L'auteur : pascalpenot
La course : Andorra Ultra Trail Vallnord - Ronda dels Cims
Date : 15/7/2011
Lieu : Ordino (Andorre)
Affichage : 4148 vues
Distance : 170km
Objectif : Pas d'objectif
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45 autres récits :
La joie
Le 15 juillet 10h du matin. 2h de course.
Début de la première difficulté dans le Collada de ferreroles. La montée est dure mais adoucie par la vue magnifique et un temps idéal. L'avantage d'avoir le Prénom en tête de dossard c'est qu'on a la sensation que tout le monde connait tout le monde... On court presque en famille dans ce trail international. Et pour baragouiner une langue qu'on ne connait pas, quand on a été bercé par les cartoons de speedy Gonzales, on improvise et ça donne ça!
Immersion magnifique dans les montagnes andorranes
Le 15 juillet 13h du matin. 5h de course.
Le premier ravito au refuge de Sorteny a été passé depuis 45 minutes et j'attaque la montée vers Portella rialp. Bien que décidé à arrêter de sortir l'appareil photo/vidéo pour éviter de perdre du temps, la vue est trop belle. Sur cette vidéo en aperçoit Jean Pierre. Je ne le sais pas encore mais on se retrouvera régulièrement sur tout le parcours en Yoyo. Il me passera souvent en montée, je le retrouverai régulièrement dans les descentes. On fera course commune dans les rares sentiers en balcon et on dormira au même moment au 2 bases vies du parcours. Je le remercie énormément de m'avoir remotivé quelque part dans la montée du Coll bou mort... J'étais au fond du trou encore une fois, vidé à tous les niveaux, victime de la fatigue, de la chaleur, et de cette pente au pourcentage de fou ou je marchais, je me hissais à bout de bâtons, rouspétant mon impuissance... Merci Jean Pierre de m'avoir donné à ce moment là de ta fraicheur mental et beaucoup de lucidité sur l'analyse des délais sur la fin du parcours.
Englouti, presque déjà noyé
Le 15 juillet 17h du matin. 9h de course environ.
L'inquiétude commence à poindre. L'heure avance et les kilomètres stagnent. C'est déjà "l'heure du thé" et à peine 35 petits kilomètres. J'ai la sensation de ne pas avancer, d'être dans une espace trail aux limites infinies. On commence à se demander si une fin de ce paradis existe. Je commence à me parler, je hurle même dans la pente : "Allez!"... Le sourire d'Anise m'apaise souvent et me prend par la main pour avancer. Je cherche des points d'ancrage, force ma raison et ma motivation. Mais surtout, englouti par ces paysages, l'envie de voir ce qu'il y a derrière la prochaine crête m'attire malgré la difficulté. Mon corps est comme aimanté par la beauté de ces paysages. J'ai le sentiment d'appartenir jusqu'au plus profond de moi à cet espace de roches. Inlassablement, les extrémités de mes bras sont comme raccordés à cette nature par une double perfusion. Dans un bras ces montagnes m'injectent leur dureté, leurs murs de roches et de terre qui semblent infranchissables... je prends des coups. Le cœur ne veut plus suivre, le cerveau est en ébullition. Ca crie, ça éructe et je me sens parfois noyé et englouti par toute cette puissance...Dans l'autre bras, j'éprouve malgré tout une sorte de splendeur à toute cette sauvagerie. Malgré les risques d'overdose, une petite voix au fond de moi me dit encore, encore... encore un peu... un tout petit peu de rêve, une vue, un col, un panorama, une descente, un autre ravito, une autre montagne... encore un peu de cette éternelle beauté!
Franck, Le traileur du nord.
Le 15 juillet 18h du matin. 10h de course environ.
Après une fin de montée, toujours toutes difficiles pour moi depuis le départ (j'ai la sensation d'avoir le système respiratoire au fond du trou d'balle!), chaque crête semble me réconcilier avec la nature. Un nouveau joyau de ces chaines de montagnes se présente à moi comme un cadeau, un remerciement mérité de tous ses efforts... Il y aura toujours sur cette course ce fil vert cousu d'or qui me fera tenir et oublier maintes rages, douleurs et défaillances. Je ne sais comment exprimer la sensation qui m'envahit lors de ces courts moments de bien être. Ils sont inexplicables. Tout à coup le temps et le chrono s'arrête et on reste posé là dans un espace temps qui pourrait durer une éternité. On se laisse aller à observer ces horizons déchiquetés de pics, de lacs, de fonds de vallées. On les admire et on reste la à ne plus rien faire, à peine respirer... juste sentir, ressentir, regarder.
Sur cette vidéo, je croiserai Franck, un havrais, qui m'explique que pour lui traileur d'un plat pays, la transition andorrane avec toutes ces montées, c'est du brutal!... Rassures toi Franck, havrais, sudiste ou chamoniard, pour les traileurs de tout horizon, ces montées, c'était du brutal!
Tais toi et marche!
Le 15 juillet 19h du matin. 11h de course.
J'ai quitté un peu plus tôt le ravito du Pla de l'estany ou j'ai retrouvé Christophe Iliou (pour la deuxième fois je crois). Il avance pas mal mais avec ces kilomètres qui n'avance pas (lui aussi sa feuille de route à volé en éclat) il semble chercher des raisons d'avancer. Dans tous les cas il traine longtemps aux ravitos...Je lui conseille d'avancer moins vite mais de s'arrêter moins longtemps.
On se retrouvera régulièrement jusqu'à la base vie de Margineda, on se croisera régulièrement dans les sentiers. On se couchera en même temps lui optera pour 1h30 de sommeil, moi, moitié moins. Un dernier regard avant de s'endormir et j'ai vu ses yeux. Injectés de sang. Ils semblaient être ailleurs, perdus, presque noyé par un sentiment de désespoir. J'espérais pour lui que le sommeil lui redonnerait un peu de force et de raison de poursuivre l'aventure, mais ce regard avait une fatigue si profonde, si désespérée... Il ne repartira pas.
A ce stade de la course, j'ai toujours le même sentiment d'un périple sans fin... Aussi pour ne pas sombrer dans une équation impossible, j'essaye de ne plus penser... Car depuis un bon moment, chaque fois que j'essaye de donner une cohérence et une analyse à cette course, je prends en pleine gueule des pensées mauvaises et le cerveau m'invite déjà presque en boucle à écourter cette galère... J'essaye alors de rester basique pour faire face. Je tente parfois de me raccrocher à ce que je peux, une image, une brise, un sourire, un visage, mais souvent en vain. Ce qui marche encore le mieux, c'est la rigueur du père qui ordonne à son fils : "Tais toi et marche!"
La colère du désespoir
Le 15 juillet 21h du matin. 13h de course.
Epuisé, je laisse éclater mon désespoir par la colère. Aussi ne prenez pas au pied de la lettre et encore moins comme une critique, la dureté de mes propos dans cette montée dantesque. Ils sont le résultat de mon impuissance, de mon échec à faire face. A ce moment de la course je rends les armes. Tous les artifices capables de donner une once de motivation sont écrasés par ces amas de rochers qui deviennent infranchissables. Par endroit la pente est si forte qu'on ne monte plus, on se hisse à bout de bâtons, cherchant à se caler pour ne pas glisser et perdre les quelques centimètres de pente durement gagné.... Il faut parfois éviter un galet qui roule venant d'un coureur au dessus et éviter d'en faire rouler un autre vers le coureur en dessous. Tous les cinq, six pas, je dois m'arrêter pour souffler. A ce moment de la course, je suis déjà un homme mort bon à être dépecer en quartier!
Mourir pour mieux renaître
Le 15 juillet 21h du matin. 13h de course.
Cinq minutes plus tard... au sommet.... enfin presque!.... encore un peu d'escalade avant d'attaquer une descente de branques! On est déjà plusieurs coureurs à dire stop, avec une seule envie, celle de détacher le dossard à la base de vie de Margineda. Là-bas m'attend mon sac avec, outre des rechanges pour repartir, des affaires chaudes en cas d'abandon... Trop dur... Ces montagnes sont trop fortes, elles m'ont montré mes limites.
Alors que s'est-il passé entre les vingt cinq kilomètres qui sépare le sommet de Comapedrosa de la base vie de Margineda? J'ai repris un brin d'envie dans la descente très technique, puis j'ai vu la nuit tomber. La lune dans ce ciel clair était magnifique... J'ai repris plaisir à courir dans cette douceur, cette volupté. J'ai recroisé à nouveau des coureurs. J'ai revu Christophe, Jean pierre et d'autres. Certains qui m'avaient vus plus tôt, le corps mort déjà dans la tombe, sont surpris de me voir trottiner l'esprit presque tranquille dans cette descente agréable vers le ravito de Coll botella. Je danse même à ce ravito au rythme de la musique. Je remplis mes bidons d'hydraminov et je repars illico embarquant Jean pierre dans mon sillage. La vie revient! Un traileur renait de ces cendres! Dans la longue et suicidaire descente vers Margineda (cordes, chaines), Christophe reviendra sur nous et nous absorbera, descendant comme un cabri. Avec Jean Pierre, on est un peu sur les fesses... On arrivera à la base vie de Margineda un peu après 3 heures du matin. On a cinq heures d'avance sur les délais. Je me dis que ça laisse du temps pour dormir un peu et repartir pour une nouvelle tranche d'aventure sans trop se soucier de savoir ou tout ça me mènera.
Fin de la première journée! Au lit! Pour quarante cinq minutes de somme!
Nouveau départ!
Le 16 juillet 7h du matin. 23h de course.
J'ai quitté la Margineda depuis 2h et je suis dans la montée du Coll de la gallina. Je fais un point de ma pitoyable situation. La fatigue se mesure à l'intonation de ma voix. Je me remotive comme si j'attaquais une nouvelle aventure. Il ne fait pas froid, la pente des sentiers devient aussi moins brutale. Dans ces heures matinales de ce deuxième jour, le corps avance tout seul sans gros bobos...Pour que le cerveau suive, je lui parle beaucoup au gré des images qu'ils me remontent. Le sourire et le visage d'Anise rayonne à nouveau en moi. Que cette femme est belle, que cette femme est bonne pour moi... Tout semble dans ce lever matinal fonctionner presque de manière normale. Bref le zombie d'hier semble laisser la place à quelque chose de plus humain... En route!
Maintenant, je le sais. Il y a une arrivée à cette course!
Le 16 juillet 11h du matin. 27h de course.
La vidéo parle d'elle-même. J'ai repris le dessus et je peux faire un état de lieux sensé et une analyse lucide de ce qui m'attend. Je semble redevenir un peu maitre de mon corps et de ma course. J'ai retrouvé l'envie de bien faire, une allure à tenir et un mental posé et positif. J'ai absorbé le ravito de Naturlandia le temps de faire le plein de bidons d'Hydraminov et je suis reparti sans trainer. Seules inquiétudes, une légère douleur en haut de la cuisse droite (début de cruralgie?) et le soleil qui commence à cogner. Mais bon, pour la première fois depuis longtemps je commence à entrevoir sur ce long chemin l'existence quelque part d'une ligne d'arrivée à ce foutu trail.
Tienbô mon kaf! Tienbô!
Le 16 juillet 20h du matin. 36h de course.
La journée a été chaude, très chaude, trop chaude.... la montée vers le coll bou mort a été un nouveau chemin de croix mais ça n'a pas craqué. Entre coup de chaleur (malgré une bonne hydratation), fatigue et crise de sommeil la pente déjà dure a été encore plus dure, plus pénible. Par deux fois j'ai du m'allonger pour des micro-siestes. J'ai agonisé en silence, fais le dos rond, râlant parfois, voulant même un court instant à nouveau lâcher prise mais cette fois ci je ne suis pas tombé.... quelque chose au fond de moi me disait que ces montagnes auront beau me torturer, elles pourraient dresser mille milliards de tonnes de roches, elles n'auront pas raison de moi. Pas aujourd'hui, pas cette fois! J'ai gardé inlassablement l'objectif de la deuxième base vie du Pas de la casa. Cette quête ne m'a jamais quitté quelque soit la chaleur, la pente, mon état.... En fin d'après midi même, avec une température plus clémente et des pentes plus douces, je retrouve même une allure et un moral plus stable et agréable. Je chante des airs à la con pour passer le temps et oublier l'espace et son dénivelé. Bref je m'arrête peu. La tête dans le guidon et dans mes pensées, j'avance!
Je passerai le refuge de l'illa avec trois heures d'avance sur les délais. La deuxième nuit m'enveloppera dans la montée du Coll des isards et j'atteindrai enfin le Pas de la Case un peu après minuit. J'y retrouve Jean pierre toujours en bonne forme. Après un état des lieux des pieds par le podologue et une soupe, au lit pour trente minutes de somme.
Vas-y mon Bono... Beautiful day!
Le 17 juillet 06h du matin. 46h de course.
Troisième jour et dernière vidéo de ce périple.... Le timbre de la voix traduit l'état de fatigue. Même l'analyse de la course se réduit à la plus simple expression.... Je viens de là et je vais par là!
Je viens de passer vingt minutes plus tôt le ravito d'Incles et sa dernière barrière de délai avec une bonne marge de deux heures. J'éprouve comme un sentiment de liberté et d'apaisement. A ce stade de la course, j'ai l'esprit tranquille de celui qui sait qu'il arrivera au bout. Ils peuvent mettre maintenant devant moi n'importe quels sommets infranchissables - l'Everest s'ils veulent! - ajouter des milliards de kilomètres et de tonnes de roches, je m'en tape... Il y a maintenant en moi une sorte de force intérieure qui me dit que quoiqu'il arrive, je la franchirai cette ligne d'arrivée. Je me dis surtout que j'ai tout mon temps. J'adapte mon allure au terrain et j'avance en métronome. J'ai le sentiment d'avancer imperturbable, comme un serpent se déplaçant en épousant les reliefs du terrain. C'est comme si la fatigue tellement forte, tellement présente était devenue maintenant presque naturelle, comme une amie. Dans cette fraicheur matinale, je ne la ressentais plus. Pourtant les deux dernières montées seront aussi terribles que les premières. Mais je les avalerai l'esprit paisible, avec calme, en admirant de nouveaux reliefs offrant de nouvelles couleurs avec ce ciel maintenant voilé. Au ravito du Coms de Jan, je reprendrai trois coureurs. Je repartirai sans trainer pour attaquer le dernier col. Le dernier col! LE DERNIER COL, PUTAIN!!!!...Le dernier col!
Comble de cette aventure de fou, je regretterai les dix derniers kilomètres. Sans difficulté, en descente tout d'abord puis en long faux plat descendant, ils seront ennuyeux et interminables. C'est fou de penser ça après tant de souffrance! Je voudrais bien les écourter en courant mais une ampoule sous le pied gauche de la taille d'un pouce m'handicape et m'oblige à revenir souvent à la marche.... Alors dans cette lassitude finale la pression tombe, ça cogite déjà sur tout ça et la tête lâche... Malgré le sourire d'Anise qui m'a souvent aidé dans mes errements, je me laisse envahir par des images lointaines. Je parle à mère qui vit déjà depuis bien longtemps sous d'autres paradis. J'admire le visage de mes filles et à travers elle, je m'observe dans ce difficile rôle de père. Je laisse ces pensées m'envahir en mettant un pied devant l'autre. Je me laisse submerger et je regarde au plus profond de moi... J'en oublie mes larmes... Je ne les entendrai pas couler en silence, abritées par le bruit du courant de la rivière...
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6 commentaires
Commentaire de tounik posté le 21-07-2011 à 08:52:56
Magnifique récit pour une course magnifique ...
L'attente du moment ou tout bascule, passage de la plus grande détresse à la certitude de terminer ...
Commentaire de Flo2Cannes posté le 21-07-2011 à 09:11:25
Encore félicitations. Voilà un ultra trail qui va rester dans les annales...
Commentaire de @lex_38 posté le 21-07-2011 à 09:29:00
Merci Pascal pour ce beau récit riche en émotions
Et Bravo pour ta course! Les coureurs de la Ronde des Cimes m'ont impressionnés ce WE, je reste sans voix devant un tel effort!
Bonne récup et prends soin de tes pieds!
Commentaire de laulau posté le 21-07-2011 à 22:33:45
Superbe récit pour une sacrée aventure ! Mais je ne suis pas sûr que ça me pousse à faire aussi long !...peut-être l'initiatic ?
Commentaire de Goldenick posté le 22-07-2011 à 12:28:40
Bravo pour ce magnifique CR et bravo d'avoir terminé cet ultra-ultra-trail
Commentaire de manu3842 posté le 23-07-2011 à 22:01:53
Bravo pour avoir terminé cet ultra hors-norme, respect et bonne récup ...
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