Récit de la course : Maratonkarusellen Bergen Ultra - 100 km 2025, par Clément LHE

L'auteur : Clément LHE

La course : Maratonkarusellen Bergen Ultra - 100 km

Date : 5/4/2025

Lieu : Bergen (Norvège)

Affichage : 174 vues

Distance : 100km

Objectif : Faire un temps

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Pas d'autre récit pour cette course.

Un Ultra en Erasmus

Introduction

 

A moins d‘être un fin connaisseur de la distance, très peu de monde connaît le 100 km de Bergen (Norvège) qui se déroule le 1er samedi du mois d’avril. Et pour cause, une poignée de courageux (ou d’inconscients 😅) prennent le départ chaque année. Ils sont en revanche plus nombreux sur les distances inférieures sur le même parcours (sur la même journée) : 63km, marathon et semi. Et ce malgré un prix d’inscription particulièrement bas à 450 NOK (environ 37 euros) et pas de certificat médical ou de pps requis. Malgré tout, le « Maratonkarusellen Bergen Ultra 100km » a le mérite d’avoir son charme norvégien et des spécificités bien à lui.

 

 

Contexte:

 

Pour les lecteurs de ce récit de course, je crois important de préciser brièvement le contexte de l’auteur que je suis pour une meilleure compréhension de la suite. A noter que je m’étais déjà essayé (avec succès ?) à la rédaction d’un premier récit de course, celui des 100 km de Millau 2024, quelques mois plus tôt (https://www.kikourou.net/recits/recit-22399-100_km_de_millau-2024-par-cln_ment_lhe.html

L’auteur en question est donc un étudiant de 21 balais qui s’est essayé à la course à pied en août 2024 afin de boucler sa première course officielle en septembre à Millau sur le 100 bornes. Conquis par l’expérience, relativement bien vécue sur tout le long et avec un chrono sub 12h pas trop moche, il n’était pas question que je m’en arrête là.

En parallèle, je venais de choisir ma destination pour mon échange universitaire du second semestre début 2025 : ce sera Bergen en Norvège. Et c’est par hasard en scrollant sur le site finishers.com que je découvre une course de 100 km à Bergen. Je me dis quelle coïncidence quand même ! La page finishers ne mentionne que très peu d’éléments (dont certains erronés), et je tente donc d’effectuer quelques recherches. Pas grand-chose à se mettre sous la dent, si ce n’est la page officielle de l’organisateur entièrement en norvégien. Quelques infos sur la précédente édition y sont affichées.

Mise à part cela, on ne trouve que peu de photos et aucun récit de course (toujours sympathique à lire avant, ne serait-ce que pour s’informer et mieux appréhender l’épreuve, ce qui est notamment le but de cette présente narration). Autrement dit, la course ne bénéficie que d’une très faible médiatisation.

 

 

Et pourtant cette course ne me quitte pas du cerveau. C’était décidé, ce n’est pas une coïncidence que je sois tombé dessus, il fallait que je la fasse ! A ce moment-là, je n’avais pas encore couru Millau fin septembre.

 

Arrivait octobre, où je tente de m’inscrire mais le site n’est toujours pas à jour. En novembre je cours le marathon de Toulouse, mais la longue distance commence à me manquer. Je me rends régulièrement sur le site pour voir si les inscriptions sont ouvertes. Toujours rien. Bizarre que 5 mois avant un telle échéance on ne puisse pas s’inscrire. Et puis un beau jour de décembre l’inscription est enfin ouverte. 1er inscrit sur le 100 km !

 

Entre-temps une autre course m’avait tapé dans l’œil. Très proche de chez moi, longue distance, trail mais profil roulant donc similaire à de la route. Certains l’auront deviné, il s’agit de l’Ultra Marin.

 

Avec beaucoup de chance (et un peu de tactique aussi il faut le dire) j’ai pu obtenir mon dossard pour le 175 km. Il convenait alors d’en faire l’objectif prioritaire de la saison. Fort heureusement, le Grand Raid se déroule fin juin, alors que le 100 km de Bergen arrive début avril, soit presque 3 mois d’écart. Idéal donc ! Je décide ainsi que Bergen serait une étape intermédiaire pour l’Ultra Marin, une sorte de test pour voir ma progression à ce moment.

 

Si vous me trouvez ennuyant à lire, vous pouvez sauter la partie prépa et aller directement à la partie course. Je ne vous en voudrais pas. M’enfin vous ne savez pas ce que vous loupez…

 

 

Prépa:

 

J’arrive le 2 janvier à Bergen. Il neige beaucoup. Je me remets doucement à courir après 6 jours de pause, ce qui ne m’étais pas arrivé depuis l’après-Millau début octobre. La combinaison de poudreuse/gel rend la course à pied un exercice particulièrement périlleux, c’est donc difficile de borner, au début du moins.

 

A partir du 10 janvier, la neige commence à disparaître et j’arrive à enchainer 90 km la semaine du 13 janvier. C’est à ce moment-là que je me dis qu’il serait temps de commencer la prépa pour le 100 bornes qui arrive vite. Je me fais donc un plan d’entrainement sur Excel. Jusque-là, je m’entrainais aux sensations et à l’envie parce que je courrais avant tout pour le plaisir. Il fallait donc que je trouve dans mon plan un bon équilibre entre cohérence et flexibilité pour maximiser le plaisir et la progression à la fois. Ça a super bien fonctionné. Les jours de méforme je m’accordais des sorties plus courtes ou même de repos, j’inversais 2 séances quand j’en ressentais le besoin, j’avançais ou reculais ma sortie longue d’un ou deux jours pour que ça tombe sur une journée de beau temps (parce que oui il pleut souvent à Bergen).

 

J’avais construit mon plan d’entrainement autour des deux séances hebdomadaires du running club de mon école avec laquelle je suis en échange universitaire. Le mardi c’est intervalles longs en côte (souvent 1-1-2-2-3-3-4-4, 1-2-3-4-3-2-1, …) et un easy run de 10 km le jeudi. Pour ma part je n’apprécie guère (pour rester poli) les intervalles et encore moins le fractionné. Donc la seule manière que j’en fasse c’est avec d’autres personnes, donc participer aux séances du running club. Et puis le jeudi était un bon prétexte pour retrouver les copains, en plus de borner en EF.

 

Chose importante à noter, Bergen est LA ville idéale pour se mettre au trail. Elle est entourée de 7 montagnes allant de 300 à 650 m de hauteur. Présents en grand nombre, la plupart des sentiers sont très techniques et permettent une progression rapide en trail. Très vite je suis allé faire 1001 escapades en montagnes, plusieurs fois sur chaque sommet, en solo ou avec des camarades.

 

D’un côté le kiff de la course à pied était incroyable parce qu’on pouvait alterner route et trail. D’un autre côté, ça nuisait à l’efficacité de l’entrainement en termes de spécificité parce que le 100 km de Bergen se courait sur route et ne faisait que 700 m de dénivelé positif tout au plus, autrement dit que dalle.

 

 

Ma préparation a commencé officiellement le 20 janvier, où je décidais de repartir plus bas que mes 90 km hebdomadaires de la semaine précédente pour avoir une surcharge progressive (+5 à 10 km par semaine), en démarrant à 63km. 71, la semaine suivante, puis 76 la semaine d’après, sans sortie longue à proprement parler, en me limitant à des distances semi en EF.

 

A la quatrième semaine je tombe malade, ne pouvant que courir 22km au total, affectant mon volume hebdomadaire. La semaine suivante, je dû donc respecter mon volume pour ne pas prendre de retard, avec 93 km au compteur. Le delta n’est pas franchement formidable, mais ça passe.

 

C’est cette semaine que je fais une première sortie longue, en mode trail. 33 bornes de prévues, 1500 de D+. Tracé sur Strava et s’éloignant des montagnes Bergen pour découvrir d’autres sommets, le parcours a été d’une difficulté éprouvante, entre chemins techniques, arpentés, gorgés d’eau, soufflés par un vent violent et déstabilisant. Et ce malgré en temps favorable. 

 

Désormais mes sorties longues seront plus raisonnables : toujours avec du D+ inévitable, mais sur route. J’enchaine mes semaines avec 100, 105 puis 107km hebdomadaires, avec pour SL respectivement 45, 50 puis 60 km. Les 45 et 50 à allure cible (5’30/km) et celle de 60 à 6’00/km pour « ne pas faire la course avant la course ».

 

Avant Millau ma plus grosse sortie longue s’élevait à 53 km, donc je me disais que 60 km était un bon compromis entre entrainer le corps à la résistance à l’effort en allant loin dans la durée, mais pas trop pour ne pas se flinguer.

 

 

Entre temps, début mars, j’avais comme une gêne (inflammation ?), sans être une vraie douleur, située au niveau du talon/os du talon. Impossible à identifier formellement puisque la zone ne correspondait pas réellement à celle d’une aponévrosite plantaire. Heureusement cela ne m’empêchait pas de courir, et n’aggravait pas non plus la chose. Je dû sauter 1 ou 2 séances d’intervalles par précaution. Mais ça restait gênant en marchant et donc un peu préoccupant. Seul remède, l’automassage, mais qui ne semblait pas résorber le problème. J’avais un premier dilemme :

 

1-     Couper le volume, ce qui semblait être la seule solution pour régler ça avant la course.

2-     Continuer jusqu’à la période d’affûtage et miser dessus pour que ça se résorbe.

 

Ni une ni deux, je pris la deuxième option. J’ai pourtant l’habitude d’être très à l’écoute de mes sensations pour m’adapter en permanence. C’était un risque certes, mais un risque calculé. Mes sorties longues sont passées sans que cette « blessure » ne me perturbe.

 

 

Place à l’affûtage

 

J’ai pu franchir le pic volumétrique de 107 km hebdo à trois semaines de la course non sans une certaine fatigue. Après ma sortie de 60 bornes, je n’étais donc plus censé faire de sortie longue pour recharger les batteries.

Sauf que je propose la semaine suivante à 4 autres copains de faire en « off » le challenge des 7 montagnes de Bergen. L’occasion est immanquable : les gens sont dispo, une éclaircie de beau temps est annoncée le week-end, … On est donc parti faire 36 bornes et 2500 de D+. On a kiffé comme pas possible. Par contre ça n’était pas idéal pour moi à 2 semaines du départ. Mais bon, c’est moi qui ai proposé en tout conscience donc j’assume.

 

 La semaine s’est achevé à 67km, et la suivante à 39 km. Je sentais de la difficulté à retrouver la pleine forme malgré plusieurs jours de repos. Pour l’affûtage de la dernière semaine, je décidais de courir le lundi, mardi, mercredi et le vendredi (activation) en petit volume (2 à 6 km), c’est-à-dire avec un seul jour de repos (Jeudi).

 

 

Un autre dilemme s’imposait à moi. J’avais 2 paires de chaussures : une pour la route mais qui approchait les 1000 km, et une autre hybride route/trail avec laquelle je courrais la très grande majorité du temps, mais dont la mousse au niveau du talon s’enlevait prématurément me donnant des ampoules dès qu’il y avait un peu de dénivelé. Pas question d’acheter une nouvelle paire, je n’aurai pas le temps de m’y accoutumer. Le choix du confort aurait été de prendre ma paire de route pour éviter de possibles ampoules, mais je me suis dit que mes pieds étaient peut-être trop déshabitués à cette paire que je mettais rarement, d’autant plus pour une longue distance. J’ai donc choisi ma paire hybride. Ce choix s’est finalement avéré payant.

 

Ce que je peux ainsi conseiller est de plutôt privilégié une paire à laquelle on est habitué sur le moment, quand bien même le confort n’est pas optimal, à une paire plus confortable mais dont on n’est pas sûr d’avoir suffisamment couru avec les dernières semaines.

 

 

Profil de la course, reco et dossard :

 

Pour ne pas arriver totalement à l’improviste, je profite du week-end précédent pour aller faire un petit repérage du parcours. Il se situe à 15 min de tram et 10 min de marche. Le départ se fait depuis une piste d’athlétisme dans un stade (fana stadion) au sud de Bergen.

 

En fait le 100 km consiste en 5 aller-retours d’une route de 10 km de laquelle il faut pointer à chaque extrémité. Le parcours est relativement plat (environ 65 mètres pour 10km), et le dénivelé se concentre en arrivant/en sortant du stade. Sur les 2/3 premiers kilomètres, le chemin (assez large) longe par endroit une voie rapide et le restant se fait sur des routes de campagnes à travers la forêt et des zones résidentielles. Le cadre est pittoresque, entre sous-bois verdoyants et lacs scintillants. Ma reconnaissance s’est arrêtée à mi-chemin.

 

 

Le retrait du dossard s’est fait la veille dans un Intersport à proximité du stade. Retrait rapide et efficace, norvégien quoi. Sauf qu’en se quittant, la bénévole me lança un « Good luck », qui résonna en moi plusieurs minutes comme un signe prémonitoire…

 

Mais bon j’étais rassuré, presque soulagé d’avoir mon dossard entre les mains. En effet, le manque d’informations sur la course me laissait planer des doutes du type « est-ce que mon inscription a bien été validée ? », « c’est bizarre qu’on ne m’ait pas demandé de justificatif médical ». Bref, le job a été fait : prépa+dossard dans la popoche. Il ne restait plus qu’a dérouler.

 

Le soir, je dû décliner le traditionnel « Tacos Friday » que nous avions adopté avec mes camarades internationaux avec qui je partageais la cuisine. Je continuais ma « perfusion » aux glucides que j’ingurgitais depuis 3 jours, entre riz pâtes et pommes de terre.

 

 

Hélas je ne pourrai être accompagné par mes copains runners de l’école, puisqu’ils participent à un relai entre Bergen et Oslo contre l’école concurrente de la capitale. Avec regret je ne peux y participer, se déroulant sur 3 jours pile sur le créneau de ma course. Mais l’esprit sportif nous soutenais grâce aux séances que nous avions partagé ensemble. Je suivais avec assiduité les résultats (« Nous » avons finalement gagné pour la 41e fois / 50 avec 1 heure d’avance !).

 

 

La prépa en chiffres

 

La prépa de ce 100 km s’est déroulée sur 11 semaines, avec 760 bornes au compteur, auxquelles il faut rajouter 95 km de remise en forme début janvier. Au total ce sont 50 sorties pour 84 h (moyenne de 4,5 sorties/semaine en comptant l’affûtage) et près de 18 000 m de D+ encaissés.

 

Par rapport aux objectifs planifiés, le volume horaire hebdo moyen est validé (7h15 /semaine en moyenne planifié, 7h36 réalisé). Le volume kilométrique total était de 760/805 km, dont la différence s’explique par les quelques jours où la maladie m’a pris en otage quelques jours.

 

 

Jour de course : samedi 5 avril 2025

 

Le jour J débute par un lever à 6h45 après une courte nuit de sommeil. J’arrive à avaler mon petit déjeuner (flocons d’avoine, banane, fromage blanc, confiture) 1h45 avant le départ, ce qui est un peu juste mais suffisant. Après une dernière vérification je me retrouve en retard pour être bien en avance, donc je quitte le logement en petite foulée pour attraper le prochain tram à proximité.

 

Il fait frisquet, mais la météo s’annonce excellente, coup de chance ! J’arrive en haut de la butte un peu après 8h passées. Le stade est surplombé par un soleil réchauffant le fond de l’air. J’arrive au pied de la piste d’athlétisme. Pas grand monde pour le moment, pas vraiment l’air d’être très pressé ces Norvégiens.

 

Je discute un peu avec les quelques organisateurs déjà présents, puis j’attends patiemment sur le bord de la piste. J’arrive un peu trop en avance, mais c’est le bon moment pour faire une réinitialisation et se mettre en condition mentale. Pour moi il s’agit d’un jeu que je dois essayer de boucler en moins de 10h (c’est l’objectif), en trouvant des moyens physiques et mentaux pour déjouer les difficultés. Le tout en prenant du plaisir. C’est mon état d’esprit. Donc aucune pression ne me traverse, je me dis que je suis là pour kiffer et pourquoi pas faire des rencontres pendant la course. Je ne croyais pas si bien dire sur ce dernier point…

 

 

-« neuf heures moins vingt-cinq, il est temps de s’échauffer ». Quelques tours de terrains et ma routine de mobilité suffisent. Seule appréhension, cette gêne au pied gauche que je me traîne maintenant depuis plusieurs semaines. Les gens arrivent au compte-goutte. J’entends l’une des musiques de ma playlist résonner dans les haut-parleurs du stade, et je me dis que c’est un signe. 

 

Le départ est donné à 9h00 pour les participants du 100 et 63 km. Le marathon partira à 10h, et le semi à 11h30. Les internationaux se comptent sur les doigts d’une main. Nous sommes 18 participants alignés sur le 100km, et 22 sur le 63 km, ce qui est très peu pour des formats de ce type. Bien entendu, je suis le plus jeune sur le 100, allez savoir pourquoi.

 

 

Un dernier détour aux toilettes et nous gagnons l’arche gonflable à l’autre bout de la piste. A 3 minutes de départ seulement les gens se mettent à marcher calmement vers la ligne de départ. Il est neuf heures et nous ne sommes toujours pas partis. Un des organisateurs prend la parole et nous livre un petit discours auquel je ne pige fichtrement rien, mise à part me semble-t-il une question « qui fait le 63 km ? le 100 km ? » suivis par des applaudissements mutuels.

 

 

Le départ est finalement donné sur les coups de 9h01. C’est parti ! Nous faisons une moitié de tour de piste avant de quitter le stade par l’arrière et de le longer en sens inverse par l’extérieur. A chaque tour de 20 km nous complétons cette autre moitié de piste pour repasser sous l’arche et ressortir par le même chemin. Rapidement le peloton s’étiole. Je me trouve dans le dernier quart. 

 

Dès les premiers kilomètres je ressens une raideur franchement gênante dans mon pied gauche, de manière assez inexplicable. Ce n’est pas localisé à l’endroit habituelle de ma gêne, et pourtant je ne peux m’empêcher de penser qu’il y ait un lien. Peut-être s’agit-il de l’effet lié à la compensation naturelle du pied pour éviter une position qui me faisait ressentir cette gêne ces dernière semaine ? Quoiqu’il en soit je reste positif, même si le mental prend déjà un coup quand on se dit qu’on peut se trainer ça toute la course. Dans mon esprit, ce n’est pas tant ce genre de pépin qui m’embête en soi, mais plutôt le fait que cela puisse altérer le plaisir que j’attendais de cette course.

 

 

Malgré tout je maintien une allure assez rapide, entre 5’15 et 5’25. Ma stratégie, favorite pour les longues distances, est d’utiliser la méthode Cyrano, qui consiste à alterner course/marche de manière régulière. La fréquence est 14’ de course pour 1’ de marche. Pendant cette marche rapide et récupératrice, j’en profite pour me ravitailler en eau, gels (1/heure), abricots secs et bonbons, ainsi que respirer profondément pour faire baisser le rythme cardiaque.

 

En faisant un petit calcul, cette stratégie 14’-1’ en courant à 5’30/km ne fait baisser l’allure moyenne qu’à 5’40, autrement-dit environ deux minutes de « perdues » toutes les heures. Mais ce n’est rien comparé aux prodigieux bénéfices de cette méthodes (gestion de l’alimentation, gestion mentale en fractionnant des mini-objectifs, meilleure résistance à la douleur musculaire, …). Le plus satisfaisant dans tout ça, c’est quand on arrive à coordonner la minute de marche avec une côte. Je vous le dis, l’Ultra c’est un jeu !

 

Je pars donc avec une allure supérieure à celle prévue. La raison ? Honnêtement je ne sais pas. Était-ce une erreur ? Peut-être…

 

 

En plus de cette raideur dans le pied, je sens dès le dixième kilomètre que je ne suis pas dans une grande forme, mes jambes sont lourdes et montrent des signes de fatigue prématurés. En d’autres termes ça sent vite le roussi. Et pourtant j’arrive à bien profiter de ce premier tiers de course.

 

 

J’ai pu faire la connaissance d’un Norvégien aligné sur le 63km avec qui je pu discuter quelques minutes avant qu’il ne me décroche étant un peu trop rapide pour moi. Au fil des kilomètres nous commencions à croiser en sens inverse les premiers de la course. A ce moment de la journée, nous nous contentions de quelques échanges de regards en signe de soutiens.

 

Il faut dire qu’à part les bénévoles et les coureurs, nous ne pouvions compter sur le soutien de personne d’autres. Pas de spectateurs donc (sauf à l’arrivée pour les coureurs des plus courtes distances). Et je vais me rendre compte à quel point ce soutien extérieur peut compter sur ces distances. C’est une course que l’on peut qualifier de confidentielle. Je n’aurai croisé qu’un père avec son gamin qui m’a chaleureusement encouragé. On n’hésitait pas à lâcher aux bénévoles un petit sourire accompagné d’un mouvement de tête.

 

 

Au fil de la matinée, la route se garnissait des coureurs du marathon et du semi. On commençait à se sentir un peu seuls. Au bout de 30-35 bornes, ma sensation de raideur au pied s’estompait au profit de tensions musculaires aux jambes. Je passais le marathon en 3h53, soit mon deuxième meilleur temps à 15’ près.

 

En fait ça devenait sérieusement dur à partir du ravito du 43e km. Je dû m’arrêter près de 5 min rien que pour remplir mes flasques et y mettre mes électrolytes. Les gobelets d’eau n’étaient que très peu remplis, je devais donc en vider une dizaine. C’est là qu’on se rend compte à quel point l’assistance est précieuse. Cet arrêt de 5 minutes a suffi pour me scier les jambes.

 

J’arrive quand même à passer les 50 km avec un PR (4h45). Je n’avais pas la sensation d’aller trop vite, mais seulement de ne pas avoir les jambes ce jour-là. Passer le 50 km constitue pour moi une vraie bascule mentale. C’est ici que la course commence. J’active un déclic mental, où la seule option c’est de terminer, je suis prêt à endurer. Avec ma vitesse plus rapide que prévue, je m’étais constitué un petit matelas d’une quinzaine de minutes d’avance.

 

 

Un gros passage a vide me prend entre le 51e et le 53e km. Toujours dans cette disposition mentale qu’il s’agit d’un jeu, je décide de jouer 2 cartes coup-sur-coup. La première est de passer de 14’ de course pour 1’ de marche en 9’ de course pour 1’ de marche. La deuxième carte est la musique. Je ne l’utilise pourtant jamais en courant, mais il faut croire que sur le coup ça m’a bien aidé. Je pus alors entamer une formidable relance pendant près de 10-12 km.

 

Avec les aller-retours, j’avais la sensation que l’aller étais nettement plus dur que le retour. Vers le 63e, le regain de forme était passé, le mental reprenait une fois le relai. A vrai dire je n’ai plus tellement de souvenir de cette partie de la course 60-70 km, seulement que la route se vidait des derniers coureurs des distances inférieures. Même ceux du 63 se faisaient plus rares. Je ne vis bientôt plus le norvégien avec qui j’avais discuté en début de course. Je n’aurai pas l’occasion de le recroiser après la course. Une rencontre éphémère.

 

 

Au fur et à mesure il ne restait donc plus que les coureurs du 100 bornes et les bénévoles, comme en début de matinée. Et à force que cela devenait plus dur pour tous le monde, nous nous encouragions de plus en plus à chaque fois que nous nous croisions, à coups d’applaudissement, de pouces en l’air, d’acquiescement de la tête, de sourire, de « come on » ou de « hang in there ». En fait nous nous sommes croisés tellement de fois (bien une dizaine de fois chacun en gros) que nous avions chacun fini par trouver notre signe d’encouragement entre nous. In fine, il s’agit d’une vraie course en solitaire, entre coureurs. On ressentait l’esprit sportif norvégien assez particulier.

 

 

Je faisais le dos rond pendant 20 bornes en espérant un rebond et une relance qui ne venait jamais. L’alimentation devenait de plus en plus difficile, je commençais à prendre du coca, une sorte d’arme magique qui passe toute seule quand le solide ne veut plus. J’essayais de trouver des stratégies pour duper mon cerveau : en me disant que si tu peux toujours courir, c’est que c’est « facile » d’une certaine manière. Il faut toujours garder un optimisme, une forme de positivité. Même le sourire en courant aurait de effets positifs sur le mental.

 

 

Je voyais mon petit matelas d’avance fondre petit à petit pour accrocher le sub 10h. Je gagnais le stade et franchissais la ligne pour l’avant dernière boucle péniblement en 8h00’34 (80e km). Dernier aller-retour, le sub 10h est encore jouable ! Petit soulagement au passage parce qu’une première barrière horaire était de faire 80km en 9h.

 

Je repartis du stade un peu requinqué. Mais à peine 2 km plus loin, le physique en reprend un coup. Cette fois ça devient très compliqué. Je commence à m’arrêter 20-30 secondes toute les 5 minutes pour que mes jambes récupèrent. Je n’avais pas encore touché le fond...

 

 

Nous n’étions désormais plus qu’une poignée sur le parcours. J’arrivai au 87e kilomètres, dans un sous-bois donnant sur un lac, et là impossible d’avancer, des douleurs au jambes comme je n’en avais jamais connu. J’ai quand même la lucidité salutaire de me poser sur un rocher quelques minutes. Je commençais à réaliser que je ne pourrai pas atteindre ce moins de 10h.

 

Mais pas grave ! Je suis toujours dans le jeu et l’abandon ne me vient pas à l’esprit un seul instant. Paradoxalement l’expression « être au bout de sa vie » n’a jamais pris autant de sens à ce moment-là. Mais je me disais bien que, cet état de fatigue extrême, je l’avais choisi, c’était ce que j’étais venu chercher.

 

Je pris donc le temps de réfléchir comment réadapter ma stratégie en essayant de finir le plus vite possible (même si la barrière horaire de 12h était encore loin), tout en continuant de prendre un certain plaisir, de profiter du moins. Je décide de repartir en marchant rapidement, même si c’est douloureux au début (je savais que la marche allait devenir de plus en plus supportable), puis d’aviser au 90e en voyant si je pouvais relancer la machine. J’étais reparti.

 

Je n’avais pas le moral dans les chaussettes, au contraire j’avais plutôt une sensation de bien-être dans mon esprit. La fin de journée approchait, l’air devenait un peu plus frais, plus personne sur les routes ou presque.

 

 

Un coureur du 100 km me dépassait en courant en petite foulée. Je pensais qu’il était devant moi. Un petit encouragement mutuel et il disparut dans les virages irréguliers de cette route insolite. Je parvenais à avancer à environ 9’/km.

 

Je me rapprochais du dernier ravito (10e km) et m’intriguais de ne pas recroiser le coureur qui m’avait doublé. L’extrémité du parcours se terminait par une légère descente en ligne droite. Ce n’est que là que je l’apercevais venir en sens inverse. Dernières salutations…

 

Enfin le ravito du bout du monde, dernier passage ! Petite frayeur, je vis un bénévole démonter l’appareil servant à enregistrer le passage de la puce du dossard. Je le questionne, et il me répond que l’appareil ne marche plus mais que l’autre bénévole va reporter mon temps de passage. Je prends un dernier coca, je remercie chaleureusement les 2 braves hommes. Je repars en marchant vite, le temps de franchir la petite colline.

 

 

Puis je me décide d’alterner 2 km de course/ 1 km de marche. Victoire ! J’arrive à relancer la machine, et pas trop mal à un peu plus de 10 km/h ! Au 93e je remarche. J’en profite pour appeler mes parents par WhatsApp. Ma mère décroche. Je lui fais profiter du cadre idyllique via la caméra, comme je fais parfois lorsque j’arrive à un sommet ou à un point d’intérêt. Je lui dis que ça va, c’est dur mais ça va.

 

Après mon petit kilomètre de marche, je repars de plus belle, et la machine répond mieux qu’espéré. Le voilà ce rebond tant attendu ! Plus que 6 kilomètres bordel !

 

 

Sur le chemin je croise en sens inverse un autre coureur, puis un couple que j’encourage une dernière fois. Il leur reste une quinzaine de km. Les ravitos sont déserts, rangés, seulement les poubelles qui débordent. Il ne reste plus que les secouristes de la croix rouges qui sont remontés dans leur camion. Derniers pouces en l’air en signe de remerciement. J’avais l’habitude de saluer un ado et son père qui assuraient le passage d’une route qui croisait perpendiculairement le parcours. Sauf à ce dernier passage à 4 km de l’arrivé. Ils avaient levé le camp eux aussi.

 

Au 97e, j’aperçois au loin mon fameux coureur. Il marche. Je finis par le rattraper peu après. Je lui propose de finir ensemble. Quelle sacrée coïncidence tout de même. Si proches de l’arrivée. Il accepte volontiers. On se met à bavarder, et nous courrons pour les 3 derniers km. Nous nous fixons l’objectif de finir en moins de 10h30 qui nous semble jouable.

 

Nous sommes donc plus que 5 participants en course. Dernière marche pour gravir la colline qui mène au stade. Arrivés en haut, petite libération.

 

On commence à tracer (bon pas tant que ça mais sur le moment ça en donnait l’impression he he 😅). On arrive sur la piste pour les 200 derniers mètres, qui paraissent en faire 500. Le stade est vide, le soleil se couche lentement mais est toujours là.

 

Un dernier bénévole nous accueille à la ligne d’arrivée et nous félicite. 101 km, 10h29’23 ! Physiquement j’étais pas mal, très loin de l’enfer du 87e km. Nous nous congratulons mutuellement par des poignées de mains. Quel bel effort !

 

 

Nous recevons en tant que finishers un verre marqué du sigle « maratonkarusellen ». Drôle d’anecdote, mais c’est mon deuxième 100 km, et la deuxième fois qu’il n’y a pas de médaille à l’arrivée. Ce ne me dérange aucunement, bien au contraire, ça marque l’importance de l’effort lui-même. Le norvégien avec qui j’ai fini me propose de partager les 2 bières qu’il a dans ses affaires. Comment mieux finir un Ultra ? Vraie question !

 

On s’assied à une table, dans le stade vide, le soleil couchant, bière à la main, fin de journée, une petite brise se lève. On discute un bout de temps de tout et de rien. Il connaissait les 100 km de Millau puisque c’est sa première course. Comme moi, quelle coïncidence ! Il a également fait le marathon des sables. Il prévoit de faire un ultra au Canada, puis de partir en 2026 pour un autre ultra en Ouzbékistan ou au Kazakhstan, je ne sais plus trop. Un Norvégien bien déter !

 

 

En fait après une petite recherche au moment où j’écris ces lignes, j’apprends qu’il tient une chaine Youtube, « The Walking Veteran » :

https://www.youtube.com/channel/UC2_QQWbRReAHN2He-DxSnnQ/videos

 

Habitant à Oslo, il loge chez ses parents à Bergen pour l’occasion, qui sont venus le raccompagner peu après. Dernière poignée de main, et le voilà qui s’en va. 

 

A mon tour, je me remets en marche et quitte le stade, l’esprit léger. L’arche d’arrivée est dégonflé et un bénévole attend encore les 3 derniers participants. 

 

La journée s’achève.

 

 

PS: n'hésitez pas à laisser un retour en commentaire (;

4 commentaires

Commentaire de Elendil posté le 18-04-2025 à 13:30:22

Merci pour ce récit ! Super gestion mentale (et temps pas du tout anecdotique !!!). Millau, c'est le top pour commencer le 100 ;-)

Commentaire de Clément LHE posté le 18-04-2025 à 23:58:39

Merci pour ce retour 👍 Effectivement j'avais adoré Millau, que ce soit l'ambiance, le parcours, les gens ...

Commentaire de Simon71 posté le 19-04-2025 à 14:54:22

Merci, joli récit vivant

Commentaire de Yannael posté le 24-04-2025 à 22:53:38

"toujours sympathique à lire avant, ne serait-ce que pour s’informer et mieux appréhender l’épreuve"
Je valide complètement. C'est toujours très plaisant et utile à la fois de pouvoir lire quelques récits pour se renseigner sur une course à laquelle on projette de participer. Dommage d'ailleurs que le nombre de CR sur Kikourou soit en forte baisse ces dernières années.
Bravo pour ta course, belle résilience.

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