Récit de la course : La Verticale de la Tour Eiffel 2019, par c2

L'auteur : c2

La course : La Verticale de la Tour Eiffel

Date : 13/3/2019

Lieu : Paris 05 (Paris)

Affichage : 1236 vues

Distance : 1km

Objectif : Se défoncer

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Pas d'autre récit pour cette course.

La Verticale de la tour Eiffel 2019

La Verticale de la tour EIFFEL

 

Contre-la-montre individuel : 13/03/2019 à partir de 20h00

  

Les chiffres tournent dans ma tête 130, 40, 80, 10, 1665, 57, 115, 15, 279 et se mélangent

Mais comment réussir à passer à travers ce filtre passe-bande hyper étroit pour atteindre déjà la ligne de départ ?

 

 

130 c’est beaucoup et peu à la fois, question de point de vue et de sujet. Côté brillant. 130 ans pour la dame de fer parisienne. Impressionnant. Un truc « garanti » seulement quelques dizaines d’années. Et dire que certains voulaient la démonter au plus vite. Pensez-donc. Mieux que l’âge de la doyenne officielle de l’humanité. Impressionnant. Et puis il y a une autre approche qui crée soucis, plus face sombre: 130 dossards seulement. Un de plus que l’année dernière comme l’âge de la tour. Que c’est peu. Trop peu, vu le monde au portillon. D’ailleurs combien sommes-nous ? Je n’en sais fichtre rien. Bon, peu importe. On avance, on fonce et on philosophe. « Qui ne tente rien……. »

 

Cette Verticale, vraiment pas simple de pouvoir en être. Un machin vendu à la découpe avec 3 chapeaux : A(40), B(80) et C(10) comme pour un tirage au sort de coupe du monde de foot !!!

40 dossards « élites » réservés aux coureurs venant du monde entier dans le monde du running: courses d'escalier, trail, route. Même pas en rêve. On oublie vite, très vite. Rideau.

80 dossards pour les « amateurs » avec des minimas, abordables pour moi. Déjà mieux, ça peut l’faire, mais…… C’est comme au poker. 10 euros pour voir. Très faible chance de passer, genre concours, enfin examen, en première année de médecine.

10 dossards à la discrétion de l’organisation. Une misère. Une seconde chance. Aller de l’avant. Ne rien négliger. 10 sésames « wildcard ». A vos stylos !!! « Racontez-nous votre histoire » comme ils disent.

Je travaille le truc en // du tirage au sort. Je m’applique. Je pèse mes mots, les tourne, les triture. Une vingtaine de lignes. Pas plus. Du concentré. Du pur jus, première pression à froid, que je couche sur le papier d’un jet et envoie au plus vite. Vamos. Je n’sais pas pourquoi mais j’y crois fort.

5ième édition déjà pour cette Verticale. En 2015 lors de la première, j’étais sur mon second écotrail de Paris 80 kms, la tête et les cannes ailleurs. Cette arrivée ce jour-là au premier étage de la tour, une révélation tout de même. Et puis les années suivantes, d’autres trucs, des dates qui ne collent pas. La vie quoi. Alors, lancinante, récurrente, une subite interrogation me taraude l’esprit et me revient en boucle en observant le sablier du temps qui passe : N’aurais-je pas du postuler plus tôt ?

 

 

On patiente deux mois. Que c’est long. J’oublie un peu. D’autres épreuves en tête et sur le métier. Et, et…. Tirage au sort du 19 décembre. Incrédule je relis pour la 4ième fois le fichier reçu. Entre de l’anglais, de l’italien, du canadien, de l’américain, du bulgare, de l’allemand, de l’indien, du tchèque, du belge, de l’espagnol et du français mon nom est bien inscrit parmi les 60 hommes sortis du chapeau, 20 femmes complètent le tableau. Les yeux rivés sur ma tablette, dans mon canapé, je suis scotché. Enorme….

Je savoure la tautologie bien connue « 100% des gagnants ont tenté leur chance ». Plaisir exquis du dossard improbable. L’info perso diffuse rapidement. Le mot fort, récurrent, des SMS retour des copains et copines coureurs s’imprime sur mon écran de portable et dans mon cerveau: « Y a pu qu’à ». Ici double Charlie (C2) : Message reçu 5 sur 5. Action 1, peut-être me mettre au loto. Action 2, trouver des escaliers. Action 3, faire pourquoi pas une reco jusqu’au deuxième.

Coté élite, c’est Babel, spectre large, empreinte carbone maxi, loin du ticket de RER. From all over the word : Slovaquie, Italie, Belgique, Royaume-Uni, Mexique, Australie, Cambodge, Pologne, Suisse, Colombie, Lituanie, Autriche, Allemagne, Etats-Unis, Slovénie, Malaisie, 15 femmes et 25 hommes dont 10 français(e)s.

J’ai envie de « chabaliser » le zinzin : « we are in France, we speak French, OK ? »

 

 

Je me sens petit, tout petit, en perte de repères dans mon logiciel course de longue date pourtant varié. Je suis incroyablement chanceux. Privilégié. Alors surtout ne pas gâcher la chose. Etre à la hauteur, de l’événement, du monument et ……..de moi-même. J’ai follement envie de me balader dans cette dentelle de poutrelles, ce gargantuesque mikado de métal. Aller à la défonce bien sûr, pas le choix sur un effort ultra court mais en oubliant la version chien fou. Distiller ce breuvage en gestion subtile et optimale, respecter le poids des ans, tout donner, évidemment, mais pas n’importe comment aux limites du capital disponible en appui sur le vécu utile. Mais quel vécu ?

 

Mes marathons, 100 bornes, 24h et autres ultratrails, j’ai déjà mis tout ça à la poubelle. Aucune utilité pour ce calibre. Ne garder que le court, l’impulsif, l’explosif, le truc qui déjante et met le palpitant dans le rouge en quelques foulées. Mes grimpettes infernales de montagne, souffle court et cuisses en feu, of course, les cinq ou dix bornes passe encore, le fractionné piste évidemment mais aussi les cross courts de quelques kilomètres d’antan, moi qui ne tâte plus de ce format depuis un bail. « A fond au début, poings serrés, mâchoire crispée, pieds dans la boue au milieu et vomi à l’arrivée ».

C’est beau le sport, n’est-ce pas !!!  Alors vous n’la sentez pas fun cette Verticale ? Moi si.

 

Ça y est, nous y sommes. Pilier Sud.

1665 Quoi 1665 ?  Facile : 150ième anniversaire de Marignan !! J’suis trop fort en histoire. Mais non banane. « C’est le nombre de marches que tu vas te farcir » me susurre mielleusement une petite voix. Ah, quand même !! Ben, « si j'aurais su, j'aurais pas v’nu. » « Allez, j’te l’arrondis à 6 marches au mètre d’altitude et t’le vends pour 3,6 centimes la marche, un peu plus cher que l’ascenseur mais bon…. « Profite bien quand même » rajoute sournoisement cette même petite voix.

 

PC course, Centre Sportif Emile Anthoine à deux pas de notre terrain de jeu : Remise du « kit  coureur » estampillé grimpeur Verticale : Chasuble dossard, puce chrono poignet, bracelet. Eh bé, on n’va pas nous rater.

 

 

19h15 : Briefing sécurité bilingue. « Allo Allo. Tout le monde m’entend bien ? Bon. La course est retardée de 30 mn ». Inquiétude dans ce grand barnum blanc posé à deux pas de la piste du stade. « Vent à 80 km sur la partie sommitale. La course pourrait être limitée au deuxième étage ». Coup d’assommoir, grand blanc, silence et stupeur. « On vous tient au courant » Interminable attente. « On sait jamais sur un malentendu ça peut peut-être marcher »

« Allo, allo. Bon finalement c’est OK, accès au 3ième validé ». Salve d’applaudissements. « Mais adaptez votre tenue ». Message reçu. La pression monte. « J'ai la chair de poule. D'une poule qui aurait elle-même la chair de poule. ».

Dossard 123. Je partirai donc en 8ième position. Pas trop à attendre. Vue la météo, pourquoi pas. 123, 123. Mais pourquoi ce chiffre me revient en boumerang. Mon seul abandon de ma « carrière », c’était au 123ième km d’un ultratrail. Message subliminal ? Oracle. Augure. Pythie. Bon ou mauvais présage ?

Remise en jeu des couronnes. Suzy, l’australienne et Piotr le polonais sont bien là. Cuisses d’acier, regard d’airain, profil liane kevlar et vision laser tendue vers le sommet. 4 participations, 4 victoires chacun. Invaincus. Monstrueux. Quelques affamé(e)s en meute rodent envieusement autour d’eux et ciblent encore une fois leurs scalps. Ça se renifle, se jauge, se respecte.

Transfert à deux pas sur le champ de bataille.

 

 

20h20 : Ouverture du bal. Plusieurs relais sont en piste. Histoire de faire monter l’ambiance et d’attirer les touristes encore nombreux malgré la météo. Ça se termine par quatre miss se partageant la grimpette dans un relais à la découpe. C’est pour une bonne cause. L’association « les bonnes fées »

 

En attendant les premiers chevaux piaffent dans les parages du box de départ.

Contrôle du matos en entrée de zone barrièrée puis check pour monter dans la tour et dans les tours. Nana sympa version pro, liste à la main qui valide les prénoms en ordonnant les anneaux de la chenille décroissante des dossards. Son ton calme et télépathe nous le transmet « Carpe Diem. Profitez du jour présent. Que vos vies soient extraordinaires. »

 

Je prends langue avec le 122 mon suiveur-poursuiteur direct. Un marathonien sans référence comme moi sur ce type de format.  « Force et honneur »

Le 124 juste devant est en interview en anglais. Filmé. Look Yul Brynner au visage encore plus émacié. Je le branche. « Where do you come from ? ». « Florida, USA » me répond-il. « Well, have a good race. Enjoy ».

 

20h50 : Le sérieux commence. Chrono compte-goutte lâchant un numéro toutes les 30 secondes au début puis chaque minute pour l’élite homme dans un lent décompte commençant à 130 avec une chronologie préétablie : Amateurs hommes puis femmes amateurs suivies des élites et enfin élites hommes. Position ambigüe. A la fois chasseur et chassé. Permis de doubler en bandoulière. Combien vont me passer ? Vais-je en rattraper ? Cadet de mes soucis.

 

 

Plateforme de départ surélevée comme pour mieux propulser vers l’avant ces corps nourris à l’impatience d’en découdre.   « À moi l'ivresse, l'ivresse de la vitesse ! ». Couple mixte chauffeur de salle à gauche et public à droite. Comme dans une casemate version contre-la-montre du tour de France ou descente de coupe du monde à ski ? Ni l’une ni l’autre. Mais ça y ressemble drôlement !!

 

Le 124 s’est évaporé. Je suis dans le portillon. En première ligne. Je sais déjà que la bordée va être rugueuse. « J'aime ces petits moments de calme avant la tempête. » Je le discerne, je le sens, un tsunami d’émotions et de sensations se rapproche à grands pas. 30s interminables et rapides en même temps. Annonce de mon nom. Signe amical vers le speaker.

 

Une seule interrogation technique me traverse l’esprit. Mais comment va réagir ma montre GPS à ce parcours atypique en 3D ?

La petite voix n’arrête pas de me le souffler en boucle : « Fais attention. Te mets pas dans le rouge,…. Enfin pas tout de suite !!! La course commence au deuxième étage. Tu as saisi », répète, « la course commence au deuxième étage ».

Mais comment rester raisonnable, ne pas partir en surrégime au début !!….., ne pas craquer, …… Avec les projos en pleine tronche, les caméras braquées dans tous les recoins, le live sur internet, les concurrents qui vont pousser derrière et le public cosmopolite en mode touriste ébahi et interloqué qui vous déifie, catégorie apollon philippidien bionique.

 

 

5, 4, 3, 2, 1. Go. Tapis moquette sur quelques mètres. Portique genre scanner, marches en pierre du perron du pilier. Premiers encouragements des membres du staff. Je m’engouffre dans la patte de la bête. Premiers degrés métalliques. Et puis brusquement, plus rien, « alone ».

La trace est privatisée. J’ai la tour pour moi tout seul. Quelle sensation euphorisante.

Je pars dans mon schéma tactique gonflé au zèle d’un Zéphire, caressant les marches en minimisant au maximum les temps de sustentation qui ne font pas avancer, un canevas de temps de passage dans la tête. C’est clair, toute erreur va se payer très très cher sur le final. Alors….. Je suis à la recherche du tempo optimum et de la propulsion la plus économique possible. Tout est dans le dosage. Pas trop mais pas trop peu. Equilibre délicat et instable entre gourmandise et prudence, entre frime et efficacité, entre indigestion et regret, entre craquante et performance. Remise en cause permanente, sans échappatoire, sans temps mort, sans récup possible, sur le fil du rasoir. A l’instinct quoi !!!

 

Cette piste crantée couleur gris métal ne faisant que monter semble le négatif des serpents blancs immaculés et lises que je dévalais encore il y a quelques jours sur deux planches paraboliques. Ma tenue s’est quelque peu allégée, mes chaussures surtout, mes bâtons ont disparus et mes gants fourrés se sont mutés en mitaines au grip potentiellement précieux. J’ai quelques sachets de globules rouges en rab dans mes poches, au cas où !!

J’entends les décomptes et les départs de deux, trois de mes poursuivants tout en m’élevant et puis les bruits s’estompent progressivement. Le lien avec le sol est définitivement coupé comme un sous-marin en plongée qui se serait transformé en aérostat.

Petit je me souviens des ascenseurs des Galeries Lafayette de la capitale où ma maman m’amenait m’habiller avant la rentrée des classes de septembre. Souvenirs des tirades du liftier en tenue digne d’un palace. Premier étage : « Vêtements enfants sur votre droite, maroquinerie dans le fond et lingerie fine vers la gauche». Je décline alors le concept nominatif dans mon fort intérieur pour cette série d’ascenseurs, pour nous aujourd’hui, « streng verboten ».

 

 

J’ai du mal à trouver la bonne stratégie. L’escalier est large. Les paliers irréguliers en nombre de marches. Utilisation de la rampe. Appui sur les cuisses. Marches enquillées deux par deux. Une par une. Je n’arrête pas de changer. Je tâtonne. Je découvre le concept. Caméramans, photographes, bénévoles. Plein de recoins sont occupés. Petits mots gentils. Ce tronçon passe très vite avec un sentiment mitigé d’une gestion moyennement réussie, le cardio en à-coups.

 

 

Premier étage : rayon « euphorie»

57 m d’avalés. 2mn15s. Déjà au premier. Une misère. Heu !! Seulement 57m. 330 marches. Si vous le dîtes !! Facile. Trop facile. Même pas mal. Où est le piège ? « T’inquiète » me dit la petite voix, « il arrive le piège, patience » Et comme un entraineur attentif et lucide elle ajoute limite coup bas en me recadrant gentiment :

 « Je te rappelle qu’il t’en reste plus de 80% à grimper de ces marches ».

Relance sur un côté et demi de ce grand carré plate-forme. Deuxième service. « Up again ». Rythme plus équilibré. Ça tourne. Ça retourne. Je suis plus dans un bon tempo. Régulier. Là aussi cette section que je connais passe assez vite dans ma tête. Globalement les jambes modèle V3 suivent. Plus je monte et plus les bénévoles me semblent emmitouflés dans leurs vêtements. Stimulations verbales. Encore assez lucide et pas encore trop entamé j’en profite pour en remercier quelques-uns de leur présence.

Obsession lancinante : Monter, monter encore monter. Le mieux possible. Le plus vite possible.

 

 

Second étage : rayon « j’assure….encore un peu ».

115 m. 5mn57s, 670 marches. Punaise, pas question de l’appeler ce 115. Pas besoin d’aide. Maitrisation. Maitrisation. Même pas la moitié en altitude de grimpée !! « Mais qu’est-ce que c’est que ce binz ? ».  Automédication méthode Coué en pommade anesthésiante : On est bien, on est bien, on est bien… Allez les quadris, on reprend tous ensemble le refrain fin de soirée borderline : « On n’est pas fatigué,….. On n’est pas fatigué !! »

Frisson de la transgression. Direction le troisième. Le troisième quoi d’ailleurs !! Le troisième sous-sol ? Surtout ne pas s’écrouler comme un château de sable balayé par la marée montante. Se liquéfier et se dissoudre sous les coups de boutoirs successifs des vagues de lactique envahissant toutes mes fibres locomotrices.

Petit escalier, virage à droite. « Attention à la tête » me répète un ou une bénévole. Je ne vois que sa voix en ciblant ce passage un peu bas.

J’enquille les premières marches de l’inconnu comme l’entrée d’un passage secret dans un vieux château moyenâgeux. Sept millions de visiteurs par an pour la tour, 771 préinscrits à cette Verticale et seulement 130 passeports délivrés pour braver les entrailles interdites du bestiau en direction de la tête. Quel entonnoir. Quel filtre au tamis homéopathique.

 

Et soudainement la petite voix devenue rauque se durcit, en interpellant plus agressivement la tour : « à mon signal déchaine les enfers ». Fini les touristes bienveillants. Exercice solitaire. Copie blanche et idées noires. Miroir glaçant renvoyant les premiers soucis. Muscles durcis, cerveau embrumé et poumons décapés à l’acide. Dureté de la partition à déchiffrer quand Mozart devient Salieri.

« Mais quel est ce moustique qui profane mes marches prohibés », m’interpelle alors violement la tour. « Quel est ce minus qui ose ? » « Aux quatre coins de Paris qu’on va l’retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle ». 

Je me coule totalement dans les pas de Gustave, mes jambes brusquement alourdies par le poids de l’histoire. Après une des pattes, je me tortille dorénavant autour de la colonne vertébrale de ce monstre bien planté sur ses 4 membres disposés en carré, arc-boutés au bord du fleuve. « Nom de Zeus ». Plus je grimpe et plus la bête se cabre comme pour mieux me désarçonner.

 

 

Je rattrape le 128. Un peu en difficulté et le passe. L’escalier s’est rétréci. Longues portions régulières. J’utilise les deux rampes simultanément. Je sens la froideur du métal sur le bout de mes doigts. Les marches ajourées et la structure qui s’allège de plus en plus laissent facilement passer les puissants faisceaux parfois gênants des projecteurs jaunes orangés tournés vers le haut. Depuis le 2ième je vois au détour des changements de direction le 122 revenir lentement sur moi.

 

Plateforme intermédiaire : rayon « lactique »

10mn28s, 1140 marches, crévindiou, je n’ai rien vu venir. Seul le chrono me dira ultérieurement que je suis passé par là. Déjà dans un état second ? Le 122 me passe en douceur. Il m’a repris 30s depuis le sol. Je ne panique pas, me rassure comme je peux. Il est plus jeune.

« Toujours là » hurle dorénavant la tour ? « Moi, quand on m'en fait trop, j'correctionne plus : j'dynamite, j'disperse, j'ventile ! ».

15  15 minutes, je ne sais pas pourquoi mais ce temps est dans mon esprit depuis le départ une référence perso pivot.

Quoi !!! Encore autant à faire que depuis le deuxième !!! Dans un écartement spatio-temporel où pour une fois la réalité a remplacé la fiction tout mon corps me le dit : Plus je monte, plus les étages sont distants. La petite voix en remet une couche. « T'endors pas, c'est l'heure de mourir ».

 

Je suis à fond, à bloc, au taquet, à donf…… bref au max du jour et des années qui pèsent. Le cardio écarlate au-delà du triple du matin. Les mollets grincent. J’hyperventile. Je perds de précieuses secondes. Je le sens. Je le sais. J’ai l’impression d’être dans une grande lessiveuse broyeuse. Balloté, Brassé. Malaxé. Mâché. Bientôt haché ? Alors plus le choix, il y a vraiment urgence,…… Passage en mode survie. Je désactive le cerveau : économie de sucre, atténuation partielle de la douleur et évaporation des idées sombres et négatives…… Sortie par une porte dérobée du rationnel et de l’insupportable pour maintenir le cap et un semblant d’allure.

 

Et la tour ne cédant rien, éructe une nouvelle fois. Eh gars,…: « Je vais te renvoyer tout droit à la maison mère… Au terminus des prétentieux ».

 

Ton hyper agressif. En fait il y a de quoi. La mémoire éléphantesque de la tour fait remonter dans son cerveau de blessants souvenirs quand des « plumes » françaises de l’époque de sa construction telles que Paul Verlaine, Léon Bloy, Guy de Maupassant ou bien encore Charles Huysmans avaient le libelle plutôt corrosif en parlant de « squelette de beffroi », de « lampadaire véritablement tragique », de « ridicule et mince profil de cheminée d’usine » ou bien encore de « suppositoire criblé de trous ». Suppositoire !!! Fallait oser quand même l’écrire !!! Difficile alors en fait pour elle d’accepter cette OPA sur son intime.

Mais pour ne pas baisser la tête, pour ne pas lâcher l’affaire, pour lui montrer clairement qu’elle n’aura pas le dernier mot, dans un souffle provocateur et crâneur je lui balance cash et droit dans les yeux en jouant tapis dans un poker contre mon propre corps. : « C’est à moi que tu parles ? ».

Ce treillis de poutrelles fond à vue d’œil. Sentiment contrasté de légèreté et de fragilité. Ce maillage métallique me semble de moins en moins solide. Je ne suis pas très à l’aise avec le vide. « Aie confiance dans les rivets » me glisse tout de même la petite voie en venant à ma rescousse. Rester focus. Rester dans le job. Rester concentré. Ne pas parasiter le mental. Régulièrement d’improbables bénévoles franchement pétrifiés par le vent et le froid sont bien là en saint Bernard au détour d’un changement de direction de ces longues sections rectilignes. Je ne m’étonne même plus de leur présence.

Qu’on en finisse !!!

 

 

Et puis brusquement, changement de registre. Un escalier en colimaçon très serré et enroulé à l’envers. Ce sens de rotation m’est inconfortable. Je sais que la fin est proche. Presque surpris d’être déjà là. Voilà une nouvelle qu’elle est bonne et même très bonne. Enorme coup de boost. Première plate-forme du troisième. Toute la zone est « privatisée ». Pas de touristes ce soir. J’enquille au plus vite un dernier escalier pour aborder le pont supérieur du navire amiral parisien. On me le souffle fort au-delà du vent tempétueux : « Arrivée dans 10m après le virage à gauche »

 

 

Sommet : rayon  « par terre »

279 Ligne d’arrivée, 279m au-dessus du parvis.  Flashs photographe. Réflexe conditionné du coureur : Un clic sur le chrono et position accroupie voire allongée pour éviter la syncope pour certains.

 

 

Je suis carbo, mais alors carbo de chez carbo. Oui mais p….. quel pied, mais quel pied. J’y suis « Vers l'infini et au-delà ! »

C’est clair, à cet instant « Je suis le roi du monde ! ». Des secouristes ramassent les épaves à la petite cuillère.

J’ai un étrange goût de sang dans la bouche. Je ne suis pas le seul. 42560 calories d’énergie potentielle de pesanteur mgh de consommées. Et en crédit carrés de chocolat, ça fait combien ?

Cadeau tour Eiffel, polaire Finisher et bouteille d’eau.

Lente redescente dans les tours et de la tour. « Mon » américain m’indique avoir lâché 30s sur son chrono 2017. « the wind » me dit-il. Mais on aurait pu aussi avoir la pluie comme hier, alors !! Bref échanges avec des bénévoles. Ne pas s’éterniser dans ce lieu hostile brassé par les éléments. Ascenseur 3-2. A une petite dizaine. On refait la course.  Ascenseur 2-1-0. Regards appuyés de touristes sur ce troupeau en étrange tenue.

Retour progressif sur terre et à terre. Staff familial sur place, Marie, aux petits soins.

Les féminines sont dans l’action dans la stalle de départ. Les cadors hommes en plein échauffement.

Premier débrief. Portable qui vibre. Premiers SMS interrogatifs : Alors, combien ?

« Le temps est sans importance, seule la vie est importante»

Je jette un œil sur le chrono tout de même : 15mn12s.

 

Et la petite voix m’interpelle une dernière fois : « Alors, cette Verticale ? »

                                                                                                              Ben………« Faut reconnaître, c'est du brutal! »

Christian

 

NB : Citations extraites des films « La guerre des boutons », « Léon », « Gladiator », « Retour vers le futur », « Les visiteurs », « Le cercle des poètes disparus », « les bronzés font du ski », « Taxi driver » « Top gun », « Blade runner », « Toy story », « Le cinquième élément » et surtout « Les tontons flingueurs ».  Crédit photos : « La verticale de la tour Eiffel », Christian et Marie.  Suzy Walsham et Piotr Lobodzinski une nouvelle fois vainqueurs en respectivement 10mn17s et 7mn54s.

13 commentaires

Commentaire de Jean-Phi posté le 19-04-2019 à 15:30:09

Super CR, j'adore ! Ca donne envie ! Avec plein de bonnes citations dont on revoit bien les scènes.
Dis, le "c'est à moi que tu parles" ne serait-il pas emprunté au célèbre "you're talking to me" de Taxi driver ?

Commentaire de c2 posté le 19-04-2019 à 16:32:12

Bien vu pour la référence cinéma

Commentaire de Bikoon posté le 19-04-2019 à 17:09:37

Extra ce compte-rendu !!
merci, et bravo pour cet exercice qui doit être terriblement décalaminant... mais ô combien jouissif :o))

Commentaire de c2 posté le 22-04-2019 à 07:50:10

Je confirme, ça décape grave mais n'entame pas en profondeur.

Commentaire de vamosplaya posté le 19-04-2019 à 18:50:47

Génial ton GR, on souffre on exulte on profite avec toi !

Commentaire de c2 posté le 22-04-2019 à 07:51:15

Il ne te reste plus qu'à franchir le pas?

Commentaire de Benman posté le 20-04-2019 à 08:10:52

Quel talent. Ce CR est un concentré de littérature. On rêve de t'accompagner et t'encourager dans cette quête, à la façon de la petite voix qui montre la voie. Bravo.

Commentaire de c2 posté le 22-04-2019 à 07:56:34

C’est clair, ça bouscule et fait sortir de sa zone de confort. Et pourquoi ne pas tenter ta chance?

Commentaire de Bert' posté le 21-04-2019 à 19:11:39

Trop bon cette Tour Eiffel !!
Quel CR, quelle envolée ! Que de belles références -)
C'est du brutal, mais tellement fort.
J'en ai des frissons rien que de me remémorer le moment vécu peu après toi

Commentaire de c2 posté le 22-04-2019 à 07:47:48

Parfois je me demande si j'ai bien participé à ce truc hors norme. C'est si court... Et pourtant nous avons bien discuté ensemble avant l'épreuve. Alors je devais être bien là....

Commentaire de Bert' posté le 25-04-2019 à 19:07:15

LOL ! J'ai quand même cette même impression : on a vraiment bien participé ?? ;-))))))

Commentaire de augustin posté le 03-05-2019 à 10:33:30

J'adore ce récit! truffé de references communes, le ton est sympa, la prose très agréable à lire. Belle experience en tout cas! j'étais candidat wildcard mais non retenu, j'espère un jour avoir l'occasion d'en être. A bientôt!

Commentaire de c2 posté le 03-05-2019 à 14:21:42

Merci pour ce retour. N hésite pas. Retente. Avec un peu de chance....

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