l'électron et me voici flanqué du Yoyo (Lionel PLANES) encore tout rayonnant de son tour du Mont-Blanc sur les ailes d'un ange. Yoyo vient de tordre le cou à son record des 100 km (moins de 12 heures) et s'est taillé un tableau de marche ambitieux qui doit l'amener aux alentours de 170 km. Je sais par expérience qu'ils sont peu nombreux les coureurs ou marcheurs à franchir la barre des 160 km en 24 heures dès le premier bond. Lionel n'est pas un compétiteur ordinaire. Il ne fait pas de doute qu'avec un entraînement digne de ce nom, Lionel se promènerait avec un gros palmarès. Mais Lionel est un amoureux de la vie, et les rigueurs de son plan se disputent avec l'envie de partager ou d'offrir. C'est le hic, c'est ça qui coince, qui ne passe pas bien. L'égoïsme du compétiteur qui est venu pour une besogne, c'est pas pour lui. Je ne sais pas trop quoi lui dire. Un 24 heures, ce n'est pas qu'une partie de guibolles qui grincent, d'arpions qui crient vengeance, de pâtes de fruit qui restent en travers. C'est un match avec soi-même. Pour en sortir vainqueur chacun a sa recette, mais dans les ingrédients il y a forcément "laisse tomber la gamberge, tu es là pour aligner du kilomètres, avance, oublie tes douleurs, accroche-toi, ne t'arrête pas". Les 24 heures pédestre, c'est un match de boxe contre toi-même. Tu te fous des gnons, et si tu réfléchis trop c'est toi que tu étends. Durant 24 heures, il te faut être un parfait égoïste, un "deux de tension", un "ma mère, connais pas". Chez les vainqueurs, pas de risettes. C'est un masque d'Armstrong en pleine ascension d'Alpe d'Huez qu'il faut porter. Plus tard, il sera toujours temps de rire au soleil.

Je laisse Yoyo à son walk-man, et j'emprunte quelques foulées à l'écrivain (Eric Bonnotte). Eric est un inquiet permanent, un cérébral. Un cérébral qui réussit dans les courses de longue distance, c'est assez rare. Eric le fait. Eric a même écrit un roman ! Des années que je n'ai rien lu. Je m'endors en lisant. Je vais pourtant lire son livre. Ce sera mon 24 heures à moi.

Eric est parti prudemment, conscient de l'ampleur de la tâche. Il a adopté une foulée économique, mais elle trahit la pratique des pentes en tout genre et je la trouve par trop bondissante. Un chamois perdu dans la vallée. Je le retrouve au bout d'une douzaine d'heures, assez préoccupé de son classement mais plutot gaillard dans son allure. J'essaie de le rassurer en allant zyeuter les classements pondus par l'organisation. Il occupe la 20 ème place, et son départ prudent lui promet une jolie remontée. Je laisse mon chamois s'éloigner en bondissant.

Après quelques kilomètres de nouveau en compagnie de l'électron, j'ai envie d'en savoir plus sur un marcheur efficace que j'avoue ne pas connaître, Willy Rigaux. Willy maintient un 8 km à l'heure qui peut lui permettre d'accrocher un 190 km final. Il me raconte son histoire belge (il habite tout près de Sedan). C'est son premier 24 heures véritable. Il est très sympathique et j'avoue qu'il m'impressionne (il m'en faut). C'est l'occasion d'être vraiment utile et de travailler pour l'avenir. Willy connait bien mes sources belges, et même s'il confond les français Gilles Letessier et David Régy, je sens qu'il ne s'agit ni d'un amateur, ni d'un véritable débutant. J'ai conscience qu'il peut faire un truc dès le premier et je sais qu'il ne faut pas le mettre en sur-régime. Nous allons traverser la course durant cinq heures tout en faisant connaissance. Je sais qu'il faut lui parler, mais surtout l'écouter. Que l'homme dans le dur est peu loquace. Je sais aussi que je ne veux pas aller au delà du petit matin, que j'abuse de la gentillesse du mille-pattes (j'ai rien à foutre là, c'est interdit tout ça), mais comme dit Poletti, je me fais plaisir !

D'après ce que je vois et d'après ce que je sais, j'essaie de le maintenir à 8 kilomètres à l'heure et à cette vitesse nous remontons les coureurs dans le dur, devenus marcheurs incertains, voire contrariés. Au coeur de la nuit, nous prenons le pouls de l'épreuve, mesurons sa difficulté.

Le circuit se dépeuple. Vaincus par la fatigue, les douleurs, le sommeil, les moins bien préparés sont partis se coucher. Les durs au mal, les durs à cuire, les tendus vers l'objectif, les remontés comme une pendule, les bandés comme un arc, bataillent encore avec eux-mêmes.

Emmanuel CONRAUX et Yves CHOMONT sont les seuls à courir sans véritable cesse. ROY, PELARDY et Cyrano DEWELLE parviennent eux aussi à fouler et nous ne les doublerons jamais. Michel POLETTI avouera trois heures de sommeil et il sait qu'il y laisse un possible 200 bornes. Hervé BEC m'impressionne. Soulevé, porté par la rayonnante Bibi, petit bout de femme infatigable et championne déjà reconnue, ils couplent les talents pour abattre les kilomètres. Hervé marche efficacement, et trouve la force de repartir et de nous mettre deux tours dans la nuit alors que Willy n'amuse pas la galerie. Si mon belge de Willy tient le coup et qu'il le prend comme support, il peut franchir la barre des 200 ! Pascal BRASSELET n'est pas seulement remarquable physiquement en Jésus ressuscité, il l'est aussi dans l'effort. En voilà un qui alterne avec bonheur phase de marche lente, et course plutot bondissante. Marcel MILLIN n'est peut-être pas dans un grand jour, mais c'est un tenace, un courageux, et désormais une valeur sûre de la discipline. Je suis intrigué par un numéro 78, qui s'obstine à courir coûte que coûte. Je m'étais dit qu'il faudrait que j'aille au devant de beaucoup d'interlocuteurs virtuels, mais je me polarise sur Willy et j'en oublie mes bonnes intentions. Plus tard, j'apprendrai que c'est Bruno Rouiller. J'ai vu sa performance finale. Chapeau monsieur Rouiller !!! Michel POLETTI nous double souvent, il est bien reparti. L'homme chaloupe sa foulée, une foulée assez proche de celle d'un marcheur qui accentuerait le mouvement. Michel pourrait devenir un fameux marcheur, comme Hervé probablement. Cyrano est en train d'écrire une jolie page perso, Jean-Marc DEWELLE va plier la barre des 200. Frédéric WHECLER arbore une belle jovialité et porte haut les couleurs UFO. Il court souvent et ne lâche pas prise. Yves 83 continue de marcher, courageux malgré un malaise vagal. Il faut qu'il s'inspire de la belle histoire de Cain.

Il va bientot faire jour, je vais devoir regagner mon château. Willy est sur de bons rails mais il va falloir qu'il fasse encore quatre heures tout seul. A ce rythme, il peut faire 190 et en faiblissant tout de même 185. Je le laisse vers 6 heures 10, au moment où Pitou (Olivier Forti) nous souhaite le bonjour. Olivier semble gaillard d'un premier épisode de 92 kilomètres effectué dans l'allégresse. Il frétille d'un futur américain qu'il est en train de construire avec enthousiasme. Je cours (une fois n'est pas coutume) un tour et demi avec lui et avec les premiers rayons, je file me draper dans l'oubli...

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