Récit de la course : Desert Cup 2000, par annick
L'auteur : annick
La course : Desert Cup
Date : 7/11/2000
Lieu : Jordanie (Jordanie)
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Distance : 168km
Objectif : Pas d'objectif
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2 autres récits :
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Le récit
Une course de 168 km dans le désert de Jordanie en auto-suffisance alimentaire
Ce matin du 7 novembre 2000, je ne suis pas vraiment dans mon assiette...Le désert ceinturé de montagnes est pourtant majestueux, mais mes intestins me jouent de vilains tours depuis hier et sans que je veuille vraiment m'y soustraire, ils accaparent en grande partie mes pensées.
Le départ est donné à 8h30 et les 172 concurrents présents passent sous la banderole de départ sans grande précipitation : mieux vaut partir en douceur pour avaler les 168 km de désert.
Le soleil est là et illumine le sable et les montagnes aux teintes orangées. Avec une charge sur le dos qui avoisine les 9,5kg, ma vitesse ne peut être que réduite. Mon allure est également ralentie par des douleurs intestinales. J'ai réussi à grand peine à avaler ce matin une minime poignée de céréales, et j'ai eu beaucoup de mal à ingurgiter le repas de la veille au soir. Je suis affreusement nauséeuse.
Le premier CP (point de contrôle où les concurrents reçoivent leur ration d'eau) se profile. J'en profite immédiatement pour réclamer au médecin des médicaments pour améliorer mon état. Je n'ai pas le temps de les avaler que je me mets à vomir à grand bruit toute l'eau que j'ai pris grand soin de boire durant les 13 km parcourus. Je crois que ça va vraiment mal pour moi.
Je reprends ma route à moitié hébétée par ce qui m'arrive.
Le sable est plutôt rouge et les reliefs environnants apparaissent déchiquetés.
Il n'y a pas risque de se perdre. Les balises sont bien visibles depuis le départ, et pour l'instant, les concurrents ne sont pas encore très éloignés les uns des autres.
Le km 25 marque le 2ème CP. Là, un concurrent est en train de se faire perfuser, tandis qu'un second tremble de froid sous les rayons d'un soleil maintenant plus ardent.
Je regarde effarée la scène, sans vouloir tout à fait comprendre. Je m'assieds à l'ombre de la tente, le temps de réclamer une nouvelle fois les soins des médecins.
Patrick Bauer, l'organisateur de la course, est là également, et inspecte les concurrents les moins vaillants.
Lui et le médecin me scrutent longuement. C'est comme un temps interminable suspendu à leur verdict menaçant.
Le médecin m'examine les yeux, palpe la peau de mon cou, avec des " hmm, hmm,.. ". Alors monte en moi un cri étouffé, comme une fureur d'avancer :
" Non, non, non, non, non !!!! ". Des images défilent à la vitesse de l'éclair dans ma tête. Des visages de ceux qui m'ont soutenue dans cette entreprise, les derniers moments à l'AFM...
Est-ce mon regard qui change, un simple geste que j'aurai accompli, la transparence de ma détermination féroce qui ébranle mes 2 examinateurs ? Le médecin me fixe et sort 2 sachets de mixture à diluer dans mon eau. Il m'avoue que le goût n'est pas fameux, et m'enjoint de l'avaler malgré tout. Je ne faillirai pas à ses recommandations.
J'ai l'esprit ragaillardi, et c'est suffisant pour avancer. Je rejoins Jean-Paul, qui s'aide d'un bâton pour avancer (je découvrirais plus tard qu'il est âgé de 66 ans). Le soleil déclinant nous accompagne jusqu'au 3ème CP (km39). J'ai à peine entamé le déjeuner que je m'étais prévu. Je ne supporte pas la moindre nourriture. Faute de pouvoir me sustenter, j'absorbe un cachet énergétique. Je sens que le sable commence à pénétrer doucement dans mes chaussures, signe que les guêtres que je me suis fabriquées, connaissent quelques défaillances. Je suis néanmoins plutôt heureuse d'avoir réussi à parcourir près de 40km sans avoir eu à vider mes chaussures. Jean-Paul me rappelle qu'il faut être impérativement avant minuit au 5ème CP (km 59), sous peine de disqualification.
Au 4ème CP (km 47), il est déjà 20h, et je ne souhaite pas prendre le moindre risque d'un retard. Inutile d'essayer de se nourrir. Mon estomac vide n'émet aucune demande. Je repars sans plus attendre. Je plonge dans la nuit du désert de sable, comme une somnambule. Chaque balise rejointe est une victoire sur le temps qui s'égrène. Je marche maintenant seule, dans la nuit d'une pleine lune empreinte de douceur. Je me suffis de la lumière de cet astre qui veille sur moi.
Je parviens en toute quiétude au point fatidique vers 23h. J'ai les épaules complètement endolories par le poids du sac. On me signale que si je veux tenir mon objectif, il faut que je reparte dans une heure. Je préfère ne pas y penser et plonge dans mon duvet. J'ai le paysage d'une nuit étoilée comme dernière image avant de fermer les yeux. Je m'éveille vers 2h du matin, les épaules encore courbaturées et décide de reprendre la route immédiatement.
La nuit est maintenant complètement noire, la lune a disparu derrière les montagnes. J'avance à l'aide de la lampe torche, et je rejoins sans peine le CP suivant juste avant que la nuit ne cède la place au jour. Je ne m'attarde pas, et poursuit mon chemin. L'idée d'accompagner l'aurore naissante me remplit d'un bonheur tranquille.
Mon sommeil a été bénéfique et je peux avancer à plus vive allure. Je suis rattrapée par Bernard qui porte un drapeau breton. Nous échangeons quelques mots, et je profite de son rythme pour lui emboîter le pas. Nous arrivons au CP 7, situé au pied d'une arche creusée
Changement de cap. Nous traversons une immense plaine avec en point de mire un village au pied des rochers, avant de reprendre vers l'est. L'expérience du désert m'a appris à apprivoiser les distances. Je me demande si les premiers concurrents ont déjà terminé. C'est Patrick Bauer qui m'annonce la victoire de Marco Olmo en...21h !!!! Il me reste maintenant une seule étape de sable à franchir avant d'atteindre la montagne. J'ai hâte de changer de décor pour découvrir la montagne jordanienne.
Le CP 9 au km 104 marque la limite entre le désert de sable et la montagne. J'ai bien rattrapé le retard pris hier et j'ai maintenant toutes les chances de tenir mes objectifs. Il est environ 15h et pour passer sous la barre des 48h que je me suis fixées comme durée maximum de la course, je peux me contenter de suivre ce rythme et m'accorder si besoin 2 petites heures de sommeil. La vie est redevenue belle : j'ai faim et j'ai pu avaler mon déjeuner.
C'est presque une nouvelle aventure qui commence dans des terrains inconnus : 13 km de piste. Il nous a été dit que pour les quelques 40 participants de l'édition 0 courue l'année précédente, cette portion avait été reconnue la plus éprouvante moralement. C'est presque la fin de journée. Le soleil va décliner, et je me sens joyeuse. C'est le moment de la journée que je préfère car le soleil couchant charge les paysages de couleurs orangées et rend les choses plus douces. J'imagine déjà que je vais à la rencontre de lumières incomparables.
Le sentier est très sinueux et me fait rencontrer les premiers dénivelés. Les montées plus ou rudes sont entrecoupées de descentes de même nature. C'est un vrai désert, complètement dénué de végétation. Je m'y sens parfaitement à mon aise, et je me sens presque des ailes. J'ai un moral à franchir des montagnes, ce qui convient parfaitement au moment présent. La nuit remplace bientôt le jour, et je peux avancer comme la veille à la seule lumière du clair de lune. Dans le silence et la plénitude de la nuit, des hurlements de chiens se font entendre tandis que j'approche du CP 10. J'avance avec détermination, et je laisse les aboiements derrière moi tandis que j'aperçois les lumières du CP.
J'atteins le CP 10 situé au km 119 avec 6h d'avance sur l'heure limite fixée à minuit, qui contraint à l'arrêt définitif de la course. Mon bonheur est grand d'arriver là avec l'envie de poursuivre encore, et d'avoir si bien vécu cette journée. Quand je m'apprête à repartir, arrivent Bernard et Axelle, puis Maurice qui veut prendre immédiatement la route avec moi. J'ai pris soin de me couvrir chaudement, sachant que nous allons au-devant du froid et du vent. Il se raconte que le vent est si violent dans la montagne que les tentes prévues pour le repos des coureurs aux 2 CP suivants se sont envolées, et que les concurrents ne peuvent y faire halte. Cela signifierait qu'il faut parcourir 25 km de montagne sans pouvoir se reposer à aucun moment. Je suis décidée à avancer.
Je repars avec Maurice à mes côtés, puis bientôt derrière moi. Il se plaint de mon allure trop rapide. Je ralentis. Le vent commence à souffler et Maurice a froid. Il ne porte qu'un short et un léger vêtement sur son tee-shirt. Je l'oblige à s'arrêter pour enfiler des vêtements plus chauds. Il décide simplement de remonter le col de sa veste et d'enfiler un collant. Je sens imperceptiblement que son moral faiblit en même temps que son allure. Il avance péniblement transi de froid, et je l'oblige une seconde fois à défaire son sac pour y prendre les vêtements adéquats. Je me demande bien alors ce que je fais dans la montagne avec ce grand gaillard d'1,85m sur lequel il me faut veiller. Nous croisons à deux fois des voitures d'assistance qui nous enjoignent de prendre garde aux changements de direction. Les balises lumineuses ont été volées par les bédouins et il ne demeure que quelques repères peints en rose sur les rochers. Le vent souffle violemment. Maurice avance maintenant à tous petits pas très très ralentis, et je sens qu'il a très très peur. Je comprends qu'il ne pourra pas parvenir au CP suivant. Imperceptiblement, je m'éloigne de lui, comme si mes jambes plus que ma tête avaient fait le choix. Je me retourne de temps à autre, et je vois sa grande silhouette qui danse comme une ombre dans la nuit. Je crains à certains moments qu'il ne tombe en contrebas de la piste, tant il semble peu assuré sur ses jambes. Je n'entrevois qu'une seule issue. Avancer au plus vite maintenant pour prévenir que Maurice est en danger. Je croise plus tard un véhicule d'assistance à qui je demande d'aller lui porter secours. J'avance péniblement contre le vent. J'ai l'impression de ballotter dans les bourrasques. J'ai froid et à nouveau, je ressens des douleurs au ventre. Le froid a assailli de nouveau mes intestins.
Le vent souffle à 100km/h quand j'arrive enfin au CP 11. La tente est aux 2/3 effondrée. Mon premier souci est de réclamer des médicaments, avant de m'enfermer dans mon duvet. Ce périple m'a épuisée, tant moralement que physiquement.
Le vent se déchaîne toujours quand je m'éveille vers 1 heure du matin. J'avais imaginé me suffire d'un repos de 2 heures, mais je me sens extrêmement faible. Si je ne pars pas de suite, je risque cependant de compromettre mes objectifs de temps. Lutter contre le vent demande une énergie qui me fait défaut et je me range à l'idée d'attendre le départ de Bernard et Axelle qui ont rejoint le CP tandis que je dormais. L'important consiste maintenant à prendre toutes les assurances pour pouvoir terminer l'épreuve.
Je connais les mêmes ennuis de santé que le premier jour. Nous assistons au lever du jour dans les montagnes qui surplombent la vallée du Jourdain, avec en fond de paysage les montagnes d'Israël. Le site est majestueux, revêtu d'un léger voile de brume. Nous traversons pour la 1ère fois un village où les enfants partent pour l'école et nous regardent curieusement. Je les salue toujours d'un " hello " qu'ils me renvoient timidement. J'ai affreusement mal au ventre, et je tiens maintenant soulevée en permanence ma ceinture ventrale de manière à ce qu'elle ne pèse pas sur mes intestins soumis à rude épreuve. J'intercepte en pleurant une voiture d'assistance pour obtenir des médicaments. Malgré mes souffrances, j'avance plus vite que Bernard et Axelle que j'ai distancés en arrivant au CP suivant. J'y parviens en pleurant autant de douleur que de déception. Double déception : d'une part, de ne pas trouver le réconfort souhaité. Les tentes se sont effondrées sous l'effet du vent et ici, elles n'ont pas été remontées. Impossible de se protéger un seul instant du vent. D'autre part, parce que j'ai conscience que cet instant correspond à l'heure à laquelle j'aurais dû franchir la ligne d'arrivée pour tenir mes objectifs. J'ai perdu la moitié de la bataille, et ça me vaudra comme le stipule le règlement une heure de pénalité.
19 km nous séparent maintenant de l'arrivée. Nous repartons à nouveau à trois. Je souffre vraiment et j'ai la plus grande difficulté à retenir mes larmes, tant mes intestins sont à vif.
Nous finissons par contourner la montagne, et pouvons enfin nous protéger du souffle du vent, peu avant la traversée du village de TAIYIBA, à 10 km de l'arrivée.
Nous empruntons alors sous la chaleur la route aménagée en promenade qui surplombe les abords de PETRA. Dès après le CP 13, nous abordons un étroit sentier de montagne qui descend de manière abrupte.
C'est sans conteste la partie la plus technique de la course. Je prends grand soin à bien poser mes pieds afin de ne pas glisser sur les cailloux. Le sentier se poursuit par une piste sinueuse qui remonte vers le plateau, puis par une piste
Nous empruntons alors la descente des 570 marches qui nous projettent dans le site merveilleux de PETRA.
Pas question de nous y attarder pour l'instant, même si nos regards sont inexorablement attirés par l'incroyable majesté et beauté du site. Nous croisons des touristes qui s'étonnent ou questionnent. Après être passés devant le Temple du trésor, c'est l'entrée dans le siq, gorge étroite qui au bout de 2km, nous mène à l'arrivée.
Nous bavardons à nouveau et nous nous amusons des informations contradictoires qui nous sont données sur la distance qui nous sépare de l'arrivée : 3km, puis 1km, plus loin 1,5km,puis 300m, puis à nouveau 1,5km, mais cela nous semble à tous trois effectivement très long.
Et nous parvenons malgré tout à franchir tous trois ensemble la ligne d'arrivée, comme nous en avions convenu un moment plus tôt. Des concurrents sont là pour accueillir les nouveaux arrivants et échanger les impressions.
Cela fait 54h 16mn que le départ a été donné. Je n'ai pas atteint cette fois-ci mon objectif, mais je sais qu'il est tout à fait réalisable dans des conditions normales.
Je suis classée 113ème sur 172 participants parmi lesquels on compte 34 abandons, et 9ème femme sur les 12 arrivées.
Annick Le Moignic
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