Récit de la course : 100 Miles de France 2020, par marathon-Yann

L'auteur : marathon-Yann

La course : 100 Miles de France

Date : 22/8/2020

Lieu : St Peray (Ardèche)

Affichage : 950 vues

Distance : 160.09km

Objectif : Pas d'objectif

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100 Miles et autres broutilles

Quelle course, mes amis, quelle course ! Quelle course ? Je parle des 100 Miles de France, première édition d'une distance de référence, à laquelle nous sommes près de 120 à vouloir nous confronter, en cette fin d'août.

La distance est de référence, mais inédite en France. Question organisation, pas de souci. L'équipe organisatrice a une belle expérience et nous a dessiné un parcours roulant et qui promet d'être agréable, sur la via Dolce, ancienne voie ferrée reconvertie en piste cyclable. Dolce, cette via nous emmènera au fond de la vallée de l'Eyrieux, sans trop de dénivelé, privilège rare en Ardèche. Les ravitaillements seront nombreux et les sourires innombrables, le décor promet d'être grandiose, nous avons tout pour passer une journée exceptionnelle. 

Le monde de l'ultra est petit, de nombreux coureurs se connaissent et sont heureux de se retrouver, surtout après ces mois difficiles. Moi-même je retrouve avec plaisir quelques copains rencontrés récemment à l'U2B ou sur d'autres courses. Cela donne une ambiance détendue et familiale dans laquelle il est doux de se plonger.


Départ à 9h d'un peloton joyeux et bavard. Les premiers kilomètres se font depuis Saint Peray, le long du Rhône, sur la voie bleue. Nous profitons de ce que le peloton ne soit pas trop étiré pour continuer à échanger et partager notre plaisir d'être là. La difficulté est de trouver tout de suite le bon rythme. Comment vais-je tenir 160 km ? Je souhaite mettre moins de 21h, je vise donc 20h et pars sur un rythme qui me permettrait d'arriver en 19h (9h à l'aller, 10h au retour), pour me donner le droit de ralentir. C'est important pour moi, me donner « le droit » de ralentir, peut-être plus que chercher une allure absolument régulière. Environ 10km/h à l'aller, l'allure est confortable en ce début de course et c'est tant mieux, d’autant que je perçois tout de suite que la chaleur pourrait nous jouer des tours.

 

Premier ravitaillement, quel bonheur d'y trouver de la pastèque, et des bonbons Haribo ! La journée sera décidément agréable ! J'en plaisante avec les bénévoles : "on va grossir !" Je prends des rillettes de thon et me remet en route au milieu de jardins le long du Rhône. Pour le moment, c'est agréable, mais je me dis déjà que cette nuit, ces portions désertes et non éclairées pourraient être moins accueillantes.

Mais nous n'en sommes pas là. Second ravitaillement, au milieu de nulle part, puis troisième, où m'attend ma famille. C'est toujours un plaisir exceptionnel de retrouver ces sourires si chers. Je fais le plein de pastèque pendant qu'une bénévole rempli mes bidons d'eau, et c'est reparti.


Encore quelques kilomètres et nous attaquons la vallée de l'Eyrieux, pour un aller-retour sur la via Dolce qui constitue le gros morceau de la course. L'aller, long d'une grosse cinquantaine de kilomètres, est en faux-plat montant, la difficulté étant de ne pas se griller. Question grill, justement, nous y échappons, le parcours étant ombragé sur le versant que nous empruntons. Il faut chaud, mais c'est supportable, et les ravitaillements espacés de 5 à 10 kilomètres nous permettent de nous rafraichir autant que nécessaire. Je fais d'abord le yoyo avec quelques coureurs accompagnés de cyclistes, mais aussi des familles se promenant en vélo : cette voie est un vrai paradis pour les balades en tout genre. Non seulement il n'y a pas de voiture, même de loin, mais les paysages sont majestueux, et nous passons à proximité de villages aux noms chantants : Saint-Laurent du Pape, Saint-Fortunat sur Eyrieux, Saint Sauveur de Montagu, ... une vraie leçon de catéchisme !

 

Je retrouve peu après le premier marathon Stéphane, brillant vainqueur de la Mil'kil avec qui j'avais discuté aux 100 km de la Somme, et nous discutons un bon moment ensemble, jusqu'à Ollière-sur-Eyrieux. Nous abordons alors une partie que je connais bien : avec ma famille, nous venons d'y passer une semaine de vacances, et avons même loué des vélos pour nous balader sur la via Dolce les 15 km suivants. C'est agréable d'avoir ses repères ! Je ne suis pas habitué des reconnaissances des parcours, préférant découvrir le paysage pendant la course, mais je dois reconnaitre que connaitre cette portion d'une quinzaine de kilomètres permet sinon de rompre la monotonie, (le paysage est loin d'être monotone !) au moins de se changer les idées, d'être sur un autre mode de pensée. Cette alternance est bienvenue. Je sais aussi, pour l'avoir bien senti en vélo, que le faux-plat n'est pas anodin.


Nous rattrapons Guillaume à Saint-Fortunat. Guillaume, c'est un sacré coureur, je suis tout étonné de le voir dans un moment difficile, mais connaissant sa science des efforts longs (plus de 250 km sur 24h il me semble !), je suis certain qu'il me reprendra avant l’arrivée. Ce sera même ma motivation, il faut l'avouer (même s'il serait surpris de l'apprendre) : rester devant lui le plus longtemps possible.

 

Ce n'est pas mon adversaire, mais l'ami grâce auquel je donne le meilleur de moi-même.

 

Les ravitaillements sont fréquents, et bienvenus. A chaque fois, une affichette nous annonce la distance avant le prochain, et avant l'arrivée. Plus important encore que l'eau et la pastèque, que je suis heureux d'engloutir sous la chaleur, j’apprécie les courts échanges avec les bénévoles, exceptionnels de dévouement. Et que dire du parcours ! Il est non seulement roulant et ombragé, mais offre des vues admirables sur la vallée de l'Eyrieux, ce cours d'eau tortueux, les rochers découpés, les ouvrages d'art construits pour la voie ferrée et qui nous sont maintenant réservés.

 

J'arrive ainsi au ravitaillement de Cheylard, au km 75, où je retrouve pour la troisième ou quatrième fois Laurent, l'organisateur. J'en plaisante : "mais vous êtes combien, tu as des frères jumeaux ?" j'ai un frère, il est là justement". Alors que je prends un peu mon temps, il me conseille de ne pas trop trainer. Il a raison, Laurent : avec 24 ravitaillements sur le parcours, il est facile de perdre du temps, en s'arrêtant ne serait-ce que quelques minutes de trop chaque fois. 

 

Entre ce ravitaillement et le suivant, situé 8 km plus loin, la pente s'accentue franchement. Sur d'autres courses je me serais mis à marcher, mais aujourd'hui je suis encore en forme et continue à trottiner la plupart du temps. Je croise la tête de course qui avance à une allure fantastique, bravo champions !

Saint Martin-de-Valamas n'est pas seulement le plus beau village de France, d'après un des bénévoles, c'est aussi le demi-tour de la course J'y arrive en 8h45, parfaitement dans le timing que je m'étais fixé, sans avoir eu l'impression de forcer excessivement mon allure. Je me gave encore de pastèque et de bonbons Haribo et repart assez rapidement, en bénissant les bénévoles qui trouvent que j'ai l'air encore bien. Cet aller-retour est l'occasion de se situer dans la course : je dois être en 12ème position, avec une dizaine de minutes d'avance sur Guillaume qui court maintenant avec Emmanuel, un autre fameux coureur. 

 

Je suis curieux de savoir si le faux-plat se sentira aussi dans ce sens. La pente assez prononcée jusqu'au Cheylar aide franchement, et cette partie où je croise de nombreux coureurs est agréable. Par la suite, la pente s'adoucie, les coureurs se rarifient, l'ambiance de cette fin de journée change insensiblement. Deux restaurateurs, du bord d'une base nautique fermée pour cause de Covid, me demandent d'où je viens. Saint Peray. Ils restent pensifs, calculent-ils la distance ? Je fais une partie de route avec Christian, nous avons le même objectif, finir en moins de 21h, et la même analyse : même à 6 à l'heure, on devrait y arriver. Il en profite pour ralentir, je continue tant que je suis bien.

Alors que nous croisons les derniers concurrents, je vois un coureur couché en PLS. Il me dit qu'il a vomit mais que ça va aller, que dans cette position il est bien, d'ailleurs il a prévenu l'organisation, il insiste pour que je le laisse, ce que je fais avec mauvaise conscience.

 

Retour sur la partie la plus connue du parcours, celle explorée en vélo. J'alterne course et marche maintenant. Arrivé à la Roche, les bénévoles me proposent un bol de soupe. Elles ont surtout ces paroles réconfortantes : "vous avez meilleure mine qu'à l'aller !" C'est vrai que j'avais chaud, ici, et que je me sens bien mieux maintenant, malgré les 109 km de course. Je repars en sirotant une soupe bienvenue.

Alternant marche et course, j'arrive au ravitaillement de Saint-Sauveur de Montagu. J'y rattrape deux coureurs, dont Michael, qui repart en même temps que moi, en marchant. Michael, c'est un sacré coureur, qui ne boxe pas clairement pas dans ma catégorie, en temps normal je ne l'aurai jamais aperçu, mais cela fait des années que pour des raisons personnelles il ne s'entraine plus, m'explique-t-il. Le voir en difficulté aujourd'hui, si humain, presque en colère contre sa méforme, ne fait que renforcer le respect que j'ai pour lui et mon admiration pour ses performances. Après avoir un peu discuté avec lui, je reprends ma course.

 

Les Ollières. La bénévole au ravitaillement, situé juste à côté d'une pizzeria où nous avions diné en famille trois jours plus tôt, m'annonce 7ème. Peu importe, lui dis-je, tout ce que je veux c'est finir en moins de 21h. C’est beaucoup trop tôt pour penser au classement (il reste plus d’un marathon à courir), j'imagine la meute de champions sur mes talons, prêts à me fondre dessus quand je vais inévitablement me relâcher. Ce sont les amis grâce auxquels je donne le meilleur de moi-même, mais quand même ! Qu'ils me rattrapent, d'accord, mais le plus tard possible ! Je repars donc en trottinant. 

Il fait bien nuit maintenant, c'est à peu près le moment où la batterie de ma montre s'épuise, mettant fin à sa fonction GPS. Une autre façon de gérer les distances, un peu en aveugle, ne regardant que l'heure. Ce n'est pas pour me déplaire. J'arrive déjà au ravitaillement suivant. Un visage connu me sert un nouveau gobelet de soupe. Ce n'est pas une bénévole, mais l'immense Julia, qui est également dans la course, mais qui prend le temps de me servir. Quel état d'esprit ! Nous repartons quasiment ensemble, et alors que je suis encore capable de courir 20 ou 30 min sans marcher, Julia est visiblement décidée à parcourir d'une traite les 11 km qui nous séparent du ravitaillement suivant. Après la leçon de sportivité, la leçon de sport, elle me distance progressivement.

 

Je me retrouve de nouveau seul sur cette via Dolce. Je n'ai plus de repère kilométrique, la douceur de la nuit noire et silencieuse m'enveloppe. J'éteins ma frontale et contemple les étoiles. Je suis bien. A l'heure où j'écris ce récit, un mois après la course, c'est le souvenir que j'en garde : ce moment de douce solitude dans la nuit, où j'avance mécaniquement.

 

Fin de la via Dolce, retour sur les bords du Rhône pour environ 25 km. J'avance toujours, alternant 7 min de course et 3 min de marche. Je suis seul dans ma bulle, seul dans mon effort, ce n'est pas pour me déplaire. A l'approche d'un ravitaillement, une voix m'interpelle : "c'est Yann ?" Les bénévoles doivent suivre l'évolution de la course, et semblent m'attendre. Chapeau.  J'arrive au dernier ravitaillement, 6kms avant l'arrivée. La bénévole me détaille la fin du parcours, légèrement différent du début. Je l'écoute attentivement mais n'imprime pas vraiment. A gauche après la passerelle en bois, traverser le parking, puis le rond-point. Qu'est-ce qu'il faut faire au rond-point ? Je prends la première sortie, avance un temps interminable, maugrée contre les bénévoles qui ont moins fléché cette partie que les précédentes. Même dans mon état de fatigue, ça me semble soudain suspect. Je sors mon téléphone, cherche le stade sur Google Maps (pas facile sans mes lunettes !), mince, il est derrière moi ! Moi qui étais si content de ma course, ça me stresse un peu, du coup je repars en courant jusqu'au bout, pestant contre ces miles gratuits.

 

Quel soulagement de retrouver le fléchage, quelle joie de voir l'arche d'arrivée. Les derniers mètres sont toujours émouvants, la ligne d'arrivée franchie en 18h52. L'objectif est largement atteint et comprendre que Guillaume et Emmanuel sont arrivés pendant que je jardinais n'enlève absolument rien à mon bonheur. Laurent m'accueille personnellement, me fait assoir, m'offre à boire, écoute mes impressions, comme il le fera je pense avec chacun d'entre nous.  Merci à lui.

 

Il est 4h du matin. Je marche une bonne demi-heure jusqu'à notre hôtel, situé à seulement 2 kms de là, savourant pleinement ce moment et cette nuit magique. Quelle belle course !

 

 

2 commentaires

Commentaire de alex4356 posté le 25-09-2020 à 10:29:52

Bravo pour la magnifique performance et le récit fort sympathique à lire ! Ca donne envie de découvrir le parcours.

Commentaire de marathon-Yann posté le 30-09-2020 à 17:38:29

Merci Alex, je ne peux que recommander cette course !

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