Récit de la course : 24 heures de Roche la Molière 2004, par Phil
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Le récit
C'est en lisant le CR de Michael que ces 24 heures, et toutes les heures qu'il y a eu autour, me sont revenues en pleine poire, comme un gros coup de poing dans le ventre. Un direct qui irradie de la joie et un profond contentement de soi. Vous êtes déjà au courant, j'ai arpenté le circuit 63 fois, ce qui nous donne 126 km. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi je suis heureux d'avoir couru, malgré les presque20 km de moins qu'à Saint-Fons 2003 et malgré mon apparente désinvolture face à la souffrance.
Depuis quelques dizaines de minutes, peut-être moins, peut-être plus, je cours avec Cyril-Superfondu. Ou plutôt, je marche. On cause, on courotte un peu. Il est dans ses objectifs de 130 km et après plus de 19 heures de course, son plan suivi à la lettre lui vaut mon envie : autant de kilomètres que moi ou presque, quatre bonnes heures de sommeil, frais comme l'air du grand large. Pour ma part, je suis aussi dans mes objectifs, c'est-à-dire dans une autre dimension, j'avance un peu en me demandant quelle connerie je vais bien pouvoir trouver à faire ou plutôt, en me demandant ce que j'allais bien pouvoir "tester", qui pourrait me servir pour la course de la saison, celle que je veux vivre dans le bonheur le plus total : l'Ultra-Trail du Mont-Blanc.
19h 42 de course. ça sent très fort l'envie de déconner chez mon compagnon. Je me sens dépassé sur tous les flancs. Il a l'air vraiment frappé, mais frappé avec le sourire, c'est la pire, ou la meilleure des espèces. Moi je dirais la meilleure, question de perception. Nous tournons nos petits tours pépère à environ 6 km/h, soit 20 mn au tour, la vie est belle, il recommence à faire beau et les galères sont restées coincées au fond de la nuit. ça c'est pas trop mal passé mon p'tit Fifi. Tu nous fais un petit 140 tranquille et tu refais un footing dès demain matin.
Il nous reste 18 mn pour boucler les deux kilomètres qui nous séparent de la fin de l'heure et on commence à tenir (à peu près) ce langage :
Moi (sursaut d'orgueil) : "Hé faut qu'on arrive à le boucler avant la fin de l'heure, celui là..."
Cyril (confiant) : "Facile, même en marchant on y arrive !"
Moi (méfiant) : "Boaaah, pas sûr, je suis naze. Vu l'allure à laquelle je marche, c'est pas gagné."
Cyril (défiant) : "On a qu'à le faire en courant."
Moi (pas sérieux) : "Allez, on le fait à fond !"
Cyril (sérieux) : "Ok !"
Moi (à moi-même) : "Putain de merde."
Nous trottinons tranquillement pour nous échauffer sur les 50 m qui nous mènent au ravitaillement. Je pense déjà à freiner des quatre fers pour me dédire de ces mots malheureux. Je bois un verre de boisson énermagique. Nous grimpons le raidillon de80 m puis commencçons à sérieusement accélérer une fois revenus sur le plat. La foulée s'allonge, c'est beau, je me sens bien. La foulée s'accélère, Cyril me prend facilement 20 m, je l'insulte d'être aussi bien mais il m'attend (tout juste s'il ne vient pas à ma rencontre pour prendre des nouvelles). On doit être à 13 ou 14 à l'heure maintenant et on se tire la bourre avec les relayeurs. On en tient un en ligne de mire et comme le Superfondu est un gars qui a du tact, il ne m'assomme pas trop en me proposant de les rattraper. Même principe, je lui propose, il fonce, rattrape le gars et moi je tire la langue mais tiens bon. Mon petit cerveau tourne encore plus vite que mes pieds : "C'est quand même dingue ce qu'on peut faire alors qu'on se croit complètement défoncé..." Nous passons le bois, il reste environ 300 m. L'entrée sur le stade en vainqueurs, heureux comme des gamins, à toujours accélérer, toujours plus dur, toujours plus fort. On a quasiment 6 mn d'avance. On pourrait terminer en marchant mais le stade nous galvanise. Il fait beau après beaucoup de pluie, je cours après beaucoup de marche, il y a de plus en plus de monde et nous sommes applaudis, acclamés parce que nous ne souffrons pas, parce qu'il est plus facile d'applaudir des coureurs en forme que de risquer d'abîmer mentalement un coureur qui rame. On accélère encore en passant devant Yves, arrêté depuis quelque temps : "Il reste encore quatre heures les gars !" Trop tard ! Tant mieux. Nous passons du bitume des ravitaillements individuels au stabilisé de la piste qui fume littéralement sous nos pas. Dernier virage. Nos oreilles bourdonnent des bruits de la foule et nous passons la ligne avec 6 bonnes minutes d'avance. Le relayeur que nous n'avons pas rattrapé reprend difficilement son souffle contre une colonne en béton. Je coupe net mon effort après avoir vu mon cardio pointer à plus de 180 pulsations. Superfondu a la superbanane. On sait déjà qu'on n'est pas prêt d'oublier ce moment là. En voilà un que personne ne nous piquera.
Et pourtant... les jours et les semaines précédant ce 24 heures, je n'aurais pas vraiment pensé à ce genre de petit plaisir. Juste une question d'imagination...
J'ai eu envie de courir à nouveau un 24 heures en vivant par procuration celui de Michael à Eppeville. Les sensations qu'il me décrit, au lendemain de sa course, sont tellement proches des miennes, du moins dans la façon de les aborder, que ça me fait remuer les jambes. Depuis Saint-Fons, couru en dilettante, sans sommeil et sans vraiment d'entraînement, je me dis qu'il faudrait un peu rationaliser tout ça et faire un peu tourner la caboche. Un instant, je suis tenté de courir à Brive, d'ailleurs encouragé par Michael, mais non, on a un beau suivi de course à faire et ça, c'est très motivant. Ce suivi me sera fatal. A Brive, les organisateurs de Roche viennent nous voir :
Eux : "Sympa ce que vous faites là avec vos ordinateurs et votre caméra, on peut avoir pareil ?"
Moi : "Cette année, ça va être dur mais par contre... c'est quand votre 24 heures ?"
Eux : "Dans un mois"
J'y serai. Je garde ça pour moi mais je sais que j'irai et je fais des bonds rien que d'y penser.
Le mardi suivant Brive, j'appelle Annick pour prendre des nouvelles. Comment a-t-elle récupéré de Brive ? Pas tellement physiquement, mais moralement... ça a pas l'air d'être la grande forme. J'ai l'impression qu'elle s'est mis beaucoup de pression à Brive mais je ne rentre pas dans les détails, ça ne me regarde pas. Ce que je vois, c'est qu'elle a les jambes et que si elle arrive à gérer le couple infernal mental+manger, ça va passer tout seul. Annick envisage de venir voir. Le lendemain, elle m'annonce qu'elle est inscrite.
Le soir même, par le plus grand des hasards, j'ai Michael au téléphone, toujours sur son nuage d'Eppeville et rêvant de chiffres magiques à sa démesure. Je lui donne le coup de grâce :
"Annick vient à Roche, chuis super content !! Yes yes yes !"
... (Blanc)
Moi : "T'es là ?"
Lui : "Salaud."
Quand il est comme ça le Mmi, c'est que ça va bien. Mais il a pris des engagements pour les 100 km du Loire-Béconnais et entend les tenir. Je respecte (non, pas salaud) et ne l'embête plus trop avec Roche.
Le 22 mai, je commence un entraînement "état des lieux / test", histoire de jauger la machine. Deux heures, 20 km, tout va bien. J'ai une idée, pas forcément académique et impossible à expliquer mais bon, elle me traverse la tête comme une flèche sans sortir de l'autre côté. Je décide de faire un test sur 12 jours. Le kilométrage effectué sera mon objectif à Roche. En causant avec Chico et en lui demandant naïvement ce qu'il en pensait, j'ai eu un magnifique : "C'est du Phil tout craché". Je prends ça comme un compliment et peaufine ma théorie.
Que ceux qui n'aiment pas se prendre le melon sautent deux paragraphes...
J'ai toujours en tête une petite phrase de Serge Cottereau qui disait en gros, une règle très simple : pour courir un marathon, il faut être capable de courir au moins 42 km dans une semaine. Un principe simple, clair, réconfortant, qui m'a souvent servi en ultra. Je suis convaincu, en ce qui me concerne du moins, que si je n'arrive pas à tenir facilement en plusieurs jours d'entraînement, une charge que je devrai tenir d'un seul tenant en course, c'est même pas la peine d'y aller. Heu, enfin, non, c'est dans l'autre sens : si je tiens la charge sur plusieurs jours, c'est bon. Je choisis donc de courir pendant douze jours en me disant que chacun de ces jours simulerait une tranche de deux heures de mon futur 24 heures. Si j'arrive à courir deux heures par jour, j'aurai le total sans les arrêts. Si je cours moins... c'est là que ça devient un peu dur à expliquer... si je cours moins, je considèrerai que le sort n'est qu'une simulation a priori des aléas de course. Par exemple, ne pas pouvoir courir pour cause de bouclage peut être une simulation d'un gros coup de pompe en plein milieu de la nuit. Il faut accepter et attendre que ça passe...
Premier jour de test, je l'ai dit : 2 h, 20 km. Deuxième jour : 1 h 54,19 , 5km (total :39 , 5km). Troisième jour : 1 h51 , 18 km (total : 57, 5km). Je suis sur les bases de 230 km et je commence à douter de ma stratégie. Heureusement, je ne peux pas courir le jour4 , mais je me rattrappe le jour 5 avec 2 h 20 et23 , 6km (total :81 , 1km). Je suis sur les bases de 195 km. ça va mieux... Bon, au final, je fais112 , 5km en 12 jours, ce qui me convient tout à fait et annule la notion d'objectif kilométrique : je vais partir en style libre. Libre et détendu.
Que ceux qui aiment les melons reviennent...
Pendant le voyage qui nous mène, nous autres Normands et Néo-Normands, à Roche, ça discute pas mal. Alors que la 206 série limitée bleue distribuée à la moitié des habitants d'Evreux et des environs nous mène à des vitesses indicibles vers la banlieue stéphanoise, Michael me fait remarquer que je suis déchaîné. C'est juste parce que j'ai les doigts coincés dans la portière. Pour éviter d'insulter tout le monde, je dis tout ce qui me passe par la tête et notamment un ou deux trucs qui mériterait un "avertissement melon" mais tant pis pour vous, va falloir trier.
La chaîne ou pourquoi l'allongement des distances rend l'ultra si passionnant. Courir 10 km à son meilleur potentiel demande une musculature au top, maillon1 , un système cardio respiratoire performant, maillon2 ... et c'est à peu près tout. Jusqu'au marathon, on peut dire qu'il est relativement aisé de déterminer quels maillons il va falloir travailler, renforcer, pour arriver au top le jour J. En lisant un jour le compte rendu d'un coureur américain qui s'était essayé sur un 72 heures, j'ai compris un truc. Il disait que cette épreuve lui avait révélé une douleur disparue depuis son adolescence, une douleur à l'oeil qui n'avait a priori rien à voir avec la course à pied. Sa conclusion était que le 72 heures avait la capacité de réveiller vos douleurs les plus enfouies, vos faiblesses les mieux cachées. Le maillon faible. En y songeant, et surtout en courant un peu tous les types d'ultra, je me suis fait la remarque suivante : plus on court longtemps, plus la chaîne est longue. Corollaire : plus la chaîne est longue, plus on multiplie les risques d'avoir un maillon faible. Donc, c'est devenu très vite une gageure pour moi de m'entraîner à l'ultra en essayant de renforcer un unique maillon, par exemple l'endurance, ou alors la force musculaire, ou la foulée, ou même la vitesse spécifique. Trop d'éléments peuvent venir perturber une belle mécanique apparemment bien huilée. Il doit donc y avoir quelque chose de plus haut (non Martin, pas Dieu !!) qui serait capable de renforcer tous les maillons à la fois. ça serait chouette, hein ? A défaut de mieux, j'ai trouvé l'esprit. Pas le moral, pas le mental, juste l'esprit. Pour prendre un raccourci sauvage, l'esprit devrait permettre de prendre le départ d'un ultra sans jamais se soucier de sa place, de son kilométrage ni de son objectif et d'arriver (ou pas, c'est selon les conditions du jour) en se disant qu'on a donné son meilleur potentiel. A Roche, j'ai donné mon meilleur potentiel avec 126 km. Physiquement, j'aurais pu en faire 20 de plus, voire30 , mais l'ensemble gouverné par l'esprit m'a guidé vers 126 et je ne regrette pas un mètre parcouru, et encore moins un mètre non parcouru.
Le Phil, il pète les plombs...
Mais non mais non. Application. J'en vois déjà qui cherchent le début de la course... J'arrive, je me chauffe.
En début d'après-midi, après une nuit à l'Etap Hotel du coin et un petit déjeuner surprenant à base de biscottes au miel bien étalé, nous voilà sur la piste. Inscriptions, bonjours divers, et hop, je vais avec Annick reconnaître le parcours à l'envers. Il y aurait de quoi pâlir quand on découvre cette horreur : un parcours de trailer ! Des chemins, des caillasses, des côtes (pas des "bosses", de vraies côtes)... Je suis là pour préparer l'UTMB alors je décide de mettre les chaussures de trail. Annick n'a pas l'air trop rassurée mais ne fait pas une maladie non plus.
En revenant, j'annonce qu'il faudra arriver frais à Courmayeur, km 70, et que Champex risque d'être humide. Je vais reconnaître une seconde fois le parcours avec Michael, quelques minutes avant le départ. J'ai l'impression qu'il voit son objectif de180 - 200km lui filer entre les pattes mais je sais déjà qu'il va partir comme sur du plat.
Bang. Et oui, c'est (enfin) parti. Surpris hein ! Allez, debout. Relayeurs devant, individuels derrière, tout ce beau monde fille bon train. En arrivant sur le sentier plongeant dans le parc boisé, après 500m de course, je vois déjà Michael avec son air têtu tenir la dragée haute au futur vainqueur. Notre bourricot corse se regarde parterre,5 m devant lui, sans se laisser impressionner par le fusilier marin brésilien qui montera 24 heures plus tard sur la plus haute marche du podium. Ah, c'est chouette, ça. Je me dis bien que ça ne va pas durer longtemps comme ça mais son pari de nous faire rêver un peu est gagné rien qu'à cette image.
Pour ma part, je pars très prudemment, entre 13 et 14 mn au tour soit environ9 - 10km/h. Je dis "prudemment" car je suis parmi les plus lents, même si je sais très bien que cette vitesse est largement surévaluée. Je terminerai sans doute à une moyenne de5 , ou tout au plus 6 km/h, mais c'est pas grave, je me sens bien comme ça. Je pointe en85 e position au premier tour et pendant huit heures, je remonte tranquillement. Le passage des 6 heures est parfait. Je pointe en41 e position et je négocie plutôt pas mal le parcours. Placé en configuration UTMB, je cours le plus souplement possible dans les descentes, en essayant d'accélérer la cadence des pas pour diminuer l'impact et en courant (presque) comme sur du plat. Tant que les muscles gardent une certaine souplesse, la techniques est imparable et reposante. Plus tard, ça deviendra beaucoup plus difficile.
Je m'arrête après 54 km de route pour un auto-massage à l'huile d'Arnica. Tout est bien, tout se passe bien, j'ai pas mal couru avec Annick, que j'ai rattrapé au bout de deux ou trois heures. C'était chouette. Elle a la forme. Pour ma part, je sens que l'énergie commence un peu à me quitter. En me massant, je plaisante avec Djohra sur la puce que je viens d'enlever de ma cheville ("t'imagines, je fais50 bornes sans et je m'aperçois de ça à la fin..."). Je repards requinqué "PHILIIIIIIIIIIIIIIIIIPPPPE !!" - "Hein ?" - "T'as oublié ta puce !" Quel bouffon je fais franchement ! Djohra, je te l'ai dit à ce moment et je te le redis, si t'existais pas, faudrait chercher quelqu'un pour régler ça parce qu'on aurait comme un grand vide, là, tout à coup.
Chaque tour, je prends un gobelet de "glucose" au ravitaillement officiel et j'alterne à chaque heure une canette de Gerlinéa (des protéines et je crois le plus fort taux de glucides des potions de régime) et une barre à la Spiruline, aux chocolat et aux noix et à plein de trucs (si un jour vous essayez, n'en prenez pas plus d'une toutes les deux heures, j'ai un jour essayé quatre d'un coup et mon ventre a dit comme Gégé : "Y en a marre"... toute la nuit). Sans réellement avoir de problèmes digestifs, je sens au bout de huit heures que je dois changer de régime ou alors ça va coincer. Je marque un long arrêt au ravitaillement, quelques bonnes minutes, et décide de prendre TOUT ce qui me tente : bananes, pain d'épices, biscuit, gruyère... Je m'empiffre et ça me redonne le désir de partir. Je mâche bien, comme a dit Bernard y'a pas longtemps, et laisse mon estomac digérer tout ça pendant un tour ou deux.
Sur ce circuit de 2 km, je ne vois pas beaucoup Annick, ni Michael, ni Bruno, ni Cyril. Un peu plus souvent Yves, qui marche d'un bon pas, court parfois pour faire le cake, et me donne des nouvelles des autres. Apparemment, tout le monde va bien. Moi aussi. Tant mieux, continuons.
Je passe les 10 heures avec 78 km en estimant maîtriser relativement bien la décroissance de ma vitesse. A part quelques menus coups de barre, la machine tient et je suis sur des bases de 180 km qui peuvent me laisser présager160 . Mais voilà, ça se grippe avec la nuit, les alternances de giboulées et de sec, les relais qui me doublent toutes les 10 secondes, et la lassitude. Je savais que ça viendrait alors je me contente de continuer, tranquille, pas de panique, ça va passer. J'essaie d'avoir en tête des images positives. Je pense à ma chérie et au sourire de Lila, ses deux petites dents du bas bien visibles. Je repense à des moments de pur bonheur vécus ensemble, tous les trois. ça me détend mais ça me donne surtout envie d'arrêter ! A grand regrets, j'abandonne ces douces images pour en trouver de plus spartiates. Entre les relayeurs, je m'imagine à l'UTMB... trop de relayeurs, c'est pas crédible.
La douzième heure approche et je sens la fatigue accumulée de la semaine poindre derrière mes yeux. Ils se ferment seuls. C'est l'un des moments que j'attendais. Il y a longtemps que je veux vivre un cycle de sommeil en marchant. J'essaie de me convaincre de l'intérêt de l'expérience en résistant autant que possible. Je m'observe de l'extérieur en sautant un à un les obstacles qui se présentent à moi. "Arrête, va te reposer, tu n'es pas là pour souffrir, pourquoi cette pénitence, tu n'as rien à expier, allez hop, un p'tit dodo, etc." Et finalement, j'opte pour le dodo et repousse le cycle de sommeil éveillé pour un autre 24 heures.
J'arrive à la tente "dodo" : 4 lits de camp pour plus de300 coureurs sur la piste, juste deux couvertures déjà prises par deux coureurs éreintés, un autre coureur qui se les pèle et qui repartira peu après. J'ai réussi à me préserver de la pluie, je peux tenir un peu sans couverture. Mais c'est rude. Je vois à côté de moi un crâne qui dépasse des couvertures et qui ressemble à celui de Michael. Je lui ferais bien une petite friction virile mais si c'est pas lui je risque d'avoir du mal à m'expliquer. Quelques minutes plus tard, j'ai la confirmation : il est venu se coucher en douce. J'ai un peu de mal à comprendre pourquoi il est là, complètement frigorifié, et pas dans la voiture. Je me doute que Djohra dort et qu'il n'a pas voulu la réveiller ni l'inquiéter. Après s'être bien refroidi avec un chouette t-shirt UFO bien trempé, il décide de l'enlever et replonge dans sa couverture en grelottant. Je me demande quoi faire et décide d'avoir l'oeil, histoire de lui coller une bonne tarte pour le réchauffer au cas où.
Le coureur à la couverture se lève, je lui demande de me passer le précieux bout de tissus et apprécie pleinement ce petit moment de chaleur. Finalement, je commençais peut-être à me faire moi aussi une petite hypothermie. Michael dort, ça a l'air d'aller mieux, respiration régulière. Pas de tarte pour le moment. Je me réveille avec des bruits de... comment dire ça en respectant sa pudeur... reflux gastriques accompagnés d'éjection nauséabonde en direction du sol. Plié en deux sur le lit, rien ne va plus. J'ai dû lui demander si ça allait (je défie quiconque d'arriver à ne pas poser ce genre de question dans un moment pareil, c'est pire que le ni oui ni non aux jeux de vingt heures) et je lui ai filé ma couverture. Merde, chié, j'aurais bien dormi encore un peu. Je vais voir à côté, dans la tente des masseurs, s'ils ont d'autres couvertures. J'en récupère une et deux mouchoirs de survie que je rapporte sous la tente. Un autre coureur est là et comme je suis réchauffé, presque bon à partir, je lui cède la troisième couverture. Lui aussi frigorifié, il ne se fait pas prier. Mais Michael n'est pas vraiment au top alors je vais lui chercher quelques affaires de rechange à la voiture. Là, je croise Annick et lui demande si elle pense que je peux réveiller Djohra... J'y vais cool : "T'aurais pas des vêtements secs pour Michael, il a un peu froid. Pas d'inquiétude, je viens juste chercher ça, tu peux dormir tranquille." Hop hop, on va équiper le bourricot, on le laisse s'endormir et je repars en regrettant mon lit douillet, ma couette, mon oreiller. Il est 6 heures du matin et je repars 14 h 30 après le début de la course pour boucler mon45 e tour. La perf des perfs, elle n'est pas pour aujourd'hui.
Mais je me sens bien. J'ai l'impression de faire tout ce que je dois faire au moment voulu et ça me rend plutôt heureux. Je repars quelques tours, il commence à faire jour. Je repense à ce que me disait Chico la veille : "Ne t'arrêtes surtout pas dans le local du ravitaillement chaud où t'arriveras plus à repartir". Regard à droite, regard à gauche, pas de Chico à l'horizon : je rentre au paradis pour un bon p'tit plat de pâtes bien salé et un Flamby recommandé par Annick. Une heure d'arrêt qui commence à me refaire prendre la vie du bon côté. Je commençais à en avoir marre de mettre et retirer mon Gore-Tex. Vers 10 heures, je décide de l'enlever une fois pour toutes et de toujours rester habillé léger, quitte à attraper la crève. M'en fous, j'en ai marre d'avoir chaud. Bon, si j'avais enlevé le sweat et gardé juste le Gore-Tex, c'était bon... pfff.
Le jour est bien installé et le soleil semble vouloir reprendre ses droits. Il y a toujours un Brésilien de la marine seul en tête, suivi d'un Russe. Nathalie Firmin peut abattre les200 , et... Annick est deuxième féminine. Wouah ! Elle est bien repartie (et Michael aussi d'ailleurs). Yves a abandonné mais nous soutient tous (excuse encore mon ingratitude Yves mais sur un tour, j'avais pas trop la fraîcheur pour te répondre). Bruno a ronchonné un peu mais a récupéré la santé. Quant à Cyril, il va me faire l'honneur de sa présence pendant plusieurs tours, malgré mes injonctions à me laisser crever sur le bord de la route (et juste après, aller prendre un p'tit Flamby ni vu ni connu). Il refuse, alors on déconne pas mal, on fait fumer le stade, mes pieds chauffent, je lui dis un peu plus tard que je vais me masser, il me dit qu'il me récupère au tour d'après, mais au tour d'après, je me masse encore...
C'est bien de se masser. Je suis relax. J'ai plein de gens sympas autour de moi : Chico, Nathalie, et les deux petites, Yves, mes parents, Djohra. On discute tranquille. Pas de problème. Je mange quelques croissants à l'huile d'Arnica. Et vl'a ti pas que le Chico me fait : "Allez on y va maintenant !" Comme ça, le mec un peu autoritaire quand même. Moi je le sens pas, je me suis bien amusé mais là j'ai grillé mon compte de calories. Il contamine les autres mais j'arrive à repousser leurs attaques perfides. Mais ils sont tellement sympas tiens, je sens tellement que ça leur ferait plaisir que j'y aille pour un tour que j'y vais. Allez zou, à pas de fourmi, mais t'y vas.
On approche de la fin. Les relais doublent encore et toujours. Je repense aux nombreuses fois où j'ai relancé la machine pendant ces24 heures. Je sais que je peux le faire, le refaire, et le rerefaire indéfiniment. Mais ça ne me plaît pas. Moi je veux courir longtemps sans m'arrêter et avec ces foutus relais, j'arrive pas à me concentrer. Et puis je veux savoir comment ça se passe pour les autres. Cyril tire Bruno vers son objectif. Michael s'entête et finit avec Djohra ses derniers tours. Moi, je marche avec mes parents, qui sont arrivés avec le soleil.
A une demi heure de la fin, je vois Chico et Annick derrière et je préviens que je vais essayer de courir. C'est quand même mieux de finir un 24 heures en courant. Et puis terminer avec la cousine, ça me plaît bien comme idée. Nous faisons deux tours et demi ensemble. Je me sens plutôt bien et c'est tout ce que je veux pour finir en beauté. La fin est dure pour Annick. Elle veut marcher. J'ai peur de ne pas pouvoir redémarrer avec elle mais je reprends confiance. Je me ferai violence s'il le faut mais je lui dois bien ce p'tit moment d'aide (pas sûr que ça l'aide d'ailleurs, mais bon).
En arrivant sur le stade, nous nous remettons à courir, on se fait applaudir. je regarde derrière moi pour voir s'il n'y a pas de relais mais non, pour une fois c'est bien pour nous.
Voilà, c'est fini. Après, il y a des moments que je garde égoïstement (et puis d'ailleurs, vous dormez déjà tous) : Annick à l'arrivée bien sûr, mais aussi notre bourricot avec ce que vous savez qu'il a fait, l'émotion palpable d'Yves et de Djohra, Chico, Nathalie et Maryse, qui nous félicitent comme si on avait tapé les 200 km.
Allez, je vais faire dodo. Pu... 4 heures que je suis là dessus ! Merci d'avoir tenu bon.
Bien à vous,
Phil
2 commentaires
Commentaire de Eric34 posté le 13-01-2006 à 01:15:00
Merci à toi pour ce CR ;-)
Un vrai roman, une mine d'infos !!
Commentaire de totoche58 posté le 28-05-2006 à 21:31:00
merci à toi pour ce récit qui m'a appris certaines choses et dont j'aurai bien besoin très bientot
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