Récit de la course : Ultra Trail Côte d'Azur Mercantour 2015, par CharlyBeGood

L'auteur : CharlyBeGood

La course : Ultra Trail Côte d'Azur Mercantour

Date : 4/9/2015

Lieu : Nice (Alpes-Maritimes)

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Distance : 140km

Objectif : Pas d'objectif

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UTCAM (140km) : mieux vaut (arriver) tard que jamais...

Ultra-trail Côte d’Azur Mercantour

140km, 10'000 D+

 

L’avantage de l’Ultra-trail, c’est que cela fait voyager. Sans l’UTCAM, jamais je n’aurais pris la peine d’aller à Nice, malgré sa proximité – en avion, parce qu’en train ou en voiture, c’est une autre histoire… – et je n’aurais pas connu cette agréable et accessible ville aux habitants sympas et serviables. Je m’embarque donc, en ce jeudi matin, sur mon vol, avec comme première surprise du chef, la présence de Laurent Blanc – l’entraîneur du PSG (Paris St-Germain…) pour les non-initiés – juste derrière moi dans la queue pour passer la sécurité. Il semble souffrir du même syndrome que moi – ça fait toujours du bien de se sentir moins marginal – celui du « choix-erroné-de-la-file-d’attente ». Philosophes, nous échangeons à ce propos avant de nous retrouver, tant bien que mal, en chaussettes et pantalon à mi-fesse en l’absence de ceinture en train de passer sous le portique qui, pour une fois, ne carillonera pas : bon présage !

 

La journée du jeudi passe à la vitesse du TGV entre l’installation dans la chambre, le cheminement sur la Promenade des Anglais – franchement, elle n’a rien de beau ou d’excitant… – pour rejoindre le village du trail, la récupération du dossard, la photo « avant course » – celle où on assure sans problème le cliché tout sourire, la discussion avec les bénévoles et les autres participants, les emplettes pour le ravitaillement de la base de vie – en traduction, trouver des yops – etc.

 

La matinée du vendredi – la course débute à 13h – est consacrée au repos et à la mise en place des sacs de course et d’allègement, sans oublier les yops congelés qui, emballés dans du papier journal, devraient garder une fraicheur suffisante pour être agréables à boire dans environ 15 à 20 heures. Je me pointe vers midi sur le village de départ, au bord de la mer, sur la Promenade, afin de déposer le sac que je me réjouis déjà de retrouver à mi-parcours (un yop, et ça repart !). Il fait une chaleur caniculaire en plein soleil. Autant pour éviter le coup de chaud avant même le départ que pour profiter de me remplir encore un peu l’estomac, je pars à la recherche d’un resto asiatique. Bouh-Sol, le dieu de l’orientation, n’était manifestement pas avec moi puisque à défaut de riz blanc, je fais chou (blanc, pour ceux qui ne suivent pas). Je me rabats donc sur un smoothie et un sandwich au saumon qui rempliront pour finir très bien leur office et mon ventre.

 

L’heure du départ approche. Je ne sais pas si c’est le fait qu’il s’agisse d’une première édition ou si c’est parce que la course est neutralisée jusqu’à la sortie de Nice, mais il règne une ambiance bon enfant sur la ligne de départ. Tout le monde discute, c’est même très fortement dissipé durant le briefing. Le peloton est étiré, rien à voir avec une compétition chamoniarde où le principal risque de ne pas finir est de tomber et d’être « étouffé » par les autres concurrents en quête de performance. Suite au coup de pistolet, nous traversons Nice escorté par la Gendarmerie nationale pour rejoindre la sortie de la ville. Nous aurons donc quitté la mer pour mieux la retrouver dans deux jours…

 

Après avoir rendu infréquentable jusqu’à la prochaine pluie un petit square qui n’avait pas vu défiler autant de personne en si peu de temps dans son périmètre – la vessie d’un traileur est décidément fort sensible à quelques minutes du départ – c’est le coup de pistolet qui nous lance à l’assaut des reliefs. Si le début de course n’est pas très sauvage, il est très pentu ! Je ne suis pas sûr que les habitants des collines niçoises soient des adeptes du vélo pour aller bosser, même l’assistance électrique me semblerait insuffisante pour cause de batterie déchargée avant d’arriver à rejoindre son domicile au retour ! Nous grimpons donc sur la route au travers de quelques propriétés splendides de pierres blanches, en terrasse, dominant la Baie des Anges. L’arrière-pays est grignotté, petit à petit, et chaque virage me laisse découvrir un nouveau chantier de villa qui traduit une avancée supplémentaire de la ville.

 

Une demie heure de course est nécessaire pour nous permettre de nous glisser sur le premier sentier qui nous mènera au Mont Chauve, 700 mètres au-dessus de la mer. Il ne faut d’ailleurs pas oublier de se retourner pendant l’ascension, la vue sur le Baie étant splendide. Je pense que seul son statut de réserve naturelle préserve ce coin d’une somptueuse résidence avec piscine à débordement !

 

Je m’amuse, comme toujours en début de course, à observer mes collègues coureurs. La course est toujours nerveuse au départ et je suis étonné de voir certains – la plupart en fait – relancer comme des malades au moindre hectomètre de faux-plat. En trois étapes, pour les moins aguerris, cela fait :

1) J’entends une locomotive qui souffle derrière moi, me dépasse en courant, le visage rougit par la surchauffe et le rictus de celui qui est déjà en sur-régime aux lèvres ; 

2) Le terrain monte à nouveau, la locomotive reprend son pas lourd et pesant – ce n’est même pas un pléonasme, tant les deux qualificatifs prennent sens dans cette description – tandis que je poursuis ma marche régulière ; 

3) Deux cent mètres plus loin, je dépasse la locomotive dont les gestes désordonnés avec ses bâtons et son souffle court mais rapide – au contraire de sa vitesse de déplacement – me font me poser la question de l’obligation pour moi de m’arrêter sous peine de non assistance à personne en danger…

 

Les aléas de la course ont aussi d’agréables suprises puisque je me rend compte, tout à coup, que je suis dans un petit groupe de 7 personnes et que je suis le seul mec : elle est pas belle, la vie !!! (bon, ça ne va pas durer longtemps, mais comme le magnifie si bien Philippe Delerm dans ses recueils, il faut savoir s’émerveiller de tous ces petits moments du quotidien qui embellissent l’existence !). Mais trève de badinage, voici déjà le premier ravito de Tourette-Levens qui a comme remarquable particularité l’excellente idée de nous faire passer à côté d’une fontaine à l’eau fraiche qui remplira autant mon gosier que mes bras se plongeront dans son bassin.

 

Le village est vite quitté au travers d’une rue dont on se demande si les maisons ne vont pas nous tomber dessus tant les façades sont penchées… Certes, il y a un certain charme, mais ce n’est que moyennement rassurant ! Dans le contexte actuel, je me surprends à m’imaginer chevalier de Walt Disney en train de pénétrer dans la forêt maudite qui a tendance à se refermer sur moi. Heureux présage puisque tous les héros de Disney finissent par vaincre, comme je pense le faire pour ces 140 km.

 

Nous nous élevons dans une jolie garrigue. Une odeur restera indubitablement liée à ce trail, parfum qui me plait en plus énormément : le thym. La chaleur semble exhaler ces fragrances au point que je m’imagine presque le gigot ou les cotelettes d’agneau qui recevraient cet assaisonnement divin. Je n’en suis pourtant qu’à un peu plus de deux heures de course, un peu tôt pour les hallucinations !

 

Le sentier est plaisant. Pas trop pentu, un peu caillouteux – mais rien en comparaison de la suite…  – sauvage malgré la proximité de la ville. Nous arrivons au col pour découvrir, sur la terrasse d’une ferme, une réplique en format couple des anciens d’Astérix en Corse, tranquillement assis et regardant toute cette agitation de coureurs qui défilent sous leurs pieds. Un petit salut et c’est enfin une descente que je peux me mettre sous la dent (ce qui ne veut pas dire que je me suis vautré, je vous rassure, cela viendra plus tard !).

 

Les jambes dégourdies, j’entame la dernière petite côte qui va me mener à l’un des plus beaux coup d’œil patrimonial de la course avec une superbe chapelle en pierre (Saint Joseph) et, sur un éperon rocheux, le château de … Châteauneuf, le mal nommé ! Le ravitaillement est le bienvenu pour faire le plein de saucisson, d’eau gazeuse et, tenez vous bien, pour sortir mes bâtons ! Eh oui, c’est la grande nouveauté de cette course pour moi, j’ai pris des bâtons pour soulager un genou qui a eu la facheuse malice de me tourmenter à plusieurs reprises durant les derniers mois. Reste à voir si je saurai m’en servir correctement, ma seule expérimentation consistant à avoir gravi une Grande Gorge, au Salève, avec ces ustensiles, juste après l’avoir fait sans, pour un temps exactement comparable. En prévoyance des prochains dénivelés plus pentus, je déploie donc mes téléscopiques et repars avec ces deux excroissances dans les mains : bizarre…

 

Le sentier nous fait prendre de l’altitude au milieu de la forêt. Pour la première fois de la course, je me retrouve un moment seul, personne devant, personne derrière à portée de vue. Je l’avoue, cela fait du bien, c’est le signal que la course est vraiment lancée. Au fil de la montée, les coups d’œil se succèdent à mesure que le soleil baisse sur l’horizon. C’est presque au sommet du Mont Férion que la boule rouge disparaît derrière les cimes. Le passage à la Tour de Guet marque les début de la descente, relativement agréable au début, sur des sentiers forestiers, puis plus casse-pattes par la suite, notamment en raison du revêtement fait de pierres roulant sous les semelles et de poussière donnant des situations dignes de Holiday on Ice.

 

Un autre facteur rend la descente plus tendue que prévu : la nuit tombante. Comme bon nombre de coreligionnaires, je n’ai pas envie de m’arrêter pour sortir la frontale et donner un éclairage correct à ma progression. C’est parfois à tâton que je trouve ma voie – ce qui ne m’empêche pas de dépasser des concurrents éclairés mais peu vaillants en descente – et c’est carrément dans la nuit noire que je débouche, sans lumière, à la première base de vie, après 33km, en un peu moins de 7h. Je n’ai pas vu le temps passer… Malgré une fatigue toute relative, je m’efforce de m’arrêter suffisamment longtemps, de manger soupe et pâtes, de boire, de relaxer les jambes. Le chemin est encore long… Je m’équipe pour la nuit – ce qui correspond à bien peu de changements vu que la température est fort plaisante, mais nécessite quand même de préparer la veste coupe-vent pour qu’elle soit à disposition à première réquisition dans une partie accessible de mon sac.

 

La nuit s’est à présent bien installée. Je quitte après une trentaine de minutes d’arrêt la base de vie pour filer en direction d’Utelle, qui représentera le tiers de la course. La montée est relativement agréable, parfois raide, parfois plus plate, mais avec un leitmotiv : des cailloux ! Cela aura été pour moi le souvenir marquant de cette course : il n’y a pas un bout de sentier qui ne dispose pas de sa collection de pierres ! Ca roule, ça glisse, ça dévale la pente, bref, cela rend la progression tout sauf facile et demande une attention de tous les instants.

 

L’arrivée au col d’Ambellarte est une excellente occasion de m’adonner à mon sport favori, la « MarcheNéenlair » soit la contemplation de la voute céleste et la reconnaissance de 2-3 étoiles et constellations. Il y a un côté paisible dans cette nuit douce qui nous accompagne au milieu des alpages. J’échange quelques mots avec un autre concurrent puis nous levons les yeux vers la suite de la montée : la guirlande des frontales me donne sans risque d’erreur la direction à suivre ! Au sommet, sympathique comité d’accueil qui nous vante le Sanctuaire de la Madone d’Utelle, une bonne bière à la main.

 

La descente est terrible car pentue à souhait – non, au-delà des souhaits en fait… - et il n’est pas vraiment possible de courir. Mais cela change à l’approche du village d’Utelle, lieu du ravitaillement. Je ressens les effets de la fatigue, il est aux environs d’une heure du matin, mais les bénévoles, navrés, me disent qu’il n’y a pas de lieu pour le repos. Ce sera donc à la dure, sur le banc en pierre abrité mais venteux, que je vais fermer les yeux dix minutes. 30 secondes nécessaires à l’endormissement plus tard, je suis en parfait mode repos. Au réveil, le thé n’est pas de trop parce qu’on oublie toujours une chose : dans « banc en pierre », il y a pierre, et la pierre, c’est froid ! Je l’apprends à mes dépends. Mais il est temps de repartir.

 

Le prochain tronçon nous fait grimper près de 800 D+ pour passer le Brèche du Brec d’Utelle et nous retrouver sur un sentier en balcon pendant plusieurs kilomètres. A défaut de la vue saisissante vantée dans le roadbook, c’est une impressionnante mer noire qui s’étend sous nous. Pas une lumière dans la plaine, un véritable sentiment d’isolement qui est très jouissif et me pousse à laisser un œil trainer dans cette immensité, au risque de mettre un pied hors du chemin… Le peloton est maintenant bien étiré et ce sont plus des grappes de coureurs que je cotoie, qui se regroupent selon les circonstances et la forme du moment. J’aime cette quasi solitude dans la douceur de la nuit de fin d’été. Peu de bruits, peu de lumières, des étoiles à profusion, pas trop de fatigue. Le vie est belle !

 

Les 350 derniers mètres D+ de l’étape se font en forêt et dans une aube naissante au froid plus marqué. Le ravitaillement du col d’Andrion est une simple tente posée au milieu de la route forestière. Même si le thé est bon et chaud, s’arrêter trop longtemps serait risqué avec ce froid qui s’insinue sous les habits mouillés. Je ne suis pas en souci avec la barrière horaire, 1h30 d’avance, mais je caresse le projet d’une bonne halte à la prochaine base de vie de Roquebillière et il s’avère que c’est la prochaine étape. 15 km et la possibilité de me changer, de manger et… de retrouver mes yops !

 

La fin de la montée s’effectue toujours en forêt. La lumière du matin prend petit à petit possession des sous-bois. Les oiseaux matinaux chantent, le premier avion signe le ciel et j’aurais eu meilleur temps de rester concentré... Je ne sais pas à quoi je pensais, mais plus vite qu’il ne le faut pour l’écrire, je réussis à me mettre les bâtons non pas dans les roues, mais dans les pieds, au passage d’un tronc en travers du chemin. Le vol plané est remarquable, quasi artistique, un plat de niveau mondial… heureusement sans conséquence hormis une belle trainée de boue brune sur le devant de mon t-shirt et quelques égratignures…

Mes esprits repris, j’ai devant moi 3-4 km à parcourir sur une crête, valonnée. La lumière du matin devient extraordinaire, douce et chaude à la fois. Les premiers rayons illuminent un champ d’herbes jaunes, c’est féérique (non, je ne suis pas dans une phase d’hallucination !). Quelques photos, un selfie et je poursuis ma route en me réjouissant de ce qui m’attend, plus de 8 km de descente, 1500 mètre de dénivelé négatif !

 

A l’entame de la descente, je suis interloqué par l’insistance des bénévoles qui me disent de faire TRES attention car c’est très glissant. Euphémisme !!! La première partie est un champ avec de grosses touffes d’herbes dont je me demande comment elles ont fait pour aussi bien assimiler les propriétés de la glace… Il va sans dire que deux passages quasiment sur les fesses m’ont rapidement fait changer de tactique et que des appuis plus marqués, soutenus par les bâtons (ils m’auront même servi en descente pour finir !) se sont imposés. Autour de moi, je vois gicler vêtements et bâtons, partir des pieds vers le ciel et j’entends des jurons dont Brassens n’aurait même pas pu s’inspirer dans sa ronde éponyme tant ils manquaient de finesse. La suite du terrain me ramène aux classiques du coin : des cailloux, partout, longs, petits, gros, de toutes les couleurs et formes, mais surtout roulant sous le pied et se faisant un malin plaisir à se détacher lorsque tu poses le pied dessus… Je décide de ne pas prendre de risque et de descendre « à ma main », ce qui ne m’empêche pas d’afficher à mon tableau de chasse de nombreux concurrents dépassés, beaucoup d’entre eux ayant d’ailleurs des projets d’abandon en tête.

 

La base de vie est proche. Il faut à présent se taper deux-trois kilomètres de bitume pour atteindre le Graal, ce que je fais sans forcer. Ce n’est que la mi-parcours et je vais m’arrêter vraisemblablement près de deux heures, il n’y a donc pas de quoi se fusiller les cuisses en forçant sur un revêtement dur… La base est installée dans un gymnase, ce qui a beaucoup d’avantages : il fait sec, chaud mais pas trop, il y a de la place, le ravito offre de la soupe et d’excellentes pâtes réchauffées minute, des massages, podologues, ostéopathe, des lits de camp. Un vrai petit paradis !

 

Je récupère mon sac d’allégement. Le suspens est à son comble. Je dénoue le lacet, je sors le paquet emballé dans du papier journal, en retire un premier yop. Agréable constat, je sens un peu de fraicheur se dégager : bon signe ! Je l’ouvre, porte avec calme mais détermination le goulot à mes lèvres, penche la tête en arrière et avale une gorgée… yes ! Il est encore relativement frais ! Dans tous les cas, il réjouit mes papilles et c’est l’essentiel. Le yop confirme son statut de chouchou lors de mes trails.

 

L’ambiance est très sympa, ça discute, ça amorce, on se donne des conseils, on apprend qu’il y a déjà un grand nombre d’abandons. Je profite de l’opportunité de me faire masser par une gentille apprentie kiné qui devra encore s’aguerrir et acquérir de la poigne pour arriver agir efficacement sur des gambettes de sportif à la musculature un peu trop puissante pour elle. C’est toutefois un moment de détente, tranquillement allongé, qui me fait du bien et qui permet à une podologue de soigner une cloque qui a osé s’inviter sur un de mes orteils et que je n’avais même pas sentie (ou presque).

 

Rassasié, reposé, changé de pied en cape, je peux repartir à l’assaut de cette seconde moitié de parcours sous un soleil radieux, convaincu que je finirai la course.

 

Pas de répit en sortie de ravito : on grimpe rapidement de 250 D+ pour rejoindre le village de Belvédère qui, bien lui en prend, dispose d’une magnifique fontaine à la fraicheur revigorante. J’ai beau n’avoir quitté la base de vie que depuis une demi-heure, les méfaits de la chaleur se font déjà sentir… Le soleil cogne… Plonger mon « Buff » dans l’eau avant de me l’essorer dans le cou puis, après un second plongeon dans le bassin, le poser dégoulinant sur ma tête s’apparente à un must dans cette course éprouvante. Je suis toujours surpris de constater à quel point des petits gestes insignifiant de la vie peuvent prendre une importance primordiale à certains moments durant un trail ! Trail = catalyseur de ressentis positifs, retour au bonheur primal !!!

 

Je suis bien auprès de ma fontaine, mais sa présence, pour rassurante qu’elle soit, ne me fait pas vraiment avancer… Il est temps de me remémorer la « petite phrase du traileur » : ne crains jamais d’aller lentement, crains seulement d’être à l’arrêt. Je me fais violence… et repars de plus belle en enjambant les marches qui me font sortir du village. S’engage alors une longue, longue montée sous le féleu. Il fait chaud, la montagne est sèche et dégarnie mais le paysage reste plaisant. Je discute un moment avec un Réunionnais, David, un peu chien fou qui fait ses premières armes dans l’Ultra. Malgré les appels à la prudence pour ne pas se griller, je le vois, après une vingtaine de minutes, passer la seconde et embrayer le gros braquet pour avaler la montée. Je ne le reverrai plus… jusqu’à la descente où je le dépasserai alors qu’il me semble dans une toute petite forme, vraisemblablement un peu cramé des cuisses et du haut du crâne, vu la chaleur…

 

La descente est plaisante – et pas seulement car j’ai repris David – et nous conduit vers le bien nommé relais des Merveilles, bel endroit bucolique au bord de la rivière qui serpente dans la vallée… La pause se fait sur l’herbe verte, au soleil, avec une super soupe qui embaume et remet d’aplomb. Je viens de faire 1400 D+ en 15 km sous un cagnard du sud, content de me poser un moment !

 

Mais en trail, on ne s’arrête jamais très longtemps et j’ai dans l’idée de profiter autant que possible du jour pour avancer, surtout que la prochaine base de vie est quand même à près de 21km, que nous attaquons les plus hauts sommets et qu’il faudra profiter des quelques passages en crête qui se révèleront, je dois l’avouer, de toute beauté avec les couleurs chaudes d’un soleil de fin de journée. Tout est pelé, on quitte l’ombre bienfaisante des arbres pour des répliques des highlands écossais, les châteaux en moins.

 

J’observe avec attention le « couple » de coureur devant moi. En synthèse : devant, Monsieur, très à l’aise, mains dans le dos pour monter, qui parle, qui parle et… qui parle ! Pas inintéressant, quelques bons conseils de traileurs, mais qu’est-ce que c’est saoulant lorsqu’on se trouve en pleine montagne et que le bruit du vent, le cri des oiseaux ou le murmure d’un cours d’eau est le graal que l’on poursuit… Derrière, Madame, courageuse mais à la peine, qui tente tant bien que mal de suivre le rythme (trop élevé) qui lui est imposé et qui fait contre mauvaise fortune bon cœur en ânonnant un « vouivoui » de quittance à chaque fin de phrase de Monsieur. Au passage des 100 km de course, j’avais envie de lui tirer mon chapeau, car plus de 26-27h à entendre la ritournelle, cela devait être éreintant…

 

Une descente technique et un ravito express au vallon de la Madone de Fenestre plus tard, je suis à fond dans la raide montée qui me conduira à la Cime du Pisset, dernier point haut avant la prochaine base de vie. 550 D+ en 3 km, ça chauffe les cuisses. Le soleil a déjà mis les voiles depuis un moment et comme je n’ai pas encore envie de sortir ma frontale, c’est dans une ambiance particulière que je parcours ces sentiers. On est entre chien et loup, des ombres se détachent, les rochers prennent des allures de voitures, les arbustes sont humains. La vue sur le crépuscule qui s’installe dans les vallées alentours est magnifique.

 

Je ressens le besoin d’en finir avec ces heures de marche et commence à vraiment attendre impatiemment un bon lit de camp pour fermer les yeux 45 minutes et reprendre toute l’énergie nécessaire à la fin de course. Je m’impose donc un petit trot sur les crêtes à la lueur de ma lampe enfin sortie. Cela a pour le surplus le loisir de me réchauffer car le vent s’est levé et il doit bien faire 15 degrés de moins que durant l’après-midi. Je suis toutefois stoppé net dans mon élan par une petite lumière alliée à une non moins petite voix : « poste de contrôle » ! Cachée dans sa tente, la pauvre bénévole doit maudire ces fameux coureurs qui ne sont pas capable de passer tous de jour. En réalité, pas du tout, elle est très sympa et nous met en garde, mes compagnons du moment et moi, sur la technicité du dernier tronçon de descente, genre pierrier mais sur un sentier, donc en ayant encore moins de latitude pour chercher son chemin adéquat. En résumé, une descente comme toutes celles de cet UTCAM, très difficile à courir.

 

Le froid commence à mordre lorsque j’arrive à Boréon, dernière base de vie.

 

En fait de base de vie, il s’agit plutôt d’un abri de première nécessité… Pas de salle des fêtes ou de bâtiment couvert, nous arrivons sous une grande tente dressée en bordure des bois dans une atmosphère de joyeux capharnaum… La plupart des coureurs qui arrivent ayant prévu de se reposer un moment, c’est la lutte pour trouver un lit de camp ou, pour le moins, un tapis de fitness à même le sol pour s’étendre. Il fait très froid dehors et les quelques infrarouges à l’intérieur ne suffisent pas à réchauffer les corps, même si les bénévoles y mettent beaucoup de cœur, notamment pour trouver de quoi nous couvrir (les couvertures de survie sont très bien mais ont un gros défaut : elles gardent l’humidité du corps et ce n’est pas le plus adéquat pour se réchauffer…). Ils vont même jusqu’à prêter leur sac de couchage pour éviter les claquements de dents de deux traileuses qui vont pour finir opter pour la bonne vieille chaleur animale en se couchant ensemble dans ledit sac !

 

Un petit somme de 45 minutes, un peu de soupe au (difficile…) réveil, un bon thé chaud et c’est reparti avec un groupe de traileurs qui a la bonne idée de s’élancer sur l’avant dernière montée en même temps que moi. Je profite d’une quinzaine de minutes sur la route pour achever mon émergence du sommeil et, également, pour jeter un œil au ciel dégagé qui laisse la lueur des étoiles éclairer le chemin.

 

La montée est plaisante, régulière, dans les bois. Pour ne pas faillir à la tradition, j’arrive quand même à avoir quelques hallucinations dues aux ombres du faisceau de la lampe. Je suis notamment convaincu qu’il y a deux petits vieux assis sur un banc, style les deux qui commentent le spectacle du Muppet show depuis le balcon. L’incohérence de la situation du fait que ce soit passé minuit et que nous nous trouvions au milieu de nulle part ne m’effleure même pas…

 

Le froid est piquant, surtout après être sorti de la forêt. La montée se fait dans les alpages, où la chasse aux balises fait rage avec une union sacrée des coureurs pour les faire briller comme des feux-follets dans la blanche lumière de nos lampes. On passe les 2'500 m d’altitude. Je me dis que le sommet du Mont Archas ne va plus tarder, ce qui est effectivement le cas. Ouf, il commence vraiment à faire frais, je vais pouvoir me réchauffer dans la descente.

 

Le calcul était bon, la réalisation impossible… Le chemin descendant est une vraie piste de bob ! Les herbes sont glissantes, comme les pierres. Je ne compte plus les jurons entendus autour de moi, en général accompagné du tradionnel visuel des bras qui battent désespérément l’air avant de présenter à tous la marque des chaussures qui tentent le coup de pied à la lune ! Je choisis donc la prudence, surtout que je sens que je n’ai pas vraiment rechargé les batteries et que j’ai les quinquets qui ont tendance à faire tomber le rideau. C’est donc plus en assurant la pose des pieds comme un marin sur le pont par mer démontée qu’en gambadant allégrement « dru dans l’pentu » que je rejoins pour la dernière fois la vallée avant l’arrivée à Saint Martin Vésubie (mais il reste quand même plus de 23 km et 1500 D+ en tout…).

 

Ce ravito est assez spartiate, mais une petite tente chauffée me permet de me reposer au chaud avec un bon thé pendant une demi-heure. Je sens vraiment la fatigue et je me dis que fermer les yeux pour une micro-sieste ne pourra que me faire du bien… 4-5 coureurs sont également abrités pour quelques minutes. Il faut dire que nous sommes encore à plus de 1600 m d’altitude et en jetant un œil dehors, je me rends compte que l’herbe blanchit de givre… Quand je pense à la chaleur qu’il faisait durant la nuit précédente, c’est presque incroyable d’avoir si froid (et sommeil, mais ça, c’est plus traditionnel !).

 

C’est parti pour la der ! Sortir de la tente démontre ma force de caractère extrême ! Je crois que j’ai mis 2 minutes pour être frigorifié… « Heureusement », je pars pour un dénivelé de près de 300 mètres sur le prochain kilomètre… Il ne faut pas longtemps pour retrouver une température à peu près normale. La principale difficulté, c’est de repérer les balises. Elles brillent un peu dans le faisceau des lampes, mais lorsque les yeux se ferment tout seul, c’est plus difficile de les voir ! Je dois avouer que je découvre une nouvelle fonctionnalité aux bâtons : me permettre de rester debout lorsque je m’endors en marchant !

 

Franchement, je ne sais pas combien de temps je passe en statique, à somnoler debout comme les chevaux. Certainement plusieurs dizaines de minutes… Comme il n’y a plus beaucoup de coureurs en course, je ne dérange personne, planté au milieu du chemin…

En revanche, là, il y en a un qui m’intrigue… Il est couché contre un rocher, en boule. Je vois un peu de givre sur ses habits… Inquiet, je vais le voir de plus près et lui prends la main : elle est froide, très froide. Je le secoue pour le réveiller. Il m’envoie paître, mais c’est exclu que je le laisse là au milieu de la montée. Le récit de ces deux morts en trail dans le Mercantour me reviennent à l’esprit. Je l’empoigne par le bras, le force à se lever. Il est dans les vappes, les lèvres un peu bleues, frigorifié. Je sors ma couverture de survie pour l’en envelopper. Il dort encore à moitié, mais moi plus du tout ! Il faut absolument qu’il vienne avec moi vers le sommet où j’espère qu’il y aura un point de contrôle abrité.

 

La longue marche… Mon coéquipier n’avance vraiment, vraiment pas vite. Il me rappelle un peu ma grand mère dans son rythme cacochymique de croisière, derrière son déambulateur. Je crois avoir mis plus de temps pour le dernier tiers de la montée que pour l’entame, alors même que je n’étais pas en grande forme… Enfin, le sommet se dessine, alors que le jour s’est déjà levé. Le vent est transperçant, les derniers hectomètres à l’image de cette 2e partie d’ascension : pénibles. Je suis heureux d’arriver dans la sorte de yourte de la zone de pointage. Je dépose mon coéquipier de fortune qui est encore un peu dans le brouillard malgré la marche et m’allonge aussi un moment pour me réchauffer et fermer les yeux. Je décide alors de prendre tout mon temps pour finir, n’ayant vraiment plus aucune ambition vu le nombre de coureurs qui m’ont dépassé durant l’ascension.

 

La fin de course est quasiment exclusivement en descente. Je flâne et regarde les représentations d’animaux réalisées dans des mottes de terre déposées au bord du chemin. Artistique et stimulant pour l’esprit. Sans forcer, j’arrive au dernier ravito, endroit où les coureurs des autres distances nous rejoignent. J’en profite pour voir passer une fois une tête de course. Ça va vite… mais ils ne sont que sur un 20 km !

 

Je repars en pleine forme. Je sens l’écurie et cours presque tout le long. Je m’amuse, sur certains bouts, à aller plus vite que certains coureurs du petit parcours. J’adore voir leur tête quand je les dépasse en les saluant et qu’ils voient la couleur de mon dossard, ce qui m’estampille 140km ! La descente est enfin roulante, je me fais plaisir sur cette portion. J’aperçois Saint Martin Vésubie en contrebas. On retrouve par moment un peu de bitume. Nous voilà au bas du village. Dernier petit arrêt à la fontaine, juste pour le plaisir, et remontée dans les rues du village pour passage de la ligne ! Le temps et le classement sont loin de ce que je m’attendais à faire ! J’ai quelques circonstances atténuantes… Finalement, me voici 177e sur 191 finishers (mais plus de 400 au départ, quand même !), en un peu plus de 47 heures, après 145 km et 10'000 D+.

 

Que retenir de cette course ? Des écarts de température étonnant, un parcours varié, des bénévoles très impliqués. Des lacunes aussi, notamment les bases de vie et un dénivelé peut-être un peu trop important et surtout sans véritable justification – j’ai eu l’impression parfois que nous montions pour monter, sans véritable besoin à cet état de fait. Je me rappellerai aussi mon « sauvetage » de concurrent endormi, dont je n’ai même pas pensé à prendre le numéro de dossard ! Enfin, ce sera aussi le sprint pour récupérer la navette qui ramène les concurrents à Nice, quittée il y a près de deux jours…

 

Je crois que je vais revenir sur cette course, pour avoir ma revanche et « vraiment » battre ce parcours !

 

 

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Commentaire de OderF_06 posté le 17-08-2016 à 10:27:34

Quelle plume, que de souvenirs qui remontent à la lecture de ton récit, que de détails, moi aussi je fais du people watching , ca m occupe et m amuse.
tu as bien du m entendre jurer sur la descente sur roquebiliere ca coïncide ou j en etais.
Bravo pour le sauvetage, ca aurait pu très mal finir cet histoire.
J espere que les gens seront respectueux des dangers en cas dd sale temps.
Merci et encore Bravo!

Commentaire de CharlyBeGood posté le 18-08-2016 à 10:08:16

Merci pour ton appréciation élogieuse, Fredo ! J'ai effectivement beaucoup pensé à Brassens et sa Ronde des jurons dans la descente de Roquebilière, vu le nombre de ceux que j'ai entendu...

Commentaire de banditblue29 posté le 17-08-2016 à 21:17:17

Merci pour ce super récit.
Il m'a remémoré le parcours ;-).

Commentaire de CharlyBeGood posté le 18-08-2016 à 10:08:51

Merci pour ton passage sur mon CR... et ton appréciation !

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