L'auteur : ilgigrad
La course : La Romeufontaine Passion
Date : 20/1/2013
Lieu : Font Romeu Odeillo Via (Pyrénées-Orientales)
Affichage : 2310 vues
Distance : 40.465km
Matos : Salomon Speedcross
Ultimate Direction WASP
Objectif : Faire un temps
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Récit de la Romeufontaine 2013
le même, sur mon Blog : http://www.ladrauniere.fr/2013/01/romeufontaine-2013/
Lorsque mon pote Fred a proposé que l’on aille, lui, Laurent et moi, courir à Font-Romeu pour commencer l’année 2013, j’étais loin d’imaginer le pire. Nous étions en Juillet, je pensais au soleil, à la frontière espagnole et au ciel bleu qui enveloppe les crêtes des Pyrénées. L’été et l’automne ont passé et nous avons plongé dans l’hiver, la pluie, le vent et le froid.
La Romeufontaine était ma première course au sein du Team Outdoor Paris. J’avais envoyé une lettre de motivation à Agnès, les athlètes du team avaient voté et je me suis retrouvé à partager le quotidien d’une bande de champions. Ils collectionnaient les victoires et les podiums et bien qu’on m’ait assuré qu’aucune pression ne s’exerçait sur moi il fallait que j’assure un peu.
J’ai continué à me préparer sérieusement : Avec Alain, dont je suis les conseils et qui établit mon programme d’entraînement, ça ne rigole pas. Il coupe les mitochondries en quatre, et surveille avec soin mon assiduité aux séances de torture qu’il m’a concocté.
J’ai étudié le parcours, estimé ma performance sur softrun.fr et je me suis convaincu que je n’avais rien à craindre de cette ballade dans les Pyrénées. Mon dernier trail remontait aux Templiers, deux mois plus tôt, et je ne m’en étais pas si mal sorti. Le calculateur donnait 3h45 pour boucler ce parcours, une place dans les cinquante premiers au scratch et un top 10 dans ma catégorie (V1H). J’ai pris l’avion gonflé de confiance et de certitudes et nous avons atterri à Perpignan.
Bien que nous ayons passé les quinze jours précédents à scruter la météo, nous avons vite compris que la Romeufontaine ne serait pas le trail au soleil que nous avions espéré. Plus nous progressions le long de la RN116, plus le ciel s’assombrissait et, lorsque nous avons débuté l’ascension vers Font-Romeu, la neige s’est mise à tomber.
Il en est tombé toute la nuit. La route qui séparait Font-Romeu du gite dans lequel nous avons passé la nuit était recouverte d’une couche de neige d’au moins 10cm. Nous n’avions bien-sûr pas de chaînes et je contrôlais la voiture comme j’aurais contrôlé un semi-remorque sur une nappe d’huile. Je ne suis pas pilote de rallye finlandais et la probabilité d’arriver à l’heure sur la ligne de départ s’amenuisait de minute en minute.
Nous avions heureusement pensé à récupérer nos dossards la veille et Font-Romeu à sept heures du matin ne ressemble pas à Paris quand on cherche une place pour se garer. Il ne nous a pas fallu cinq minutes pour nous extirper de la voiture, enfiler nos vestes, saisir nos sacs et nous présenter sur la ligne de départ.
J’ai abandonné Fred et Laurent au milieu du sas et me suis glissé jusqu’au troisième rang. Le souvenir de la course des Templiers sur laquelle j’étais parti en queue de peloton et où il m’a fallu perdre toute mon énergie à tenter de doubler les autres coureurs sur des monotraces étroites, m’avait convaincu qu’il valait toujours mieux partir devant que derrière. J’ai profité des quelques minutes qu’il restait avant le début de la course pour ajuster ma tenue et vérifier une dernière fois mon sac.
Comme des jeunes filles qui se seraient préparées pour aller danser, la discussion sur nos tenues de course avait occupé une bonne partie de notre soirée. La température ne devant pas excéder -5°C pendant toute la matinée, j’ai choisi de porter une première couche thermique à manches longues Mizuno surmontée d’une veste légère imperméable North Face en Goretex. J’ai également enfilé un cuissard et des manchons de compression Skins que j’ai recouvert d’un collant long Salomon. Au pied, je chaussais pour la première fois les SpeedCross que j’avais achetées au premier jour des soldes chez Team Outdoor. J’avais également mis des guêtres Raidlight et des Yaktracks; Ceinture et bretelles, c’était inutile mais je ne le savais pas encore. J’avais posé, sur le forum de Kikourou.net, la question de l’utilité ou non de se munir d’une frontale pour le début de la course; les réponses étaient peu claires et comme les organisateurs ne mentionnaient rien sur ce point, j’ai pensé que l’aube nous éclairerait.
Le départ a été donné rapidement; les premiers coureurs se sont élancés et je les ai suivis. On circule pendant quelques centaines de mètres sur une rue qui grimpe lentement vers le golf de Font Romeu et en cinq minutes à peine nous plongeons nos pieds dans la neige. La montagne baigne encore dans l’obscurité et je commence à courir dans le noir. Une trentaine de coureurs équipés de frontales me dépassent avant que je prenne mes marques dans le noir. Je me cale derrière un gars qui a eu, comme tout le monde, les trois pieds nickelés parisiens mis à part, la bonne idée de s’équiper d’une lampe. Un air froid et vif brûle mes poumons, j’ai de la neige jusqu’aux genoux, je suis dans les cinquante premiers et très certainement aussi, en sur-régime.
Il n’y a eu aucun répit; pas de petit tour de chauffe, sur un chemin roulant, pour se mettre en condition. Ça grimpe lentement mais l’importante couche de neige rend la progression difficile. Chaque pas nécessite un effort auquel je n’étais pas préparé. J’avais pourtant profité de la fin du tournage de « je fais le mort », un film que Diaphana produisait à Mégève, pour aller en décembre courir sur la neige. Anne avait prolongé la réservation de sa chambre de sorte que l’on profite d’un weekend en montagne. On avait couru pendant quelques heures sur des pistes damées et j’avais trouvé la sensation plutôt agréable
Après trois kilomètres, on atteint un replat sur une piste damée. J’ai perdu quelques places dans la bataille mais le jour se lève et cela adoucit ma course. On suit le GR du Pays de Cerdagne pendant un bon kilomètre avant d’attaquer la première bosse un peu raide.
Je suis toujours dopé par l’adrénaline du départ. Même si je sais que j’aurai du mal à tenir mon objectif initial, je ne lâche rien.
On alterne des portions plutôt roulantes, sur des pistes damées, avec des numéros d’équilibriste autour d’une trace étroite laissée par un fondeur et les premiers coureurs. Ne pas poser le pied dans un trou et se faire une requiert une grande concentration pour qui n’est pas habitué à ce type de terrain. Nous gravissons environ deux cents mètres de dénivelé entre le quatrième et le sixième kilomètre. Je suis dans le rouge, en apnée. Je ne vois pas comment je vais pouvoir encore tenir trente kilomètre à ce rythme mais je continue, aspiré par les autres coureurs et le froid.
Alors que nous rejoignons une piste de ski de fond damée au moment ou Laurent revient enfin à mon niveau. Nous progressons côte à côte en silence; nous ne sommes pas tout à fait en aisance respiratoire. Il me lâche un peu avant que nous atteignons le refuge de la Calme, au neuvième kilomètre, où a été installé le premier ravitaillement.
Je ne prends pas la peine de m’arrêter; la poche à eau de mon petit sac WASP Ultimate Direction est encore pleine et j’ai suffisamment de gels ou de barres Mac’Amande pour toute la course.
Trois minutes après avoir laissé le refuge derrière moi, Laurent qui avait fait une courte pause, réapparaît à mes côtés.
Depuis le départ, j’ai oublié de boire. Le retour de Laurent m’y fait penser. Je place ma pipette dans ma bouche mais, comme je l’avais craint, le tuyau est déjà gelé. J’aspire désespérément quelques gouttes d’eau qui devront me suffire à patienter jusqu’à la prochaine étape.
Après un bref passage d’un kilomètre en hors piste, nous suivons de nouveau un chemin damé jusqu’au douzième kilomètre.
Le Roc de la Calme constitue le point culminant du parcours. Se retrouver dans la neige à 2200m d’altitude, après 1h40 de course quand la veille encore on se réveillait à Paris, c’est magique.
Laurent a de nouveau disparu derrière moi lorsque je bascule dans la première et seule vraie descente du parcours. Je fonce sur la piste noire de la Calme, comme si j’avais chaussé des skis et que je descendais la Streif à Kitzbühel. 300m de dénivelé négatif à fond, c’est un vrai bonheur. J’adore ça ! Rien que pour ce court moment de pure adrénaline, je ne regrette pas mon déplacement à Font Romeu. Je chute à deux cents mètres du bout de la piste et me laisse glisser, sur les fesses jusqu’en bas. Mes gants sont trempés et j’ai éraflé mon collant mais je n’ai jamais descendu aussi vite une piste sans skis.
Le second ravitaillement est installé au pied du télésiège de la Calma Nord. Nous avons parcouru près de 13km. Des gendarmes et des militaires font office de bénévoles. Ils me servent un verre de coca que j’expédie en quelques secondes avant de reprendre ma course.
Nous retrouvons la neige profonde et les exercices avancés de proprioception. Je regrette d’avoir laissé mes bâtons Leki dans le coffre de la voiture. Ils m’auraient été utiles, moins pour m’aider à grimper que pour me donner davantage d’équilibre sur les monotraces. Le supplice se prolonge sur trois kilomètres.
Au seizième je cumule déjà deux heures de course. Je m’engage sur une route en pente douce, sur la rive gauche de la Têt. Je peux enfin dérouler tranquillement; je décontracte mes cuisses et mes mollets. Mon cardiofréquencemètre est resté bloqué autour de 166 bpm depuis le début de la course. Deux heures au seuil anaérobie quand il en reste au moins autant à faire, c’est suicidaire.
Laurent me rattrape au dix huitième kilomètre. Il a retiré ses Yaktrack. Il a sans doute eu raison; il n’y a pas de verglas et sur cette neige profonde et souple ils n’apportent pas grand chose de plus que les crampons de mes Speedcross. Je ne veux pas perdre de temps en m’arrêtant pour les déchausser et passer trois minutes à tenter de les coincer dans le filet de mon sac.
Troisième ravitaillement au vingtième kilomètre. Nous nous entendons avec Laurent pour ignorer cette halte et gagner quelques précieuses secondes (!!!).
Nous traversons la rivière au vingt-deuxième kilomètre et revenons dans l’autre sens en empruntant la rive opposée. La pente douce s’est métamorphosée en long faux plat. Nous doublons des coureurs qui se laissent aller à marcher sur les bosses alors que nous continuons à courir.
Le quatrième ravitaillement apparaît autour du vingt-sixième kilomètre. Je cours depuis plus de trois heures et la fatigue commence à se faire sentir. Je m’arrête et me repaît d’une bonne soupe chaude. Face à nous le télésiège des Avellans transportent les skieurs trois cents mètres plus haut. Je les observe avec envie avant de repartir à l’assaut du dernier gros morceau de la course.
Nous nous engageons sur le GR 10; Laurent me précède de quelques mètres. Je peine à reprendre mon rythme; Ma fréquence cardiaque reste incroyablement basse. Je suis à 65% de ma FC maximum et je ne parviens pas à accélérer.
Un torrent croise notre chemin. Nous cherchons un endroit où passer; Je bondis sur ce que je crois être la “berge” opposée mais la neige se dérobe sous mon poids et je plonge un pied, puis l’autre dans l’eau glacée. Mes speedcross ont beau être conçues en Goretex, l’eau froide s’immisce dans toute la chaussure. Laurent reprend sa course et je le laisse filer. Je n’ai plus aucune force; je le sais maintenant le trop plein d’acide lactique a produit son effet : j’ai explosé.
Je progresse désormais en petites foulées, je marche dès que la pente devient positive. Je double péniblement quelques randonneurs en raquettes mais me fait reprendre par des coureurs situés derrière moi. L’incident du torrent se reproduit deux autres fois. A chaque fois l’eau, au contact prolongé de la neige, se cristallise et forme comme une coque de glace autour de mon pied. Les trois kilomètres qui suivent sont un véritable calvaire. Je ne prête aucune attention aux étangs gelés de la Pradella qui s’étendent sur ma droite. Je pense à Fred qui, derrière, doit sans doute souffrir davantage que moi et à Laurent que je ne rattraperai pas.
Au vingt-neuvième kilomètre je retrouve le poste de ravitaillement du treizième kilomètre, au pied de la Calme. Je prends le temps de savourer une autre soupe puis je quitte le bar pour aller affronter la dernière côte du parcours; Nous devons remonter la piste noire que j’avais tant apprécié à l’aller. Dans ce sens elle est beaucoup moins attrayante.
Une longue file de coureur s’étire jusqu’au sommet. Nous progressons le dos courbé, les mains sur les cuisses et le souffle court. Les concurrents du 26 km nous ont rejoint et témoignent d’une vigueur sensiblement supérieure à la notre.
Je monte lentement. Mon coeur ne cogne pas comme il en a l’habitude sur ce type de « raidillon ».
A mis pente, un coureur m’interpelle. Il a repéré le logo Team Outdoor agrafé sur le filet de mon sac. Il se présente : Olivier; c’est un ami d’Agnès. Il vient de Nantes et, comme moi, manque de pratique sur les longues côtes et dans la neige. Nous bavardons quelques instants puis il s’arrête afin d’attendre ses camarades qui grimpent derrière lui.
J’atteins le sommet de la Calme puis le cinquième et dernier ravitaillement au sommet du télésiège du Roc. 4h44 ont passé depuis le départ. Je suis exténué. Je m’assieds dans un fauteuil qui traîne à côté de la table sur laquelle sont posés les boissons et je reprends mon souffle pendant trois longues minutes.
Il reste à peine six kilomètres à parcourir avant la fin et ils sont majoritairement en descente. Je pronostique hâtivement une arrivée en moins de trente minutes. La descente jusqu’au stade de biathlon, au trente deuxième kilomètre est un régal. Je reprends confiance.
Je mesure vite mon erreur lorsqu’il me faut de nouveau m’engager le long d’une profonde monotrace sur laquelle je ne parviens pas à garder l’équilibre. Je titube comme un ivrogne et des hordes de coureurs me dépassent. La majorité d’entre eux sont inscrits sur le 26km mais beaucoup d’autres terminent courent la même épreuve que moi. J’en suis au trente troisième kilomètre et je repars faire un tour en forêt.
Quatre kilomètre plus loin des spectateurs m’annoncent que l’arrivée est imminente. Je n’entends pourtant rien, ni cris ni speaker; tout est mort.
l’aire d’arrivée est en fait dissimulée sous un hangar à côté de la gare du télésiège des Airelles.
Je donne un dernier coup de rein afin de grappiller quelques secondes et Je franchis la ligne en 5h44. Je suis 183ème sur 270 arrivants. Laurent a terminé sa course vingt-trois minutes avant moi, il est 120ème. Quant à Fred, il finit en 6h04 à la 220ème place.
Ce fut pour moi une course très dure. Bien davantage que les Templiers ou toutes celles que j’ai couru jusqu’alors.
Je ne devais pas partir trop vite mais comme toujours, quand je suis sur la ligne de départ je suis aspiré par les autres coureurs, j’oublie mon niveau réel et je pars à fond. Je poursuis les premiers en apnée jusqu’à ce que la réalité me rattrape.
La course fut difficile; beaucoup plus que je ne l’avais prévue. J’ai explosé en vol et ma course s’est transformée en bonne grosse sortie longue.
Pourtant, les bosses, je connais; c’est dur mais on serre les dents et ça passe; on s’éclate en descente, à fond, comme quand on fait du ski et on déroule sur le plat; c’est là que je récupère un peu… Mais là, sur des monotraces étroites et instables, il fallait rester super concentré, regarder en permanence où l’on pose les pieds pour ne pas se tordre bêtement la cheville dans un trou. C’est nerveusement épuisant.
J’ai mis 5:44 alors que j’espérais en mettre deux de moins. Le premier met une heure de plus que ce qu’il avait fait l’an dernier et termine en plus de quatre heures.
Comme d’habitude je suis déçu et comme d’habitude je promets de ne plus jamais refaire cette course; mais comme toutes les courses que je n’aurais jamais dû refaire je sais aujourd’hui que je reviendrai à Font-Romeu.
Bien entendu, le beau temps à fait son apparition aussitôt après que nous ayons quitté le hangar. Nous sommes allés déjeuner dans un bistrot du village puis nous sommes repartis vers Perpignan.
Le retour fut plus compliqué que la course. Avec la tempête sur Paris, les vols et les trains annulés, nous sommes restés coincés à Perpignan. Nous avons regretté de ne pas être restés quelques heures de plus à Font-Romeu. Nous avons profité de notre séjour forcé dans un petit hôtel face à la gare pour refaire cent fois notre course et imaginer comment les choses se seraient déroulées si nous avions mieux connu le terrain. J’adore ça: on imagine sa course pendant des heures, on la fait et puis on y pense et on en parle encore longtemps après. Chaque kilomètre s’étend dans le temps bien davantage que sur le chrono…
accès à la trace de la Romeufontaine 2013
le même, sur mon Blog : http://www.ladrauniere.fr/2013/01/romeufontaine-2013/
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