Récit de la course : La Grande Traversée des Mélèzes - 58 km 2010, par Clemafran

L'auteur : Clemafran

La course : La Grande Traversée des Mélèzes - 58 km

Date : 25/7/2010

Lieu : Beauvezer (Alpes-de-Haute-Provence)

Affichage : 3047 vues

Distance : 58km

Objectif : Pas d'objectif

5 commentaires

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Courir est aussi affaire de mental...

Dimanche 25 juillet. Beauvezer...7h du mat. 
Les traileurs sont impatients d'aller en découdre avec la montagne...les organisateurs prodiguent leurs recommandations en insistant particulièrement sur le respect des lieux car le parcours traverse un secteur très protégé du Parc National du Mercantour.SP_A0305




Bien qu'il fasse relativement doux, des frissons me gagnent...je me détends en me remémorant l'agréable trajet de la veille, en moto, la visite de la pittoresque ville fortifiée de Colmars... 

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 Le tracé commence en remontant la vallée du Haut-Verdon. Dès le départ, j'adopte un rythme tranquille, car aujourd'hui, il y a 58 km et 3200 m de dénivelé...à ce jour, mon plus beau défi sportif. je n'ai jamais couru en montagne et ma distance maxi est à ce jour de 46 km.  

Je ne me sens pas en grande forme...le temps de passage au premier ravitaillement (5,5 km; 150 D+) en 31 min me rassure un peu mais comme on dit, j'ai pas de sensations!

 

Première longue montée (850 D+) sur une large piste forestière; les concurrents sortent leurs bâtons.SP_A0307

 

Je reste dans un rythme très posé, alternant les relances en trottinant et la marche rapide...On traverse des clairières où l'herbe est très humide...les coureurs de tête ont dû détremper leurs chaussures!
Puis la trace serpente en lacets nerveux avant une magnifique plongée vers le pont de la Serre et le second ravitaillement. Nous sommes 5/6 coureurs et je reste facilement dans le rythme du premier qui dévale les pentes sous une très belle futaie. Les herbes hautes masquent souvent la trace et il faut se méfier des racines et des zones de ruissellement...mais je prends un réel plaisir dans cette descente, en utilisant au mieux les bâtons pour m'équilibrer dans les virages très serrés. Ils sont très utiles aussi pour avaler d'une foulée bondissante les troncs et les obstacles.

Remontée par une large piste, puis un sentier sur la rive gauche de la Serre..
au loin, j'entends le grondement sourd d'une cascade...

Cascade que bientôt nous dominons...je veux prendre une photo et là, c'est le "drame"! En fait, c'est moi qui vais faire la cascade...
cascadelance1Je trébuche contre mes bâtons et tombe vers le ravin...l'idée de ne surtout pas lâcher le téléphone portable traverse mon esprit...puis je ressens une douleur étrange dans la main droite...horreur, je n'ai plus que 4 doigts!!!

En fait, le majeur est totalement luxé, les secondes et troisièmes phalanges forment un bel accent circonflexe! Sans vraiment réfléchir, par instinct sans doute, d'un coup sec et franc, je tire sur le doigt et le replace dans son axe! 
Je reste quelques secondes tout éberlué de n'avoir pas eu trop mal...pendant ce temps, les coureurs poursuivent quelques mètres au-dessus de moi...aussi je me remets peu à peu dans leur sillage....

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Un peu plus haut, après une belle montée dans ce pierrier, en saisissant un bidon, le doigt repart en vrille et se met encore en accent circonflexe...là, je me dis que la course est fichue car comment poursuivre sur 45 km si je ne peux me servir de la main droite...L'articulation est complètement nase! Mais je ne veux pas renoncer. 

 

Le tracé nous fait quitter la belle forêt et nous entrons dans la zone d'estive...SP_A0309

Cabane de Lignin

 

 

Je double le berger qui monte avec son âne pour abreuver ses bêtes...Malgré la gêne que représente ce doigt invalide, je fais une photo...

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Devant nous s'étire un vaste plateau, une steppe  herbeuse époustouflante de beauté...
les concurrents pastillent ce merveilleux panorama, mais tout coureur devrait savoir que la contemplation a ses limites...que l'équilibration impose!


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J'ai bien du mal à trouver mes repères pour aligner les foulées car le tracé suit les sillons étroits creusés par les troupeaux et mes chaussures font du toboggan dans ces goulottes lorsqu'elles ne buttent pas sur une racine ou quelques pierres malicieuses...

On ne devient pas si facilement traileur de montagne.

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Lac de Lignin: deux bénévoles font le pointage. Ils m'aident à me confectionner un strapping pour immobiliser le doigt en prenant appui sur l'annulaire. 
Je les remercie très chaleureusement, eux, ainsi que les 120 bénévoles qui ont oeuvré pour que ce trail soit si bien organisé.

Nous poursuivons et, quittant peu à peu les alpages, rejoignons dans la forêt le troisième ravitaillement, à la cabane des juges. (km 28; 3h20). SP_A0313

S'ensuit une section superbe, en balcon, dans une majestueuse forêt de mélèzes. Mais je ressens mon premier coup de fatigue, un tube de gel énergétique et progressivement, je reprends un bon rythme....
Une longue descente agrémentée de raides virages en lacets nous mènera à Ratery,  ravitaillement 4 (km35;4h15 de course); c'est le point de jonction avec le parcours "court" (28 km). je prends le temps de m'alimenter: fromage, petits cubes de saucisson, morceaux de banane. on me propose une soupe aux vermicelles, mais elle est brûlante...guère le temps de la savourer.

Le redémarrage est assez laborieux d'autant plus que j'appréhende ce qui suit... la très longue ascension du col de l'Encombrette (1200 D+), et je réalise vite que je n'en peux plus...mis à part au début où sur quelques rares passages moins pentus je parviens à relancer, en trottinant, il me faut marcher, marcher...les bâtons deviennent lourds, le pas est plus pesant...en franchissant quelques cascadelles, je me rafraîchis, mais que le col me semble loin!  
Le corps accuse ce coup de fatigue, je lui laisse le temps de se régénérer et j'en profite pour dévorer des yeux ces paysages fantastiques, un univers minéral et aride ourlé d'empreintes de spectaculaires plissements géologiques ...
ma progression est agrémentée par les sifflements aigus de nombreuses marmottes...

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J'ai les intestins qui gargouillent drôlement, et lorsque je dois me résoudre à une pause très personnelle, au pied du fameux passage de l'échelle, y'a plus le moindre mélèze, heureusement, je déniche un bombement rocheux et aérien pour m'accorder un répit discret.SP_A0316

 

Les lacets qui s'enchaînent sont terribles...prudence..y'a du gaz, comme disent les montagnards.  

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De nombreux concurrents me doublent...je dois avoir une bien vilaine figure car certains m'adressent des mots d'encouragement...

La vue sur les lacs de l'Encombrette et l'air qui a rafraîchi (altitude 2550 m) me font du bien. 

 

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Il me faudra 2h15 en tout pour franchir le col de l'Encombrette! SP_A0318 je suis pointé à la 63 ième place.


De la-haut, la vue sur le lac d'Allos est splendide.

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Cela fait 6h45 de course...et une étincelle de combativité me saisit...il reste 16 km, essentiellement en descente...serais-je capable de finir en moins de 8 h de course? 

Je me lance dans une descente endiablée...d'abord, prudemment, je trottine, puis à mesure que les muscles se détendent des efforts consentis lors de la montée au col, j'allonge les foulées...étrangement, je commence à acquérir les bonnes sensations et les réflexes qui me font dévaler en bondissant et en me jouant des rochers et des sentes en dévers...

 

Je rattrape un coureur, puis un autre, et ainsi de suite...je croise de nombreux randonneurs s'écartent gentiment et prodiguent des encouragements motivants. 
Tout en surveillant mon chronomètre, je gagne le dernier ravitaillement au parking du lac d'Allos...arrêt express et je repars...il y a encore 10 km...je calcule...ça me semble faisable à condition qu'il n'y ait pas quelques bosses sournoises pour casser l'allure...Et effectivement, il y en aura quelques unes mais j'ai un moral d'enfer, d'autant plus que les cuisses supportent parfaitement les efforts....

Le tracé emprunte de splendides mono-traces et régulièrement, par de petits ponts faits de quelques rondins grossièrement assemblés, on franchit des filets d'eau que l'été n'a pas encore asséchés. 

7h49 de course...des bénévoles m'informent qu'il reste 2,5 km...Vais-je tenir ce rythme? Depuis le col de l'Encombrette, j'ai pris beaucoup de risques en dévalant à cette allure...7h52...la gamelle de l'année...le pied gauche butte sur une souche et je pars en atterrissage forcé, sur le ventre, bras en avant, tel un albatros maladroit... pendant un court instant je pense à ma main droite, mais c'est une petite crampe sous le genou qui me tétanise...j'enrage de devoir échouer si près de but, après avoir consenti tant d'efforts...je suis obsédé par l'idée de ne pas renoncer, je veux y croire jusqu'à l'ultime moment...alors je repars, la rage au coeur, mais j'ai bien mal au gros orteil gauche (en fait, il vient de se décoller).

Je guette avec impatience les premiers chalets annonciateurs d'une arrivée toute proche...un pont à l'entrée d'Allos...Guillaume Lenormand qui est arrivé premier (exaequo avec Ludovic Pommeret) est là, il applaudit...un caméraman filme à ses côtés...je le salue rapidement et tout regonflé,  je relance....il faut traverser le village...7h56...las! Les organisateurs nous ont réservé leur dernière surprise!  Une petite remontée avec quelques marches...des touristes m'encouragent....
J'entends au loin la voix d'un micro...7h59...il reste environ 300 m...je ne peux pas, je ne veux pas basculer sur le seuil des 8h...alors je me lance dans un sprint digne de mes plus franches séances de fractionné....les barrières de la ligne d'arrivée me tendent leurs bras de métal et m'avalent...

J'entends....dossard 137....(appréhension)...7h59'57''...avec émotion, je tends un bras vers le ciel....

Le classement me placera 49ième et 8ième V2...  Le classement

...Lundi 26 juillet, 
8h du matin: pas facile de se mettre en selle sur la moto (1300 Honda pan european, c'est lourd)...je ne peux pas mettre de gants à droite...10°...fait pas chaud, et je vais rouler très prudemment...
14h40...dans le cabinet de mon médecin...C'est pas trail grave, mais il dresse une analyse assez pessimiste de ma luxation car le doigt est très enflé...alors il m'injecte une dose de célestine, un anti-inflammatoire très efficace, mais Dieu que ça fait mal (pendant 4-5 minutes!)
16h 30...le radiologue me tend son bilan...luxation type 3 mais sans lésions osseuses ...Apaisé, je peux désormais refermer ma page "Grande traversée des mélèzes du Mercantour"!

Mon blog:  www.trail.canalblog.com 

5 commentaires

Commentaire de CROCS-MAN posté le 26-07-2010 à 22:40:00

Bien joli tout ça, bravo et merci.
Bonne récup, soignes toi bien.

Commentaire de mic31 posté le 27-07-2010 à 08:32:00

Bravo, tu as bien souffert pour aller au bout !
Le parcours a l air joli mais le passage aérien serait un frein à ma venue...
Bonne récup et bonne "réparation" du doigt.

Commentaire de picos de europa posté le 27-07-2010 à 09:50:00

Cette course me tentait bien mais là avec des photos comme ça...Les paysages sont époustouflants! Merci pour ton superbe récit, ça a l'air d'être un beau défi qui me tente réellement pour l'an prochain.

Commentaire de raspoutine 05 posté le 27-07-2010 à 17:10:00

Une bien jolie course et une belle performance en dépit de tes soucis au doigt... C'est beau d'avoir tenu jusqu'au bout.
Bravo pour la perf et bonne récup' !

Commentaire de Aonikenk posté le 11-07-2012 à 13:45:51

Très beau récit que je viens de lire 3 semaines avant une nouvelle édition de ce trail que je vais découvrir. Je vises aussi 8h mais mes temps de passage prévus sont assez différents. Je compte partir moins vite, on verra comment ça passe !

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