Récit de la course : Madeira Island Ultra Trail - 115 km 2024, par shef

L'auteur : shef

La course : Madeira Island Ultra Trail - 115 km

Date : 27/4/2024

Lieu : Funchal (Portugal)

Affichage : 259 vues

Distance : 115km

Objectif : Pas d'objectif

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Une course, un voyage

Celui-ci ça fait un moment que je l’ai dans le viseur. Probablement depuis 2016 en voyant les images de Zach Miller courant comme un demeuré dans les paysages sublimes de l’île Portugaise (et remplissant son sac de carrés de chocolat à la limite de l’explosion). L’an dernier j’avais déjà raté le coche, alors quand j’ai vu que les dates de l’édition 2024 tombaient à nouveau dans les vacances scolaires j’ai mis un rappel dans mon calendrier, et le jour de l’ouverture des inscriptions, j’étais devant mon clavier à l’heure H, chaud comme un coueur au festival de la chaussure. Bien m’en a pris parce que c’est le rush sur le site du MIUT, cette course devient vraiment très demandée. Le 115 est plein en moins de 24h (et ça part encore bien plus vite pour les distances plus courtes). Yan sera également de la partie avec sa famille.

Quelques mois plus tard, les bagages sont bouclés. Le départ de Nice est un peu chaotique, il y a un gros orage et notre avion est retardé de 2 heures, pile la durée de la connexion à Lisbonne. Petit stress, mais finalement nous arrivons juste au début de l’embarquement. L’atterrissage à Funchal se passe bien pour les conditions locales, du moins n’étant pas au hublot je ne remarque rien (il n’est pas rare de voir un avion tenter plusieurs approches, voire carrément retourner sur le continent, faute d’arriver à se poser à cause du vent violent, je vous invite à regarder quelques vidéos sur internet – de préférence après votre voyage). Nous arrivons à la location vers 1h du matin, et là, mauvaise surprise à l’ouverture des bagages : c’est trempé ! Ils sont manifestement restés sur le tarmac à Nice pendant l’orage, et tout sac étanche de marque qu’ils soient, ça a fini par rentrer… Le séjour commence donc par un étalage partout dans le petit appart pour faire sécher, on a vu mieux.

Au réveil, grand soleil, petit déj avec des bananes que le proprio a laissé, délicieuses (ainsi que du porto qu’il fait lui-même, mais on attendra le soir pour goûter, on n’est pas alcooliques à ce point). De manière générale les habitants de l’île sont très gentils et faciles à aborder. Nous visitons quelques villages, montagnes et vallées.

C’est très encaissé, la végétation luxuriante, la nourriture excellente (notamment les grillades et les plats à base de patate douce). Il y a de petits restos partout. La côte Nord est jolie et sauvage.

 

Le lendemain nous profitons d’une météo favorable pour monter aux Picos, très tôt (il y a déjà la foule). C’est vraiment le coin emblématique de l’île, ainsi que du MIUT. Je recommande de faire cette rando entre Pico de Areeiro et Pico Ruivo en dehors de la course pour vraiment profiter des paysages (il faut avoir un peu de chance avec les nuages, car le climat ici est très variable, et peut vitre être hostile). C’est aérien, raide, magnifique, le sentier est taillé dans la roche, quelques tunnels, échelles…

On découvre les fameuses marches, on va en emprunter jusqu’à plus soif les prochains jours, et encore plus pendant la course.

 

Le Jeudi, nous visitons quelques villages de la côte Sud, plus urbanisée, moins sauvage, il y a plusieurs ports, un marché de pêcheurs… On prend quelques heures sur la plage comme promis à la petite. L’eau n’est pas très froide.

 

On monte ensuite sur les hauteurs pour une petite balade dans la forêt de Fanal, un lieu magique et poétique, empreint d’une atmosphère très particulière entre brouillard et soleil. On s’imagine perdu dans le temps au milieu de ces lauriers multi-centenaires et on s’attend à voir apparaître l’une ou l’autre créature imaginaire. La course y passe en pleine nuit, l’ambiance sera toute autre.

 

On récupère en fin d’après-midi les dossards à Machico, puis petit resto avec les 2 familles. Vendredi, mini-visite, farniente, préparation des sacs… Toute la semaine le temps est plutôt beau, la météo annonce quand même pas mal de pluie la nuit de la course, mais tous les sites ne sont pas alignés. Je reste optimiste et me dit qu’on devrait passer entre les gouttes. Au moment de boucler le sac je délaisse le pantalon imperméable mais j’embarque tout de même un coupe-vent sans manches très léger pour affronter le vent froid sur les hauteurs. J’ai fait un roadbook en 20h pour que la famille puisse me retrouver ici et là, mais on ne prévoit rien de fixe, notamment pour toute la partie Nord de l’île, car la circulation n’y est pas simple (les routes sont belles, mais très raides, ça tourne énormément, la moyenne s’en ressent). Le soir c’est le départ en bus de Machico pour rejoindre le départ à Porto Moniz, au Nord-Ouest de l’île.

 

Le départ est donné à minuit avec la grosse sono, sous le vent, mais au sec. Comme d’habitude, on se souhaite bonne course avec Yan, puis chacun fera sa route.

Ça part plutôt vite, surtout dans le premier petit col. J’ai suivi le mouvement car je sais que la descente, avec beaucoup de petites marches pavées rondes pas très faciles à courir, occasionne régulièrement des bouchons. Il fait chaud et je transpire déjà bien. En bas on emprunte un morceau de la route du bord de mer. Tous les suiveurs qui étaient au départ y sont massés dans une ambiance complètement dingue avec high fives, cloches et vuvuzelas.

Après ce petit amuse-bouche, on entame la première grosse montée. Escaliers, marches, rondins… On quitte petit à petit la côte, par des escaliers, sentiers pavés, tunnels de végétations... La pluie fait son apparition, puis le vent et le brouillard quand on débarque sur le plateau de Fanal. On ne verra rien de « la forêt enchantée ». Le balisage tous les 10 mètres est finalement bien utile. J’ai enfilé le coupe-vent et ne tarde pas à ajouter la veste de pluie. Le ravito de Fanal est juste là, et ça va être stratégique, hors de question d’y passer plus de 3 minutes. Remplissage express des flasques, j’embarque de quoi manger, prend un bouillon et repars sous la pluie et le vent.


(Photo copyrightee de l'organisation)

 

La descente qui suit est raide avec beaucoup de marches, de blocs, ça va plutôt bien et on arrive assez vite au ravito de Chão da Ribeira, en fond de vallée. La pluie s’est arrêtée. Confiant, je range la veste. La montée suivante est à nouveau un beau morceau. La pluie refait rapidement son apparition, et c’est chacun dans sa bulle, le dos rond pendant 2 heures. L’arrivée au ravito d’Estanquinhos est vraiment dantesque, dans la nuit, le froid, le brouillard qui revient. Des coureurs sont agglutinés autour d’un brasero comme des papillons de nuit après une lumière. Encore une fois, ne pas laisser au cerveau le temps de se poser de question, ne pas traîner. A la sortie du ravito, c’est démentiel. Il y a un tel brouillard que je ne vois même pas mes pieds. On en est réduits à aller de fanion en fanion le long d’une grande piste forestière, en posant les pieds au hasard. Je n’ai jamais connu pareilles conditions. Heureusement le peloton est plutôt dense sur cette course et on n’est jamais seul longtemps, ça aide à supporter ce genre de passage. On progresse ensuite dans la forêt. Il pleut encore beaucoup mais au moins on y voit. Les sentiers sont vraiment joueurs et plaisants, même s’il faut faire attention à la boue et aux flaques qui cachent parfois un peu le terrain. Un coureur devant moi en fait les frais et s’étale dans la gadoue, il pousse ensuite de gros jurons en letton (je crois avoir vu sur son dossard) ce qui nous fait un peu rigoler avec les autres coureurs présents (pas bien de se moquer !).

Il y a ensuite pas mal de bornes de descente, remontées, traversées le long de levadas (cours d’eau à flanc de montagne servant à l’irrigation, l’île est célèbre pour ça également, ainsi que la course), dans des forêts d’eucalyptus géants. Le jour se lève, il ne pleut plus mais le ciel reste « triste ». Je ne suis pas super frileux, mais j’ai encore les manchettes, le coupe-vent et le buff autour du cou.

Le ravito d’Encumeada est dans une sorte de grand restaurant, il y a pas mal de plats chauds, c’est l’occasion de faire un premier bon plein. Après, c’est la montée terrible le long de la conduite d’eau, qui ne me semble pas si terrible, en fait nettement moins que les quelques bornes sur de la piste forestière un peu ennuyeuse. On la quitte par un très joli sentier empierré qui monte plutôt tranquillement. Le soleil montre le bout de son nez, les paysages somptueux se dévoilent enfin !

Le premier du 85km me double par ici. Puis c’est le reste de la tête de course qui me déboite à fond la caisse dans la descente vers la base de vie, sur un sentier raide et difficile, de petites marches arrondies où le pied ne trouve pas bien sa place. Je sens une douleur se déclarer sur les tendons derrière le genou droit, c’est nouveau, et il va falloir gérer.

L’accès à la base de vie est un petit vice, car c’est en aller-retour en montant au village de Curral das Freiras. On croise les coureurs qui sont en avance, on s’encourage, c’est plutôt sympa, même si certains tirent clairement la tronche 😀

La base vie est très confortable, beaucoup de place, c’est tranquille. Petit bémol il faut un peu marcher pour aller chercher les plats chauds. Je prends et envoie quelques nouvelles («  C'était chaud ce matin on voyait même pas où on posait les pieds. Douleurs derrière le genou gauche, on va gérer. Le reste est à peu près ok »). Je me change intégralement, y compris les chaussures, plus légères pour la fin de parcours bien plus roulante. Que ça fait du bien d’être au sec ! Je nettoie la boue de mes jambes avec le gant. Comme un traileur neuf.

La portion suivante nous mène au Pico Ruivo, c’est le plus gros morceau de la course, quasi 3h de montée. J’ai le droit à une averse dès la sortie du ravito, je ne serai pas resté sec bien longtemps. Cette fois c’est mon tour d’encourager les coureurs qui montent à la base-vie. Le début de la montée se fait dans la forêt d’eucalyptus. Je rame un peu, je me cale à un rythme régulier mais pas flamboyant. On entend des bénévoles encourager bruyament, loin, haut (à la louche, 500 ou 600m plus haut). On quitte les bois pour une longue portion de sentiers empierrés, le brouillard revient. Au col, enfin, les bénévoles qui se réchauffent comme ils peuvent, il en faut du courage pour rester sur place comme ça. Nous récupérons aussi les concurrents du 60km, ça commence à faire du monde. Et la montée continue. Le refuge de Pico Ruivo est bien long à arriver, la pente n’est pas toujours très forte, mais je n’ai pas la force pour courir les montées, les conditions météos m’ont bien affaibli. Il fait toujours mauvais, pluie, brouillard, froid, vent.

Lorsque j’arrive au refuge, celui-ci est bondé, il doit y faire plus de 25 degrés avec une humidité de 100%, dehors on doit être vers 5°… Le piège à traileur dans version « manuel scolaire ». Je décide de zapper, j’ai assez à manger, je fais juste le plein des flasques dehors. La suite, je la connais, on l’a fait en rando avec la famille, sous le soleil. Je sais donc que rejoindre le Pico de Areeiro n’est pas si long. Quel dommage de faire cette portion si emblématique de la course dans les nuages, la pluie, le vent.

Les derniers passages aériens juste avant le radar sont particulièrement impressionnants, on a dirait que les rochers sont en lévitation (ce qui n’est pas mon cas). Je me souviens d’un photographe dans les dernières marches, enfoui sous un gros poncho, dont on voyait seulement l’objectif dépasser. A partir de là, il ne reste quasiment plus de montée. Le genou commence à vraiment me handicaper pour descendre les marches (et mine de rien, il y en a encore un paquet), j’ai du mal à avoir une foulée bien droite. On perd un peu d’altitude, la pluie cesse et je peux enfin enlever la veste (pour un temps), même s’il il fait encore frais. Au ravito de Chão da Lagoa, je retrouve Clémence et Léna pour la première fois, ça fait du bien de discuter un peu. Ici nous rejoignent les concurrents de la 4ème course : le 42km. Il commence à y avoir des dossards de toutes les couleurs, et pas mal de monde, sans que ce soit la cohue.

Je m’élance ensuite pour une longue section de descente de 11 bornes où l’on va passer par des sentiers boueux au milieu d’une végétation impénétrable, longer quelques levadas, cheminer entre les eucalyptus, descendre un grand nombre de marches malcommodes, jusqu’au stop suivant à Portela où je croise à nouveau la famille rapidement. Le genou est toujours plutôt handicapant mais je compose avec. La descente jusqu’au niveau de l’océan est assez technique et la vitesse s’en ressent, il me faut 1h pour rejoindre Porto Da Cruz à 7km, où je fais un ravito ultra-express et manque de louper Clémence et Léna à la sortie. La famille de Yan est également là (la course passe au pied de leur logement). On court un peu ensemble le long de la plage puis je file, le couteau entre les dents pour terminer avant la nuit. Le dernier morceau n’est pas le plus facile : on commence par une montée sèche, du moins raide, où je prends encore une belle averse, la dernière. Puis on rejoint un sentier à flanc très légèrement montant, je sais qu’il dure 5 bornes, que ça va être long, mais je cours l’intégralité, en doublant régulièrement des concurrents de toutes courses. La vue est magnifique, on surplombe la côte Nord, on entend les vagues s’écraser dans un tonnerre, loin en bas. Je perds la tétine d’une de mes flasques, que je regarde disparaître en contre-bas. Impensable de la récupérer ici. Il faudra finir avec l’autre seulement. On passe ensuite un col et la pente s’inverse. Il reste encore 5 kilomètres de levada pour passer de la côte Nord à la côte Sud, avant la descente finale au bout du vallon, au-dessus de l’océan. On voit la ville en bas, mais jamais on ne descend. Il fallait avoir repéré ces derniers 15 km sur la carte (ou dans les récits) pour savoir à quoi s’attendre et ne pas se démobiliser. J’ai bon rythme ici, et ça sent l’arrivée. La dernière pente est vite avalée, le port est là, Clémence et Léna sont sur la ligne et je passe l’arche d’arrivée à Machico en 19h19, plutôt content !

 

Nous ne traînons pas dans la zone car la nuit commence à tomber. On rentre vite, je prends une douche chaude et me jette sous la couette en grelottant pendant un quart d’heure. Les conditions météo ont été dures, je le savais en allant courir sur une île dans l’Atlantique, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit si rude, et je me félicite d’avoir pris le coupe-vent en plus. Le pantalon étanche ne m’a pas manqué, mais il ne fallait pas rester longtemps statique aux ravitos dans les hauteurs.

Yan arrivera dans la nuit.

 

Le dimanche, visite de la rhumerie du coin, puis superbe rando à l’Est de l’île vers São Lourenço, et le soir gros resto pour fêter nos courses (Calhau de São Jorge, je recommande particulièrement leurs viandes fumées). En sortant du resto, pneu crevé, il est 22h et notre avion décolle à 2h… Le proprio du gîte me prête un compresseur pour regonfler suffisamment pour rejoindre l’aéroport, mais il était prêt à nous y emmener en pleine nuit. Quand je vous dis que les locaux sont sympas…

Que ramener dans ma malle à souvenirs de ces vacances en famille ? La course, bien sûr, qui se mérite, mais aussi et surtout cette île magnifique, à la végétation luxuriante, aux paysages sauvages, escarpés, variés, les routes tortueuses, les habitants tellement accueillants. Un endroit à voir.

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