Récit de la course : Trail des Poilus - 50 km 2014, par Francois dArras

L'auteur : Francois dArras

La course : Trail des Poilus - 50 km

Date : 9/3/2014

Lieu : Ablain St Nazaire (Pas-de-Calais)

Affichage : 3119 vues

Distance : 50km

Objectif : Terminer

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C'est plus fort que moi, ou presque

Je n’avais qu’une certitude au départ des 50 km du Trail des Poilus 2014 : il fallait que je sois là, et si possible aussi à l’arrivée.

Attiré comme un aimant malgré le déficit flagrant d’entrainement qui aurait du me faire renoncer (10 km/semaine en moyenne en 2013…).

 

PREAMBULE

Mars 1914, la longue ligne de crête boisée qui sépare le bassin minier et la plaine arrageoise sort d’un hiver rude et pluvieux mais les lieux sont calmes autour de la chapelle dédiée à ND-de-Lorette. Difficile d’imaginer que dans sept mois des centaines de milliers de soldats français et allemands vont y livrer des combats acharnés pour s’assurer la maîtrise de ce relief pourtant modeste mais terriblement stratégique dans un secteur qui sera durant trois ans l’un des plus disputés du front.

Mars 2014, pour marquer le début du centenaire de cette guerre atroce et fondatrice, et alors que la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette va enfin être reconnue comme l’un des deux hauts lieux de la mémoire nationale de la Première Guerre mondiale, la 5e édition du Trail des Poilus prend une dimension particulière. C’est évidemment l’une des raisons de ma présence.

Mais pas la seule. J’ai d’autres raisons d’être intimement lié à cette course qui est assurément l’une des plus belles et probablement la plus dure de sa catégorie dans la région.

Je me souviens avec précision de ma réaction devant l’affiche de la première édition en 2006. L’idée d’une course attachée à l’histoire de ce territoire m’a immédiatement touché puisque mon travail consiste justement à la valoriser et que j’y ai aménagé des sentiers de randonnée. Mais l’idée de faire 38 km en passant par les chemins les plus raides et les plus boueux du secteur m’a plongé dans un abysse d’incompréhension. Pour le coureur novice que j’étais, courir un marathon me semblait le graal ultime. Je ne pouvais pas imaginer que l’on s’enhardisse à faire plus dur.

Déçu mais intrigué, c’est sur les 23 km de la variante bullygeoise de la course, que j’ai goûté pour la première fois au trail l’année suivante. Un baptême plaisant même si j’ai payé cher mon inexpérience, finissant lamentable et lessivé.

La graine était néanmoins semée et elle a germée plus d’un an après, trop tard pour les Poilus 2008. Révélation et démystification des longues distances, soif d’autres horizons, j’enchaine les expériences au coup de cœur. Entre deux objectifs, je viens prendre ma revanche sur le 31 km du trail bullygeois 2009, ruinant au passage mes chances de performance sur marathon trois semaines après. (Le récit en détail ICI).

Avec deux ultras enchainés en deux mois, je finis l’hiver 2010 trop fatigué et lassé pour rempiler avec les Poilus. Encore raté.

En 2011, en préparation 100 km sur route, je passe encore mon tour.

2012, sera la bonne : malgré un entrainement plutôt léger, j’ai la bonne surprise de finir les 47 km du TdP avec une relative facilité. 7h11, le temps est médiocre mais je m’en moque. J’ai FAIT le Trail des Poilus au cours d’une magnifique journée. Le bonheur est intense mais intime. Si intime que je ne trouverais pas les mots et l’envie d’en achever le récit pourtant ébauché.

La barbe et la bière de finisher 2012 !

2013, impasse sur la course à pied.

2014 : J’y suis. Sans autre but.

La météo de cet hiver vient corser l’affaire. Je n’ai jamais connu ces chemins aussi défoncés et glissants qui imposent une débauche d’énergie pour garder l’équilibre. Dans ces conditions, finir dans le temps imposé de 8h devient un vrai défi. Mon rythme de 2012 + 3 km de rallonge = 7h38. Si je rajoute un entrainement inférieur et les chemins dans cet état, c’est mission impossible. L’objectif s’impose de lui-même : passer la dernière barrière horaire à temps et finir comme je peux.


PROLOGUE : PAR UNE BELLE JOURNEE

Le départ est donné à dix heures précises dans un cadre exceptionnel à l’image de l’organisation : impeccable, généreuse, humaine, attachante.

La basse-cour du château d’Ohlain est presque vide lorsque je la quitte. Je n’aime pas me faire doubler alors je prends les devants en partant derrière. Cinq mn d’attente pour franchir une passerelle puis direction la forêt d’Ohlain dont le tour complet constitue le premier acte de la course. En chemin, la traversée d’une nouvelle parcelle privée verdoyante apporte un vrai plus comparé au chemin bitumé du tracé précédant. Mais les franchissements d’un ruisseau, d’un fossé ou de clôtures engendrent plusieurs ralentissements. Vu ma position dans le peloton, la compétition est inexistante et la patience est de mise mais j’ai du mal à savourer la bonne humeur générale car je sais que les minutes perdues ici pourront me coûter cher dans quelques heures. Mon premier pointage au Dolmen le confirme : 15 mn de retard en 4km… Je sais que j’ai les moyens de me rattraper dans la partie suivante mais je comptais plutôt dessus pour me constituer un peu d’avance pour la fin.

 

ACTE 1 : LA CHASSE EST LANCEE

La première descente sur l’église de Fresnicourt puis la montée qui lui succède apporte la bonne nouvelle du jour : le soleil printanier installé depuis une semaine, et qui nous accompagnera d’ailleurs toute la journée, a séché les chemins au-delà de mes espérances. Ce qui me permet d’appliquer le plan prévu et d’accélérer. Tout le coteau sud du bois me convient à merveille avec de belles descentes que je sais dévaler et des montées franches que je sais gérer. Cette accélération me permet de fausser compagnie à quelques fanfarons un peu trop insouciants à mon goût qui dénotent dans l’humilité ambiante de ceux qui savent que la journée sera longue et se terminera en serrant les dents, même si l’heure est pour l’heure au sourire.

Photo Organisation

Le retard est rattrapé au km 8. Je bascule même sur l’autre versant de la crête avec un peu d’avance. Je suis rassuré mais je sais que j’ai mangé mon pain blanc et peut-être usé de l’énergie qui pourra me faire défaut plus tard. C’est à ce moment là que je rattrape un binôme de coureuses tout de rouge vêtues. Les femmes sont peu nombreuses sur cette course (à peine 5 % des inscrits), leur rythme tranquille m’inspire l’intuition que je tiens là un bon métronome. Sur toutes les courses je trouve des coureurs baromètres, des compagnons de route à distance, tantôt devants tantôt derrières au grès de mon allure irrégulière, des hauts, des bas, des qualités et des défauts de chacun. Pour le moment je passe devant mais je suis sûr de les revoir tôt ou tard.

Je m’étais préparé à une première baisse de régime dans la montée du km 14, d’allure inoffensive elle m’avait pourtant épuisé lors de mon repérage. Côté nord les chemins sont plus humides mais restent très praticables et le coup de mou n’arrive que deux km plus loin, dans la côte suivante. Qu’importe, j’ai appliqué le principe de précaution en levant le pied et je me fais donc massivement doubler. Alors que nous sommes au tiers du parcours, j’essaye de deviner à quelle catégorie appartiennent ceux qui me dépassent : il y a ceux que je ne reverrais pas car ils ont démarré prudemment et en ont sous la semelle, ceux qui surestiment leur force en courant malgré le relief et qui exploseront un peu plus loin, et ceux qui sont à mon niveau et que je retrouverais probablement plus tard lorsque j’aurais pris du poil de la bête.

Car c’est là que l’expérience paye. Je sais que sur 50 km j’aurais des temps forts dont il faudra profiter sans s’enflammer et des temps faibles qu’il faudra gérer. L’inconnu c’est la durée de chaque phase.

Voilà les fanfarons qui me doublent en fanfaronnant. Je n’ai rien contre leur bonne humeur mais pour eux je mise sur la 2e catégorie. Wait and see.

Le premier acte s’achève sur une longue descente qui me voit remonter dans le tempo et cumuler une dizaine de minutes d’avance.

 

INTERMEDE

La transition avant la partie suivante est inédite. Tant mieux, en 2012 j’avais peiné sur cette partie calme et cela m’avait fichu un coup au moral. Cette fois ci, plutôt que de suivre le sommet de la crête, nous sommes descendus tout en bas, par le hameau de Braquencourt le long de la rocade. Si le cadre n’est pas plus formidable, cela apporte au moins un peu de variété, quelques km en plus et surtout une belle et longue remontée par un chemin que je découvre. Prudence.

Quelques malheureux sont déjà à bout de force, ils seront les premiers à abandonner à mi course. Ils sont tombés dans le piège que du premier acte : les chemins et les paysages sont une invitation à gambader, les descentes sont roulantes, les côtes exigeantes et on peut se laisser emporter par l’allure et partir trop vite. Et l’air de rien il est 13h, le petit déj est loin et le soleil chauffe sévèrement. Si l’on peut tout perdre dans cette manche, je sais que la partie ne commence vraiment qu’au deuxième set.

Seule erreur dans la planification de ma course, le ravito n’est plus là où je l’attendais mais 1 km plus loin. C’est sans conséquence si ce n’est que cela m’embrouille dans mes repères et je l’atteins sans savoir précisément quelle est mon avance, un mauvais calcul me donne 20 mn, cela correspondrait à ce que j’espérais mais cela me semble beaucoup. Peu importe, je sais que je passerais sur le pointage très précis de la mi-course peu de temps après.

Nota : je précise que je suis un coureur old school qui court sans gps avec une simple montre, des points de repères sur une carte et un tableau de temps de passage.

J’ai prévu de m’accorder 10 mn de répit, j’en ai besoin et j’en prends même 2 de plus pour régler quelques détails matériels.

Alors que je suis tranquillement assis à faire le plein d’eau, j’aperçois du coin de l’œil mon duo métronome qui arrive et repart presque aussitôt soucieux de ne pas perdre trop de temps.

C’est regonflé à bloc que je repars peu après. Pour le moment tout va bien et même mieux qu’il y a deux ans. J’en ai profité pour passer un coup de fil rassurant à la maison et lire quelques sms de soutien de « mes amis au grand cœur qui me rendaient meilleur ».

Le pointage du km 25 livre son verdict : seulement 10 mn d’avance, c’est une petite déception mais je m’y attendais.

C’est véritablement pour moi une seconde course qui démarre. Maintenant que les écarts sont faits et que la fatigue décourage les conversations, je m’isole avec ma playlist spéciale « poilus » dans les oreilles. Mélange de rock, métal, électro au tempo entrainant et de chansons plus calmes mais à fort potentiel émotionnel sensés me réconforter et me faire oublier que je suis en train de courir.

L’effet revigorant de cette pause se fait sentir sur encore 4 km et c’est avec 12 mn d’avance que je traverse le collège de Bouvigny qui marque la fin de cette longue transition.

 

ACTE 2 : TENIR

Nous sommes maintenant arrivés sur la Crête de Lorette et ses bois que nous ne quitterons presque plus. Par le chemin le plus court nous sommes à moins de 5 km de l’arrivée et 50 D+ mais c’est là que le vice ou le génie des organisateurs s’exprime. Le tracé va maintenant s’évertuer à exploiter toutes les possibilités de ce merveilleux terrain de jeu en passant par les chemins les plus beaux, les points de vue remarquables, les ambiances variées et s’élancer une vingtaine de fois, en autant de km, à l’assaut des pentes de cette crête et de ses multiples éperons qui firent chacun l’objet de combats violents durant la guerre.

Les dégâts ne tardent pas à se faire sentir. J’ai rejoint ma paire de rouges de référence mais j’ai maintenant bien du mal à les suivre. Malgré la difficulté évidente qu’elles semblent aussi éprouver face aux murs de terre qu’il nous faut par endroit escalader, elles repartent systématiquement d’une allure qui semble toujours aussi légère et maitrisée. Ce qui n’est pas mon cas.

Le coup de barre est cette fois ci bien plus sévère. Je regrette alors d’avoir oublié au frigo les mini sandwichs qui m’avaient fait tant de bien au moral la dernière fois au même endroit. Je ne comptais pas sur leur apport calorique mais sur leur réconfort et leur contribution à faire oublier à mon estomac qu’il a sauté un repas. Ce qui m’ennuie surtout maintenant c’est l’équilibre en sel car les ravitos ne contiennent que du sucré et je n’ai que quelques cacahuètes pour compenser. Et ça ne suffit pas. Je serais jusqu’à l’arrivée victime de nausées d’écoeurement et sous la menace de crampes dans les jambes.

L’espace d’une minute, l’option d’un abandon que j’avais résolument exclue du programme fait son apparition tant je ne me vois pas continuer quatre heures dans ces conditions. Mais je la chasse aussitôt et me reconcentre. Pas de panique. Gérer les temps faibles. Etre patient. Ca va revenir. Gérer en essayant de ne pas perdre trop de temps. Je me connais suffisamment pour avoir anticipé ces aléas et mon plan de marche prévoit, en plus des difficultés croissantes, une perte de vitesse progressive à partir de maintenant. La question reste de savoir si j’ai appliqué le bon barème.

Les passages mythiques du Trail des Poilus vont maintenant s’enchainer.

L’arbre couché (ou ce qu’il en reste) est un bon indicateur : ici aussi les chemins sont gras mais bien moins glissant qu’il y a un mois. Tout reste donc possible même si mon avance fond.

Sur le seul tronçon roulant du secteur, le vent de face ruine la perspective d’y reprendre du temps. Au contraire, je laisse filer les coureuses, probablement pour de bon.

Et nous voici dans la fameuse Tranchée qui n’en est pas une car il s’agit plutôt d’une sorte de canyon naturel toujours aussi impressionnant. C’est un des morceaux de bravoure du parcours et je lui fais honneur en relançant le tempo, mais en serrant les dents.

A la sortie, je suis revenu exactement dans les temps programmés. Dernière grosse montée avant le ravito qui est dans 3 km. Je m’accroche, nous sommes quelques uns à être dans le même tempo et nous doublons régulièrement des coureurs plus mal en points.

Fin du 2e acte avec 2 mn de retard au ravito. Avec efficacité je fais le plein et cherche de quoi réconforter mon estomac toujours aussi mal en point. Je m’allonge quelques secondes. Qu’on est bien, là, abrité au soleil. Mais c’est avec rigueur et détermination que j’écourte cette halte pour repartir à l’heure prévue.

 

ACTE 3 : DANS LES PAS DES POILUS

J’attaque le 3e acte à nouveau plein de confiance. J’ai maintenant la certitude de pouvoir finir car je sais que la dernière barrière horaire dont on ne connaît ni l’emplacement ni l’horaire précis sera souple mais pas question de ralentir pour autant.

Le diable qui est en moi ne peut s’empêcher de jubiler à la vision de mes fanfarons dont certains renoncent ici. J'avais raison : 2e catégorie. C’est méchant mais ça fait du bien.

« Plus que deux heures et demie » me lance un coureur avec qui je repars. C’est cela, c’est peu et beaucoup à la fois car la légende des Poilus commence ici avec un parcours qui devient encore plus vicieux, quittant les chemins tracés pour tailler à flanc de coteau à travers des parcelles privées. 

Quelques mètres plus loin, nouvelle bonne surprise, je rejoins mes deux « poilues rouges » qui hésitent devant une descente abrupte et me laissent passer. Je leur donne rendez-vous un peu plus loin, convaincu qu’elles ne manqueront pas de me rattraper au prochain temps faible. Mais pour le moment, je repasse devant et sur 5 km je rattrape du monde. C’est au même endroit que la dernière fois j’avais eu la surprise et la fierté de doubler Frère Tuck, l’emblématique membre de la confrérie des Horizons, à l’endurance nettement supérieure à la mienne. Pour ce dernier acte, je complète ma collection de coureurs repères avec qui je vais jouer à l’élastique pendant un moment. Il y a ce groupe de coureurs que j’ai souvent aperçu au loin depuis le départ, facilement reconnaissable au drapeau jaune accroché au sac de l’un d’eux avec un message d’hommage aux soldats morts en ces lieux. Et ce coureur visiblement marseillo-chti, et le type en bleu avec sa go-pro au bout d’une perche…

Mais mon meilleur baromètre reste les indestructibles red-girls qui me rattrapent comme prévu au milieu d’un nouveau coup de barre, km 44. Cela fait deux km que je serre à nouveau les dents et que le flux des coureurs s’est inversé, c’est désormais moi que l’on double. Il faut dire qu’en plus du ventre qui se tord j’ai maintenant aussi le cœur qui s’emballe parfois un peu trop à mon goût et m’oblige à ralentir encore pour le faire redescendre.

Vallée-de-Chauffour : il serait bien trop facile de la descendre directement. Nous sommes maintenant vraiment sur le lieu du combat, pas de la course au podium, mais des vrais combats de 1914. Alors pour s’en souvenir une grimpette s’impose. A gauche sur le Grand-Eperon, puis aussitôt en face sur l’Eperon-Mathis. C’est violent mais pour nous c’est au sens figuré et nous avons en récompense une magnifique vue vers les tours de Mont-Saint-Eloi sur fond de soleil bientôt couchant.

 

Dernier ravito boisson, dernière barrière, c’est fait, personne ne m’arrêtera. Par curiosité j’interroge les bénévoles sur les consignes : en principe ils devaient bloquer les coureurs à 17h. Il est 16h58 !

Plus qu’une heure pour finir les 5 derniers km et arriver dans les délais que je tiens à respecter.

Nous voilà repartis sur le Grand-Eperon qui a du mal à passer. En bas, j’accuse d’un coup 10 mn de retard ! Mais pas le temps d’y penser nous sommes maintenant au pied de l’Eperon-de-la-Blanche-voie. Ce qu’on appelle maintenant le Mont-de-Justice et qu’on imagine bien en juge de paix en cas de bagarre pour la victoire. Pour la seconde fois, il faut l’aide d’une corde pour franchir certains passages. On aperçoit au-dessus de nous la tour lanterne de la nécropole où se fait l’arrivée mais il serait trop simple de la rallier tout de suite. Nous passerons d’abord par l’Eperon-des-Arabes avec une succession de courtes montées et descentes.

Cette fois ci je suis bien installé en mode temps faible et j’arrive encore à tomber plus bas régulièrement, quasiment obligé de m’arrêter pris de vertiges. C’est à l’une de ses occasions que les coureuses me repassent devant.

Une dernière remontée sur la crête marque la fin de ce 3e acte. C’est un single encadré de clôtures et je sens un attroupement se former dans mon dos. Les 2 km qui restent ne se feront pas seul.

 

DENOUEMENT : YES WE CAN

Nous touchons au but. Ultime bascule sur le versant nord déjà plongé dans l’ombre de cette fin de journée d’hiver. Certains finissent fort mais la plupart n’ont plus vraiment l’énergie nécessaire. Je suis en tête d’un petit peloton d’une dizaine de coureurs, je perds quelques places sur le plat avant la dernière descente. Les descentes casse-gueule dans la boue sont vraiment mon point fort, sans hésitation et avec un art de l’équilibrisme bien rodé je me jette dans la pente avec une grande foulée débridée qui me provoque une décharge d’endorphines. Un coup d’œil derrière, j’ai la surprise de constater que j’ai creusé un joli trou sur le groupe, un œil devant et j’aperçois les deux mobylettes rouges à 300 m devant moi. Je m’accroche.

Au pied de l’ultime mur j’ai encore 100 m de retard sur les filles que je ne pourrais donc pas rattraper (un grand bravo à elles) et une centaine d’avance sur la meute qui donne de la voix en réponse à la clameur qui nous arrive de l’aire d’arrivée où de nombreux spectateurs sont encore présents pour nous encourager.

Il est bien évident qu’à ce stade, le classement n’a aucune espèce d’importance. Tout le monde ici ne se bat que contre ou pour lui-même. Mais si je ne suis pas compétiteur, je suis très joueur et j’ai bien l’envie de résister à l’autobus qui arrive. Mais je n’en ai plus la force.

Je n’ai même plus celle de répondre aux encouragements, ne serait-ce que par un sourire. Deux coureurs me doublent à grandes enjambées là où j’ai du mal à continuer à marcher. Me voilà en haut devant le supplice que je trouve le plus cruel : la ligne d’arrivée est à 100 m mais l’on doit faire une dernière boucle pour l’atteindre qui triple au moins la distance. 300 m ! Je n’ai plus le courage de me remettre à courir, je vais me faire doubler par le groupe au drapeau, j’en suis dépité. Mais on passe sur une petite bosse et en la descendant je trouve l’énergie de remettre une dernière fois ma foulée en route pour la dernière ligne droite.

Je passe la ligne en 8h06mn sans avoir la force d’exprimer le moindre signe de satisfaction au photographe. J’ai conservé 15 secondes d’avance sur les suivants mais je m’en contrefous déjà et eux-aussi. La priorité maintenant c’est de gérer l’épuisement et d’éviter le malaise vagal que pourrait provoquer un brusque relâchement de la tension et que je guette depuis un moment. Je m’allonge sur la première pelouse venue pour respirer quelques instants. Un secouriste approche mais je me redresse déjà pour lui signifier que j’ai repris le contrôle de la situation.

La barbe et la tronche de finisher 2014 - Photo Organisation (merci !)

Toujours un peu hagard je récupère mon sac et j’enfile avec une beaucoup de fierté et d’émotion la veste de finisher (qui a dit que je me suis inscrit pour l’avoir ! non non non ! si ? bon d’accord un peu…).

On nous averti que les derniers bus pour retourner au parking vont bientôt partir. Il est hors de question que je m’en passe alors j’abandonne avec regret l’idée de boire une bière pour célébrer cette arrivée ou celle de me prendre en photo pour comparer ma tête avec celle de 2012. De toute façon je suis trop fatigué pour profiter de quoi que ce soit, trop épuisé même pour ressentir le moindre sentiment et je n’ai pas de besoin de photo pour le savoir.

 

EPILOGUE

4 mois ont passé et je me décide à publier ce récit bien que je n’en vois pas trop l’intérêt tant cette expérience est personnelle. Il y a-t-il une conclusion à tirer de cette expérience ?

Je me souviens avoir passé la journée du lendemain avec un sourire béat et d’avoir récupéré étonnamment vite.

Je me souviens aussi avoir dit que faire une course comme ça en étant aussi limite ça gâche quand même un peu le plaisir et que je ferais mieux de m’abstenir. Je me dis qu’à faire le malin à faire une course avec un niveau limite je vais finir par me prendre le ravin… Faudra que je fasse gaffe au cap gris nez en septembre car je crois que je vais encore jouer avec le feu.

Enfin, je n’arrive toujours pas à dire ce qui est le plus remarquable : se mettre au niveau pour faire un résultat honorable ou réussir à finir sans avoir le niveau ? Mon éducation me pousse à penser que la première situation est plus méritable et mon expérience trouve qu’elle procure aussi plus de plaisir immédiat mais je dois avouer n’avoir jamais ressenti autant de fierté qu’après cette course…

 

Les armes et les trophées du Trail des poilus 2014


PS : le Trail Bullygeois des Poilus fait sa mue et devient le Trail des Tranchées avec un parcours qui évolue, va falloir tenter ça…

 

1 commentaire

Commentaire de trinouill posté le 28-01-2015 à 07:52:35

on risque de se recroiser au Mois de mars ;-)

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