A la réflexion et suite aux échanges je pense qu'il est plus précis de l'intituler
Rester dans sa bulle sur un ultra , pourquoi ? comment ?
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Etant souvent "spectateurs actifs" comme suiveurs sur de nombreux ultra, force est de constater que souvent passer le premier tiers des coureurs ( au grand maxi...) derrière on a du mal à "se taper dedans" sur le plan physique ... non pas que les capacités à le faire ne soient pas là mais très souvent parce que la lassitude comme une lente érosion finit par faire céder le mental
En caricaturant je dirais que tout se passait comme si la course basculait du statu de compétition ( que soit sur son mode classement, ou performance ) vers le registre d'une "bonne grosse balade" que les montagnards appelle une "bavante"
Attention je ne suis pas entrain de critiquer cette posture (j'admire autant que le gaillard qui finira en moins de 25h l'UTMB que le finischer allant au bout de lui même sur le plan mental pour être dans les temps) ....
Ce constat de gars, fatigués nerveusement, mais physiquement loin d'avoir tout donné se vérifie sur la vitesse de récupération après l'ultra .
En effet je constate parfois chez certains finischers d'ultra ( trail , course sur route ou vélo ) que je suis modestement une récupération physique très rapide ...
Celle-ci est parfois plus rapide que des compétiteurs mieux entraînés et préparés ( souvent grâce à des meilleures disponibilités pour consacrer du temps aux entraînements....) et terminant loin devant .
De mon point de vue , même lorsque l'on a tenté de se préparer au mieux depuis de longs mois en se plaçant sur son pic de forme le jour J , ce n'est pas franchement très "normal" de revenir quasiment frais comme un gardon , près à repartir sur des séances à fortes charges, après une semaine de récupération et 3 ou 4 nuits bonnes nuits de sommeils
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Je ne dis pas que pour quelques compétiteurs cela soit possible , je l'ai déjà constaté avec deux ou trois "phénomènes"
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On peut légitimement s'interroger , et ce constat à mon sens mérite débat !
Je pense que bon nombre d'ultra traileurs se sous-estiment et pensent qu'en montant au delà des 70-75% de FC pour titiller pourquoi pas sur plusieurs heures le seuil 1 , ils vont obligatoirement bloquer ....
Hors souvent c'est le mental et le cerveau qui bloque bien avant les braves cellules musculaires !!
Voilà pourquoi je pense qu'il est indispensable de réaliser à minima 1 ou 2 WE "chocs" dont le dernier se postionnera à 3- 4 semaines de l’objectif par exemple ( c'est fonction du niveau de préparation ) avec notamment le 2e jour en nocturne pour affronter et dompter cette célébrissime "nonchalance" qui fait perdre des heures aux compétiteurs d'ultra !!
Bref il s'agit d'apprendre à "se mettre en condition" pour se dire que même sur 30- 40h on ne "lâchera pas l'affaire" !!!
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Une anecdote :
lors de notre première traversée en kayak Cap d'Antibes- Calvi phare de la Revellata avec ma compagne, kayakistes de mer depuis fort longtemps , nous nous étions mis dans la tête de juste "la faire" cette fichue traversée de 180km mais évidemment sans se fixer d'objectif...
Après 25h de rame en pleine nuit le coup de bambou est arrivé nous avons alors ramé tel des zombis jusqu'au petit matin, moment ou nous avons reçu un court grain qui nous a secoué relancé .
A notre deuxième traversée, après plusieurs tests nous nous sommes fixés le challenge de rester tout du long sur une zone cible de vitesse de déplacement ( un petit 4,8 - 5 km/h ) donc aucun record en vue mais juste pour la motivation , au début ce fut "balade sous les étoiles" , puis au fil des heures la balade a pris une autre allure mais avec ce but de performance en permanence dans la tête et calé sur le GPS les milles ont défilé sans baisse de moral tout le long des 39h.
Alors certes nous sommes loin , très loin du record des 15h de Manu Quévremont et sa bande d'extraterrestres sur leur pirogue ....mais à notre tout petit niveau nous avons pu voir qu'en se fixant un défi "performance" nous avions très largement mieux encaissé la durée que de partir sur le principe : "on y va pour le fun"
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La gestion mentale du pourquoi je suis là
( un point du post ajouté suite à une question lors de l'échange ci-dessous )
Pour un novice qui voudrait se pencher sur une préparation mentale combinée à une préparation physique , Il existe une piste de travail travail en amont sur un ultra : c'est celle d'apprendre à garder le contrôle de la gestion de sa course et ne pas se laisser dominer par le contexte de l'imprévu du moment.
Cette démarche passe par une constance : la maîtrise de la situation .
En bref , se dire que c'est la volonté qui commande l'organisme en ultra .....et non l'organisme !!
Un peu comme un skieur efficace qui ne se laisse pas dominer par la pente mais au contraire va "l'attaquer" pour ajuster son déplacement !
Toujours se dire que "c'est mon mental qui est la clé qui va m'ouvrir la porte de MA réussite"
Et chacun a sa propre image de "sa" réussite sur un ultra
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Cela passe donc par un maintien dans une bulle ou l'on gardera toujours à l'esprit le fameux «pourquoi je suis là »
Sur un ultra, la gestion mentale est utile ( je ne dis pas indispensable pour autant ....) pour éviter de "bâcher" ou laisser filer des heures de repos inutiles et surtout souvent inefficaces ...
Voilà un des intérêts des sorties très longues ( pas forcément uniquement en trail d'ailleurs) :
apprendre à rester concentrée dans "sa bulle" , maintenir à l'esprit la dynamique de la maîtrise de la situation en terme d'hydratation, d'alimentation, de durée des pauses, des temps de sommeil, de l'habillement , ne jamais oublier que Je suis là parce que je l'ai voulu pour réaliser mon objectif
Là encore je ne suis pas réducteur , à chacun, chacune son objectif prioritaire !!
Pour les uns l'objectif sera une place sur le podium, pour d'autres le classement en visant tel ou tel "tiers" , certains seront sur une perspective de temps de référence, sans oublier ceux qui rechercheront avant tout des sensations kinesthésiques, ou encore prendre et toujours prendre du plaisir de la première à la dernière heure avec juste, de temps en temps, le regard sur la barrière horaire.
Quand les moments de moins bien sont là , quand on est "dans le dur" , il est indispensable de ressortir au plus vite une image mentale celle du « pourquoi je suis là »
Cette capacité mentale à dégager du positif doit se travailler à l'entrainement .
Elle permettra de se dépasser , de vivre le moment présent avec sa fatigue et sa douleur comme une vraie expérience de vie
Chacun à sa propre "imagerie mentale" pour rester dans sa bulle , c'est une démarche très personnelle qui dépend de sa personnalité , de ses objectifs , de son expérience
Elle ne sera pleinement efficace que si elle a été abordée comme on aborde sa préparation physique .
Apprendre à rester dans sa bulle peut relever d'un apprentissage à long terme si on veut espérer des acquis fiables
De nombreux ouvrages abordent le sujet , je citerai par exemple celui de Weinter :
Weinter et Gould : Psychologie du sport et de l’activité physique. édition Vigot , 1997
Il existe de très nombreuses stratégies à développer pour se forger une imagerie mentale performante .
Toutes ces techniques auront pour but de permettre au compétiteur de ne jamais décrocher de sa « zone optimale de fonctionnement » , en d'autres termes celle ou il restera "impliqué" à 100% dans son activité physique du moment au point que rien ne pourra interférer et le perturber dans sa concentration.
Une zone que chaque compétiteur ayant vécu un ultra a sans doute connu : ce moment ou l'on a l'impression de voler sur le sentier, la route ou l'eau .... un moment qui peut durer parfois quelques minutes en plein nuit avant de s'envoler assi vite qu'il est arrivé .... pour ne plus jamais revenir jusqu'à l'arrivée
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Pour ceux et celles que cela interesserait je conseille la lecture des travaux passionnant de Csikszentmihalyi avec sa fameuse définition de "l'état de flow"
source :
Csikszentmihalyi : La psychologie de l'expérience optimale édition Harper and Row , 1990
Pour débuter dans cette approche une des stratégies consiste à se fixer, au cours d’entraînements spécifiques, des buts de performance durcis par une augmentation de la difficulté .
On va ainsi jouer par exemple sur la condition de réalisation ( style je me lève à 3h du matin et je file faire mes 2h-3h de fartlek à la frontale)
De même il est intéressant d'apprendre à se concentrer sur sa gestuelle , sur ses foulées , sur le mouvement de ses bras , écouter sa respiration , avoir des coups d'oeil réguliers sur son chrono pour voir depuis combien de temps on ne s'est pas alimenté .....
Bref anticiper, ne pas se laisser dominer par l'effort , tout cela permet de ne pas sortir de sa bulle et de ne jamais perdre de vue l'indispensable "pourquoi je suis là"
Alain