L'auteur : defi13
La course : Techni'Trail de Tiranges - 83 km
Date : 26/5/2024
Lieu : Tiranges (Haute-Loire)
Affichage : 432 vues
Distance : 83km
Objectif : Se dépenser
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Début d’année 2024, j’ai gagé un dossard pour le TTT, J’ai juste noté la date et quelques caractéristiques (26 mai, 82k et +4500d+ ah oui quand même!) car j’étais engagé dans une prépa pour le Trail du Ventoux. Je me suis dit que cette prépa serait très bénéfique et qu’il me suffirait de bien récupérer 1 à 2 semaines et de réaliser 11 semaines de préparation spécifique sur du trail long pour être sur la ligne de départ dans de bonnes conditions.
Les semaines ont passé et j’ai commencé à collecter des infos sur le TTT version Ultra. Il existe un parcours de 56km et le long de 82km ainsi qu’un d’une courte distance et des randonnées. Par les récits de Kikourou j’ai aussi pu lire que comme son nom l’indique bien il est relativement technique avec des « droits dans la pente » appréciés des amateurs de D+.
Clairement ma préparation pour le Ventoux m’avait sérieusement affûté pour des trails de moyenne distance. La structure globale du nouveau plan restait la même : 5 séances par semaine, 2 à 3 d’endurance (entre 1h et 2h), 1 ou 2 de vitesse (en côte, ou fartlek, 1h à 1h30) et 1 longue de 2h30 à 6h (en rando course). L’emploi du temps m’a permi d’en caser un nombre raisonnable (de l’ordre de 80%) et le volume hebdomadaire a fluctué entre 40 et 90km (pour 4h à 14h par semaine). Je grapillais des 150 à 300d+ en semaine qui étaient complétés par 600 à 1000d+ le weekend. Le volume était correct, le D+ aussi pour un coureur francilien.
Vers la fin avril j’ai participé au 2T2M en guise de prépa qui m’a permis de faire 4h46 d’entraînement et 1700d+ dans des conditions très difficiles (boue) 4 semaines avant Tiranges. Je n’ai pas soulagé la semaine qui précédait et j’ai essayé de repartir de bon pied en minimisant au maximum le repos après le 2T2M. Sans réaliser les sorties de rando-course de 5 à 6 heures, j’ai tout de même fait toutes celles de 2h30 à 3h et celle du 2T2M. Après coup je me dis que rien ne remplace un bon trail pour prendre des points d’expérience. Mes sorties de 2 à 3h étaient un promenade en comparaison !
A 7 jours de la course je place donc une dernière sortie de qualité : 2h25 pour 21k et 1000d+. Je m’étais efforcé de ne pas pousser trop fort en prenant mon temps pour monter et récupérer en descente... encore trop rapide ! Je finis assez fatigué. Le lendemain j’ai le genou droit qui couine, je ne m’en inquiète pas car je sais que j’ai une semaine pour digérer et que je ne compte pas faire de sortie supplémentaire. Toutefois j’ai un point dans la cuisse droite alors que la préparation s’est déroulée parfaitement. Je décide de rester attentif, de me reposer et de me masser dans les jours qui suivent. Jusqu’au jeudi le point dans la cuisse est tenace, le petit footing du mercredi ne l’a pas fait passer, ni les massages d’ailleurs. Alors, douleur psychosomatique ou petite élongation… ? Il peut arriver que les douleurs soient exacerbées ou même entièrement provoquées par des facteurs psychologiques tels que le stress, l'anxiété et je me dis que c’est tout à fait possible dans mon cas. En tous cas, la fatigue est présente et j’ai de mauvaises sensations jusqu’au vendredi.
À tête reposée pendant la semaine j’ai essayé de dégager des scenarios, d’élaborer une stratégie, et de définir un temps pour cette course. Quelle course repère serait la plus ressemblante à ce qui m’attend à Tiranges ? Je pense à des successions de montées et descentes, on m’a parlé de terrains boueux à cause des pluies incessantes depuis des semaines avec de fortes pentes en montant et descendant. Dans mon catalogue d’expérience, il y a une course qui me trotte dans la tête depuis un moment : la Bouillonnante. Pour l’avoir faite 2 fois, je pense assez naturellement à cette épreuve lorsque j’envisage le TT de Tiranges. Le parcours est en forêt pour les deux, on monte droit dans la pente, dans les sous-bois, pendant 5 à 10 minutes, il y a beaucoup de terre, et de boue s’il a plu. Enfin, on n’est pas dans une zone montagneuse à proprement parler. Je compare mes anciennes traces et repères et je me dis qu’avec ses 50km et ses 2400d+ en bord de la Sémois, la feue Bouillonnante a bien des allures de TechniTrail de Tiranges en bord de l’Ance… Une allure moyenne de 8 :15 à 8:30/km devrait m’amener aux alentours des 13 heures de course. Le vainqueur a d’ailleurs réalisé 11h30 l’année passée.
J’ai pu réserver un chalet en plein coeur du village proposé à la location par une des bénévoles du trail, il faut dire qu’un quart du village est membre de l’organisation de trail à Tiranges.
Je suis arrivé par le train (TGV jusqu’à Lyon, puis TER jusqu’à St Etienne puis un autre jusqu’à Bas-Monistrol. Une fois sur place c’est une autre bénévole et son mari qui m’ont pris en voiture pour me monter jusqu’à Tiranges. La route sinueuse et en montée annonçait la couleur ! Une fois sur le plateau la vue était dégagée et laissait présager du meilleur de la région : des vallées, beaucoup de verdure, des fleurs sauvages et des centaines de petits sentiers escarpés. Le mari m’annonce que certains passages sont difficiles et que des cordes ont été placées pour nous aider. Nous arrivons gentiment à Tiranges, tout petit village, mignon comme tout avec une belle organisation locale comme on les aime, plein de bénévoles agréables, grisonnants et dynamiques. Je retire mon dossard ainsi que les clés de mon logement. Les bénévoles me déposent au logement distant d’un petit kilomètre du point de départ du trail.
Mon pied à terre pour le weekend
Le village est tout petit, je ne trouve pas de distributeur d’argent. Qu’à cela ne tienne, un autre bénévole doit aller faire une course au village d’à côté, il me prend en charge et nous voilà partis pour une petite ballade. De retour au chalet de dépose mes affaires, étends la chaise longue et prends un bain de soleil dans le pré. La vue est dégagée, l’après-midi parfaite. Je me rhabille et je repars à pied pour rejoindre le point de départ. Sur le chemin, je constate qu’un grand panneau annonçant l’évènement du week-end est disposé au cœur du village. J'ai appris qu'il a été confectionné par des élèves travaillant dans une scierie de bois. Sur la ligne de départ, même chose pour la belle grande arche en bois, toute neuve et démontable. Elle servira l’événement pendant des années !
Je me garde bien de commander une bière, mais je garde cela en tête pour demain à l’arrivée, car je compte bien le finir ce UTTT ! Je rentre dans la salle des fêtes et j’assiste à la conférence d’Ugo Ferrari sur les bienfaits de l’entraînement en altitude après ses 3 dernières années à préparer l’UTMB à Tignes pendant le mois d’août (résumé : ça marche à condition de rester +3 semaines à +1800m d’altitude, et de bien gérer la redescente). La conférence est bon enfant et quelques questions sont échangées à l’issue. Je vous livre l’une d’entre elles : « quel conseil donnerais-tu aux coureurs du 82 km ? ». Ugo : « Ben il est 18h00, la course part à 03h30, ne tardez pas à aller vous coucher les amis ! ». Donc je rentre et je remarque que je n’ai plus du tout de bobos, ça me rassure.
Pour le repas du soir pas de chichis, j’ai prévu simple et efficace, pas de repas interminable ni trop chargé. Sachant que je prévois de me réveiller à 02h30, je ne traîne pas. Je rentre au chalet où je prépare le sac pour le lendemain. À la question bâtons ou pas bâtons, j’ai tranché pendant la semaine et j’ai décidé de ne pas les prendre. J’espère ne pas m’être trompé, mais je sais que dans les successions de montées et descentes comme ici je suis gêné par mes bâtons. Je mise sur eux lorsqu’on les sort pour des longues sections en montée ou en descente, mais ici on est plutôt en mode montagnes russes, non ?
Une Montagn’hard à la campagne
Le parcours est selon tous les anciens participants très bien tracé, je mise donc sur le balisage en place et je n’emporte pas la trace gps dans ma montre de peur de suivre de mauvais tracés (de base cette trace donne justement beaucoup moins que les +4500d+ annoncés).
J’emporte une veste de pluie, une casquette. Pour le départ je porterai un tee-shirt, un cuissard et des manchons pour la fraîcheur. J’ai prévu une ceinture pectorale pour m’éclairer. Je préfère une frontale, mais la mienne est HS, la faute à de vieilles piles dont l’acide a rongé les électrodes. Toujours retirer les piles d’un appareil électrique après utilisation !
J’ai prévu 2 flasques pleines de boisson isotonique, et 4 autres dans le dos qui n’attendent que les ravitos pour être remplies d’eau. J’emporte 4 gels, 4 pâtes de fruits et 3 compotes Baouw. Toutes les affaires sont prêtes, je peux aller me coucher relativement tôt.
Tout est prêt, allez hop, au dodo !
Le réveil sonne à 02h30. Je petit-déjeune avec un peu de café, un bol de porridge, une banane, quelques fruits secs. Je finis de me préparer et je pars en footing pour rejoindre la zone de départ à 3h20, soit dix petites minutes avant le départ, décidément je suis en mode cool ! Pourtant je suis stressé, le cardio monté déjà à 130 bpm alors que je trottine tout doucement. Le faisceau de la lampe est efficace, même en position économie. Je suis satisfait.
Il y a 68 partants sur le parcours long dont 2 femmes. J’arrive et je me place en tête de sas. Le briefing est studieux : il démarre à 03h28 et on nous prévient de l’état des chemins détrempés, boueux, glissants. Avez-vous prévu les bâtons ?... silence de mon côté…Il n’y aura pas de passage sur des cordes au-dessus de l’Ance cette année, c’est trop dangereux. Les eaux sont trop hautes et tumultueuses. La pluie est annoncée pour la fin d’après midi donc il vaut mieux accélérer en 2ème partie de course, enfin si on s’en sent capable ! Le départ est donné gentiment à 03h35, je vous le disais, ici pas de stress, pas d’exaltation, on est partis pour passer une bonne journée dehors.
Bien préparé et avec un mental en béton tu arriveras
Nous partons tranquillement dans la nuit en petite foulée. J’applique tout de suite le premier précepte de la journée : ça va être très long, prends ton temps. Après quelques kilomètres dans de gentils sentiers on bifurque dans des sentiers qui serpentent dans des herbes plus hautes, les pieds sont déjà mouillés ! On revient sur un sentier et je remarque que nous courons dans le silence sous une pleine lune, c’est très agréable. J’attaque une conversation avec un traileur sympathique puis on attaque une jolie descente et là il y a un petit souci : la pectorale n’éclaire pas du tout comme une frontale. Je me reprends à plusieurs fois pour la régler. J’ai l’impression qu’elle n’éclaire pas assez la zone la plus proche de mes pieds. Je ne me sens pas de descendre normalement sans être bien éclairé. Mon sympathique coureur part et je décroche complètement. Pas grave, j’ai décidé de courir lentement. La descente est assez longue finalement et on croisera un ruisseau tout en bas. Je trottine gentiment dans la remontée et marche dès que cela devient dur. Le balisage est impeccable : à chaque bifurcation une ou deux flèches au sol et une rubalise tous les 10 mètres (sans exagérer) sans parler des 3 premières heures de courses qui sont balisées avec des manchons luminescents. Franchement, on n'a pas le droit de se plaindre.
Je cours entre 2 groupes, en chasse-patate comme on dit en cyclisme. Je vais tout droit et après 50 mètres, je ne remarque plus de rubalise...demi-tour et me voilà derrière le groupe qui me chassait ! Après quelques kilomètres, on rencontre un sentier vraiment boueux et tout le monde ralentit, sauf moi ! Quand tu as fait le 2T2M en avril 2024 tu ne ralentis pas et je repasse tout le monde !
On passe sur le pont du diable, juste éclairé par nos lampes, c’est impressionnant ! Je sais que là quelque part il doit y avoir une vue imparable sur le village médiéval de Chalencon, mais il fait nuit. Nous y repasserons dans quelques heures.
On continue encore. Après une belle portion en montée, on arrive sur un sentier sur le plateau où on assiste à un lever de soleil de toute beauté.
Je regarde un peu la montre en ce début de course. Le premier ravito en eau est prévu au kilomètre 13, un peu tôt, mais il ne faut pas faire l’impasse sur l’eau, car le premier ravitaillement complet arrive au 23ᵉ kilomètre. Je remarque que la première féminine qui court devant moi fait l’impasse sur l’eau et me double. On va jouer ensemble un bon moment au chat et à la souris. Sur le plat et en descente je la dépasse sans soucis, mais elle n’est jamais très loin. Et c’est même elle qui me rappelle à l’ordre quand je ne suis pas le balisage étourdi que je suis ! A deux ou trois reprises elle m’appelle et je rebrousse chemin. À ce petit jeu, j’estime avoir fait un bon 400 mètres de plus avant même le ravito de 23ᵉ kilomètre ! Au chapitre des prévisions, je m’étais dit que chaque tranche de 10km et 550d+ devait être courue en 1h24.
La nature est magnifique, très verte, de nombreux sapins et les espaces naturels, les plateaux sont parsemés de genêts en fleurs.
On chemine doucement vers le premier ravitaillement qui est installé après une méchante montée. On quitte la route de la Chazotte et le sentier grimpe droit dans la pente. On va passer de 790m à 900 m d’altitude en 600 mètres. Les 300 mètres suivants sont une pure escalade, on a droit à une corde et on se faufile entre les rochers. On s’accroche comme on peut, ce n’est plus une pente, c’est de l’alpinisme ! On vient d’avaler 167d+ en 1 km, très technique. Nous arrivons sur le plateau de la Madeleine qu’on contourne, on redescend légèrement. Et nous voilà arrivés au premier ravitaillement à l’entrée du village du Pédible. 24 km et 1250d+ déjà et 3h15, pile dans mes prévisions sans jamais avoir eu l’impression de forcer. Tout va bien !
Faire la course avec meilleure que toi tu éviteras
Une fois arrivé, je retire ma lampe, je la glisse dans le dos et je sors 2 flasques dans lesquelles la poudre isotonique n’attend que l’eau. Je mange quelques tucs, de la banane, je goûte à un très bon flan de semoule aux raisins secs maison, et j’emporte deux tranches de pain d’épice. Le tout passe bien et j’apprécie ce petit repas solide. Je repars ragaillardi. La première féminine annonce que la suite est très compliquée. Je trouve pourtant qu’on a déjà fait une belle tranche sur des 23 premiers kilomètres. Je ne comprends pas trop ce qui nous attend… à part que cette fâcheuse tendance à nous faire prendre les sentiers compliqués va se poursuivre.
Je repars avant elle et je traverse le village puis un autre. C’est vraiment très joli. Au village suivant (Vallard), j’emprunte encore une fois le mauvais chemin…. C’est déjà la 3ème fois depuis le départ. Rien de grave, après 150m je fais demi-tour. Du coup la première féminine me reprend. À l’occasion de la section suivante on échange un peu et j’apprends qu’elle est déjà venue ici pour faire le 56 kilomètres il y a quelques années. Je sens qu’elle a déjà emmagasiné une belle expérience, mais j’ignore jusqu’où elle est allée. On alterne des parties roulantes où je passe devant et dès que cela devient technique (ou que je suis distrait) elle revient tranquillement et sans se presser.
Je comprends enfin ce qui nous attend dans la section suivante, Jusque-là nous étions sur un trail classique, montées, descentes, technique, boue, racines, etc. À présent les kilomètres ne défilent plus du tout, on passe sur des sentes de sangliers, plus de sentiers ou alors à peine tracés… on remarque aussi des passages qui étaient déjà tracés l’an dernier avec de la peinture un peu effacée. Mais les passages sont hyper techniques. La question que nous nous posons tous c’est « mais qui passe par ici à part les animaux sauvages ? »
On nous fait passer par des traces de sangliers, des sentiers animaliers, des coulées qui ne marquées que par le passage répété des animaux au même endroit. Dans ce genre de passage, pentu, glissant, très raide on perd un temps fou.
Du kilomètre 30 au 34, on ne fait que descendre, j’arrive à maintenir un rythme correct et au km 35 on arrive devant 2 signaleurs qui nous envoient tout droit le long d’une route. En fait nous ferons une boucle de 2 km avant de revenir devant eux et qu’ils nous envoient dans la pente ! Je ne progresse pas trop mal, j’arrive à maintenir la première féminine 20 mètres derrière, je rattrape un serre-file du 56 km et je poursuis mon chemin. La pente se durcit, elle revient sur moi. Elle pose un gros rythme, je me sens en forme et je décide de profiter de ce temps fort. Sans jamais relâcher mon effort que j’estime déraisonnable à ce moment de la course, je me fais distancer mètre par mètre, inexorablement. Et plus c’est technique mieux elle progresse, je perds bientôt 10m puis 20m… Je comprends que nous n’avons pas le même niveau maintenant ! Nous venons de grimper 190d+ en 1 borne, pas mal et toujours dans du technique et pour finir par des arbres en travers qu’il faut contourner ou escalader… Elle a des allures de Barkley par endroits cette course !
En redescendant je me dis que ce petit challenge va me faire du bien et je décide de la reprendre rapidement en relançant. Relancer oui, mais encore faut-il faire attention au balisage ! Encore 300m de perdus à cause d’un aller-retour. Mes espoirs de la rattraper s’envolent, je ne la reverrai jamais, elle finira par me prendre 1h20 au final !
Au 40ᵉ kilomètre, je remarque que j’ai fait 2100d+, soit la distance et le dénivelé positif du Trail du Ventoux que j’ai couru en mars dernier, le chrono en revanche n’est pas le même 5h40. Le dénivelé est beaucoup plus technique.
Au ravitaillement du 42ᵉ kilomètre j’ai encore l’espoir de la revoir et de me relancer, mais non... elle a déjà filé alors que je commence à me restaurer. Sur la montre j’ai 6h05 de course pour 2200d+. Nous n’en sommes qu’à la moitié, c’est dur.
Monter droit dans la pente tu devras accepter
Juste après ce ravitaillement, on arrive au pied d’une colline, elle nous écrase. Et on aperçoit les rubalises qui progressent droit dans la pente. Je n’ai jamais vu un truc pareil, on va grimper là entre les sapins avec des arbres en travers dans une pente à + de 30 %… c’est mentalement très dur à accepter. On progresse pas après pas, 50 cm à la fois, pas plus. Pendant cette ascension d’une longueur de 600 à 700 m on va avaler 190d+. Plusieurs fois je pense à la Barkley. C’est juste une boucherie sans nom cette montée.
Il y a parfois des panneaux rigolos pour nous faire rager : si tu cours ici c’est que tu t’es trompé de chemin ! Ils annoncent la couleur !
On est clairement passés en mode hardcore, on progresse dizaines de mètres par dizaines de mètres, les kilomètres durent plus de dix minutes, l’allure s’effondre, impossible ou presque de courir, et quand on pousse les mollets et les cuisses brûlent. En descente, je ne vous fais pas de dessin, les quadris sont tordus, broyés, et ils doivent s’employer pour résister sous votre poids pourtant ils voudraient juste tout laisser partir … À chaque pas il y a un danger il faut s’employer pour résister ou pousser ou contourner. Ça ressemble vraiment à la feue-Bouillonnante pour ceux qui connaissent ce trail, mais en plus long et on sent souvent que le traceur de Tiranges s’est dit « je vais leur en faire baver » ! C’est très compliqué, il n’y a pas d’échappatoire. Je commence à comprendre pourquoi le vainqueur à mis plus de onze heures pour gagner l’an dernier… Je passe le 50ᵉ kilomètre en 7h52, 2900d+
On va longer une rivière tumultueuse, l’Andrade. Encore un clin d’œil à la Bouillonnante et sa Sémois qu’on longeait souvent. Des millions de mètres cubes d’eaux printanières en furie dévalent devant moi.
Gare à la chute, elle serait mortelle !
Il y a 3 bénévoles posés qui me saluent, mais qui ne font pas trop attention à ce qui m’attend juste derrière le rocher. J’ai quand même le droit à un « faîtes attention ! ». On se rapproche encore plus de la rivière rugissante et je dois passer sur des rochers trempés et glissants. Nous sommes au Saut du Bezan. Je ne vois pas trop où ils veulent en venir et puis je comprends. Il va falloir escalader les rochers sur quelques mètres, à l’aide d’une corde. Je ne sais pas si c’est la fatigue, le bruit assourdissant de la rivière ou la technicité de ce passage, mais je me suis dit que c’était vraiment dangereux de nous faire passer là, sans bénévole en dessous ni au dessus de l’escalade !
J’atteins le ravito de la Faye (53k) en 8h45. Je goûte à nouveau au gâteau de semoule maison. Aujourd’hui tout passe bien, pas de ballonnement, ni de sensation d’écœurement.
En quittant La Faye nous nous dirigeons droit vers Tiranges que nous contournerons avant entamer la dernière boucle. Sur cette section, on va trottiner sur des sentiers plats et chemins, pâtures. Je repends mon train de sénateur et parviens à enchaîner 6km sur les 8 qui nous font rejoindre Tiranges sous les 8 minutes au kilomètre. Je me dis que c’est très honorable et que je ne vais pas me plaindre de ne pas pouvoir en faire plus. C’est quand même très étrange de repasser à Tiranges 60 bornes après l’avoir quittée à 03h30 du matin ! Il ne faut pas flancher et trop regarder l’arche d’arrivée. D’ailleurs heureusement que le ravito était à la Faye. S’il avait été positionné à Tiranges, beaucoup de coureurs auraient mis le cligotant !
67km 3670d+ 10h52... on ne se raconte plus d’histoires, il n’y a plus de héros, pas de Jim ni de Killian ! C’est footing de sénateur sur le plat ou en descente (7:30 à 8:30 au km) et je marche sur les montées et faux-plats. C’est la 2ᵉ course qui a commencé (et déjà depuis un moment !).
On se dirige tout droit vers la Bourianne. 69ᵉ kilomètre, nous sortons des bois, on traverse une route et il y a un petit parking. Devant nous s’étend cette immensité, une mer blanchâtre ceinte par des couronnes vertes. Le contraste est saisissant. Magnifique. On a l’impression d’être une fourmi. C’est une coulée de lave, vestige d’une éruption volcanique qui a eu lieu il y a des milliers d’années.
D’abord hésitant je pose mes pieds sur ces rochers qui composent les vagues de cette mer. Ils sont couverts de lichens blancs, rien ne glisse. Les blocs pèsent de plusieurs centaines de kilos à plusieurs tonnes. Ils sont parfaitement stables. Je prends des photos et je progresse lentement. Il faut tout de même choisir les blocs sur lesquels on va poser le pied. Je choisis évidemment ceux qui offrent une surface plate ou pas trop accidentée. Du coup cela prend du temps. Parvenu au milieu de la mer, je me retourne et à nouveau, l’impression d’être une coquille de noix au milieu d’un océan.
Une mer de pierres
Je pense qu’en étant entraîné on peut progresser plus rapidement que je ne le fais, mais peu importe c’est un vrai spectacle. La dernière partie est pentue, ça rajout du piment. Une fois en haut je me retourne, encore une photo. L’impression d’avoir vécu une très jolie traversée me saisit, je vais être finisher de cet UTT de Tiranges, mais quelle difficulté ! La montre affiche 70km.
La pluie va commencer à tomber. J’ai pu passer sur les rochers secs, c’est déjà ça ! Après quelques minutes, elle tombe dru. Je suis trempé ! Les passages sur l’herbe glissent vraiment. Je n’ai pas vécu de glissades dans les montées ou les descentes ni même dans la boue, mais l’herbe est une patinoire en descente.
Nous revenons sur Chalencon que nous n’avions pas pu apprécier de nuit. Le château est perché sur un rocher. Un ravitaillement est organisé à son pied. Avant la course je m’étais dit que je ne comprenais pas vraiment son utilité si proche de l’arrivée. Après 79 kilomètres je comprends mieux. C’est un havre de paix. Je suis trempé jusqu’aux os, mais la pluie devient plus fine à présent. On peut reprendre quelques forces et se préparer mentalement au final. Un bénévole m’indique qu’il sera dur, sans trop en dire. Je sens au ton de sa voix qu’il cherche à me préserver. On va repasser le pont du diable, l’ouvrage est remarquable. Je prends une photo du château en m’éloignant.
Sitôt le pont franchi on attaque une belle montée, elle durera 2,5 km. Ça grimpe dur, mais je marche comme je peux. Trop compliqué pour relancer sur les faux plats, je continue de marcher. On revient enfin sur Tiranges. Je passe sur le sentier derrière mon chalet, je rejoins le centre du village. J’ai repris le train du sénateur, je trottine vers l’arrivée. Voilà la boucle est bouclée. Je suis finisher de ce trail du mental ! 14H35 de course tout de même pour ces 83km (j’ai dû faire 1km de rabe comme je suis étourdi). Ça fait une moyenne de 5,6km/h ! Avec ses 4600d+ très particuliers, ce trail est vraiment compliqué. Ce ne sont pas de longues sections comme en montagne, ni un enchaînement de montées descentes comme on peut en vivre en Île-de-France sur le Maxicross par exemple. Ce sont des des montées très dures, des descentes très raides, de l’escalade, de la torture mentale. Cela se rapproche vraiment de ce à quoi j’ai goûté lors des deux éditions de la Bouillonnante.
Le Duc de Savoie m’accueille. Un selfie, j’apprends que je suis 2ᵉ M2, mais à plus d’une heure du premier de ma caté. Shit… seuls les premiers de caté sont récompensés. Je prends tout mon temps pour me restaurer. Je suis classé 23ᵉ sur 53, il y a donc eu 18 DNF, soit 26 %, je ne suis pas étonné. Je pars prendre une douche, je reviens frais et propre 40 minutes plus tard pour déguster le repas d’arrivée : un burger (viande bovine du coin) avec des frites (pommes de terre du coin aussi) et je sirote ma bière. Même si j’aurais aimé boucler le tour en en moins de 14 h, j’ai passé une très belle journée dans la nature, c’est ce qui importe. Les paysages et la difficulté sont au rendez-vous.
Attention, il faut venir ici préparé, et avoir vécu des moments difficiles en course sinon l’aventure peut rapidement se terminer. Les occasions de rendre le dossard sont nombreuses.
Les jambes sont lourdes pour rentrer au chalet, mais le téléphone et la tête sont pleins de souvenirs. Incroyable aussi la gentillesse des gens du coin, toujours à proposer de l’aide avec le sourire. Un joli coin de France.
En rentrant à Paris, j’ai cette question qui me trotte en tête : je ne comprends toujours pas comment certains d’entre vous font pour courir 80km de plus et terminer un 100 miles... Ça me paraît toujours inaccessible, irréalisable.
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4 commentaires
Commentaire de Badajoz posté le 20-06-2024 à 15:20:58
Bonjour, le passage sur la mer de rocher est magique! Félicitations pour ta course et pour ton récit.
Commentaire de defi13 posté le 21-06-2024 à 20:59:40
Badajoz... Estrémadura ??
Commentaire de elnumaa[X] posté le 21-06-2024 à 20:40:11
du bon vrai trail de sanglier , bravo pour ta course , Tiranges c'est vraiment atypique !!
Commentaire de defi13 posté le 21-06-2024 à 21:03:00
Oui exactement, la réputation de trail de sanglier n'est pas usurpée. Atypique, "Roots", "esprit trail". Tous ces qualificatifs marchent bien avec ce trail. Pas besoin de tout le temps s'inscrire sur de grosses machines du trail, cette course est l'exemple parfait de ce qui peut être fait avec de la passion par des bénévoles et pour faire plaisir aux coureurs.
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