L'auteur : shef
La course : Ultra Trail Côte d'Azur Mercantour - 130 km
Date : 3/9/2020
Lieu : Levens (Alpes-Maritimes)
Affichage : 3315 vues
Distance : 130km
Objectif : Faire un temps
Partager : Tweet
22 autres récits :
Je désespérais, mais finalement ça semble se concrétiser : je vais pouvoir courir un ultra cette année. Ça sera mon deuxième dossard seulement, alors qu'en général j'en suis plutôt à 10 par an.
Après le trail des Amoureux du Coudon (3ème place), j'avais prévu de faire le traditionnel Défi des Balcons d'Azur (105k) pour ouvrir la saison en avril/mai, puis Ultra Trail Cote d'Azur Mercantour en juin, avec des objectifs franchement ambitieux (top 10 et podium catégorie), trop peut-être, on le verra.
L'organisation de l’UTCAM offre des dossards via le Tirage Au Sort Kikourou, je participe et "remporte" un 45k, que je décline, ayant prévu de m'élancer sur le 130.
Mais comme vous le savez, il en a été autrement.
Pour ceux qui se demandent comment un bigorexique gère 2 mois de confinement, la réponse est : mal ! J'ai pu acquérir un home-trainer et pratiquer le vélo sur le balcon à raison d'1 à 2h quotidiennes (plus facile en mars et début avril car après il a commencé à faire bien chaud). J'ai aussi méthodiquement parcouru les sentiers les plus raides dans le kilomètre autour de la maison : 2 courtes montées ont la palme, que j'ai baptisé Covid-montée 1 (110m de long, 24m de dénivelée, parcouru 178 fois) et Covid-montée 2 (130 de long, 30 de dénivelée, parcouru 64 fois). Oui, je suis fou !
La libération n'a pas marqué la reprise des courses, mais j'ai pu arpenter à nouveau ce terrain de jeu si fabuleux que représente tout ce qui est au-delà du fameux kilomètre.
En revanche toutes les courses sont soit reportées soit annulées les unes après les autres, et mon programme sera bien chamboulé. Mon objectif majeur de l'année était la PicaPica dans les Pyrénées mi-Aout, très sauvage, avec beaucoup, beaucoup de montées bien dures, tout ce que j'aime. Cette dernière est annulée, mais l'UTCAM est « seulement » reporté début septembre.
Je me projette donc sur cette course, sans toutefois m'inscrire, en attendant de voir ce qui va se passer du côté des autorisations.
Mais 2020 n'est définitivement pas mon année : alors que je commence ma prépa plus orientée montagne, le 20 juin je me fais mordre par un patou et surtout je me fais une entorse sévère de la cheville (le même jour). Le médecin (plutôt pessimiste) me prévoit une reprise du sport mi-octobre. Heureusement l'imagerie et le kiné redonnent de l'espoir. Je peux courir à nouveau 3 semaines plus tard pour ce qui constitue le seul gros week-end de charge (4 jours à Vars, environ 100k et 7000mD+ et la Bonnette à vélo pour finir). Le tout entre-coupé de visites à l'hôpital de Nice pour me faire vacciner contre la rage.
Heureusement il peut aussi y avoir de bonnes nouvelles : l’association des amis de Kikourou me contacte, car l'orga de l'UTCAM, décidément très généreuse, propose finalement des dossards pour toutes les distances. Alea jacta est, je réponds que je suis intéressé, même si je sais que ça sera compliqué, et que je vais payer les péripéties sus-citées.
Départ ensuite pour de chouettes vacances à vélo/California entre Vosges et Jura.
Dans l'ensemble le volume d'entrainement est un peu limite. Pour donner une idée, je suis entre ce que j'avais fait en 2017 (pour la Trace des Ducs de Savoie) et 2018 (pour l'Echappée Belle) et loin, très loin du volume réalisé pour l'UTMB l'an dernier.
Fin des vacances, la guigne est de retour, je me fêle une côte mi-aout, complètement stupidement, en m'appuyant trop fort sur le dossier du van pour attraper un pull tombé tout au fond du coffre.
Durant les 2 dernières semaines on apprend annulation de course sur annulation de course. Je serre les fesses jusqu'aux derniers instants, pensant que la préfecture annulera dès le départ du Tour de France passé, tout en me disant que c'est surement ce qu'il pourrait m'arriver de mieux.
A 3 jours du départ : j'ai encore de bonnes douleurs costales ; je n'ai pas pu finaliser mon entrainement correctement ; j'ai un déficit de sommeil, mes nuits ne sont pas terribles. Bref, la confiance règne.
Cette course est un peu particulière parce que je connais presque la totalité des chemins que nous emprunterons. La première partie dans l'arrière-pays sera assez caillouteuse. Un premier "bloc" nous amènera au sommet du Férion, puis descente et franchissement de la Vésubie, avant le second bloc (montée à Utelle et Tournairet) qui se terminera par une interminable descente vers Roquebillière où il faudra se freiner un peu pour économiser les cuissots. On en sera alors à 60 bornes et commencera la partie plus alpine de la course, et une longue montée à plus de 2500m. La fin sera assez sauvage, en altitude entre 1500 et 2500m, avec quelques beaux raidillons, bref, il faudra en garder sous la pédale !
Je prévois de finir environ en 27h (enfin, plus exactement, Vincent calme mes ardeurs et me dit entre 26 et 28), mais avec ma côte qui me fait toujours mal, ça risque d'être assez aléatoire : mon ambition est très clairement revue à la baisse (pas question de viser ni top 10 ni podium), d'une part parce que mon entrainement est moyen, et également parce que beaucoup de coureurs de niveau international se sont tournés vers cette course qui est l'une des rares grosses à être maintenue au calendrier. Le plan est donc de gérer ma course avec un départ prudent pour essayer de rester bien constant dans l'effort, et terminer dans un bon état. On verra bien entendu que ce beau plan va voler rapidement en éclats.
La météo s'annonce parfaite, et nous aurons une belle Lune quasi pleine, les conditions seront idéales.
L'assistance sera assurée par Nathan, ami du boulot avec qui nous avions fait le relais l'an dernier. Clemence n'est pas disponible : nous partons le jeudi soir (afin d'éviter de "collisionner" un autre évènement sportif majeur du week-end, l'Ironman, qui a finalement été annulé par la ville de Nice), pour une arrivée prévue samedi vers 1h du matin.
Nathan ayant rendez-vous à Marseille vendredi soir, il est convenu qu'il vienne m'assister au Relais des Merveilles, et peut-être à la route de la Madone. Il ne pourra pas aller au Boréon ni à l'arrivée, dommage.
Nathan me fait le taxi jusqu'au départ. Deux autres potes ont fait la surprise de venir y assister, bonne surprise. Ça me détend un peu, j'oublie la côte. Je reçois pas mal d'encouragements sur le téléphone.
L'heure arrive, je rejoins la zone d'embarquement. Le départ se fait par vagues, mais pour remplir le sas de départ, on se fait prendre la température, et avant ça on ne peut pas vraiment dire que la distanciation sociale soit bien respectée (ça sera le seul moment, le reste du temps tout le monde sera bien appliqué). Les élites sont rassemblées dans la première vague qui part à 22h avec la grosse musique, les feux de bengale et les speakers déchaines.
Quand vient le tour de la plèbe, il y a un petit goulot d'étranglement à la prise de température, du coup les vagues ne sont pas bien remplies, et ça fait partir tout le monde un peu au compte-gouttes, ce qui n'est peut-être pas plus mal.
On commence par faire le tour de l’immense esplanade de départ, ce qui donne l'occasion au public de nous encourager, avant de nous engager dans les montagnes. L'attaque du Férion est assez rapide, le peloton encore plutôt continu. Difficile de bien distinguer les coureurs du 79k et du 130k. Ça monte plutôt vite, dans les 800m/h. Je laisse passer Vik vers le milieu de la montée, on se reverra un peu plus loin. La Lune commence à monter dans le ciel, c'est chouette. Chacun est plutôt dans son effort, pour le moment ça ne discute pas trop.
On bascule au Mont Férion dans une descente bien raide, poussiéreuse, ça dérape, il faut un peu de prudence.
Je fais ici un petit aparté, qui aura son importance pour la suite : 10 jours avant la course, lors d'un entrainement d'une dizaine de km, j'avais mis mes Scott RC, et probablement un poil trop serré les lacets. J'avais senti un début d'inflammation sur les releveurs du pied gauche. Pour éviter une tendinite des releveurs, j'ai donc au départ de la course effectué un laçage un peu plus lâche que d'ordinaire. Et dans cette descente très raide, je sens parfois un peu mes pieds cogner au fond de la chaussure.
On arrive finalement assez rapidement sur une piste plus tranquille, où je profite pour bien m'alimenter. On voit les frontales au loin qui remontent en direction du col de l'Autaret, et la Lune qui filtre entre les arbres. Passage au pied de la montée à Rocca Sparviera, il y a un peu de public avec des cloches. Le petit coup de cul est vite avalé, je coupe la frontale de temps à autres pour profiter de la lumière de la Lune. Avec les roches calcaires partout autour, on y voit comme en plein jour ! Une fois rejoint le col, ça relance tout du long jusqu'au ravito suivant. L'avantage de connaitre le terrain. En se retournant on voit encore la ribambelle de frontales depuis le sommet du Férion.
Le premier ravito est uniquement liquide (le premier vrai ravito se trouve au km 30, oui oui !), je fais juste le plein et repars direct. Je pense être allé à plutôt bonne allure sur cette section, pourtant je suis à peine dans les temps de mon roadbook, et je pointe 49e (ce qui correspond à peu près la place finale que je vise : 500 partants, 60% de finishers, place aux alentours des 20% meilleurs). Je pars en général plus tranquille et remonte les places ensuite. Ce qui voudrait dire que je suis parti vite et devrais plutôt être en fin de course dans le maintien que dans l'accélération (ou en tout cas, éviter au mieux la déchéance).
Je me lance dans la longue descente vers le Suquet, pas spécialement technique mais beaucoup de caillasses, donc il faut rester bien concentré. On entend par moment une chouette hululer. Avec la pleine lune, et dans les bois déjà recouverts de feuilles mortes, ça met une certaine ambiance.
La descente se fait plus encaissée à l'approche du Suquet où l'on franchit la rivière et on croise à nouveau un peu de civilisation (locaux à l'apéro à 1h du matin). Je commence à ressentir des douleurs aux orteils. On attaque ensuite la remontée vers Utelle, il y a de belles relances à effectuer dans le bas notamment, car le sentier hésite longuement avant de se décider à monter pour de bon. J'y double Vik qui commence son overdose de bitume (ou alors c'est la bière qui ne passe pas bien ?). Pour ma part, je profite de la longue portion de route pour lire mes messages et y répondre (pas facile d'écrire en courant). Lorsqu'on devine les lumières du village, il y a encore 500m à avaler. Je donne un bon rythme sans me mettre dans le rouge. J'arrive à Utelle sans avoir trop chômé, et si je suis toujours dans les mêmes places (45e), j'ai pris 30 minutes d'avance sur le roadbook.
Ambiance boite de nuit avec lumières et sono à donf. Les bénévoles sont aux petits soins. Je prends 10 minutes ici pour faire un plein correct (soupe, pain/jambon/fromage). Certains sont déjà ici bien entamés. De mon côté ça va à peu près. Ma côte, notamment, reste présente mais discrète, tout à fait supportable. Je m'interroge quand même sur ma capacite à maintenir un tel rythme jusqu'au bout : il me semble être dans un tempo plutôt élevé pour un ultra, mais ni ma place ni mon chrono ne sont exceptionnels.
Après avoir consciencieusement remercie les bénévoles, je repars, toujours au clair de Lune. Trois coureurs me rattrapent à la sortie du village alors que je satisfais un besoin naturel. Je repars à leur niveau, ils ont l'air d'aller un poil plus vite que moi, mais ils décident de rester au train. Je fais donc la locomotive sur toute la montée jusqu'au Brec d'Utelle, avec encore des relances sous le Castel Gineste.
Quelques plaisanteries et remerciements aux bénévoles qui pointent à la brèche, une courte descente bien caillouteuse, puis nous attaquons l'immense traversée à flanc jusqu'au col des Fournes. C'est un peu longuet, donc on papote un peu avec les 3 ou 4 coureurs histoire de faire passer le temps et ne pas tomber de sommeil. On arrive quand même au col qui marque le début de la montée au Mont Tournairet via Andrion. Je ne suis pas mécontent de passer enfin à la marche. Je sens déjà un peu de fatigue dans les jambes. Pas un super signe, même si on en est déjà à 40 bornes, mais il y a encore du chemin avant d'arriver.
Au col c'est à nouveau un ravito liquide uniquement, donc petit plein et ça repart direct. Je suis pile de retour dans les temps du roadbook, et 41e.
Il y a d'abord un peu de flanc (et même un poil de descente) avant d'attaquer la montée finale qui se fait désirer, puis un bon coup de cul et on passe juste sous le sommet du Mont Tournairet, alors qu'on sent le jour sur le point de se lever.
La descente jusqu'aux Granges de La Brasque passe plutôt vite, et c'est le 2nd ravito complet qui se présente. J'ai 15 minutes d'avances sur mon roadbook.
Même s'il ne reste que de la descente avant la base-vie, je prends un peu de temps (7 minutes) pour m'alimenter, et j'emporte aussi un peu de provisions. Il y a quand même 1200D- à s'enfiler, et derrière il faut anticiper le gros du chantier qui va démarrer.
La première partie de la descente, sur une piste large et facile, permet d'assister aux premières loges à un superbe lever du jour. Les montagnes se dévoilent petit à petit. J'ai beau connaitre, ça reste un sacré spectacle. Puis nous quittons la piste pour un sentier plus joueur. Les pieds commencent un peu à chauffer au talon, je vais devoir faire un petit passage chez les podologues à Roquebillière. Finalement en papotant encore un peu, ça passe relativement bien, et après une traversée du village qui s'éveille seulement, c'est l'entrée dans le gymnase qui sert de base vie.
Je récupère mon sac d'allègement avec sa checklist, j'essaye d'être efficace. Il y a relativement peu de monde, je peux m'installer à une table tout seul. Je passe au buffet prendre une barquette de pates et de la soupe. Je me nettoie à la St Yorre (c'est tout ce qu'il me restait dans mes flasques !), change short, t-shirt, chaussettes, puis je vais voir kiné et polos, pour un bon massage récup, et un check ampoules. La podo ne voit rien à part un bout de corne qu'elle coupe au scalpel, en revanche elle remarque un hématome à deux ongles, et me recommande de faire vérifier au Boréon et éventuellement percer les ongles pour soulager la pression. Me voilà donc obligé d’aller au moins jusque là-bas. De retour à ma table, je termine mon repas, range tout, rend mon sac. Je ressors après 45 minutes, ce qui me parait plutôt bien, même si je reçois direct un petit message taquin de Vincent « 45 minutes de pause à Roquebillière mais c'est quoi ce bivouac ? ». J'ai un peu plus de 50 minutes d'avance sur mon plan.
La partie suivante n'est pas folichonne. On fait un détour de 15 bornes pour revenir juste au-dessus de la base-vie. Détour qui permet de passer par les jolis villages de Lantosque et la Bollene. En tant que local j'ai un peu cessé de m'émerveiller de ces jolis vieux villages aux ruelles étroites, j'espère que les autres concurrents en profitent un peu. Je ne peux pas dire que le chemin m'ait enchanté sur cette portion.
J'arrive au ravito, les bénévoles sont toujours aussi sympas et prévenants. Mine de rien je flâne presque 10 minutes ici. Je ne me souviens pas ce qui m'a pris tant de temps, mais je peux le dire à posteriori, la fatigue commence à bien être présente. J'ai encore un peu accru mon avance sur le RB.
La suite pour rejoindre Belvédère m'a vraiment paru une punition. Pas mal de route, de liaison, je perds deux fois le balisage en l'espace d'un quart d'heure. Le voyant « alerte orange » s’enclenche : perte de lucidité flagrante. J'essaye de me ressaisir un peu, j'active le suivi de la trace sur ma montre pour éviter les mauvaises surprises.
La chaleur commence à monter, et je sens que ça va se compliquer. D'autant plus que mes pieds sont de plus en plus douloureux au niveau des orteils.
Quand j'arrive à Belvédère, point d'eau où je refais le plein, j'ai déjà perdu 20 minutes de mon avance sur le plan de marche.
Je reçois encore pas mal d'encouragements sur le téléphone, mais je sais que la suite va être rude, et ça ne sera que le début !
La montée sous le Suocle va être un petit chemin de Croix. J'en bave, je n’avance pas, je plafonne à 600m/h, il fait chaud, il n'y a pas d'air. Et puis je commence à être un peu écœuré de nourriture. Heureusement j'arrive encore à bien boire, mais rien de solide ne me fait envie. Je préfère m'abstenir (peut-être une erreur) que de me forcer. À cet instant, le pull finisher commence un peu à se détricoter.
Enfin le "sommet" (qui n'est qu'un point sur la crête qui continue vers le Capelet) est atteint, je me lance dans la descente, et là, la digestion se débloque. Je sens un peu de faim, j'alimente en pâtes de fruits et barres chocolatées (fournies sur les ravitos), et ça passe bien. Je reprends un peu de moral, mais mes pieds sont toujours un gros point noir, au point d'ailleurs d'en oublier complètement mes douleurs costales.
Nathan est sensé me retrouver au Relais des Merveilles, mais il est à la bourre sur la route et ne pourra pas venir finalement. Je suis bien rincé, et d'ailleurs je ne relance absolument pas le fond de vallée pour arriver au Relais, alors que ça devrait se faire sans problème.
J'ai donc maintenant dans l'idée de faire une bonne grosse pause aux Merveilles, tant pis pour le chrono.
Quand j'arrive au relais, j'ai repris 10 minutes sur le plan de marche. Comme quoi les impressions sont trompeuses. Ça ne change rien, je prends mon temps. Je connais malheureusement très bien ce qui nous attend pour la suite du parcours. Si je n'arrive pas à m'alimenter dans la montée de la Valette, ça va être difficile, donc il faut que je fasse le plein ici. Je trouve même une chaise longue pour m'allonger. Et voilà Vik qui arrive. On discute un bon moment. Il m'a doublé à la base-vie, restant moins de temps que moi, puis je l'ai doublé dans la montée sans m'en rendre compte. Il a des crampes, m’emprunte mes bâtons pour se faire un massage, et file voir l'ostéopathe. Je ne l’attends pas, persuadé qu'il va me reprendre plus loin vu comme je galère.
Je reste environ 30 minutes ici (désolé Vincent !!).
Une fois que je pense m'être suffisamment reposé, je repars pour un bon gros morceau. Assez rapidement je me rends compte que le même schéma se répète : je plafonne à 650m/h, et si le liquide passe, le solide c'est non. Je fais dos rond, je sais qu'en ultra les mauvais temps finissent par passer. Mais je me dis que ça dure quand même depuis quasi La Bollene. Et vas-y que je te détricote à nouveau le pull finisher, que j’avais un peu rafistolé en bas.
Bon-an mal-an, j'arrive à la cime de Valette. Je ne profite même pas du paysage, je suis défait (et il faut dire que je commence à connaitre ce coin, c'est d'ailleurs tout près que je me suis fait mordre au début de l’été). Je commence la longue traversée vers la baisse de Férisson, et dans mes chaussures c'est la guerre. Et je commence à avoir de bonnes irritations là où il ne faut pas. Et je suis fatigué, et "la neige elle est trop molle pour moi". Bref, le broyage de noir est en route. Je commence à me dire que je vais rendre mon dossard. Puis je cherche toutes les raisons, bonnes ou mauvaises pour pas le faire. Mon dossard m'a été offert. La plupart des courses cette année ont été annulées. Mes collègues de boulot vont me vanner pendant des mois (celle-ci il faut que je la garde pour plus tard : elle est très mauvaise, mais le levier est vraiment efficace).
Et finalement, de chercher toutes les raisons pour lâcher ou pas l'affaire, je finis par arriver à la baisse. J'ai presque trouvé ça plus rapide que la dernière fois en plein brouillard.
Surprise, j’y retrouve Nathan, mon sanglichon. Et il va me retourner comme une crêpe. Déjà, il faut faire bonne figure. Et puis on papote pendant toute la descente. Il est même venu avec mes affaires de rechange, donc on se fait un improbable slip-stop dans les pieds de myrtilles, ainsi qu'un gros renokage des .... parties irritées... Bref.
La descente est difficile et mes pieds hurlent, mais enfin, ça passe. Et j'arrive à manger de nouveau quelques trucs.
Lorsqu’on arrive au ravito, cet âne m'a remotivé pour la suite. Pas à pas.
Dans l'histoire, j'ai quand même perdu toute mon heure d'avance sur le RB. Le gros arrêt aux Merveilles n'y est pas pour rien. Me revoici dans les clous. Je passe quand même voir la toubib s'il est possible de faire quelque chose pour soulager mes pieds. Elle tente un perçage d'ongle, mais n'a pas le matos le plus adapte (seringue trop épaisse), et je douille bien, pour un résultat néant. On laisse donc les 2 autres hématomes en paix. Je me ravitaille à peu près correctement, et après environ 20 minutes (encore un méga stop), je repars pour la suite. Je connais bien la montée, plus courte (600m), et également la descente sur le Boréon, très raide, que j'appréhende fortement.
Je rame encore bien dans la montée (à peine plus de 600m/h), mais arrive à garder un rythme constant. Encore une fois je ne peux plus manger, mais je m'y attendais.
Sur le haut, cette fois l'alimentation ne se débloque pas. Et la machine à broyer se remet en marche. Je me sens épuisé, surtout mentalement. Je sais que je vais douiller dans la descente, et derrière il faut encore s'envoyer l'Archas, il y en a pour 5 heures au bas mot, voir bien plus si je ne peux plus alimenter la chaudière. Encore une fois, je ne profite pas des lumières de fin de journée sur les montagnes pour me changer les idées.
D'ailleurs, mon message à Vincent est assez éloquent : « Je n'en peux plus, je suis pas sûr d'avoir le courage de ma lancer dans l'Archas pour la seconde nuit ».
Aussitôt ce dernier déclenche le dispositif ORSEC. Avec quelques messages bien sentis, il me focalise sur le Boréon, et l'Archas à prendre ensuite. C'est un truc évident de découper un ultra en petits morceaux, et en général je le fais bien. Peut-être que pour celui-ci j'ai eu plus de mal vu que je connaissais tout le parcours.
Nathan a aussi dû sentir que j'aurais besoin de soutien et m'envoie un petit message pour me dire qu'il sera là au Boréon.
La traversée vers le Pas de la Maïris est dure, et la descente un cauchemar. Je pense à mes petites femmes qui seront bientôt à l’arrivée, ça me fait des bouffées d’émotion, je suis au bord des larmes. J'ai le temps de gamberger, de me remobiliser, et surtout je retrouve encore Nathan au niveau des vacheries. On fait les quelques kilomètres de piste barbante et il me change bien les idées, me motive bien pour la suite, qui est un gros morceau, c'est sûr, mais cette fois c'est vraiment le dernier.
On arrive au Boréon, et Nathan s'occupe bien de moi, s'assurant que je n'oublie rien, me remplit les flasques. Et puis vu qu'il y a des lits, je décide de prendre 10 minutes de repos allongé au calme. Je ne dors pas mais je pense que ça m'aura fait du bien quand même, petit vidage de tète. Je mets mon t-shirt manches longues en prévision de la nuit (je sais qu'il fera frais sur l'Archas). Je prends aussi le mp3 et les écouteurs, et après un dernier remerciement, je souhaite bonne route à Nathan, il en a pour un bout avant d'arriver (moi aussi d'ailleurs). Une bonne trentaine de minutes de stop, outch !
Je remonte le vallon de Salèse sans pouvoir profiter du coucher de soleil (trop encaissé), d'abord sur la route, puis sur le sentier le long du ruisseau. Je trouve ça longuet. Finalement ça commence à monter. J'arrive à garder un rythme correct, et aussi à faire passer une ou deux pâtes de fruits, plutôt bon signe. Cette fois je sais que j'arriverais au bout, car il n'est plus possible de faire autrement. Je vais quand même mettre presque 2 heures pour arriver en haut, quelle lenteur ! Mais cette fois j'arrive un peu à profiter. Pas trop sur la première partie qui me barbe un peu, mais une fois qu'on rejoint l'arête finale, la Lune se lève, le ciel est vraiment magnifique, on voit bien les fanions du balisage, éclairés par la frontale, droit dans la pente. Je m'emploie un peu, et finalement quand j'arrive à la tente, juste 10m sous le sommet, je suis presque surpris car je pensais en avoir encore pour 10 ou 15 minutes.
Il faut ensuite s'engager dans la descente. Le tracé a changé, et pas vraiment en bien. On ne peut pas dire que l'Archas soit plaisant à descendre, surtout avec un tel mal de pieds, mais le passage hors sentier par le vallon d'Anduébis met la barre très très haut. Cheminement entre les blocs, dans les herbes humides et glissantes, traversée de coulée de boue... Et ça dure vraiment longtemps. Arrivé en bas, on emprunte une vague piste à flanc, même ici le cheminement est merdique, il faut se baisser sous les branches des mélèzes. C'est long long long, je peste. D'ailleurs voici le message que j'envoie aux copains « La descente est une merde innommable et interminable ».
Quand j’arrive à la Colmiane, j'ai 20 minutes de retard sur le road book, ça n'est pas le naufrage que j'attendais. Par contre j'ai fait une croix sur mes pieds et je me contente d'ignorer les signaux qu'ils m'envoient depuis maintenant près de 20 heures, après une éprouvante descente de plus de 1000m, et encore, c'est pas fini. Je m'arrête au ravito juste pour reprendre un peu d'eau, et repars en direction de Saint Martin.
La suite est à l'image de la descente de l’Archas : longuette. Avec la fatigue mentale, les douleurs, je n'en vois pas le bout. Au milieu de la descente, il y a une courte remontée, elle ne me parait pas finir. Au point que je vérifie 3 fois la trace sur ma montre, puis mon téléphone, persuade d’être reparti dans le mauvais sens. On a ensuite des lacets, encore des lacets à n'en plus finir. Il n'y a que 500m à descendre, mais j'ai l'impression d'en faire le double.
Enfin, enfin, j'arrive au pied de Saint Martin. Il reste la montée dans le village, la ruelle avec la gargouille, on tourne à gauche et voici l'arrivée.
Clemence et Lena sont là, je passe en fin la ligne, c'est la fin ! Je suis vidé, aucune émotion. J’ai eu mon petit « shoot » dans la descente de la Maïris. Je suis quand même très content d’en avoir fini, mais pas encore la fierté d’être allé au bout, car ce fut vraiment laborieux.
Petit debrief rapide avec Clemence, et on va vite au camion pour faire dormir Lena. Je pars à l'espace coureur pour prendre une douche. J'ai espoir de faire soigner mes pieds, mais à cette heure un peu tardive, les podos/kinés ne sont pas là (juste une personne en train de dormir sur une table de massage). Pas grave je me rabats sur le buffet, et en particulier le couple gardien du Rifugio Dahu de Sabarnui, qui fait des pâtes fraîches tout le week-end, apporte son fromage et charcuterie. Délicieux. Rien que ça mérite de se botter les fesses pour arriver au bout. Accompagné avec la bière du Comté à la tireuse, un régal. Le lendemain j’y retourne (plusieurs fois). Je profite également d'un bon massage et surtout un tour chez les podos : 2 hématomes à vider, deux ampoules sous la corne du talon.
Et enfin il est temps de répondre aux messages reçus.
https://www.strava.com/activities/4012993657/overview
J'ai trouvé cette course plutôt difficile par rapports aux chiffres bruts (130k, 8600D+). Je ne peux pas me targuer d'une immense expérience, mais j'ai nettement moins souffert l'an dernier, à l'UTMB, j'étais beaucoup plus dans le plaisir.
Plusieurs facteurs à cela, je pense : le parcours propose une première partie plutôt facile, avec de très nombreuses relances. On arrive donc déjà bien entamé alors que les vraies difficultés commencent seulement au Relais des Merveilles. Comme je connaissais bien le parcours, j'ai moins profité des paysages, et j'étais plus focalisé sur ce qu'il restait à faire. Et j'avais également probablement des repères de vitesses pas adaptes à un ultra.
Un point que je ne comprends pas, ce sont les pieds. J'ai vraiment beaucoup souffert, l'impression d'avoir les orteils dans un étau, ou de recevoir continuellement des coups de marteau. C'est la première fois que ça arrive, et pourtant j'avais mes chaussures habituelles. Il n’y a vraiment que le laçage un poil lâche qui pourrait me l’expliquer.
J'ai dû bien puiser dans le mental pour aller au-delà de ces douleurs et arriver au bout, c'est la première fois que je pense autant à rendre mon dossard. Heureusement j'ai pu compter sur le soutient de Nathan et les messages pertinents de Vincent.
Cette course se compare-t-elle à l'Echappée Belle ? à mon sens, non. Le terrain est caillouteux, mais rien à voir avec Belledonne. Les chaos de blocs typiques se retrouvent plus dans le haut Mercantour, que la course ne traverse pas. Les paysages sont très beaux, mais pas aussi sauvages.
L'UTCAM a peut-être un peu souffert au début d'une communication "qui veut se faire aussi grosse que le bœuf". Je pense que ça n'est plus le cas maintenant. Le tracé manque un peu de cohérence je pense, par exemple UTMB -> tour d'une montagne, EB -> traversée du massif : ici on a du mal à bien saisir certains choix. L'interdiction de passer dans le parc ne doit pas y être étrangère, mais du coup j'invite tous ceux qui s'interrogent à venir faire quelques grandes sorties, plus dans le parc, il y a des coins vraiment magiques.
Je termine en remerciant en vrac et en détail :
- Clemence et Lena, mes 2 petites femmes, toujours à me supporter dans tous les sens du terme.
- Vincent, ses conseils, ses indications, toujours très précieux pour finalement aller au bout. Et aussi dépositaire de la marque Ultra Brice de Nice. J'ai essayé d'être à la hauteur de ta superbe course de 2015, bon, il faudra revenir (pour le moment, c'est pas au programme). Quand je vois la difficulté sur notre version "réduite" du parcours, j'ai encore plus de respect pour ta perf !
- Nathan mon poto sur qui on peut toujours compter. Si tu n'avais pas été la, ça aurait été très très compliqué !
- Tous les amis et famille qui ont veillé bien tard, envoyé des messages, même si je ne prends pas toujours le temps de répondre, ça compte.
- Enfin et non des moindres : un grand grand merci à l'organisation et à l'association des amis de Kikourou pour nous offrir ce dossard sur toutes ces belles courses. Au-delà du parcours, qui peut être discuté, chacun ayant ses préférences, l'organisation est parfaite, les bénévoles adorables, aux petits soins sur chaque ravito, le départ a été très bien gère, ainsi que la base-vie, et la zone coureurs à Saint Martin est vraiment exceptionnelle.
Accueil - Haut de page - Aide
- Contact
- Mentions légales
- Version mobile
- 0.08 sec
Kikouroù est un site de course à pied, trail, marathon. Vous trouvez des récits, résultats, photos, vidéos de course, un calendrier, un forum... Bonne visite !
11 commentaires
Commentaire de christine06 posté le 10-09-2020 à 21:38:13
bravo, je suis admirative ! j'étais aussi sur le 130 mais du tout avec le même chrono :-)
Commentaire de shef posté le 11-09-2020 à 14:26:14
Merci !
Commentaire de Lécureuil posté le 10-09-2020 à 21:40:29
Bravo Guillaume
J'adore tes relatives sensations de contre perf à 650m/h et vu le chrono au total
si 20mn de ravito c'est un bivouac, alors nos 3/4H en BV sont des vacances ;-)
Encore bravo et comme tu le dis il y a tellement de plus beaux coins à voir dans le Mercantour, qu'il faut que les non locaux y reviennent en ballade ou off ))
Commentaire de shef posté le 11-09-2020 à 14:26:43
J'aurais mieux ete vers 700 ou 750, mais je ne me suis pas suffisamment rentré dedans pour ca.
Commentaire de Vince88 posté le 11-09-2020 à 11:39:23
Bien joué ! Tu as pû te sortir de l'adversité, sur une course quand même pas simple, dans une journée ou tu ne semblais pas au mieux de ta forme ni de tes pieds. Bravo !
Commentaire de shef posté le 11-09-2020 à 14:27:37
Merci
Commentaire de Free Wheelin' Nat posté le 11-09-2020 à 12:40:08
Merci pour ton récit et bravo pour ta perf compte tenu des aléas physiques!
Et d'ac avec toi, si nous étions réellement seuls sur notre course, notre progression et notre résulta serait probablement assez différents...
Et pareil à propos de la course en elle-même: un potentiel de ouf encore concrétisé mais pas loin!
Commentaire de shef posté le 11-09-2020 à 14:28:01
Bravo pour ta course egalement. Je me demande si tu n'etais pas a cote de moi au massage samedi matin.
Commentaire de bricede posté le 11-09-2020 à 16:34:18
Bravo Guillaume, très belle démonstration de courage ! les pieds ça a du être un enfer qui t'a pourrit le moral
c'est difficile de rester positif lorsqu'on a une douleur qui te harcèle sans relâche
j'ai fait le 130 aussi mais dans un chrono qui n'a rien à voir. en lisant ton récit j'ose à peine écrire que j'ai du rester au moins 1 heure à plusieurs bases de vie. autre niveau, autre course ;-)
Commentaire de shef posté le 11-09-2020 à 17:51:59
Oui c'est un peu la misere, et tu te focalise completement dessus au lieu de profiter de tous les autres trucs, dommage.
Le chrono est une chose, chacun fait en fonction de ses possibilites. Et parfois a courir apres la montre, tu passes a cote des belles choses.
Commentaire de catcityrunner posté le 12-09-2020 à 16:17:00
Bravo pour la perf et le récit bien enlevé !
Il faut être connecté pour pouvoir poster un message.