L'auteur : dg2
La course : Marathon de Sénart
Date : 1/5/2014
Lieu : Tigery (Essonne)
Affichage : 2030 vues
Distance : 42.195km
Matos : RAS au début, pas mal d'ampoules à la fin
Objectif : Faire un temps
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Un mois après un Eco Trail encourageant, j'ai eu envie de voir si je pouvais être aussi content de moi sur du plat. Après consultation des courses pas trop loin de Paris, mon choix se porte rapidement sur le marathon de Sénart. Pas loin, pas cher (36 euros si inscription avant le premier avril), et plutôt plat.
Histoire de me motiver, je réfléchis à quels objectifs je peux viser. J'en vois trois, à savoir, par ordre d'ambition croissante : battre mon record, faire plus que 10 km/h, et faire moins de 4h. Le premier est a priori déjà atteint sans courir : avec un record personnel en 4h19 établi lors du marathon de Cernay la Ville avec 345 m de D+, la chose devrait être une formalité sur ce marathon où, nous promet-on, "il est difficile de faire plus plat" (mais nous y reviendrons). Le second reste raisonnable : 10 km/h, cela fait dans les 4h13'10", soit dans les six minutes de moins que mon, hum, record de janvier. Largement faisable. Reste le "vrai" objectif : passer la barrière des quatre heures. Les sentiments sont mitigés : je n'ai jamais fait de semi officiel, et mes semis d'entraînement (en général à jeun et sans ravitaillement) me mettent un record à... 1h59'58". Il n'y a qu'à faire ça deux fois, et c'est dans la poche. Ou pas, hein. D'un autre côté, mes 5h17 à l'Eco Trail de Paris valent, me dit un site spécialisé, entre 3h39 et... 3h19 sur plat (!!!). J'ai du mal à y croire, car je sais d'expérience que mon entraînement est plus de type trail que route, et surtout que ma VMA stagne, faute d'entraînement en fractionné suffisant, à 4'15" au kilomètre. Or ledit site spécialisé qui me promet des performances météoritiques sur le plat, estime que mon niveau en trail équivaut à une VMA de 16,5 km/h, soit un record de 3'38 au kilomètre. Si je me base plus sagement sur une règle de trois de temps probable du site x VMA vraie / VMA estimée, je trouve 4h03'18", ce qui correspond à suivre le meneur d'allure sur le premier semi, et perdre 3'18 sur les 21 km suivants. Avec deux marathons s'étant soldés par des "positive splits" de 24 puis 13 minutes, ce serait déjà un petit exploit. Mais bien sûr, dans les jours qui précèdent, je me prends à croire que je pourrai vraiment valoir 3h40 au marathon. Et si je partais avec le meneur d'allure des 3h45 ? Cruelle tentation. Je prie pour que le jour de la course, je me montre plus réaliste.
Le marathon arrive seulement 33 jours après l'Eco Trail. Impossible donc de faire une préparation spécifique sérieuse, même si je récupère assez vite du trail, quoique avec ce qui me semble être un début de périostite. Les contraintes du boulot m'empêchent de courir la deuxième semaine d'avril, mais j'essaie de me rattraper pendant les vacances de Pâques, avec 85 km en une semaine, puis (et ce n'est pas malin), une sortie longue sur les traces de ma toute première sortie longue à 30 km de l'été dernier. Résultat : amélioration de plus de quinze minutes du temps, mais échec à passer au-dessus des 10 km/h. Et surtout, ladite sortie longue, où je force quand même un peu pour faire une vraie amélioration par rapport l'an dernier, a lieu le vendredi qui précède la course, soit six jours avant celle-ci seulement. Pas bien malin tout ça. Le retard au travail pris du fait des congés rend les quelques jours qui précèdent le 1er mai assez chargés, avec des nuits inutilement courtes. C'est donc dans un état de forme sans doute moins bon qu'à l'Eco Trail qu'arrive la course.
Lever vers 6h, collation copieuse (car je n'ai pas idée de quelle quantité utile manger), et départ tranquille pour Sénart un peu avant 7 heures. Dehors, c'est le grand bleu, mais je sais que c'est une illusion : la course se fera au mieux sous les nuages, au pire sous la pluie, avec probabilité de précipitation de 50% pendant les quatre heures de course (et 100% au-delà : pas intérêt à lambiner si on veut rester au sec !). Pas de soucis de circulation pour se rendre au village arrivé de Combs-la-Ville, du moins jusqu'à l'entrée de l'agglomération, où les agents de la circulation ont fort à faire avec les nombreuses voitures de coureurs (1600 inscrits environ pour le marathon, plus 2000 pour le 10 km dont le départ sera donné une demi heure avant. En observant les voitures, j'en vois certains qui sont assez nerveux de voir l'heure tourner, mais je reste zen : il s'agit probablement de concurrents au 10 km qui, sans risquer d'être en retard, n'auront sans doute pas beaucoup de temps pour s'échauffer ou faire une pause pipi. Arrivé au village arrivée, au niveau du stade Alain Mimoun (nom fort approprié), les bénévoles nous font nous garer avec une grande efficacité sur les terrains de sport adjacents. Direction ensuite les bus mis à disposition de la ville pour se rendre au village départ, dans la commune voisine de Tigéry. Le village départ est un peu exigu pour 3600 coureurs, mais cela s'améliore une fois les gens du 10 km partis. Aucun problème pour le retrait des dossards, fort bien organisé, mais j'arrive un peu tard pour éviter la pénurie de tee-shirts techniques à ma taille. Je suis content de mon timing : le temps n'est pas si chaud que ça, et je suis arrivé suffisamment tôt pour ne pas stressé et suffisamment tard pour ne pas trop attendre.
L'aire de départ, un peu peuplée tant que le 10 km n'est pas parti.
Même endroit, un quart d'heure plus tard. On se marche moins sur les pieds.
En attendant le départ, je prends le temps de regarder tout ce petit monde. Il y a quelques déguisés, deux lapines et un lapins, ainsi qu'un impressionnant légionnaire qui en plus de son accoutrement porte un énorme drapeau français. Je le reconnais, il était à Cernay la Ville quatre mois plus tôt. Je l'avais vu lors du premier kilomètre, à l'issue duquel, il était parti comme un fou et j'avais été surpris (et, disons le, très heureux) de le rattraper à l'amorce du dernier kilomètre alors que les 345 mètres de dénivelés avaient achevé de lui faire payer le poids de son déguisement. Mon petit doigt me dit que cette fois-ci, avec le profil annoncé, il ne craquera pas, et je ne le verrai pas longtemps.
A 9h15, je viens déposer mon sac, et quelques photos plus tard, je me dirige vers les sas de départ, qui vont de moins de 3h00 à plus de 4h30, avec sept meneurs d'allure (tout les quarts d'heure, de 3h00 à 4h30). Bon, c'est l'heure du choix : 4h00 ou... 3h45 ? J'avais eu peur les jours précédents d'être inutilement tenté par le second, mais je ne craque pas : direction les 4 heures. Un petit coup d'œil au meneur d'allure : jeune, grand, fort, sympathique. Quelqu'un lui demande sa meilleure perf : 2h44. "Ca doit être facile pour vous, de faire un 4h00, alors ?" demande quelqu'un. "Pas tant que ça", répond-il. "C'est moins fatiguant d'aller un peu plus vite afin de courir moins longtemps", répond-il sans fausse modestie. "J'aurais préféré faire l'allure de 3h30". Problème de riche... Un V2 lui annonce fièrement faire son 47ème marathon, ce à quoi il répond que lui fête son cinquantième, alors qu'il a manifestement largement moins de trente ans. Ça calme un peu.
En attendant le départ.
Le départ est donné à 9h29 pour les fauteuils, et 9h30 pour le reste de la meute. L'arche de départ est assez large, et cela ne bouchonne pas trop. Je la passe avec sans doute une petite minute de retard sur les morts de faim de devant.
La population qui m'entoure est assez hétéroclite, partagée entre ceux qui sont là pour faire un temps grâce au meneur d'allure et ceux qui sont plus là en mode détente. Je mets un petit kilomètre pour rattraper le meneur d'allure qui a slalomé avec agilité entre les concurrents devant lui. Je m'étonne de la rapidité de son départ, mais j'en comprendrai le pourquoi plus tard. De mon côté, ce départ fait avec zéro échauffement préalable est un peu rude : mon premier kilomètre, qui sera le plus rapide de la course, me paraîtra bien long sur l'instant. Mais je sais que cela va se calmer une fois que le meneur d'allure passera en pilote automatique à 5'41" au kilomètre.
Un mot sur le parcours. Il forme une sorte de "U" allongé, avec un départ depuis Tigéry, puis une vingtaine de kilomètres globalement vers le sud (ou plutôt sud est), puis demi tour et remontée vers le nord (ou nord ouest) en direction de Combs-la-Ville, quelques kilomètres à l'est de Tigéry. Au vu des vents dominants dans la région, celui-ci ne devrait pas poser de problème sur le premier semi, mais c'est moins clair pour le second. Heureusement, le vent, annoncé à 15 ou 20 km/h au maximum, sera assez calme, et c'est tant mieux car une partie substantielle du parcours se déroule en rase campagne, avec zéro abri pour se protéger du soleil (qui ne sera pas de la partie aujourd'hui) ou du vent. Les organisateurs ont du reste eu la bonne idée de mettre en plus du parcours la vidéo (en accéléré) de la voiture ouvreuse d'une des éditions précédentes, ce qui me permet d'avoir une bonne appréhension du parcours. Je note ces longues et usantes lignes droites, par exemple entre les km 4 et 6 (avec vent dans le dos), puis 8 et 10, et surtout trois kilomètres bien droits au retour (24-27), immédiatement suivi de deux kilomètres identiques après un tournant (27-29), suivi juste après de deux tronçons de 3 puis deux kilomètres. Je sais que mon temps final va en grande partie se jouer dans ces quatre lignes droites du retour, et qu'il faudra éviter de se laisser user à ce moment là.
Le plan du parcours, fourni par l'organisation. Version Googgle Maps ici.
Les quatre premiers kilomètres se passent sans trop de problème, mais sont plus durs que ce que j'imaginais. Je comprendrai une fois chez moi que la raison en est très simple : le parcours n'est certes pas très pentu, mais quand même moins plat qu'annoncé, et les quatre premiers kilomètres sont sur un faux plat montant. J'ai le temps de remarquer un étrange bâtiment industriel, surmonté d'une haute tour au sommet de laquelle se trouve une petite coupole astronomique. Je le reconnais : c'est le bâtiment de l'entreprise REOSC, que j'avais visité il y a 18 ans quand y étaient polis les immenses miroirs du Very Large Telescope, installé dans le désert chilien.
Comparaison du profil donné par l'organisation (en haut), avec ma trace GPS (en bas). Manifestement, ils ont oublié quelques bosses !
Il y a, à ce moment là, beaucoup de monde autour du meneur d'allure, et pour moi qui ai l'habitude de courir seul, ce n'est pas très agréable. J'essaie de me placer derrière, mais je suis soit dans les pattes d'autres concurrents, soit un peu trop loin pour être à l'aise dans sa foulée. Sur le côté, la largeur variable de la chaussé oblige à zigzaguer ou changer de rythme. Je décide donc de rester devant, en me basant sur sa voix pour garder le contact. Je commets à ce moment là l'erreur de me laisser griser par mon état de forme du moment, et me mets à courir à la sensation plus qu'à l'allure prévue. Résultat, je tourne plutôt à 5'35" au kilomètre, et m'éloigne lentement mais sûrement du meneur d'allure. Et bien sûr, les groupes devant moins sont moins réguliers, et je ne trouve personne sur le rythme duquel me caler. J'essaie un temps de me mettre dans un groupe de gens portant des tee-shirts Renault, mais ils sont plus occupés à causer à une certaine Lola (c'est écrit en gros sur son tee-shirt) qu'à courir à une rythme régulier. Pas loin, j'avise un autre groupe dont un des membres fait office de photo reporter et court en fractionné 800-200m, afin devancer tout le monde et avoir le temps de se poser pour prendre les autres en photo, puis repartir quand le reste du groupe est passé. Bof. Mais je ne tiens pas non plus à ne pas me retrouver seul car je n'ai aucune envie d'être isolé dans les grandes lignes droites du retour, surtout s'il y a du vent.
En tout état de cause, les premiers kilomètres se passent sans anicroche. Les ravitaillements sont présents tous les 5 km, et entre eux, il y a des stands d'épongeage, où l'on distribue aussi de l'eau. Je peux donc boire à peu près tous les quarts d'heure, ce que je fais très consciencieusement, tant je garde un mauvais souvenir d'une gorge très desséchée au-delà du trentième km lors de mes deux premières tentatives. Vers le neuvième ou dixième kilomètre, je trouve enfin un groupe qui me convient. Trois ou quatre (je ne sais pas, ils sont en fait juste derrière moi) coureurs portant une tenue estampillée "Les ajités" courent sur un rythme très régulier. L'ambiance est détendue, voire rigolarde, mais manifestement, il sont venus là pour faire moins de quatre heures. Apparemment, ils ont prévu de passer au semi avec une grosse minute d'avance sur le vrai meneur d'allure, afin de s'autoriser un petit coup de mou dans la deuxième partie ce qui risque aussi de m'arriver : c'est exactement le genre de compagnons qu'il me faut.
Dès le second ravitaillement, je remarque que, comme je ne m'arrête pas vraiment en buvant, je double pas mal de monde qui sont à l'arrêt mais me redoublent un fois repartis. C'est un peu déstabilisant de voir tant de monde me passer dans les deux kilomètres qui suivent les ravitaillements, mais je me base sur l'allure de ma montre pour me rassurer quant à la régularité de mon rythme. Et mes ajités de compagnons procédant à peu près comme moi, cela me va très bien.
Vers le quatorzième kilomètre, alors que nous quittons Savigny-le-Temple et entrons dans la commune de Nandy, nous empruntons une portion à double sens pendant un kilomètre. J'entre dans cette portion quand le meneur d'allure des 3h30 la quitte en arrivant en face. Je suis scotché par le rythme des gens qui l'accompagnent : c'est un autre monde ! Je remarque aussi que les gens qui accompagnent ce meneur d'allure ont un visage globalement serein, alors que ceux, plus isolés, qui suivent quelques hectomètres plus loin sont beaucoup plus grimaçants. Je refais la même constatation quelques petites minutes plus tard quand nous croisons le meneur de 3h45. Manifestement, c'est moins stressant d'être au chaud dans sa foulée que se retrouver plus isolé. Je me dis que j'ai sous doute eu tort de m'échapper de ce cocon manifestement plus sécurisant, et envisage de ralentir pour l'attendre, mais il y a des choses que je n'ai pas encore la sagesse de me forcer à faire... Je garde donc mon allure. Nous faisons demi tour autour d'un pâté de maison et croisons en sens inverse les meneurs d'allure des 4h15 et 4h30, à peu près exactement là où j'avais croisé ceux de 3h45 et 3h30 : manifestement, le meneur d'allure des 4h ne doit vraiment pas être loin de moi. Je pourrais, je devrais l'attendre, mais l'ambiance plus joyeuse des ajités me plaît bien. Tant pis...
Après Nandy, nous restons en milieu urbain, avec retour à Savigny-le-Temple, puis Cesson, puis un autre village dont j'ai oublié le nom. Il y a un peu de monde et régulièrement des animations musicales dont on n'a pas le temps de profiter mais qui restent éphémèrement agréables. Mention spéciale à un groupe de percussionnistes en toute fin de parcours, au nom fort à propos de "Cassée, l'oreille".
Le semi arrive au bout de 1h59'30", temps officiel, donc sans doute une minute de moins. Je me félicite intérieurement : je viens de battre mon record sur la distance, mais je sais aussi que lors de mon premier marathon j'avais commencé à faiblir à peu près à ce moment là. Cela n'arrivera pas cette fois-ci, mais je ne suis, déjà à ce moment là, pas du tout certain d'avoir assez d'essence pour aller au bout à ce rythme. Je fais le pari de rester le plus longtemps possible à cette allure : tant qu'à faire, autant viser le fameux "negative split", même si je suis sans doute trop inexpérimenté pour que la chose soit raisonnable.
Autre particularité de ce marathon : l'accompagnement à vélo est autorisé, et manifestement plusieurs binômes en profitent pour un entraînement grandeur nature en vue d'un 100 km. Mention spéciale à un binôme mère-fils (elle à pied et lui à vélo) qui est en parfaite symbiose, en préparation de Millau.
Le passage après le semi est agrémenté d'une micro côte (un pont sur la N6) qui commence à faire des dégâts chez ceux qui sont partis un peu vite. Cela m'arrivera peut-être, mais pas maintenant, et j'avoue apprécier de commencer à rattraper et doubler sans coup férir ces anonymes en difficulté.
Les ajités quant-à eux n'en ratent pas une, en complimentant les spectatrices au physique avantageux quand ils en croisent. À un moment, l'un d'eux sort une remarque qui sent le vécu : "Si tu t'arrêtes pour draguer une spectatrice sans remarquer qu'il y a un mec à côté, c'est que tu es en train de perdre ta lucidité". Courir un marathon ne présente manifestement pas les mêmes risques pour tout le monde !
Après quelques kilomètres direction nord est, nous bifurquons sur la gauche à l'approche de l'autoroute A5. Commence la première longue ligne droite du parcours retour. Les ajités, qui ont déjà fait la course, sont dans le même état d'esprit que moi : ils savent que c'est désagréable et qu'il faut veiller à ne pas se désunir. Mais beaucoup autour de nous ont plus de mal et nous doublons pas mal. La ligne droite fait d'autant plus de dégâts qu'elle est en faux plat montant et terminé par une montée que je n'avais pas remarquée dans mon repérage virtuel, mais que l'on repère à deux kilomètres de distance, ce qui doit faire mal au moral de ceux qui sont déjà en difficulté. La seconde ligne droite, mois rectiligne que la précédente, est essentiellement plate, mais fait encore des dégâts, et tout le monde est bien silencieux, concentré sur son effort. "Pour des ajités, je trouve que vous n'êtes pas très agités", se moque gentiment un des accompagnateurs cyclistes auprès de mes compagnons du moment. Lesdits ajités, piqués au vif d'être pris en flagrant délit de silence, donnent le change, mais pas bien longtemps. Nous approchons le trentième kilomètre, et la course commence vraiment à ce moment là. À l'approche de Moissy, nous reprenons un coureur en difficulté accompagné d'un cycliste qui encourage son binôme "Cale toi sur les ajités", ce à quoi ils répondent "Non, plutôt sur l'Eco Trail, on le suit depuis 20 kilomètres. "L'Eco Trail", c'est moi : ayant oublié mon tee-shirt technique à la maison, j'ai pris celui de finisher de l'Eco Trail, fortuitement oublié au fond de mon sac. Je me tourne (quasiment pour la première fois) vers mes compagnons, leur expliquant que je ne suis pas à l'aise sur le plat, façon de dire que je risque de finir par craquer. "Prend tous les dos d'âne, ça te fera un peu de dénivelé". Why not, mais je sens que j'ai surtout intérêt à m'économiser.
Le trentième kilomètre est franchi au bout de 2h48. On est toujours en avance sur le plan de marche des quatre heures, mais pas de beaucoup. Tout le monde parmi mes compagnons sent que cela va être difficile, moi le premier. Du reste, en sortie de Moissy, mon allure passe pour la première fois au-dessus de 5'50" au kilomètre. Je relance régulièrement, mais je sens que garde le rythme moyen de 5'40"au kilomètre devient difficile. Une ligne droite plus loin, nous entrons dans Lieusaint, qui ne va pas être source de sérénité. L'entrée du bourg est agrémentée de pavés que j'enrage de ne pas avoir vu sur la vidéo de reconnaissance. Les pavés sont récents, ils ne sont pas trop irréguliers, mais rendus glissants par les quelques gouttes qui se sont mises à tomber depuis quelques kilomètres. Cela me déconcentre un peu, mais je suis surtout préoccupé par le fait que je ne vois pas qu'il y a parfois moyen d'éviter les pavés en passant par les trottoirs. À partir de ce moment, je ne vais plus gérer, mais subir le terrain (pourtant pas bien hostile), signe que la fatigue va en croissant. Les ajités me rattrapent, me doublent et s'éloignent bien, bien vite. Cher ajités que je ne connais pas, merci pour votre agréable compagnie, qui m'a bien aidé pendant ces deux heures.
Au ravitaillement du 35e kilomètre, j'ai mal au ventre et ne m'alimente pas. J'aurais dû essayer, par exemple en prenant du salé. J'entends pour la première fois un spectateur parler de l'oriflamme du meneur d'allure des 4 heures : je ne sais pas où il est exactement, mais il se rapproche. Aïe ! À la sortie du bourg, il y a une petite rampe. Inconsciemment, je me mets à accélérer, en arrivant en haut à 5' au kilomètre (ce qui est franchement idiot). En haut, j'entends une voix qui me semble familière : "Allez, maintenant on reprend le rythme". Le meneur d'allure ne m'a quand même pas rattrapé à ce moment là ?!
Par bonheur, non. Cette voix, c'est celle d'un coureur qui vaut largement moins de quatre heures, et qui sert gentiment de lièvre à un ami à qui il essaie de faire passer la barrière symbolique. Nous courons plus ou moins ensemble depuis une heure. Le gars connaît surtout très bien le parcours, et peu à peu passe du statut de lièvre à celui de harangueur. Il prodigue des encouragements à son compagnon... et à moi par la même occasion, car ledit compagnon a commencé à être dans le dur à peu près en même temps que moi. "Allez, on passe sous la Francilienne, ça sent l'écurie et après c'est que de la descente", dit-il à son compère. La première partie de sa phrase est vraie, mais pas la seconde : les trois kilomètres qui viennent sont en fait en faux-plat (très) légèrement montant. Cela me fatigue rien que d'y penser.
Au passage sous ladite francilienne, j'entends la voix du meneur. Pas de doute cette fois-ci, il est bien là. Plus prévenant qu'au départ, il encourage les quelques coureurs qui restent encore autour de lui. Peu après le départ, je me souviens d'avoir entendu un spectateur dire, en montrant le troupeau qui l'accompagnait "Là ils sont cinquante, mais tu verras à l'arrivée, ils ne seront plus que deux ou trois". Si on excepte que la chose est arrivée 7 kilomètres plus tôt, la prévision était juste ! J'échange un bref regard avec le meneur : il semble un peu désolé pour moi de me rattraper, et je sais que cela va être difficile de m'accrocher, d'autant que le bitume de la route a laissé la place à un revêtement légèrement glissant qui sape un peu plus vite encore les réserves qui me restent. Nous passons entre une forêt (à gauche) et une zone industrielle (à droite). Ce n'est pas très joli et je suis fatigué. Est-ce pour me réconforter, mais c'est à ce moment là que le meneur précise "Je cale mon allure sur le temps officiel. On arrivera à 4 heures pile, mais si vous étiez avec moi au départ, ce sera 3h58 ou 3h59 en temps réel." Pas sûr que cela suffise. En peu plus loin, nous voyons les secours penchés sur un coureur allongé, manifestement blessé à la jambe gauche. "Ne regardez pas à gauche, profitez plutôt de ce beau ciel bleu" nous dit le meneur. Le ciel est bien gris, mais tout le monde à compris.
À l'entrée dans Combs-la-Ville, vers le km 37, il y a le dernier épongeage et un ravitaillement en eau dans un virage à droite. "On ne s'arrête pas !" crie le meneur. Je n'ai pas soif, mais de façon automatique, je vais sur l'extérieur saisir un gobelet. C'est idiot. Ce n'est pas boire, dont j'ai besoin, mais manger. En plus, j'en renverse les trois quarts et aspire ce qu'il reste par le nez, puis cherche du regard la poubelle. Le meneur prend deux mètres d'avance. Je jette mon verre. Trois mètres. Je relance. Cinq mètres. Ça y est, c'est fini. Ç'aurait été fini même sans prendre le gobelet, bien sûr, mais c'était franchement idiot d'en prendre un. Ne pas perdre plus de dix seconde par kilomètre, soit trois mètres tous les cent mètres. Je n'y arriverai pas. Bon, éviter de faire couiner ma montre qui va biper si je dépasse de 10% mon allure cible. Biiip ! Raté. Rester en dessous de 6'20" au kilomètre. C'est raté une minute plus tard. S'accrocher. Pour quoi faire ? Je vais rater les quatre heures, c'est certain. Alors que je me fais doubler par pas mal de morts de faim qui, eux, y croient encore, je remarque que j'ai droit à plus d'encouragements que les autres. J'imagine qu'à ce moment de la course, les encouragements doivent être proportionnels aux grimaces que l'on fait. Si c'est ça, je ne dois pas être beau à voir !
Je sers désormais de point de mire à tous ceux qui ont su garder un peu d'essence. "Allez, encore un à doubler", entends-je derrière moi de la part du leader d'un groupe de trois ou quatre coureurs. C'est vexant ! Je traverse Combs-la-Ville un peu démotivé. Vivement le dernier kilomètre, car il est en descente (je le sais, je l'ai empruntée en voiture le matin même). Il est enfin là. J'arrive à passer en-dessous des 5'30" au kilomètre, mais c'est trop tard. À la fin de la descente, je ne suis plus très lucide. Je n'arrive même plus à voir où est le bénévole qui nous indique par où est l'entrée, et je manque de partir sur une mauvaise rue. J'entre finalement dans le stade, en espérant ne pas me faire doubler une dernière fois. De l'autre côté des barrières, deux enfants courent vers moi en hurlant "Allez maman !". Ben non, il y a encore quelqu'un qui va me doubler dans trois secondes. Je n'ai même pas le temps de m'écarter pour laisser passer ladite maman, très fière d'en terminer devant ses enfants. Un oeil sur le chronomètre. 4h03, et bientôt 4h04. J'en ai perdu du temps, en cinq kilomètres ! Petite ironie de l'histoire, pour moi qui espérais ne pas voir le chiffre 4 au chronomètre, je passe la ligne en 4h04'04", et un peu moins d'une minute de moins en temps réel.
Une fois la ligne passée, je ne me sens vraiment pas très bien. Je jette un oeil aux gars de la sécurité civile qui scrutent les nouveau arrivants. Personne ne court vers moi. C'est bon, je ne suis quand même pas mourrant. Passage express aux consignes pour récupérer mon sac, et la pluie, vite forte, fait son apparition. Ma voiture, garée à, quoi, 200 mètres me paraît bien loin, mais je dois filer, d'autant que l'emploi du temps de l'après midi est chargé. C'est dommage, j'aurais bien aimé goûter un peu plus l'ambiance plutôt joyeuse qui m'aurait fait passer ma (petite) déception.
Ce chiffre des heures que j'aurais aimé ne pas voir en arrivant...
Le soir, de retour à la maison, je constate que les bobos sont plus nombreux que lors de mes autres compétitions : je ne sais pas si j'ai tout donné, mais j'ai certainement plus donné que les autres fois. Pas trop de regrets, donc, même si l'analyse à froid m'indique qu'il y a des choses que j'aurais pu mieux faire pour augmenter mes chances de passer sous les quatre heures. Ce cap là se mérite.
Une fois le classement publié (je suis dans le deuxième tiers, mais limite troisième : pas terrible), je remarque parmi les premiers un nom qui me dit quelque chose : David Wamster. Ce n'est rien de moins que le vainqueur des 87 km de l'Ultra Trail de la Brie des Morin, samedi dernier, et qui donc, en guise de décrassage, a pris cinq jours plus tard, la treizième place à Sénart dans le temps fort correct (euphémisme) de 2h39. Comme quoi, cher détracteurs notre célèbre bubulle, ce genre d'enchaînement peut se faire (même si, convenons-en, M. Wamster n'a pas fait le marathon déguisé en Bob l'Éponge, ce qui, évidemment, rend son mérite un peu moins grand).
Mais je passe surtout du temps à regarder les photos prises à l'arrivée. Ceux qui sont arrivés juste avant que le chronomètre n'affiche les quatre heures sont radieux. Leur sourire fait plaisir à voir. Deux des ajités ont réussi leur pari, tout comme la féminine qui avec son suiveur préparait Millau. Les mines de ceux et celles arrivés une ou deux minutes plus tard sont plus contrastées. Certains sont tout de même contents de leur temps, comme le binôme avec un lièvre et un coureur de mon niveau, d'autres sont manifestement déçus. Mais ils reviendront, j'imagine. En tout cas moi, oui.
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2 commentaires
Commentaire de Bert' posté le 19-05-2014 à 14:53:34
Bravo malgré la déception ressentie sur l'instant !
Le Marathon, c'est vraiment très dur et la fin se termine tellement souvent comme ça... au bord de l'épuisement.
T'as quand même gagné 1/4h et ce n'est pas rien => la prochaine sera la bonne :-)
Commentaire de Bérénice posté le 23-05-2014 à 23:55:55
Super ce CR. Bon suspense au début et du coup on est accroché à lire la suite ! Mon Ipad m'a lâché au niveau batterie en plein milieu de ton récit et je me suis précipitée pour allumer mon ordi et connaitre la fin ! Un grand bravo de la part d'une non-marathonienne !! C'est déjà un super temps et je suis sure que la joie n'en sera que plus grande le jour où tu passeras sous les 4h. Bon courage !
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