L'auteur : Kevinkikour
La course : Trail du Haut Planet - 35 km
Date : 4/10/2015
Lieu : Poigny La Foret (Yvelines)
Affichage : 1048 vues
Distance : 35km
Objectif : Pas d'objectif
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3 autres récits :
On a beau le retourner dans tous les sens, le monde est quand même sacrément mal foutu. Y a des migrants qui ne cherchent qu'à se poser et des sédentaires qui n'aspirent qu'à voyager. Y a des gens du Sud qui rejoignent le Nord et des gens du Nord qui envient le Sud. Y a des hommes qui fuient des guerres et qui ne refouleront plus jamais leur sol natal, d'autres qui sont forcés de rester. Y a des gamins qui rêvent d’océan et qui ne verront peut-être jamais la mer, d'autres qui y crèvent. Et puis y a des traileurs qui habitent en plaine.
Un traileur des plaines, c'est un peu comme un marin d'eau douce, ça frise l'oxymore. Ça sonnerait presque comme une insulte dans la bouche de certains montagnards. Pour eux, le trail, c'est en montagne, ou ce n'est pas. Il faut bien avouer que c'est là-haut qu'on ressent le plus la magie de la course nature : Des paysages à couper le souffle, des ascensions à exploser son rythme cardiaque, un air à se purifier les poumons, la comparaison est difficile à soutenir pour le monde d'en bas. Pour autant, la plaine a d'autres ressources. Petit plaidoyer.
D'abord, il n’y a pas que le dénivelé dans la vie. Respirer l'air iodé sur des sentiers côtiers, se perdre dans des forêts majestueuses, longer le cours de fleuves impassibles, s'enfoncer dans la campagne profonde, visiter des merveilles du patrimoine, redécouvrir sa ville sous des angles inédits, c'est tout aussi charmant en courant. Chaque région a un potentiel, qu’il s’agit d'exploiter à sa juste valeur avant d’envisager d’autres latitudes. Concernant la prétendue facilité des parcours en plaine, avancer sur du sable mou, sauter de rocher en rocher, se dépêtrer dans la boue, traverser des cours d'eau, enchaîner de multiples petites bosses, tout ça vaut bien une montée régulière d'un col alpin. La nature du terrain joue autant que la distance et le dénivelé, sans oublier la météo.
Ensuite, la montagne, faut la gagner. L'espèce humaine ayant tendance à proliférer là où les blés poussent droit, la majorité de la population n'a pas la chance de tutoyer les sommets, à moins de beaucoup voyager ou de déménager. Encore, y passer quelques jours, c'est souvent très agréable, mais y vivre, c'est une autre paire de moufles. Globalement, on ne peut pas dire que l’activité y soit très dynamique, et la population très hétérogène. Et puis, à habiter avec elle, on perd un peu l'émerveillement des retrouvailles…
Enfin, l'absence de dénivelé est comme beaucoup d'autres privations un puissant moteur de créativité. Tel Don Quichotte, le traileur des plaines prend une colline pour un pic montagneux, voit la vie en relief et transforme chaque obstacle en terrain de jeu. Lorsqu’il découvre une côte d’une dizaine de mètres de dénivelé près de chez lui, c’est comme s’il venait de trouver du pétrole dans son jardin. Il est capable d’enchaîner vingt montées consécutives sans se lasser. Il vous expliquera ensuite qu’effectuer cinq tours de piste l’ennuie profondément. Il n’est pas exempt de contradictions.
Privé de nature au quotidien, le traileur des villes est une variante encore plus inventive du traileur des plaines, bien qu'il existe des villes proches de la montagne, mais prenons l'exemple du traileur parisien : Pour lui, Montmartre s’écrit en deux mots, la Tour Eiffel se mesure en marches et l’Île-de-France s’arpente comme une île au trésor à dénivelé positif. Souvent taxé de bobo, c'est un fidèle des transports en commun, qu'il utilise pour se concocter des parcours sur mesure et faire profiter les passagers du parfum de son effort. Quand les escalators ou les ascenseurs sont en panne, c’est le seul à avoir un sourire en coin. Il déplore le règne de la bagnole mais s'y glisse opportunément lorsqu'il n'a pas d'autre choix pour se rendre à une course. Il vit dans le béton et passe son temps à chercher à le fuir. Lui non plus n’est pas à une contradiction près.
Lorsqu’on lui propose un trail de 35 km avec 800 m de dénivelé positif, il se dit que c’est un bon ratio pour une course en Île-de-France et qu’il y a de quoi s’amuser, alors il s'inscrit au Trail du Haut Planet. C'est la première édition de cette course nature dans la forêt de Rambouillet, dénommé Trail des Rochers d’Angennes pour la version longue. Le profil du parcours a de quoi impressionner, on aurait dit une course en montagne. Tout est une question d'échelle : Quand on regarde l'axe des ordonnées, on passe de 130 à 180 mètres d'altitude… Même en ajoutant un zéro, ça ne casserait pas trois pattes à un montagnard.
Plus tard, on lui annonce que le parcours est quelque peu modifié pour des histoires d’autorisations non obtenues sur des chemins privés et de course hippique dans le coin. En réalité, il y aurait plutôt 33/34 km avec 400/500 m de D+. Le ratio en prend un coup. Sa motivation aussi.
Au départ, la sensation de se trouver au beau milieu de nulle part est renforcée par la présence d’une brume épaisse. Dans le sillage d’un peloton minimaliste, il s’enfonce dans la forêt, où des gouttes de rosée perlent à son front, comme un vin de vigueur. Une première bosse est franchie au pas de charge, le ton est donné, ça ne sera pas un rythme à cueillir des champignons. S'ensuivent d'interminables lignes droites dans des allées ; pendant de longues minutes, le paysage reste figé, les coureurs devant lui s'éloignent imperceptiblement et deviennent des points de fuite à l'horizon ; il en vient à se demander s'il verra un jour le bout du chemin. Pour tout dire, il a l'impression d'avancer sur un tapis de course avec un fond d'écran de forêt. La devise du Team Trail Paris prend ici tout son sens: Flat is boring. Tellement boring qu'il accélère plus que de raison pour en finir avec ces longueurs monotones. Seules des couches de sable plus ou moins souples ralentissent sa foulée.
Au milieu du parcours, un passage sinueux ponctué de rochers aux formes fantasques, de sol sablonneux et d'une végétation parée de ses couleurs d'automne le fait enfin basculer dans un univers qu’il affectionne. Ça doit être ça, les fameux Rochers d’Angennes. Hélas, les allées font vite leur retour. De temps à autre, de timides rayons de soleil percent la brume, ricochent sur les feuillages et réchauffent son cœur. Oui, c'est un être sensible, et alors ? Vers la fin, des montées bien casse-pattes le forcent à marcher un peu mais globalement, c'est quasiment aussi plat que le style de Musso. Résultat, en trois heures, c’est bouclé.
Au crédit de cette première édition, de copieux ravitaillements positionnés à des endroits stratégiques, un très bon balisage et, fait rare, presque autant de bénévoles que de coureurs. Un paradoxe spatio-temporel demande toutefois à être résolu: Par rapport à une distance équivalente en montagne, c’est deux fois plus rapide et pourtant, ça a l'air de durer deux fois plus longtemps. L’ennui doit y être pour quelque chose. Bien sûr, ça n'a pas le charme de la montagne, mais le traileur des villes sait se contenter de l'herbe menue qu'il foule par les matins gris d’automne, fût-elle plus verte ailleurs.
PS : Ce récit s’est singulièrement affranchi de la première personne mais pas totalement de la mienne puisqu’il est un peu moi et que je est un autre. Un autre jeu abracadabrantesque consiste à retrouver les références rimbaldiennes égrenées dans sa course.
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8 commentaires
Commentaire de Overnight posté le 24-10-2015 à 07:32:05
Merci pour la photo déjà :). Me dis pas qu'on te voit aussi dessus déjà que j'y vois 4 kikous dont moi (la brume nous a un peu foiré d'ailleurs)
Pour le récit, je trouvais ça joliment tourné. Pour mon niveau de poésie je serai malheureusement incapable de trouver les références...
Belle course!
Commentaire de Overnight posté le 24-10-2015 à 07:34:06
Flouté et non foiré... La conscience du portable c'est quelquechose
Commentaire de Kevinkikour posté le 26-10-2015 à 21:16:50
Si, on voit juste dépasser une tignasse en 7ème position ;) C'est surtout le photographe qu'il faut remercier !
Commentaire de Olivier d Elancourt posté le 24-10-2015 à 09:09:17
Joli plaidoyer pour les trails et autres courses natures en île-de-France, même si pour moi "flat isn't boring" ;-) En tout cas ton style est agréable à lire et j'espère que nous aurons l'occasion de le vérifier prochainement :-)
Commentaire de Kevinkikour posté le 26-10-2015 à 21:18:49
Ce serait ennuyant si tout le monde s'ennuyait des mêmes choses ;) Si tu t'ennuies un jour, j'ai écrit deux autres récits...
Commentaire de PhilippeG-638 posté le 24-10-2015 à 10:12:21
Chouette ton récit Kevin, on ne sait pas si tu as aimé ? :-)
C'est vrai que l'on s'habitue vite au dénivelé même si il n'y a pas que cela dans la course à pied.
Elle peut se pratiquer presque partout, la preuve.
Commentaire de Kevinkikour posté le 26-10-2015 à 21:19:36
J'ai bien aimé certaines parties, un peu moins d'autres ;)
Commentaire de Shoto posté le 17-12-2016 à 08:11:24
En plus d un talent de traileur, tu as du talent d' écriture. j'aime beaucoup ton récit. comme toi, j'ai trouvé les longues lignes droites un peu ennuyeuses sur ce trail des hauts planets que j'ai fait 2 fois (2015 et 2016). Mais belle organisation.
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