Récit de la course : Black Mountain Trail - 64 km 2025, par Pastisomaitre

L'auteur : Pastisomaitre

La course : Black Mountain Trail - 64 km

Date : 1/3/2025

Lieu : St Amans Soult (Tarn)

Affichage : 98 vues

Distance : 64km

Objectif : Pas d'objectif

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Dans la tête d’un coureur moyen

Avertissement : rien de ce qui suit ne doit être pris au premier degré. Merci pour votre compréhension

 

Des récits de course, on en lit un grand nombre, on en trouve partout, sur Insta, sur le net, sur Facebook, sur Strava…

On y apprend d’une manière plus ou moins détaillée les paysages rencontrés, ce qui a plu ou déplu, ou encore les performances intrinsèques des coureurs selon le curseur « je me la joue » de l’auteur du récit.

Mais en vérité, un gars qui reste dans un effort constant et inconfortable pendant de très nombreuses heures va se triturer involontairement l’esprit pour s’occuper pendant tout ce temps.

Mais ça, c’est rarement décrit dans les récits.

(Ça marche aussi pour les filles, oui, mais il y a fort à parier que les pensées soient différentes)

 

Le #BMT, c’est un peu ma maison squattée par n’importe quel passant : ma maison car je connais la course sur le bout des doigts (j’y suis chaque année), et squattée car je n’y progresse que peu et j’ai l’impression qu’il y a chaque année encore plus d’individus qui font mieux que moi, alors que je fais moi-même mieux que le moi de l’année d’avant.

Mais ‘RAB’, comme je me le dis souvent (voir définition sur ChatGPT), je viens pour le plaisir.

Mais quand même.

Bref, j’ai décidé de ne pas raconter cette course d’un point de vue descriptif, mais en essayant de retracer les pensées qui traversent un corps meurtri.

Et sans tabou.

Légende :

« Le mec qui parle »

« Le mec qui pense »

 

Le dodo

Vendredi, 22h00, 5 réveils mis sur 2 téléphones différents, première sonnerie à 1h50. Du mat’, oui, je suis le gars qui enquille les 1h30 de route au dernier moment, histoire de me mettre un handicap fatigue, ce n’était pas assez compliqué comme ça.

« C’est sûr que ça va pas sonner. Ptin t’es sûr que t’as mis la sonnerie ? T’as surement paramétré la sonnerie à lundi. Ou tu l’as pas activée»

« T’a pas mis le bordel en mute ? »

« … »

« Mais vérifie cono »

Et c’est comme ça que, en plus de pas arriver à dormir car tu es sûr que tu n’es pas à la hauteur, peu importe la dose d’entrainement et le cumul de D+ que tu t’es payé, tu perds une heure de sommeil à checker ton réveil et à penser à ce que tu as forcément oublié dans ton sac qui est déjà chargé.

En gros, tu flippes. Même le gars qui finira premier flippe à ce moment-là.

Enfin, j’espère.

 

Le matin (enfin, après le dodo quoi)

Pourtant, si ton réveil sonne chaque matin pour te rappeler que tu dois te lever, lever tes gosses, les faire se préparer avec les mêmes éternelles demandes, alors il était peu probable qu’il ne sonne pas de la même manière en pleine nuit un samedi matin.

Si tu n’étais pas réveillé avant, la première note du premier réveil suffit à te faire sauter du lit.

« Ptin mais quelle idée de mer**, je suis fracassé »

« Faut vraiment être co* »

Finalement, la fatigue passe, écrasée par l’adrénaline, et tu fais le trajet sans encombre pour arriver sur place à l’avance.

Au village, il y a des parkings prévus pour la course. Mais moi, en connaisseur des lieux, je sais où me garer plus près.

Mais ma rue habituelle est bloquée par des barrières.

« Les enfoiréééés »

« Hé ouais frérot, tu fais le malin genre tu connais les lieux, mais maintenant que la seule rue que tu connais est bloquée, tu vas où ? Hein ? Gros malin »

Bon, je me gare, je récupère le dossard, je marche vers la voiture.

« Ptin j’en étais sûr, j’ai envie de chi** »

Le caca de la peur.

Ça tombe bien, en plus de connaitre les rues (une rue), je connais un WC tranquille.

Et lui, il n’est pas bloqué.

 

Le départ

Je suis prêt, dans la foule, tout près de l’arche de départ.

« Mais qu’est-ce qu’il est bon ce co* »

Robin, le speaker, je l’ai déjà vu je ne sais combien de fois micro en main.

« Comment il se démer** pour avoir un flow comme ça ? »

Il y a du spectacle pour les 10 ans, l’ambiance de Robin, la danse des frontales, les bougies, la musique, le message de Thomas Ramos.

Mais… on ne va pas se mentir.

« C’est canon ce qu’ils ont fait, mais je m’en bran** là, ‘RAB’, je flippe ma race ptin »

« Ptin je me demande si j’ai pas encore envie de chi** »

« Fait chi** »

Une fois parti, je sais ce qu’il va se passer. C’est écrit d’avance.

« Ils vont tous partir comme des enfoir**, c’est sûr. Mec, reste en retrait, ne les suis pas »

La route monte pendant un bon kilomètre au départ, avant d’enquiller le chemin.

« Tranquille, tu vas te péter les cannes dès le début »

Mais ça part, ça court, la route monte, et les gens courent, dublent.

« Ptin mais personne ne marche, fait chi** »

« Stop, marche cono »

« Non pas encore, attends que certains arrêtent de courir, la honte si je suis le premier ptin »

Et là, tu oses un regard derrière pour voir si t’es pas dernier, normal quoi. Bon ce n’est pas le cas, c’est jamais le cas généralement, mais le check est obligatoire pour un coureur moyen comme moi. Et une fois qu’un ou deux mecs marchent, je marche.

« Héhé il a craqué. Nullos»

« Lui aussi ! Allez mec, marche »

« Ptin j’ai forcé comme un co*. J’me dégoute »

Ça monte, et ça bloque un peu, normal, j’ai laissé passer pas mal de monde sur les premiers pourcentages, car je ne veux pas me mettre dans le rouge, pas de suite.

Et ça double encore.

« Vas-y passe cono, trace, cours »

« Tu feras moins le malin quand je te passerai en pleine forme dans 30 kms »

« Enfoir* »

En réalité, tu te dis qu’il y a de fortes chances pour que le gars soit simplement plus fort que toi, mais ce n’est pas grave. ‘RAB’. Ça rassure de se la raconter.

« Ptin, lui il a l’air sûr de lui le bata**» 

« Attends vas-y, je vais imprimer mentalement son numéro de dossard et je checkerai son classement. Sûr qu’il finit pas »

« Alors attends, 347. 47 comme les pruneaux. 3 comme. Heuu »

« Ptin lui aussi il double en courant. Mais il trace l’enfoir*. Il était où lui les 3 premiers kilomètres ? »

« Attends, frérot, c’était quoi le dossard de l’autre illuminé déjà. Mer** je sais plus. Ptin mais qu’est que je suis naze »

Première descente avec ce fameux gros tuyau sur le côté. Je cours tranquille, mais me fait doubler par des fusées de tous les côtés, arrive donc cette situation paradoxale.

« Vas-y, double oui. Cours, accélère, enfoi**. J’espère que tu vas te faire une cheville plus bas »

Bon je ne le pense pas vraiment, mais ça fuse.

« Ptin, mate le gars là-bas, il va pas très vite. Sûr que je peux le griller. Vas-y accélère, veille branche »

« Héhé, je t’ai eu. Ça t’en bouche un coin bien vrai ? »

Lui, dans sa tête : « Vas-y, double oui. Cours, accélère, enfoi**. J’espère que tu vas te faire une cheville plus bas »

« Ptin mais en fait je suis comme les autres. J’me dégoute ».

 

Dans la foule

La pente se durcit dans cette deuxième montée, tellement que le single devient technique et que l’effet masse se fait ressentir. En gros, ça bloque, je fais du surplace et avance au ralenti.

« Mais vas-y meuf mais qu’est-ce que t’essaies de me doubler, t’as pas vu que ça bloque ou quoi ? »

« Moi aussi je pourrais doubler devant, mais si on fait tous pareil ça va être le bord** »

« Ptin elle a pas de bâtons. Waou, faut le faire sur cette course. Bon c’est pas pour ça que je vais te laisser passer, hein »

J’aperçois la lignée de frontales en contrebas, qui remonte beaucoup plus haut, là où on va basculer en fin de montée.

« Mais comment c’est possible que des types soient déjà aussi loin sans déconn** »

La montée est en deux parties, coupée par une petite descente, et le rythme de mon petit groupe est donné par une coureuse.

« Je sais pas quelle âge elle a, mais ptin elle avance c’est ouf »

« Je fais quoi, je reste et je monte à un rythme qui me va, ou je trace et j’accélère ? »

Un coureur : « Gauche », et il double. J’en profite, je double aussi.

« Allez, cono, maintenant que t’es passé, trace, si elle te rattrape tu vas avoir l’air de co*»

Premier ravito. Ils sont énormes au BMT. Mais sur ce premier, une autre idée que ‘manger’ me vient en tête.

« Waou le monde de ouf qui attend ici. Attends mec y a quoi, 30, 40 coureurs ? »

« Mais mec, trace bord**. Tu te traines en course, et là en traçant tu vas gagner 30 places »

Et c’est comme ça qu’un coureur moyen passe de la 600ème à la 570ème place en 30 secondes. La manœuvre est autant inutile que contre-productive car, du coup, tu ne te reposes pas, mais bon sur un premier ravito tu te dis que tu peux te le permettre.

Appelons ça la méthode du ‘tu t’reposeras quand tu s’ras vieux, vieux frère (#FAUVE)’.

« Attends, attends, vas jeter vite fait un œil sur la table quand même»

Je joue des coudes.

« Ptin mais oui, la charcuterie grillée. C’est quoi déjà, bougnette ? Melsat ? Je sais jamais. Ptin tu respectes rien nullos. Allez bouffe cono. Et trace »

Je n’ai toujours pas mis de nom sur la charcuterie. Appelons-là le ‘gras c’est la vie (#KAAMELOTT)’.

Sur un trail long, j’aurai mal, c’est sûr. Tu ne peux pas faire 65 kilomètres en montagne en restant frais du début à la fin, ce n’est pas possible. La douleur, il va falloir faire avec, la gérer, même François d’Haene a mal aux cannes sur un ultra.

Arrive donc la quatrième montée, longue montée, avant de basculer sur Albine, premier point de passage important de la course.

« Ca y est. 16 kilomètres et je sens ces salo**ries d’ischios qui tirent, et le dos qui tiraille. Fait chi**. Fait chi** !! »

Effectivement, c’est embêtant, mais habituel, c’est mon corps, je le connais, et il peut tenir très longtemps comme ça.

Il fait jour et je passe dans la descente vers Albine, je suis assez frais, si ce n’est ces débuts de douleurs, mais rien de grave.

J’essaie de suivre une coureuse dans la descente, je vois son visage à chaque épingle.

« Mais attends mais elle a quel âge »

« Waou mais je suis sûr qu’elle est grand-mère. Et que ses petits-enfants sont déjà grands »

« Mais ouais, c’est sur »

« Ptin mais elle envoie mamie »

« Non mais mamie, elle me met à l’amende un truc de ouf »

« Mec, tu vas pas laisser mamie te griller comme ça. Ho, hé »

Puis le chemin est devenu technique, et je suis passé devant. Je ne l’ai plus revue, mais j’aimerai m’aligner sur la même course à son âge, que je ne connais pas, mais elle devait certainement réellement être une grand-mère, avec des petits-enfants déjà grands.

 

Un peu de sérieux

Albine. J’ai tellement kiffé ce coin chaque année que ce fut le lieu de mes vacances familiales l’été dernier. Je vois mon mobil’home.

Et la descente n’a pas aidé, j’ai le bas du dos qui lance, pas bloquant mais c’est tellement gênant.

Voilà donc le moment, celui que je ne devrais pas avouer.

« Mec, je le fais ou je le fais pas »

Je réfléchis en me goinfrant d’un mélange de ‘gras c’est la vie’, de banane et de coca, sans forcément prendre la peine d’avaler entre deux saveurs différentes, et prends ma décision.

« Allez je suis faible. Prévention mec, prévention. »

« Tu vas prendre plus de plaisir tu sais»

« Mais oui, craque, tout sera plus rose tu verras »

Je sors donc un doliprane effervescent et le fait fondre dans mon gobelet, avec le reste du coca et un peu d’eau, et je trace gobelet à la main pour tenter de continuer la méthode du ‘tu t’reposeras quand tu s’ras vieux, vieux frère’.

Je bois donc mon doliprane. Ça a l’air de rien, mais ça soulage drôlement pour quelques heures.

« C’est pas considéré comme du dopage ? »

« Ptin mais j’ai vraiment besoin de ça pour avancer sans rigoler »

«  Espèce de faible. J’me dégoute »

 

Ça monte sec, je l’ai fait en off celle-ci, jusqu’à la croix en haut, pendant les vacances à Albine, j’y avais craché mes poumons, peu entrainé à ce moment. Je monte plus vite aujourd’hui avec plus de 20 kilomètres dans les jambes.

Le coureur derrière moi : « C’est super beau »

« Mais il a raison ce cono, c’est super canon la petite vallée »

« Ah ouais grave ! Heureusement que tu es là pour nous dire que c’est beau car moi je ne fais que regarder devant moi »

« Ptin mais ouais, je fais ce sport en me vantant de découvrir de beaux paysages et je regarde même pas autour de moi. »

Le coureur encore derrière, sans transition : « C’est dingue le nombre de traileurs qui utilisent de bâtons»

« Allez ça y eeeeeest. A chaque course il faut qu’il y en ait un qui nous emmer** avec ces puta*** de bâtons »

Le coureur derrière moi, celui qui profite du paysage : « Ben qu’est-ce que tu attends, vas vite en acheter »

« Bien ouèj frère »

« Tu en pas toi ? Tu t’entraines pour la diag ou quoi ? »

Le coureur sans bâtons « Non, pas du tout, mais je ne comprends pas le concept, c’est pas utile quoi »

« Allez, court sans bâtons gars, ‘RAB’»

 

Ca grimpe pas mal jusqu’à la croix, tout en haut, et je commence à souffrir après pas loin de 2000 D+, je vais rentrer en gestion.

Depuis quelques centaines de mètres, je suis calé derrière 2 coureuses, le rythme n’est pas hyper rapide mais ça me va.

« Ce short lui va comme un gant, très agréable »

« Sa copine aussi d’ailleurs »

« Hop, j’ai la place de doubler là. Oh mince trop tard. Zut. Ça attendra» 

« Attends, mais ça fait combien de temps que je suis derrière comme ça ? »

« Non mais sans déconner, t’es vraiment un pauvre type »

« Jme dégoute »

« Pardon, je passe »

« Ptin mais n’empêche, j’ai pas vu le temps passer »

Voilà la croix, ce paysage est dingue. Mais je trace, ce n’est pas un grand ‘tu t’reposeras quand tu s’ras vieux, vieux frère’, mais 4 coureurs, c’est 4 places. Puis je commence à souffrir, alors je préfère avancer et me poser sur un ravito plutôt.

 

Le moment ou ça tire

Je sais qu’il ne faut pas faire ça, mais dès que tu commences à souffrir, tu ne peux pas t’en empêcher.

« Alors attends, là ça descend, puis après y a une montée dingue, un truc infini, jusqu’aux éoliennes. Après ravito, on descend un peu puis le vide tripe, ce truc de mort, puis on monte par à coup jusqu’au pic, on redescend par ce chemin de merd** jusqu’à Pradelles tout en bas, au lac, encore plus bas donc, puis on reeeemonte tout, et on redescend sur cette puta** de descente, tu sais, celle où t’as pas le droit de ralentir là »

« Ptin c’est long, il en reste une chi** encore »

« Bon les 10 derniers ça descend, donc c’est comme si j’avais fini 10 kilomètres avant la fin »

« Ouais mais j’ai quoi, 30 bornes là, même pas. Je dois me payer encore plus du double »

« Ptin mais qu’est-ce que je fous là »

« Puis cette montée à la co* jusqu’aux éoliennes, chaque année tu perds pied ici »

Sur le papier, rester focus sur un prochain petit objectif et ne pas penser à la course dans son ensemble, c’est facile. Mais dès que tu rentres en gestion, c’est plus pareil, une vraie affaire mentale, comme tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’ultra (surtout pour un coureur moyen comme moi), et ça j’y arrive plutôt bien.

 

J’attaque cette montée, je la sais interminable.

Objectif : repérer l’éolienne, qui marquera la fin de la montée. Je ne la vois pas.

Le coureur devant moi, lui aussi sans bâtons, très sympa : « tu peux passer si tu veux, vas-y »

« Merci, mais ça ira, ton rythme est top, il me va très bien »

« Non, en vrai tu vas vite, gars, j’en ch**, sa rac* j’en ch**. Tu vas trop vite, mais tu vas voir, je vais pas te lâcher »

Et lui, tranquillement, il double, et je le suis.

D’ailleurs, je remarque ici qu’on double, enfin qu’ « il » double énormément de coureurs, mais je m’accroche derrière lui. Je me dis que, après 30-35 kilomètres, on finit par rattraper la team des ‘je suis parti comme une balle quand j’étais frais et j’en pète maintenant’.

« Et un de plus. T’en ch*** gars, hein ? »

« Et toi, tu fais quoi à t’arrêter. Tu devais faire le malin tout à l’heure bien vrai. Cono va »

Bon, en réalité, j’en ch** aussi, mais c’est agréable de doubler, puis de se retourner et de constater que nombre de coureurs en file indienne sont de plus en plus loin derrière, et que l’on en dépasse encore sur toute la montée.

« Et mer**, la fringale. J’ai faim, faim de ouf, faut que je dévore quelque chose »

« Ptin, j’ai les jambes en cotons, un vertige. Mais mer** mais j’ai bien géré pourtant depuis le début de la course, pourtant faut toujours que je chope cette fringale, toujours ici »

Je ralenti. 5 minutes avant, mon collègue se retournait encore avec un petit mot pour voir si j’étais toujours dans sa roue, ça avait l’air de lui plaire de faire équipe, et là ça y est, je le vois s’éloigner. Je suis dégoûté.

Bon, en contrepartie, les coureurs laissés sur le chemin ne me rattrapent pas.

Je bouffe, saucisson, cacahuètes, banane séchée, Kitkat, je me goinfre.

« Tu sais que si tu te goinfres comme ça, la faim passera d’un coup et tu basculeras dans un mal de bide à gerber et ce sera surement pire, tu le sais ça hein ? »

Je le sais oui.

« Et pourtant, tu t’arrêtes pas de bouffer, abruti »

Je ne m’arrête pas.

Et évidemment, l’étape suivante, c’est le bide en vrac, car trop sollicité d’un coup, surtout avec la quantité d’eau ingurgitée.

Mais dans un moment comme ça, c’est incontrôlable, les jambes très faibles, les mains qui tremblent. Il faut manger, c’est vital, plus important que la course elle-même.

Mais finalement, malgré le mal de ventre, les jambes vont mieux et j’entends le rotor de l’éolienne pas loin, en rattrapant peu à peu mon équipier, qui a l’air de souffrir à son tour.

« Ça va ? »

Non, ça ne va pas, ça se voit.

Lui : « Non, le froid me fait mal au ventre, ça me ralentit, c’est toujours comme ça chez moi »

Je le rassure et reprends la course, on a passé un moment sympa à deux.

 

A partir d’ici, ça va être à peu près plat, jusqu’au ravitaillement.

« Bon, tu cours maintenant. Un pied, puis l’autre, et tu avances »

Ça fonctionne, je cours.

« Aïe. Aïe. Aïe. Ptin j’ai mal »

Petit sourire serin à un coureur qui me laisse passer.

« Jsuis sûr qu’il a cru que j’avançais tranquille. »

« Aïe. Aïe. »

Mais dans ces moments, courir fait du bien une fois lancé, pas les mêmes groupes musculaires que ceux sollicités pendant les montées. Alors je cours, lentement, mais j’avance, bien plus vite qu’en marchant.

Le ravito qui arrive, je le connais bien, le dernier avant le boss du jeu, celui qui va figer sur place ceux qui sont vraiment cramés. Le vide tripe, une salo*****.

Il y a du monde ici, des coureurs, des accompagnants. Etrangement, je suis bien moins chaud pour envoyer un ‘tu t’reposeras quand tu s’ras vieux, vieux frère’. Je suis cramé, j’ai faim mais mon estomac est mal en point, le paradoxe qui m’arrive tout le temps sur les courses.

Je me ravitaille en ‘le gras c’est la vie’, mélangé à du chocolat et de la banane, puis j’enchaine avec un gobelet de soupe qui a chauffé dans le chaudron de Panoramix, et un coureur me sert du coca à ma demande dans le gobelet qui contient encore de la soupe. La base

Le coureur : « Bop, tout fini au même endroit hein »

« Tu as raison, frérot, en plus je me sers dans les assiettes avec mes mains pleines de transpiration, de terre, de ma propre urine, mains non lavées après le caca de la peur de ce matin, et nourriture piochée dans des assiettes dans lesquelles des centaines d’autres mains sont déjà passées, mains qui ont suivi le même cheminement que les miennes. Tope là, mon gars »

Si y a un sport qui booste le système immunitaire, c’est bien celui-là. Et je ne parle pas du sport lui-même du coup.

 

La presque fin

Je repars en finissant de manger, sous l’encouragement des accompagnants qui attendent leurs protégés.

« Redresse-toi, souris, t’a quasi 40 kilomètres dans les cannes, tu repars fièrement sur la deuxième moitié de course, c’est sûr qu’ils t’admirent : ‘ouais le gars il est solide, fort quand même de continuer sur un truc aussi balaise’ gnagnagna »

Je sais que ce n’est pas vrai et qu’ils en ont ‘RAB’, ils le penseront oui, mais uniquement pour le frère, copain, petit-fils ou neveu qu’ils sont venus encourager, lui sera surement le plus fort et le plus courageux. Toi en tout cas, tu passes pour un naze, sachant que le premier est passé ici il y a au moins 3h, et qu’il y a d’ailleurs de fortes chances qu’il soit déjà en train de passer la ligne d’arrivée.

D’ailleurs, ça pourrait paraître déstabilisant d’être insignifiant aux yeux de tous, car tu te bats juste pour ne pas être trop près du dernier, alors qu’en vrai tu participes à une épreuve d’une difficulté titanesque que la quasi-totalité des humains ne pourraient finir dans les temps, mais là est la preuve, du moins pour les mecs moyens comme moi, qu’on fait cela pour se défier et se battre soi-même, et pas pour impressionner la galerie.

D’ailleurs, en plus d’être degueula***, on a une gueule défaite, des traces de morves sur le tour de cou, mal pas coiffé, les cernes marquées, une odeur particulière et un look mélangeant les couleurs improbables de divers équipements gagnés sur d’autres courses, alors preuve de plus que le but ici n’est pas d’être impressionnant.

La descente dans la petite vallée est hyper raide. En bas, il va y avoir la piste qui va mener sur le vide tripe.

En bas de la descente arrive un gars, petit et fin, sans bâtons, la cinquantaine. Il me double et court à une vitesse incroyable, tellement que je le vois disparaitre au loin en un rien de temps.

« Mais put*** mais c’est qui ce cono ? Il était où celui-ci pendant 40 bornes, il est partie en rampant ou quoi ? »

J’approche du départ du vide tripe et le vois arrêté, en train de parler aux bénévoles, qu’il a l’air de connaitre.

« Vas-y, tourne toi un peu que je vois ton dossard, sûr qu’il est pas rouge, t’es sur une autre course toi mon gars pour être aussi frais, c’est sûr »

Non, il est rouge.

« Ptin mais t’as bran** quoi toi sans dec, tu t’es pas levé à l’heure ou quoi ? »

J’attaque la montée. Je la connais, faut y aller doucement. Ca grimpe, mais grave, c’est raide, droit dans la pente. L’homme mystère est devant moi, il balance des vannes, puis il s’écarte et se pose contre un arbre.

Impossible de suivre le gars encore devant, il trace, mais je me retrouve avec une connaissance, celui qui regarde le paysage.

Lui, haletant : « C’est l’arrivée là-haut ou il y a le bénévole ? »

« Aucune idée »

Lui : « C’EST L’ARRIVEE LA HAUT LES GARS ?? »

Ils disent que oui, mais c’était une vanne, il restait bien 50 mètres derrière.

Ce n’est pas drôle.

« Mais ptain mais c’est des enfoir** ces bénévoles »

Je ne le pense pas, bien sûr.

Pour eux c’est rien 50 mètres. Pour toi après 40 bornes, et sur une pente à 40%, ce n’est pas tout à fait la même.

« Est-ce que le premier, le mec qui finit en moins de 7h, cet enc***, est-ce qu’il a couru sur le vide tripe ? Est-ce qu’il a souffert ? J’aimerai savoir s’il en a chi*. Que quelqu’un me dise qu’il en a chi*. Il en a chié c’est sûr. Je veux qu’il en ait chi*»

« J’arrête ce sport, c’est sûr, c’est de la mer** »

« Qu’est-ce que je peux être co* comme conna** pour faire un sport aussi co* »

« Je sens plus mes jambes, mais comment je peux continuer à avancer ? »

« Ptin j’ai une bouteille de Goudale chez moi »

« Il est quel heure ? Ptin je voudrais être chez moi à boire la Goudale »

« Ptin mais qu’est-ce que je fous là.. »

En haut du vide tripe, tu ne cours pas. Tu poses les mains sur les genoux, tu récupères.

Puis tu repars, car l’idée n’est jamais de jeter l’éponge. L’idée est de faire avec la souffrance, même si tu as 3000 D+ dans les jambes et que ton corps entier est raide. Mais malgré tout, tu te poses peu de questions, et tu cours.

Puis ça monte. Ce n’est pas trop raide, mais c’est tellement long.

Viens le checkpoint représentant la barrière horaire

« 40 minutes d’avance mon gars. 40, c’est que dalle, j’ai pas trainé pourtant. Si ? »

Je me pose sur le côté pour chercher un Kitkat dans la réserve au fond du sac, et mon collègue qui regarde le paysage s’arrête à côté de moi, s’écroule plutôt.

Lui : «Je suis raide, le vide tripe il m’a défoncé »

« Tu veux un Kitkat ? »

Et on partage un Kitkat, en plus de partager de la souffrance. Le sport le plus stylé de l’univers (#LGDLG) 

Lui : « On ne monte pas en haut du Pic ? »

« Il a raison ce cono, d’habitude, ici, on file droit vers le sommet, là on le contourne. Enorme nouvelle, tu vas t’éviter cette route en plein vent qui casse les jambes »

Bon, c’était moyennement un cadeau, car le chemin est plat, ou en faux plat, il faut donc courir. Et courir, je n’en ai pas vraiment envie, mais je me donne, j’ai mal partout et j’ai vraiment du mal à trouver des choses positives à me raconter, alors vient ici le ‘broyage de noir’ habituel, c’est-à-dire le fait de cracher à la gueu** de ta passion comme si c’était la pire chose existante.

« Mais pourquoi tu t’infliges ça ptin. Tu pourrais être tranquille chez toi »

« Non mais mec, c’est la der. C’est sûr cette fois, je ne ferai plus ça, ça sert à que dalle. J’irai sur des 20, ou 30 kilomètres maxi, mais fini ces saloper*** »

« Mais j’y pense, tu voulais faire un 120 en fin d’année ? Avec 6000 D+ ? Non mais c’est sûr à 100 %, je n’irai pas, c’est mort, le double par rapport à ici. Même pas en rêve cono, tu peux oublier »

« Merci, merci, merci, merci, je ne m’étais pas encore inscrit. Merciiii »

« Ouais je sais, tu te dis la même chose à chaque course quand tu en chi**, mais tu es de nouveau motivé le lendemain. Mais là non, c’est fini c’est sûr, je n’ai jamais été aussi lucide de toute ma vie entière. Je respire la lucidité. C’est fini»

Pas du tout en fait, il te suffit de quelques heures après la course et tu deviens nostalgique de ce moment.

 

Je sens la mauvaise surprise au fur et à mesure que je contourne le sommet.

Option 1 (la bonne surprise) : on rejoint Pradelles directement par cette piste large et roulante, ombragée, agréable.

Option 2 (la mauvaise nouvelle) : on rejoint d’abord le chemin habituel qui descend du sommet sur le tracé des autres années.

Ça ne rate pas : option 2

« Mais nooon ! Cette salop**** de chemin. Ptin je le déteste »

Ce chemin descend droit sur Pradelles et, quasiment jusqu’à l’entrée du village, il se compose d’un amas de caillasse instable, un enfer pour les pieds. Un des coins que je redoute le plus sur ce parcours.

Je serre les dents et continue à courir non-stop jusqu’au ravitaillement de Pradelles, je ne m’embête plus à réfléchir à une quelconque stratégie, et j’enchaine sur la montée, ‘the last’.

 

La fin

Dans mon petit groupe, il y a un dossard noir, coureur du 43 kilomètres.

« Mec, lâche pas, montre de quoi t’es capable, 20 kilomètres de plus que lui dans les dents, et capable pourtant de tenir son rythme. Lâche pas ptin »

C’est trois fois rien, mais c’est les petits riens qui motivent.

« Mais qu’est-ce qu’il a lui sur son sac »

« Ptin, mais c’est une puce de la diag ? 2024 en plus »

Ça, c’est le genre de détail qui me laisse admiratif.

« Le sommet est juste là. Ptin mais qu’est-ce que j’en ch**. Je suis au bout du rouleau mec »

« Et en plus y a du vent, D’ailleurs qu’est-ce qu’il fout à courir en kilt celui-ci. Y a peut-être un lot à gagner, c’est con j’aurai joué le jeu si j’avais su »

Cette portion de chemin est compliquée. Glissante est boueuse, jusqu’au portail de Nore.

Tout prêt du ravitaillement, je vois un groupe d’accompagnant qui attendent, moment choisi pour glisser et me ramasser.

« Et mer**. Ptin la honte. En plus je me suis niqué la cuisse »

« Bonjour ! », avec le sourire bien sûr, genre tout va bien, je suis frais.

« Oui, bonjour c’est ça, allez foutez-vous de ma gueule, bande d’enfoi*** »

Au portail de Nore, je n’ai pas faim, pas soif, j’ai envie d’en finir, et je ne réfléchis à rien. Je range les bâtons et je pars. Et là, je le sais, peu importe les douleurs ressenties, je dois tracer, je dois courir, sans m’arrêter, je dois doubler le plus possible et accélérer un max à la fin pour bien finir. Une épreuve de force.

« Hop-là, je passe »

« Merci »

« Allez, toi aussi. Héhé !! »

« Merci ! »

« Ptin toi tu cours sacrément vite. Allez je lâche rien, puis je suis sûr que tu m’entends arriver et que tu accélères exprès »

« Et bim, gagné, il se range. Allez, un de plus. Oui mon gars »

« Merci »

« Ptin j’ai mal sur le côté des deux genoux, ça ne m’arrive absolument jamais. Fait chi**. Mais oublie, frérot, oublie, court et te poses pas de questions. »

Arrive la route, je sais qu’il reste environ 2 kilomètres de descente en pente douce, sans aucune difficulté, si ce n’est le passage sous la route avant l’arche.

« Waou, 6, 7. Non, 8 coureurs devant, allez accélère vieille bique, on va se les payer »

Je jette un œil à ma montre, 5 minutes au kilomètre. Je suis dans le rouge, complètement, mais je gère, je tiens.

J’en double 7.

« Ptin mais elle est dure en affaire celle-ci, allez cono, accélère encore »

4 minutes 40 au kilomètre à la montre, le cardio est niquel, mais je ne sais pas comment les jambes peuvent courir encore.

Je la double, tranquillement, l’air de rien, et je vois qu’elle accélère encore, mais je suis devant.

« Et bim ma vieille, c’est moi le patron »

« Et allez, toi tu marches, un de plus »

Je passe sous la route, double encore deux personnes et arrive sur le tapis rouge, à l’entrée de  l’arche, et je ralenti légèrement pour savourer mon passage.

Et 1 mètre avant la ligne, je sens une présence, et je me fais doubler.

« Mais nooooon. C’est elle. Elle me grille. Fait chi** »

Robin est là, fidèle au poste, je ne sais pas exactement ce qu’il a fait depuis ce matin, mais il n’a pas baissé d’intensité.

Et il trouve même le moyen de me chambrer.

Lui : « Et ça arrive très, très vite ! Enfin sauf Nicolas qui arrive tranquille »

« Whaaaat !! J’ai descendu comme une balle, ça fait 2 kilomètres que je suis à moins de 5 minutes au kilomètre et toi tu trouves rien de mieux que de dire que je me traine. Enfoiiiii** »

Bon en réalité je lui tape un check avec la banane.

Je suis quand même au bout du rouleau.

« Qu’est-ce que j’ai mal au cul. Comment ça se fait que je m’en suis pas aperçu avant ? »

Les frottements, les irritations.

Le trajet retour assis, la douche après la course où tu checkes les blessures de guerre.

La base. Encore un argument en faveur du canapé. Mais finalement, peu importe les désagréments, et ils sont nombreux, la finalité est toujours la même.

« Qu’est-ce que j’étais bien en fait sur ces sentiers. Faut que je me fixe un autre objectif, plus long, plus difficile »

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