aroche a écrit:Ton travail rodio est vraiment super !!
(pardon de t'appeler par ton pseudo , perso j'ai horrreur de la faire mais je ne connais pas ton prénom ....)
Sur des ultra longue distance pour ceux et celles qui ne sont pas sur une optique de tentative de record sur un temps de référence il ne me semblerait (je reste prudent ) cependant pas forcément très utile de s'interroger sur la nécessaire prédiction d'une estimation très fine d'un temps de course sur un nb de km défini.... ou l'inverse ...
Un storyboard millimétré n'est pas indispensable sur un ultra même si prendre quelques repères ( établis par une reconnaissance 1 mois avant par exemple) peut grandement servir :
Pour savoir par exemple à quel moment je vais plutôt me situer lors de mon traditionnel passage à vide ( pour certains le début de la nuit, d'autre les 2-3h du matin , pour d'autres enfin à l'aurore ...nous n'avons pas les mêmes coup de bambou ..... cela est en étroite relation avec nos phases habituelles de sommeil)
Et puis enfin on part pour un challenge ... une compétition sur du long est aussi une part d'aventure ...alors certes elle l'est beaucoup moins pour un expert mais quand même !
Alain
Merci Alain, moi c'est Daniel, rodio est un pseudo emprunte au grand marcheur russe, Rodionov.
J'apprecie aussi tt le travail que tu fais pour les forumistes curieux d'apprendre et de comprendre.
En ce qui concerne les 24 heures, l'estimation, le tableau marche, tout ce que tu dis est juste. Pour donner un exemple et exceptionnellement, je vais parler de moi, un peu longuement. Desole.
Pour ceux qui me connaissent un peu, pas grand monde, je ne suis pas du tout un client des efforts longs. Toute ma jeunesse aura ete consacree au lancement de poids et au decathlon. Tout mon entrainement etait base sur la vitesse, l'explosivite, deux mots-cle pour un decathlonien. Neuf des dix epreuves demandent de la vitesse d'execution, des qualites de detente, de force. Le travail est aux antipodes du travail grand endurant, du travail qu'il faut faire pour devenir un grand fondeur.
Malgre tout le decathlonien a besoin d'un foncier lui permettant de tenir deux jours durant sur le stade. Les epreuves ne s'enchainent pas comme des perles, il y a bcp d'echauffement a faire avant chaque epreuve, des prises de marque, ca demande de rester debout, d'avoir du foncier pour ne pas s'ecrouler sur une epreuve. Alors le decathlonien fait aussi des footings en hiver, assez longs, tout en veillant a ne pas se ralentir le muscle. Le fartlek, les parcours vallonnes avec acceleration dans les montees, les sprints a fond sur le dernier km d'une sortie d'une heure sont la regle.
Pour dire qu'avec le temps et sans le chercher, le decathlonien devient endurant, est capable de faire un 10 km a tres bonne allure, voire devient un coureur tres honnete dans la seule epreuve d'endurance du programme, le 1500 metres. C'est ainsi que j'ai pu faire 4'32 sur un 1500 metres a l'interieur d'un decathlon.
A ce moment l'entraineur me fit la remarque que je devrais tenter le coup de faire un 10 km parce que j'avais le physique (1m85 et 72 kilos a l'epoque ... j'ai juste pris 4 kilos
). Sans aucune preparation pour cette distance, j'ai fait 35'10, mais je n'ai pas aime du tout parce que ca manquait de vie. Le decathlon c'est tellement beau, tellement divers, tellement varie.
Malheureusement le decathlon ca vous bousille n'importe quel physique. Les tendons, le colonne vertebrale (les lancers et la perche), les muscles des mains (j'ai ete opere de la maladie de Dupuytren), tout y passe. J'ai donc arrete la competition a 25 ans.
Comme le sport fait partie de ma vie, que je l'aime depuis mes 8 ans et les tentatives de Michel Jazy a la tele, j'ai continue a m'entretenir, a jouer au foot, autre passion, et je suis reste svelte meme si j'ai perdu du poil un peu comme tout le monde.
A 40 ans j'ai refait un decathlon pour voir. Je me suis prepare en 3 mois et je me suis qualifie pour les championnats de France. Mais le decathlon veteran... c'est encore plus anecdotique que les courses de 6 Jours, et puis il fallait aller a Villeurbanne et ca fait loin pour ca...
J'avais remis le pied a l'etrier cependant. J'allais de nouveau sur le stade et j'y ai croise un marcheur, un marcheur de ma jeunesse quand je les suivais sur les 24 heures de ma ville, Conflans Ste Honorine. Foutu marcheur !
Le gars avait une tete qui me revenait (ca fait vraiment peu de monde, parce que je suis difficile) et on a commence a bosser le truc. Franchement je ne me voyais pas bien marcheur, vu que la marche ... j'avais vraiment horreur de ca. Meme pas foutu de sortir le chien.
On a commence par de la marche de vitesse. Des 5 km. C'etait un entrainement de type demi-fond, vu qu'un 5 000 metres marche, ben c'est guere different d'un 5 000 metres course. Si tout de meme, il faut choper la technique. Et c'est meme ca qui fait la difference. Une bonne technique.
Mais le bonhomme avait dans l'idee de m'emmener sur des longues distances, alors on a fait des sorties d'entrainement plus longues, puis des compets de 20 bornes. Puis des 6 heures, puis des 8 heures et au bout d'un an d'entrainement, j'ai fait un 100 km, celui des championnat de France 2001 ou j'ai fait 11e, en souffrant bcp sur la fin.
Desole d'avoir ete si long pour en arriver a illustrer la question du moment : alors combien de km allais-je parcourir en 24 heures?
J'avais fait 26'50 sur 5 000 metres marche, 1h54 sur 20 km marche, parcourus 70 km en 8 heures a Charly, et 93 km en 11 heures aux championnats de France. Je n'avais pas encore mis au point mon outil a calculer les perfs probables et j'avoue que je n'ai fait aucun calcul sur les conseils de mon entraineur. "Tu y vas pour apprendre, alors apprends" m'a dit Gerard Hoffman, que je remercie de m'avoir fait connaitre cela.
En discutant avec un vieux marcheur il me dit : "Bah tu vas te prendre une bonne claque et tu feras comme tout le monde, 140 km". Bon. On verra bien. Au bout du compte cela faisait un an et demi que je m'entrainais et depuis six mois en sachant que - probablement - j'allais me taper ce qui me paraissait un Everest et ce qui promettait de l'etre, vu l'etat dans lequel j'avais fini le championnat de France des 100...
Compte tenu de mes perfs, l'entraineur me dit : "Tu vas tenter de tenir 8 km/h le plus longtemps possible et apres on verra bien comment tu digeres tout ca".
Le jour J, j'avais un peu la tete en l'air, comme souvent au bout du compte, et j'ai oublie toutes mes affaires de rechange. De toute facon je suis du genre sous-equipe. J'avais absolument rien des trucs qu'il faut tout de meme pour faire moins guignol. J'avais un vieux pantalon de survet, des pompes de cent ans bouffees jusqu'a la lime, et une belle echarpe blanche.
De toute facon c'etait le printemps (Paques) et il faisait beau. Enfin au debut. Le circuit de 4 bornes c'etait top parce que ca fait pile-poil une demi-heure au tour quand tu veux faire 8 km/h. Durant les 7 ou 8 premieres heures, j'ai fait que jacter avec mon partenaire de club, Patrick Adam. On s'etait pas mal entraine ensemble. Meme taille, meme poids, deux grands escogriffes. Mais il a rapidement commence a faire de grosses ampoules et apres le 60e km, adieu Patrick, il est passe supporter. Les choses tournaient mal pour moi, rapport a la meteo. Il pleuvait, la temperature est descendu a 1 degre en pleine nuit avec de la neige fondue. Sans equipement de rechange, c'etait fini pour moi. J'etais frigorifie. C'etait mon jour de chance. Patrick, meme taille, meme poids me refila tout son equipement d'ancien cycliste, que du Gortex, t'as vu comme je suis beau.
On etait partis a 17 heures et il est 6 heures du mat. Il fait tellement mauvais dehors que toute l'equipe est partie se rechauffer dans le gymnase alors que je continue a tourner a presque 8 km/h de moyenne et que j'ai franchi les 100 km. J'ai sommeil. Je ne m'amuse plus. C'est chiant la marche. Alors je pars roupiller, alors que mon entraineur me l'a interdit. Je rentre dans la petite tente deserte, il fait bientot plus froid dedans que dehors. Je m'allonge mais franchement je ne me vois pas dormir. J'avais juste besoin de faire le point. Ca a pris 10 minutes. Les fringues de Patrick sont geniales. Je prends un quart d'heure pour manger une soupe avec des pates et pis comme il n'y a rien a faire d'autre, ben je quitte cette tente frigo. Le soleil ne va plus tarder a arriver. Enfin bon, le soleil pas sur, mais le jour. Je repars en ecrasant une enorme ampoule qui s'est formee apres un changement de chaussure (je marche maintenant avec des chaussures neuves, hummm... ca c'est une connerie a ne plus faire) et au bout d'une demi-heure ca revient. Je suis de nouveau aux alentours de 8 km/h. Puis tout le staff me retrouve sur le parcours. Puis je ne me sens plus pisser et pendant trois heures je marche comme dans un reve, le fameux nirvana du coureur de grand fond, meme si c'est de la marche. L'entrainement qui paie, les longs bouts de 3 heures a 9 km/h qui remontent a la surface. Sur deux tours distincts j'irais plus vite que tout le monde, plus vite que le meilleur marcheur du monde, Urbanowski. Personne n'en revient, mes gentils camarades de club absents diront plus tard que je suis dope (ah les braves gens), mais moi je sais que je ne le suis pas, que c'est le dur travail que j'ai fait qui paie. Merci a mon entraineur, merci a la vie d'etre la pour vivre ca.
La fin sera moins joyeuse. L'ampoule prend un bon quart du pied, et je l'ai explosee en forcant dessus. J'en ai marre. J'en veux a la terre entiere d'etre la, meme si tout le monde est autour de mo a me soutenir. Je les tuerais tous volontiers, mais je ne ressemble plus a rien. J'ai l'impression de me trainer et ca sera un vrai calvaire de finir les deux dernieres heures. J'ai fait ca pour mon entraineur et pour mon pere. On me dit des chiffres, on me parle d'un gus qui est seulement a cinq minutes, mais je m'en fous. Je veux que cesse ce massacre de mon pinceau. Je prends un tour a la meilleure marcheuse du monde, et tout le monde de m'encourager a finir devant elle. Je m'en fous, je m'en fous. Je souffre, c'est long, c'est chiant. Je hais la marche. Je hais le sport. Je hais la terre entiere encore, toujours et de nouveau. Je fais meme expres de ralentir pour ne pas faire un tour de plus et arriver a 184 km parce que je m'en fous. Tout ca est vain, inutile, pretentieux. Mais putain que je suis heureux d'avoir fait 180 bornes pour ma premiere fois sur un 24 heures marche.
Pour finir la-dessus, 180 km en 24 heures etait-il un objectif realisable?
26'50 sur 5000 m = 1140
1h54 sur 20 km = 1200
93 km en 11 heures = 1210
180 km en 23h39 = 1310
En fait non.
Je n'aurais jamais du faire 180 km en 23h39. Soit c'est un exploit perso, soit j'etais dope
, soit j'avais un peu rate mes 93 km et il y avait donc une pente positive probable (tres rare en grande endurance, c'est bien evidemment l'inverse qui predomine) qui pouvait m'amener a realiser ce que j'ai fait ce jour-la.
En resume je dirais, bien qu'ayant une bonne dizaine d'ultras de marche dans les guitares, ma fiche technique manquait de donnees pour faire une bonne rodiometrie.
Desole d'avoir autant parle de moi. Mais si ca peut inspirer quelqu'un...