Récit de la course : Le Grand Raid des Pyrénées - Le Tour des Cirques 2019, par DJ Gombert

L'auteur : DJ Gombert

La course : Le Grand Raid des Pyrénées - Le Tour des Cirques

Date : 23/8/2019

Lieu : Vielle Aure (Hautes-Pyrénées)

Affichage : 8316 vues

Distance : 122km

Objectif : Terminer

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130 autres récits :

Les pierriers sont-ils faits de poussières et de larmes versées par les anges …

PROLOGUE

Mars 2019

Cela fait quelques mois que je suis revenu sur le site de Kikourou, depuis que Maï74 m’a gentiment sollicité pour organiser un nouvel OFF dans le Massif de l’Etoile, pour un week-end test Salomon de leurs nouvelles chaussures de trail.

Au détour d’un sujet sur le forum, je découvre les TASK (Tirage Au Sort Kikouroù organisé pour remporter des dossards offerts par l’organisation de courses).

Je me souviens de ma décision de m’inscrire au tirage du Grand Raid des Pyrénées, mon premier ultra-trail depuis 8 ans, l'envie de revivre une épopée, le désir de découvir les Pyrénées, le choix entre le 80 km … ou le 120 km …

"C’est impossible, dit la Fierté.
C’est risqué, dit l’Expérience.
C’est sans issue, dit la Raison.
Essayons, murmure le Cœur."        William Arthur Ward 

Choisir le 120 km …

Écouter le doux murmure de mon cœur … 

Il y a des moments dans notre vie, où il faut savoir écouter son cœur, s’armer de tout son courage et oser les choses … mettre un pied devant l’autre, vers un destin dont le sens nous échappe encore, mais dont l’écho se fait si profond …

Je me souviens de ma joie si intense au résultat du tirage au sort … d’avoir gagné un dossard pour le 120 km, d’être invité par l’organisation du Grand Raid des Pyrénées (GRP) pour faire un récit de la course de l’intérieur : prendre des photos, vivre la course : le soleil qui chauffe sur la peau, le sel aux commissures des lèvres, la fatigue, les doutes, … mais aussi cette dimension si singulière, propre aux Ultra-trails, une dimension plus intense, plus profonde, plus humaine, quand dans le dénuement de la profondeur de la nuit, les ravitaillements sont comme des phares dans les ténèbres : se réchauffer auprès d’un café, échanger un sourire, des mots avec les bénévoles, retrouver le sens du mot partage…

De marcher, encore une fois sur les pas de Akunamatata (cf. son récit du GRP). Merci Jean-Marie d’avoir été depuis de nombreuses années une source de découverte et d’inspiration pour nous autres traileurs.

Le plaisir aussi de découvrir les Pyrénées, ces montagnes que je connaissais à peine … juste Roncevaux en automne, dans les couleurs rouges et vertes du Pays Basque.

… Mais aussi d’apprendre avec tristesse, à quelques jours d’intervalle, la disparition de Philippe (alias Mustang) qui depuis sa Normandie venait de rejoindre le Valhalla.

Nous avions ensemble fait partie du Conseil d’Administration de l’association des amis de Kikouroù. Et malgré nos distances respectives (Normandie et Marseille), j’avais eu le plaisir de le rencontrer sur plusieurs trails, avec son indissociable et néanmoins espiègle Lutin (Thierry).

… Ainsi va la Vie … mélangeant joies et peines … sans réel discernement …
Il faut savoir l’accepter, sans pour autant se résigner…

Avril 2019

Michel (alias Miche) de l’organisation du GRP vient de publier sur leur site la cote Betrail des finishers des différents formats du GRP (220km, 120km, 80km et 40 km). Pour le GRP 120 km "Tour des Cirques", le dernier finisher a une cote Betrail de 35 sur une échelle de 100.

Je ne connais pas le site Betrail. Je m’en vais regarder ma cote obtenue sur le Trail de la Galinette (25 km D+1200) couru en janvier dernier … mon premier dossard depuis longtemps … depuis très longtemps même … quatre ans en fait !

… et le résultat est ... 33,8 ! Ce n’est pas vraiment une surprise, car j’ai toujours été dans le fin fond du peloton (avec tout de même une très grande fierté : avoir été l’ultime finisher de la Merell Sky Race, support OPEN du championnat du Monde de Trail 2009. Il faudra un jour, que je finisse mon récit aussi … je crois que pour écrire, je suis encore plus lent qu’en course …c’est dire !).

Bref, c’était il y a 10 ans, et le poids des années ne fait que juste renforcer ce constat. Je sens que l’affaire est loin d’être gagnée, très loin même …pour espérer devenir finisher du GRP Tour des Cirques, cela va me demander bien plus que de la volonté et du mental. Il est impératif que je monte mon niveau d'entraînement … back to basics !

 

Mi-Avril des contrariétés personnelles importantes liées à mon divorce me provoquent une lombalgie, alors que je suis à 15 jours du Trail de Signes (29 km D+1300), et que je souhaitais vérifier si mon travail de préparation commençait à porter ses fruits, pour atteindre la barre fatidique des 35, et espérer avoir le niveau de finir le GRP.

Je consulte un kiné pendant 15 jours. Le dos se porte beaucoup mieux. Je fais un petit essai de 30 mn trois jours avant la course : feu vert du kiné pour faire le Trail de Signes … avec prudence cependant.

Dimanche 21 avril 2019 - Trail de Signes (29 km D+1300)

Cela a été dur : manque de conditions, des courbatures aux quadriceps et toujours cette douleur au tendon d'Achille droit (en fait, une vieille blessure de 2003).

Lundi de Pâques - 22 avril 2019

Avec ma fille Lison, comme c’est le Lundi de Pâques, nous avons décidé de bruncher sur le roof top du rowing club. En nous y rendant, mon tendon d’Achille me tire de plus en plus …

Brunch très agréable en terrasse, et nous rentrons.

Dans la nuit du lundi au mardi, je serai réveillé brutalement avec l’impression de coups de poignard au niveau du tendon …

… le lendemain médecin, et chance suprême, j’arrive à décrocher un RDV immédiat pour l’échographie qui pose le diagnostic : une belle tendinite détectée avec lésions sans rupture du tendon (ouf !).

… arrêt total de la course à pied, et kiné pour un à trois mois …

C’est une belle leçon sur les conneries à ne pas faire, comme s'engager sur un trail de 5h40, 15 jours seulement après une lombalgie …. Je le paye cash !

Je reprends la kinésithérapie en changeant de kiné. Ce sera désormais Violaine qui va me suivre ... pour un certain moment ...

Le GRP ne devient pas impossible … mais pas très loin…

De toute façon, je prends tout cela avec philosophie, et conserve mon idée de découvrir cet été les Pyrénées, et en fonction des progrès de ma rééducation de courir, ou pas le GRP.

Avril à Juin 2019 :

Trois mois de kiné pour le tendon d’Achille.
Pas de course à pied, seule la marche est autorisée… la loose totale …

29 Juin - 6 Juillet 2019 :

Partir une semaine dans les Pyrénées, à Pla d’Adet sur les conseils de mon ami traileur Vincent (Vince), un testeur ch'ti Salomon avec qui j’avais sympathisé lors du OFF – Salomon Testing.

En fait, Pla d’Adet est la station de ski juste au-dessus du village de Vielle-Aure, d’où partira le GRP.
L’occasion pour moi d’acquérir de l’EPO naturelle en vivant à 1700m d’altitude. Mais surtout de prendre des petits-déjeuners si dépaysant au-dessus de mers de nuages ... l'impression de flotter en apesanteur ...

It's Just like Heaven … The Cure.

"Strange as angels
Dancing in the deepest oceans
[…] just like a dream
[…] just like a dream"

Je ferais une semaine de randonnées tranquilles dans les secteurs de Piau Engaly et du Néouvielle, surveillant avec attention mon tendon d’Achille (avec chaque soir les exercices du protocole de Stanish).

12 Juillet 2019 :

Retour de ma semaine dans les Pyrénées, Violaine ma kiné, après vérification de l'état de mon tendon, autorise une reprise très progressive de la course à pied, mais sans dénivelé !

13 juillet 2019 :

Comme je ne peux pas faire de sortie avec dénivelé, à cause de mon tendon d’Achille, ... j’expérimente le travail de D+ lors de la soirée BEATitude Haut perchée au Rowing Club avec la talentueuse DJ Eve Dahan et ses sets si envoutants dans la brise estivale ...

... Il me semble qu'avec Rémy, nous avons surtout travaillé les descentes ... plus que le D+ ... mais je ne me souviens plus ... car il faisait nuit ... et j'avais oublié ma frontale ...

En plus, nous avons aussi oublié d'enregistrer notre activité Strava, alors que sur cette sortie-là, je pense que nous étions du niveau "local legend".

... comme dirait Hemingway ... Marseille est (avant tout) une fête !
... la Vie aussi !

27 juillet – 10 août 2019 :

Ce seront mes deux dernières (voire en fait, plutôt mes deux premières !) semaines de préparation trail, toujours dans les Pyrénées depuis Pla d’Adet, où j’ai désormais élu mon quartier général, là au-dessus des nuages.

Une seule certitude être sur la ligne de départ … pour le reste … l’avenir reste à écrire … et surtout passer la première barrière horaire qui est "serrée" pour mon allure.

Continuer aussi à découvrir les Pyrénées : ses lacs, ses cols, ses pierriers. De prendre le temps de s’arrêter lors de mes sorties longues d’entrainement, de faire des siestes au milieu de splendides massifs de rhododendrons, d’admirer les paysages, la course des nuages dans les cieux, le cri strident des marmottes, le tintement dans les estives des cloches des vaches, le tumulte des cascades, et lorsque la fatigue se fait plus présente, c’est un voyage qui se fait plus intérieur.

Exquises estives (dans la descente vers Gèdre depuis Port Campbiel)

De m’apercevoir que même si depuis huit ans (et mon dernier Ultra-trail sur les Traces des Ducs de Savoie) le temps était passé si vite, paradoxalement mon allure avait ralenti … peut-être aussi, parce que dans ce temps hors du temps, le voyage se fait plus intérieur, avec nous-même, nos pensées, notre passé, notre futur, mais aussi une conscience profonde de l’instant présent …

Lors d’une de mes escapades touristiques dans l’arrière-pays, découvrir par hasard, au détour d’un chemin, l’abbaye cistercienne de l’Escaladieu (L’échelle à Dieu … au pied du Pic du Midi ... tout un programme), havre de paix et de calme. 

Ce plaisir si profond et pourtant si simple de marcher dans le cloître, être là et en même temps au plus profond de ses pensées, dans la contemplation du jardin intérieur, se laisser bercer par le doux glouglouti de la fontaine, se laisser pénétrer, pas à pas, par la profondeur des chants grégoriens. Alors qu’au fur et à mesure que nous avançons, notre esprit se détache, essayer de discerner dans ce temps hors du temps, ce qui est important pour soi, pour les autres, nos essentiels, ce qui nous donne la Force et le courage de continuer notre chemin, des pensées profondes, le sentiment toujours si présent du chagrin de nos proches disparus, … mais aussi des pensées plus joyeuses, plus légères comme la brise en haut des cols, quand notre âme s’élève au même rythme que nos pas …

Pour la toute première fois de ma vie, demander une intention de prière aux frères bénédictins, pour ma maman Françoise, pour mon papa André, pour ma petite sœur Blandine, pour ma toute petite sœur Virginie ... tous désormais parmi les anges ....

Sentir les larmes couler doucement… comme si mon regard, mais surtout mon esprit, prenait, en ce jour, pleinement conscience de l’effroi de la situation … en lisant ces mots que je venais, pour la toute première fois d’écrire … de coucher sur ce livre ...

Continuer mes entraînements, et mon chemin intérieur …savourer la beauté des paysages lorsque nous sommes au-dessus de la mer de nuages … que le crépuscule efface peu à peu les couleurs et les contours, pour faire place à la douceur de la Nuit, l’impression d’être un peu comme au Paradis … parmi les anges … moi aussi ...

Crépuscule depuis le Col du Portet sur Pla d'Adet avec la mer de nuages qui recouvre la vallée de Vielle Aure.

11 août 2019 (J -12 jours avant le GRP) : 

Revenir à Marseille, hésiter … réfléchir … sentir mon cœur cogner dans ma poitrine …

Décider de prendre le chemin de la délivrance, de ne plus avoir à cacher au fin fond de mon cœur, le chagrin si profond d’avoir perdu ma maman, d’arrêter une bonne fois pour toute de faire "bonne figure" en tant qu’adulte, comme s’il pouvait y avoir une quelconque prescription sur un tel chagrin. De décider, comme une évidence, de courir le Grand Raid des Pyrénées en hommage à ma maman disparue si brutalement à l’âge de 34 ans … la délivrance de pouvoir enfin "afficher officiellement" mon deuil, de lui dire au revoir urbi et orbi : d’accrocher à mon dossard ses photos. Boucler la boucle de cet enterrement, où l’on m’avait interdit d’assister, pour me protéger du haut de mes 7 ans. Du paradoxe de la Vie, où je pouvais désormais porter le regard d’un père de 51 ans, sur ma maman de 34 ans … sur le sens de la Vie, de notre vie …

Plonger dans mes albums photos, sur ce passé presque oublié, sur ce "paradis perdu", sur ce temps où nous étions une famille : maman, papa et mes deux petites sœurs, de toutes ces cigarettes sur les photos, des couleurs oranges des années 70 ... faire un photomontage... 

Réfléchir, encore et encore, aux sens des paroles du "Vent l'emportera" de Noir Désir :
"Infinité de destin
On en pose un, qu'est-ce qu'on en retient ?"


Maman, ma soeur Blandine, "Le coeur" de Banksy (There is always hope) et ma frimousse.

Dans les dernières heures avant le départ, faire le grand saut : annoncer à l’organisation du Grand Raid des Pyrénées, mais aussi à mes amis, ma famille, mes collègues de travail, que j’allais courir en hommage pour maman ce trail qui sera comme une magnifique parabole de la Vie : rempli d’imprévus, de découvertes, de moments de grâce, de doutes, où il faut savoir trouver le bon côté des choses pour apprécier ces minutes qui passent, qui sont en fait des minutes de notre Vie, et du sens que l’on a envie de leur donner, de leur apporter…

Entendre en boucle dans ma tête la voix si cristalline et si douce de Sophie Hunger, dans cette reprise délicatement élégiaque du "Vent l’emportera" de Noir Désir :

"Je n'ai pas peur de la route
Des méandres au creux des reins

J'emmène au creux de mon ombre
Des poussières de toi

Le vent l'emportera
Tout disparaîtra
Le vent nous portera …"

Comme un navigateur solitaire, chercher le vent porteur de la transcendance …celui qui permet l’élévation de l’âme dans sa quête.

Revoir le film Kundun de Martin Scorsese sur la vie du 14ieme Dalaï Lama ... de la force de la spiritualité, du sens du Mandala (de ce côté, poussières nous sommes, poussières nous redeviendrons ...), de la libération de soi, de la perte, du changement, de l'espoir ....

De la bande son si belle du compositeur Philip Glass, délicat équilibre entre tristesse et espoir … celui de la promesse de l’Aube … après la profondeur des Ténèbres …

Demander une intention de prière à la communauté des sœurs du Foyer Sainte Marie, où va désormais loger Lison à Paris …pour ma maman Françoise, pour mon papa André, pour ma petite sœur Blandine, pour ma toute petite sœur Virginie ...
... car sur le fond, ce n'est certainement pas pour moi que je vais courir ...

Partir en voiture pour les Pyrénées...

En route, recevoir de Soeur Isabelle le message suivant :
"Vous allez être bien accompagné par toute votre famille, par tous ceux qui ne sont plus mais que vous emmenez avec vous et qui veillent sur chacun de vos pas. Toute la communauté vous porte dans sa prière ! Voici un petit verset pour la route :

"Il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.
Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres (Psaume 91)."

Message si beau,
Si vrai,
Si touchant,
Tellement de circonstances pour un trail avec autant de pierres sur le chemin ...

Commencer à l'apprendre, à le réciter tel un mantra ... car c'est pour moi si important d'arriver jusqu'au bout de ce chemin, de mon chemin ...

 

Retrouver sur place Séb (un autre testeur Salomon de Saint Malo rencontré lors du OFF – Salomon Testing) avec qui je vais partager ma chambre au Village Vacances l'Estibère à Vielle-Aure, au bord de la rivière Neste d'Aure. C'est un hébergement que je recommande chaleureusement, à seulement quelques mètres du départ, avec des gérants super accueillants.

Aller sympathiser avec l’organisation du Grand Raid des Pyrénées qui m'a invité grâce à Kikouroù. Discuter avec Michel de la direction de course, car ma hantise concerne les barrières horaires, surtout la première, ce serait stupidement idiot de se faire arrêter à la première ... Michel se veut rassurant.


Michel depuis le PC course, qui est le centre névralgique de tous les trails (220, 120, 80 et 40 km).

Rencontrer aussi la pétillante Carole, leur chargée de communication avec qui j’avais déjà échangé pour les portraits de "Ils/Elles font le GRP", publiés sur leur page Facebook. Cela m'avait amusé, car j'étais le vilain petit traileur du fin fond de peloton, au milieu d'authentiques championnes aux palmarès élogieux.


Cela me faisait sourire à plus d'un titre, mais certainement le plus important, c'est que ma mère qui s'était battue toute sa vie, pour que son travail de femme soit reconnu à l'égal de celui d'un homme devait être fière, que son fils ne soit pas jugé ni sur son sexe, ni sur ses performances sportives intrinsèques, pour incarner l'esprit d'un trail.

Sourire aussi, d'être juste à côté de Blandine l'Hirondel, cette championne d'exception, qui porte ce prénom si rare, qui était celui de ma petite soeur avec qui j'aimais tant gambader dans les hautes herbes, pour aller ceuillir des cerises qui pendaient en grappes gorgées de soleil ... de cette chanson du temps des cerises ...

Récupérer mon dossard : numéro 1720. Se soumettre avec bonne humeur au contrôle du sac et du matériel obligatoire. Je serai contrôlé par un apprenti bénévole d'environ 12 ans, très appliqué et tout fier de son travail. Je crois que n'importe quel parent serait profondément rempli de joie de voir son enfant aussi appliqué pour faire ses devoirs. Cela me fait sourire, que la Vie est belle.

Prendre en photo la bannière d’arrivée avec son FINISHER en Majuschule : ne négliger aucun détail, aucune motivation qui me permettra d’arriver à bon port, aucune !

Ecouter les bandas, ce sens de la fête … car comme l'écrit Hemingway : Paris Vielle Aure est une fête ! Olé ! 

   Pssst, tu vois ce traileur là, il aimerait être finisher pour sa maman ....
Ouaaaaahh !!! Sééérieux ?!
Carrément !! En plus trop chaud !! sur le 120 km !! alors qu'il n'est pas entrainé !!! Ne lui dis pas que j’te l’ai dit, c’est un secret…

Grand Raid des Pyrénées – Tour des Cirques (122 Km D+ 7.300m et D- 8.400m)

Le Grand Raid des Pyrénées est connu et reconnu pour être un trail authentique, exigeant, cassant parfois, avec des cailloux à perte de vue (surtout dans la réserve du Néouvielle). Mais surtout avec des bénévoles EXTRAordinaires, à l’énergie rayonnante et à l’accent qui à lui seul vaut le voyage.

Le GRP en format 120 km porte le nom de "Tour des Cirques", car nous emprunterons le Cirque d’Estaubé juste après le Lac des Gloriettes, puis le majestueux et imposant Cirque de Gavarnie. 

Une particularité dans les Pyrénées, c’est que les cols ne s’appellent pas … cols, mais généralement "Hourquette" (par ex : Hourquette Mounicot), ou quelque fois "Port" (ainsi Saint-Jean-Pied-de-Port indique que nous sommes au Pied du Col de Roncevaux … et non une quelconque spécialité porcine).

Dernière précision, le Tour des Cirques n’est pas tout à fait une boucle, ce qui fait que pour 7.300m de dénivelé positif … nous aurons 8.400m de dénivelé négatif (un peu comme si nous descendions à pied de l’Everest jusqu’à la mer). Avec un final en forme de supplice pour les dernières fibres musculaires des quadriceps : nous encaisserons depuis le Col du Portet 1.400m de dénivelé négatif sur 12 km (soit une pente de 12%) : jambes de bois marinées à l'acide lactique garanties à l’arrivée !

Rentrons maintenant dans le vif du sujet : le profil de la course, avec ses ravitaillements et les barrières horaires synonymes de dossard rendu, et de mise hors course.

Brief de la direction de course : très beau temps pour les trois prochains jours (la polaire n’est plus obligatoire, par contre le collant si, en cas d’arrêt / blessure, pour éviter le risque d’hypothermie, qui arrive très vite en Montagne).

Cette météo de bon augure me remplit d’une douce joie … et si les Dieux allaient m’aider dans ma quête …

Vendredi 23/08 10h00 – Départ Piau Engaly - 677 partants

S’élancer de Piau Engaly sous un soleil magnifique …
S’élancer vers un avenir qui va désormais s’écrire pas à pas dans la poussière, la sueur et surtout la bonne humeur… et dont l’issue m’échappe totalement, mais dont l’écho est si profond.

Un avenir fait de sourires, de rencontres, avec bien évidemment l’ombre menaçante des barrières horaires, de la sanction et de la déception (forcément !) …

J’ai demandé à quatre de mes amis de me suivre et de me communiquer via SMS mes temps de passage. Car, l’important pour finir dans un Ultra-Trail, c’est de remonter au classement, au fur et à mesure que les kilomètres passent et que les abandons de coureurs s’accumulent…
… un Ultra-trail, c’est une course de survie … où la résilience est l’une des qualités fondamentales …
… il y aura sur cette édition du Tour des Cirques 40% d’abandon … je ne le sais pas encore...
… il y a tant de choses que je ne sais pas encore …

Merci à vous quatre : Maïlys, Rémy, René et Didier, d’avoir été mon PC course, d'avoir veillé sur moi, de m’avoir renseigné, encouragé et soutenu.

Des récits précédents, dont celui de Romain (alias Grumlie), je sais qu’il est important de partir "rapide" sur la boucle de Piau-Engaly, pour éviter le ralentissement dans la montée vers Port Campbiel.

Je décide d’adopter la tactique du fennec du désert (car, comme me l'a si souvent répété dans mes débuts en trail mon ami Yves (alias Chorizo13) : "Si tu n’es pas rapide … sois intelligent !"). Donc, en bon fennec je me place dans le quart avant du peloton, pour gagner les précieuses minutes qui m’éviteront de m’approcher trop rapidement des barrières horaires.

Boucle de Piau que je découvre le jour de la course … car en reconnaissance je l’avais fait trois ou quatre fois … mais dans l’autre sens …
… oui, oui, pour un rusé fennec …. cela fait plutôt quiche … je vous l’accorde …

La boucle de Piau est bouclée assez rapidement en 1h45, et je décide de sauter le ravitaillement pour gagner quelques places avant la montée de Port Campbiel.

Beaucoup d’émotions à la sortie de Piau avec les encouragements des spectateurs "oh ! il a emporté sa maman avec lui", "c’est beau ce que tu fais !", 

Cela me galvanise, même si j’ai encore du mal à réaliser que je cours pour maman … imaginez, il m’a fallu 44 ans pour oser et trouver le courage de faire ce que mon cœur attendait depuis si longtemps …

Je verse quelques larmes par ci par là, mais le sourire sur mes lèvres est immense … et ma concentration est totale … profiter de la légèreté de l’instant présent … mais ne surtout pas se cramer inutilement …

Effectivement, ce qu’avait raconté Romain se produit, et montée tranquille à la queue leu-leu vers Port Campbiel. Je suis content de ma tactique de début de course, et des précieuses places grignotées au départ.


Montée à la queue leu-leu vers Port Campbiel et sa névé (ce qui permet de prendre tranquillement des photos)

Passage du Col (Port Campbiel) et bascule vers Gèdre.

Alors que nous approchons du village de Gèdre, l’ambiance est estivale, et l’accueil est des plus chaleureux.

Vendredi 23/08 15h07 – 25 km D+ 1540 m - CP2 Gèdre Aller - position : 495ieme
1h50 d’avance sur la barrière horaire.

Ravitaillement rapide, car chaque minute est précieuse, et départ vers le Lac des Gloriettes. Il fait chaud, très chaud même. Je me suis bien hydraté jusque-là … mais plusieurs coureurs et coureuses sont dans le rouge, écarlates au bord du chemin. Il est vrai que cela monte dru, même si nous sommes à l’ombre des feuillages. Ça vomit pas mal.

Je monte tranquille à mon rythme, avantagé pour la chaleur de venir de Provence.

Nous arrivons sur un plateau herbeux qui va nous conduire vers le Lac des Gloriettes … les paysages sont tout simplement magnifiques, avec le jeux des nuages, tout en ombres portées …

C’est tout simplement splendide… quelle quiétude...

En arrivant au Lac des Gloriettes, j’ai envie de m’arrêter au refuge, prendre une menthe à l’eau et admirer ce paysage en m’allongeant dans l’herbe … juste sous l'ombre rafraîchissante de l'arbre ...

C’est encore un authentique coin de Paradis, avec un lac tout en nuance de tons émeraude ...

Refuge du Lac des Gloriettes (au fond le Cirque d'Estaubé).

Vendredi 23/08 17h32 – 31 km D+ 2300 m – Lac des Gloriettes.
1h45 d’avance sur la barrière horaire.

Nous cheminons vers le Cirque d’Estaubé. Nous croisons des randonneurs qui nous encouragent.

Cirque d'Estaubé à droite dans l'ombre.

Le soleil commence à descendre et nous rentrons dans l'ombre, au milieu des vaches, en direction de la Hourquette d'Alans.

Juste avant de passer le col (Hourquette d'Alans), la course est neutralisée environ 30mn pour permettre un hélitreuillage d’un concurrent (après course Michel me dira, qu’il y aura eu 8 hélitreuillages de coureurs … comme quoi la sécurité en Montagne est et demeure primordiale).

Hourquette d'Alans - hélitreuillage via "barquette" en cours par hélicoptère EC-145 de la Gendarmerie.

Cette neutralisation me fait du bien, car j’ai un petit moment de fatigue, cela fait quand même plus de 9h de course, avec une grosse chaleur.

Voilà, la course a repris et nous passons la Hourquette d'Alans en direction du refuge d’Espuguettes.

Je sais, cela va faire une redite … mais que c’est beau … 

J'admire la beauté du coucher de soleil, ce lent dégradé de couleurs chaudes sur les roches des Cirques immenses qui montent droit jusqu’au Cieux…

… et ce sentiment de plénitude et de quiétude qui nous porte ...
L’Envie de rester là pour toute éternité...

Dans ce lieu si beau, dans la douceur crépusculaire, moment de recueillement pour Alain le papa de Maïlys, pour Philippe (Mustang) et pour Carine la femme de Thierry.

Je m'étais promis de les emmener avec moi dans les Montagnes si près des Cieux, de faire un bout de chemin ensemble, de penser et prier pour eux …
… c’est important de ne pas oublier, de se souvenir … le futur se construit sur notre histoire …

Vendredi 23/08 20h31 – 41 km D+ 3110 m – Refuge d’Espuguettes.
2h00 d’avance sur la barrière horaire.

Comme une sorte de légère euphorie s’empare de moi … je plaisante avec les bénévoles et me rassasie de la soupe chaude et de charcuteries délicieuses.

Comment ne pas prendre 10 mn pour vous envoyer par SMS, à vous tous qui m’encouragez des photos de ces lieux si splendides.

Je repars en mettant ma frontale, le crépuscule plonge lentement dans la Nuit et ses Ténèbres.  

Samedi 24/08 01h59 - 59 km D+ 3620 m - CP5 Gèdre Retour - position : 480ieme

Dans le fin fond de la nuit, mes anges gardiens dorment et je ne reçois plus de SMS sur le suivi de ma course. Je demande à la bénévole qui fait le pointage, quel est mon temps par rapport à la barrière ?
Réponse : "2h00 !".

Je suis heureux car dans la Nuit, les sensations sont altérées et parfois trompeuses.
Je suis heureux de conserver malgré la nuit et la fatigue mon avance sur la barrière. Mais, à peine ai-je pensé cela, que je prends de suite une grande claque, quand elle rajoute, qu’il n’y a plus que 20 coureurs derrière moi.

Car, malgré mes deux heures d’avance, s'il n’y a plus que 20 coureurs … c’est que je suis en danger immédiat de ne pas finir et de me heurter à une barrière, tôt ou tard. C'est une certitude !

Je fais alors très rapidement le plein au ravitaillement, j’enfourne des victuailles dans un sac, et raccroche deux coureurs que je vois partir. Nous ferons un petit train dans la nuit. Il y a un coureur du 220 km et Pierre-Yves qui est sur le 120 km comme moi.

C'est Pierre-Yves qui est le plus frais de nous trois et qui sera la locomotive durant cette partie de la nuit, jusqu'à ce ravitaillement improvisé surgi de nulle part au milieu des bois. Merci à toi Pierre-Yves de nous avoir ouvert la route. Merci aux habitants pour ce ravitaillement "maison" dans les bois, de la chaleur du thé, de votre hospitalité, du délice des fines tranches de quatre-quarts …

Le reste sera un long voyage solitaire au bout de la nuit ... poussières, feuilles glissantes au sol, terrain cassant ... le découragement qui grandit avec la fatigue, le froid et l'humidité. L’envie d’abandonner à Luz St Sauveur, avec cet escalier terrible en descente pour sortir de la forêt et pénétrer dans la ville. Les quadriceps complétement rétifs à ces marches.

Samedi 24/08 06h22 - 71 km D+ 4220 m - CP6 Luz Saint Sauveur entrée Base Vie - position : 444ieme
1h40 d’avance sur la barrière horaire.

... finalement s'abandonner au kiné pour traiter l’ampoule qui s'est créée durant la nuit, dans la paume droite de la main. C’est douloureux chaque fois que je tire sur la lanière des bâtons. En protectif, j’ai enroulé mon buff kikouroù autour de ma paume pour limiter les frottements. Mais il est impératif de soigner, cela ne tiendra pas une journée de plus.

La kiné me strappe la paume de la main. Je prends une soupe chaude, des pâtes et je repars avec les premières lueurs du jour, dans la fraîcheur humide de l’aube.

Samedi 24/08 08h21 - CP6 Luz Saint Sauveur sortie Base Vie - position : 434ieme

Plus que 40 mn d’avance sur la barrière horairela cote d’alerte rouge écarlate est atteinte  … je sais que le temps m’est désormais compté … en plus je n’ai même pas eu le temps de dormir dans la Base Vie …

Mais bon, chaque problème en son temps.
Mettre un pied devant l’autre, vers un destin dont l’issue m’échappe de plus en plus, mais dont l’écho demeure toujours aussi profond …

La montée vers Barèges est raide pour les muscles, mais le soleil met le moral au beau fixe. Et le grand chemin ombragé tout recouvert de feuilles est un vrai régal pour les yeux.

Samedi 24/08 10h58 - 80 km D+ 4930 m - CP7 Barèges position : 430ieme
1h30 d’avance sur la barrière horaire. Je reprends un peu de marge, un peu d'oxygène ... cela fait du bien au mental ...

J’en profite pour faire recharger ma montre GPS et la batterie de ma frontale qui s’est quasiment entièrement déchargée dans la première nuit, et je repars.

Dès la sortie de la ville, le soleil cogne dur, très dur. Il est au zénith et la route caillouteuse qui nous conduit au refuge de Glère, nous aveugle de réverbération, c’est presque une fournaise … heureusement que nous montons en altitude … un peu de fraîcheur. Il fait vraiment soif ! Ne pas oublier de bien boire.

Normalement, une fois le refuge de Glère atteint, le plus dur sera fait. En effet, cela clôturera la dernière grosse phase d’ascension de D+1500m depuis Luz St Sauveur.

Samedi 24/08 14h34 - 89 km D+ 5880 m - CP8 Refuge de la Glère - position : 422ieme
1h55 d’avance sur la barrière horaire.

Enfin, le plus dur est fait ! J’en profite pour m’asseoir à l’ombre, manger avec gourmandise du saucisson et des tranches de cake aux fruits, mélangeant allégrement le sucré et le salé, les TUC et les abricots secs. Les bénévoles sont adorables et d’une bonne humeur rayonnante.

Je m’autorise une pause : je contemple les nuages et leur reflet dans le lac de Glère, c’est si beau, d’une beauté toute minérale …


Lac de Glère et ses reflets de nuages

Je demande aux bénévoles vers où part désormais la trace. Ils m’indiquent une direction droit devant, plein Est, où je suis assez dubitatif sur le passage que nous allons emprunter, cela a l’air sacrément escarpé, au milieu d’une multitude de rochers … et surtout je n'arrive à distinguer aucune trace ... into the WILD !

Allez ! c’est reparti à la conquête de la Hourquette de Mounicot, en passant par le Lac de la Mourelle.
… mais d’abord les quadriceps vont devoir retrouver un semblant d’élasticité dans la descente vers le lac, cela couine un peu.

Effectivement l’entrée dans la réserve du Néouvielle est dantesque … c’est raide, pentu, au milieu d’une multitude de rochers. Ce n’est plus du trail, mais de la course d’orientation à l’état brut : chercher le petit cairn ou la rubalise au milieu d’innombrables et improbables éboulis. Il fait de plus en plus chaud et chaque pas est une recherche d'équilibre.


Dans l'ombre du gros rocher à droite il y a la rubalise ... nous sommes donc bien sur le "chemin" ... j'avais comme un doute ...

Dans l’ascension de la Hourquette de Mounicot, mon regard hagard fixe le coureur au loin, camouflé en blanc et gris poussière.

Au passage de la Hourquette de Mounicot, le signaleur (qui doit me voir quand même bien entamé sous ma couche de poussière) me demande si cela va ?
Et là ! le cri du coeur : "c'est un vrai trail de psychopate !!"... je suis gavé grave de ces foultitudes de rochers.

Mais, je souris de ma voix éraillée, cassée par la fatigue et la chaleur. Je remercie le signaleur (qui fume tranquillement sa clope) de sa présence. La descente raide qui se présente après le col me permet de mieux comprendre toutes ces discussions sur le forum kikourou sur le Néouvielle et ses pierriers … un vrai Paradis Enfer pour les traileurs en fin de course ….

Passage de la Hourquette de Mounicot

Je suis saisi d’une palette d’émotions et de sentiments. Les paysages sont tout simplement magnifiques, et je m’amuse comme un enfant à m’orienter au milieu de ces blocs de rochers, à sauter à cloche-pied de l’un à l’autre, comme une sorte de marelle de Titans. Et en même temps, je m’aperçois que je n’avance pas à cette allure. Je maudis l’organisation et Michel. Je suis en colère, car je sens qu’à chaque saut mon tendon d’Achille se fait de plus en plus douloureux, et va bientôt céder …

Alors que les heures passent et que mes réserves en eau s’épuisent inexorablement, je suis pris en tenaille entre l’envie de me baigner dans l’eau si claire des lacs et la colère d’être arrêté à la prochaine barrière horaire.

Les paysages sont absolument magnifiques … mais pas à faire dans cet état de fatigue … c’est si épuisant, si éreintant…

Le plus surprenant, c’est que je double pas mal de traileurs dans ce jeu de piste que j’affectionne particulièrement, tout en équilibre et déséquilibre. Avec ces "chats perchés" suspendus d’un rocher à l’autre, l'impression de revenir à l’école primaire. De cette époque où ma mère venait me chercher en m'apportant mon goûter, d'une odeur de pluie d'automne sous le préau. Ces souvenirs ravivent ma détermination, je ne peux pas lâcher, pas aujourd’hui, pas maintenant, pas pour maman.

Note d’humour : Ah ! ah ! c’est clair que cela devient plus roulant …

Après le Col de Madamète, alors que nous rejoignons le GR10, mon tendon d’Achille en surchauffe depuis de trop longues heures, tel un réservoir à sec se met à clignoter "Tendinite ! Tendinite !". Un sentiment de solitude m’envahit alors, l’impression de survoler un océan de rochers et d’essayer de rentrer sur un seul moteur, mon regard cherchant désespérément, à chaque butte franchie, d’apercevoir enfin la Cabane d’Aygues Cluses…

Sentir les lèvres se dessécher, alors que la poussière recouvre lentement la peau, les habits ...
Sentir s’estomper petit à petit toute trace de soi ...
Redevenir poussière que le vent emportera ...
... tout disparaîtra ...
Le vent nous portera ... 

Samedi 24/08 20h12 - 98 km D+ 6640 m - Cabane d'Aygues Cluses
1h00 d’avance sur la barrière horaire.

J’ai mis plus de 5 heures dans l’enfer minéral des marelles de Titans pour parcourir ces 9 km (à l'allure escargotesque de 1,8 km/h de moyenne !!!). J'y ai perdu une grande partie de mon tendon d'Achille, et plus d'une heure sur la barrière horaire ... j’enrage.

Au ravitaillement les coureurs du Tour des Lacs (80 km) jonctionnent avec nous.

Rester concentré, ne rien lâcher. Protéger le tendon coute que coute. Réfléchir.

Contenir cette colère d’être arrêté … et mis hors course … se dire que les choses peuvent bêtement s’arrêter là, si près du but … que la Vie est parfois si injuste ...

Je prépare ma frontale pour partir à l’assaut de la Hourquette de Nère. Le témoin de charge clignote … au travers de ma fatigue je comprends que ma frontale n’a pas rechargée...

Réfléchir, rester concentré ... agir et partir, profiter de la faible luminosité du crépuscule tombant.
Monter, respirer, réfléchir.

Invoquer le psaume en boucle, comme un mantra :
"Il donne mission à ses anges
de te garder sur tous tes chemins.
Ils te porteront sur leurs mains
pour que ton pied ne heurte les pierres."

Samedi 24/08 21h35 - 100 km D+ 6950 m - CP9 Hourquette Nère
55 mn d’avance sur la barrière horaire.

Je bascule dans la descente … le plus dur est fait (tiens ! il me semble déjà avoir pensé cela ...) il ne me reste plus que 22 km de descente.

Je suis doublé de plus en plus par les coureurs du 80 km.

Je m’arrête et ajuste ma frontale d’appoint la tikka XP.

J’essaye de m’accrocher à des coureurs qui arrivent et me dépassent. Je n’y arrive que sur quelques dizaines de mètres, … pas assez de luminosité, trop de fatigue, trop de pierres à éviter...  je suis en train de m’étioler, dans la nuit et le silence …

Comprendre rapidement que l’éclairage ne sera pas suffisant pour descendre tranquillement. Me dire qu’il est impératif que je me raccroche à un train de coureurs. Arrêter le premier coureur qui arrive : lui demander : "Veux-tu m’ouvrir la route jusqu’au prochain ravito des Merlans ? C’est important pour moi, je cours pour ma maman." Agripper avec énergie mon sac et lui montrer ses photos, nos photos accrochées. Me demander s’il fera le lien dans la nuit, entre le petit garçon des photos, et l’adulte qu’il a devant lui ?

Et là, une chose extraordinaire : cette personne que je ne connais pas, et qui s’appelle Jean-Luc me répond un simple "Oui", mais qui résonne avec force, qui fait écho en moi, un écho qui rime avec espoir : Jean-Luc accepte de m’ouvrir la route jusqu’à la dernière barrière horaire du ravitaillement des Merlans.

Me dire en mon for intérieur : "Christophe ne déconnes pas ! Saisis ta chance, oublie tout, débranche le cerveau, oublie les douleurs des muscles, oublie la fatigue, la lassitude, accroche toi à ses pas, coûte que coûte, il t’amènera jusqu’aux Merlans".

Une douce sensation irréelle m’envahit alors, comme la douce euphorie d’un verre de vin, la crainte d’être arrêté à la barrière s’est envolée. J’ai une confiance absolue en Jean-Luc. Et dans cette douce ivresse de la promesse tenue, sans m’en rendre compte, je suis en train de basculer, pas à pas, dans un voyage plus onirique, au plus profond de moi, au plus profond de ma deuxième nuit …

Comme si j’étais assis dans le chat-bus du dessin animé "Mon voisin Tororo" de Hayao Miyazaki. Ce dessin animé qu’adoraient regarder mes filles Florine et Lison, quand elles étaient petites.


Chat-bus selon Hayao Miyazaki

Dans mon chat-bus de traileurs, mon horizon se compose des mollets et les pieds de Jean-Luc qui n’arrêtent pas de m’ouvrir la route faite de pierres, de rochers, de marches plus au moins cassantes pour le tendon d'Achille. Il y a deux traileurs derrière moi qui m’enveloppent de la lumière de leur frontale... Je n’ai qu’à suivre, à me laisser porter, emporter …
Peu importe la poussière soulevée.

De temps en temps, mon tendon me tire violemment, et je murmure alors à Jean-Luc, "Peux-tu stp, légèrement ralentir au prochain passage de rochers ?".

Nous discutons, j’apprends que Jean-Luc est comme moi de Kikourou. Cette coïncidence me fait sourire, et nous continuons à descendre dans la Nuit et la poussière, au milieu des pierres et des rochers. Nous parlons de nos trails, de nos pseudos, j’en oublie la fatigue, je n’ai qu’à me laisser porter, c’est si bon …

A un moment, nous entrons dans un entrelacs de troncs, et là ! D’un coup ! Une ombre rampante s’insinue vers moi, mes poils se hérissent d’un coup, d’une peur terrifiante, mon cœur s’emballe, mon sang se glace : je suis en train de voir l’ombre d’un Nazgûl qui se faufile vers moi, pour me saisir et m’empêcher d’accomplir ma quête: NOONNN !!!

Je crois que j’ai rarement eu aussi peur de ma Vie, le temps de réaliser que mes compagnons sont en train de franchir plusieurs troncs …
… il me faudra de longues minutes pour que mon cœur arrête de battre la chamade, mes poils sont encore tout dressés, … j’ai eu tellement peur qu’un Nazgûl saisisse mon poignet avec sa main d’outre-tombe …

Nous continuons notre épopée. Désormais nous sommes en train de longer, en balcon, le lac de l’Oule, même s’il est trop loin pour le distinguer à la lumière des frontales … et là ! Aladdin sur son tapis volant me dépasse sur ma droite. L’Aladdin du dessin animé de Disney !!! Ça y est, je sombre de plus en plus dans le Pays des hallucinations, cela doit faire 42 heures que je n’ai plus dormi … tout a une limite...

Je continue de suivre Jean-Luc, mais la fatigue me terrasse de plus en plus. Je souffle par petits à-coup, pour tenter de me réveiller. J’essaye de ventiler plus profondément. Je cligne frénétiquement des yeux …. rien n’y fait … je suis en train de m’endormir en marchant … de plus en plus de mal à coordonner l’ensemble de mes mouvements … mes paupières se font de plus en plus lourdes…
Je prends de grandes inspirations …
Je me secoue la tête, pour rester éveillé, alors que chaque pas me berce un peu plus …
J'ai l’impression inexorable d’être au "bout de ma vie" … je sais que je suis en train de dépasser allégrement les bornes des limites … le mental ne suffit plus ... tout a une limite...

Je tente le tout pour le tout, et je demande à Jean-Luc que je ne connaissais absolument pas il y a deux heures : "Jean-Luc ce serait bien si je peux dormir 20mn au prochain ravitaillement, là cela devient dur (note spécial du jury de 22/20 sur l’échelle de l’euphémisme)".

Je ne sais comment le dire, mais j’ai besoin de Jean-Luc pour continuer à avancer, c’est mon métronome, mon remorqueur qui m'ouvre le flot des ténèbres.
Jean-Luc qui a perçu au son de ma voix mon extrême fatigue, me répond "ok, je t’attendrai … ". Je m’accroche à ses mots...comme le naufragé à sa bouée ...

... Au détour d'une dernière butte, les lumières du ravitaillement des Merlans deviennent visibles …nous arrivons … mon coeur bondit d'allégresse, je vais pouvoir dormir un peu ... j'en ai tellement besoin ...

Dimanche 25/08 00h28 CP10 Restaurant Merlans - position : 409ieme
1h30 d’avance sur la barrière horaire.

Dans le sas d'entrée, le bénévole me dit qu’il faut que je m’accroche que c’est bientôt l’arrivée … s’il savait mon degré de motivation … bien sûr ! que je ne vais pas abandonner maintenant, pas aujourd’hui, alors que je cours pour maman !

C’est étrange, mais dans cette deuxième Nuit, l’abandon ne m’a jamais effleuré l’esprit, jamais, à aucun instant.

Nous rentrons au chaud du ravitaillement, et je m’enquiers d’un lit. J’ai de la chance : il y en a un de disponible. Je m’allonge sous la couverture. A peine ais-je fais cela, que mon tendon d’Achille me tire très violemment. Je me remonte un peu, pour que la cheville repose sur l’armature métallique du lit de camp, et non plus dans le vide … Je m’endors …

Je me réveille grelottant de tous mes membres. Pas question de repartir s’il y a danger pour ma santé. Je demande à la secouriste si je peux repartir ?

Elle me dit que oui, que les tremblements sont justes dus à la fatigue, de bien me couvrir.
Jean-Luc va me chercher une boisson chaude. Je sors mon caleçon long que je mets entre mon tee-shirt et mon coupe-vent les jambes par-dessus mes épaules, histoire de faire une sorte de deuxième couche de vêtement.

Au ravitaillement j’apprendrais que Jean-Luc est un ancien capitaine de Gendarmerie … ce sens du service aux autres chevillé au corps … une vocation …

De concert, nous sortons du ravitaillement et partons en direction de la dernière montée … l’ascension du Col du Portet .. la Nuit est humide, et froide, et noire.

Il me faudra plusieurs minutes pour commencer à me réchauffer … mais les 20 mn de sommeil m’ont fait du bien, un bien fou.

…. Ça y est nous franchissons le Col du Portet et ses voitures garées sur le bas-côté… l’envie de faire du stop me traverse l’esprit … la tentation de bâcher la course à 10 km de l’arrivée … l’envie de draps … d’une bonne douche chaude … de quitter ce tee-shirt qui me brûle de transpiration sous les aisselles.

… mais je n’ai pas le temps de gamberger, car Jean-Luc m’ouvre la voie sur ce GR10 insipide tout en plat et ornières trompeuses.

C’est étrange mais dans la Nuit, Jean-Luc auréolé de sa frontale, écarte de temps en temps ses bras avec ses bâtons tendus… J’ai l’impression d’avoir alors devant moi Gandalf dans son combat de la Noria, figure protectrice qui m'ouvre les ténèbres de la Nuit.

Ce que j’aime le plus, c’est sa façon qu’il a de se retourner de temps en temps pour bien vérifier que je continue de le suivre, que je ne décroche de son sillage. Cette infinie patience à m'attendre ... me touche ... profondément ... même si certainement par pudeur, les mots me manquent pour l'exprimer.

Mon tendon d’Achille me tire de plus en plus. J’ai décidé de verrouiller complétement ma cheville droite, afin de ne plus être en flexion/extension sur le tendon. Je marche en claudiquant sur ma jambe gauche. Nous avançons lentement, doublés de temps en temps par des coureurs. Que c’est rageant de ne pas pouvoir au moins trottiner sur ce plat. Mais il est indispensable de protéger coûte que coûte le tendon, ne pas aggraver la tendinite si présente.

Ça y est, c’est la fin de ce long plat, et nous attaquons une descente vertigineuse dans les fougères, vers le village de Soulan. Nous traversons la route, et descendons le long d’un ruisseau dans l’humidité.

Entendre le clocher du village de Vignec sonner les cinq heures du dimanche matin.... penser à la chanson de Dutronc …aux Champs Elysées et à Paris qui s’éveille, aux odeurs de croissants chauds dans les boulangeries.

Le sous-bois est encore obscur de la nuit… arriver à la clairière et distinguer les premières lueurs de l’aube. Et dans l’aube naissante de ce troisième jour de course, la ritournelle de Carla Bruni m'envahit de nouveau l'esprit, comme les prémices de la plus belle des promesses tenues :
"On me dit que nos vies ne valent pas grand-chose,
Elles passent en un instant comme fanent les roses.
On me dit que le temps qui glisse est un salaud
Que de nos chagrins il s'en fait des manteaux
Pourtant quelqu'un m'a dit...

Que tu m'aimais encore serais finisher,
C'est quelqu'un qui m'a dit que tu m'aimais encore serais finisher.
Serait-ce possible alors ?!

Mais qui est-ce qui m'a dit que tu m'aimais encore serais finisher ?
Je ne me souviens plus c'était tard dans la nuit,
J'entends encore la voix, mais je ne vois plus les traits
Il vous aime finirac'est secret, lui dites pas que j'vous l'ai dit"

Traverser le village de Vignec endormi … laisser l'esprit vagabonder parmi les champs encore vêtus de leurs oripeaux de brumes …

Remonter le long de la rivière Neste d'Aure, dans le froid humide de la fin de la nuit.... s’approcher inexorablement de l’arrivée.

Alors que nous longeons le centre de vacances, où m’attend une bonne douche chaude, une nouvelle hallucination apparaît sur ma droite : Sophie du Château Ambulant de Hayao Miyazaki m’attend, sur le bord du chemin. C’était le dessin animé préféré de ma fille Florine !

Mon cerveau distingue rapidement que c’est une hallucination. Mais, mes yeux voient très clairement Sophie qui m'attend, à moins que ce ne soit juste mon cœur de papa qui aimerait tant franchir la ligne d’arrivée avec Florine et Lison, comme il y a huit ans à Chamonix…

Alors que chaque pas me rapproche de l’arrivée, et que le pont de pierre de Vielle Aure devient visible, mes yeux voient très clairement une autre hallucination sur ma gauche. Sur le mur de l’abri, il y a un graffiti de Banksy, au style si reconnaissable, mais que je n’ai jamais vu ! C’est un petit garçon en culotte courte, qui doit avoir 6 / 7 ans et qui tend sa main vers le ciel … un peu comme la petite fille au ballon rouge dans le graffiti "There is always hope..."


Banksy "There is always hope" à partir duquel j'ai "découpé" le coeur pour l'accoler à "Maman" sur le photomontage du dossard

Mais le petit garçon est de face, et sa main levée ressemble plus à un salut amical, comme s’il était de ma famille, comme s'il me connaissait, comme si nous nous retrouvions ... Mais qui peut-il bien saluer à 5h40 du matin ?
Nota : c’est en y repensant plusieurs semaines après, que j’ai compris que dans les méandres oniriques de mon inconscient, je m'étais certainement "vu en petit garçon", saluant mon arrivée avec maman, cette boucle enfin bouclée, qui me tenait tant à cœur ….

Entrer dans Vielle-Aure, tourner à gauche, franchir le pont. Se mettre à trottiner. Détacher mon sac pour prendre maman dans mes bras … sentir Jean-Luc me laisser avancer seul dans ce moment si symbolique de l'arrivée, envoyer ma main droite et rattraper la sienne, devenir finisher, avec dans mes bras maman, et dans l’autre main celle de Jean-Luc, mon ange gardien qui m'a gardé sur tous mes chemins, soutenu et remorqué durant ces huit dernières heures … comme si le Psaume était devenu réalité … comme si ...

Dimanche 25/08 05h44 : 122km D+ 7.300m D- 8.400m -  Arrivée Vielle Aure - position : 413ieme


@crédit photo : Cyril Bussat Photossports.com

Je crois que le plus étonnant, c’est de découvrir ce sourire sur mes lèvres, cette joie qui rayonne ... alors que je suis littéralement épuisé ... c'est une joie si profonde ... quasi extatique ...

Voilà je suis finisher, j’y suis arrivé ! Nous y sommes arrivés !

Merci, merci, à l'organisation du GRP d'avoir rendu cela possible, de m'avoir invité. Merci à Carole, Brigitte, Ange et Michel, et à tous les bénévoles qui nous ont accueilli si chaleureusement.

Je suis infiniment reconnaissant à mon camarade d'épopée Jean-Luc (alias Chapiteau) de m'avoir ramené à bon port, à la base. Il a été mon ange gardien qui m'a gardé sur mon chemin durant ces huit dernières heures.

Merci à vous tous qui m’avez encouragé et suivi dans cette course de toute une Vie … de toute une Vie …

EPILOGUE

Automne 2019

Il m’a fallu de longues semaines pour redescendre petit à petit de mon nuage, ou plutôt de ma mer de nuages des Pyrénées, de réaliser ce qui avait été accompli. De le raconter, de le partager, de vous remercier encore.

Découvrir la vidéo de Jean-Luc sur son Tour des Lacs, de mon "irruption" dans sa course : "Christophe un concurrent en perdition arrêté sur le bord du chemin". Je ne m'étais pas rendu compte à quel point j’étais si épuisé … Etre si profondément ému des mots prononcés par Jean-Luc lorsque nous sortons du ravitaillement du Merlans. "Je suis avec le camarade Christophe". Ce mot "camarade" est un mot lourd de sens chez les gendarmes et les militaires. Il traduit le lien qui nous unit. De cette règle implicite de ne jamais abandonner un camarade en détresse sur un champ de bataille, ou en montagne. C’est une règle intangible : "à la Vie, à la Mort". Nous étions dans les ténèbres devenus Jean-Luc et moi des frères d’armes : "à la Vie, à la Mort".

De récupérer aussi, car même si notre quête nous a littéralement transcendée, on ne revient pas physiquement indemne d’une telle épopée de trois jours. De prendre soins de notre corps, qui nous a porté et supporté.

Dans cet après course, parsemé de moments de béatitude, où l’on savoure pleinement ce qui fut accompli, de penser à ce qui pourrait être encore fait … et comme une évidence, s'inscrire auprès de l’organisation du Grand Raid des Pyrénées pour offrir mon aide comme bénévole, passer de l’autre côté de la barrière, contribuer humblement à l’organisation de cette grande fête dans les estives, les refuges et les montagnes des Pyrénées.

Devenir serre-file, devenir à mon tour l’ange gardien :
"Avoir pour mission,
de garder le coureur sur tous ses chemins.
L’éclairer de la frontale dans la nuit et le brouillard
pour que son pied ne heurte les pierres."

Samedi 21 décembre 2019 – Marseille et Paris 6ieme

Lison, ma fille cadette, qui a intégré en septembre la prestigieuse prépa d’école de commerce de Stanislas à Paris (et qui se débat, du haut de ses 18 ans, avec énergie et force au fin fond du classement) m’envoie ce SMS : "Coucou papa je te souhaite un joyeux anniversaire, tu vois que tu vas vivre, tu les as atteint les plus de 50 ans. Je voulais te dire que j’étais fière d’avoir un père comme toi, et que c’est souvent grâce à toi que je trouve le courage d’aller jusqu’au bout des choses, comme tu le fais à chaque course. Passe un très beau week-end, à bientôt."

C’est étrange, d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu cette intime conviction que j’allais mourir avant l’âge de 50 ans …

… comme les zouaves en pantalon rouge garance de la compagnie de mon grand-père fauchés dans les champs de blés ensoleillés de ce mois d’août 1914 …

A moins que ce ne soit tout simplement, le souvenir si douloureux de ce mois d’août 1975, de cet été de mes 7 ans.
de l’insouciance estivale, des rires, des espiègleries, des pâtés de sable, du doux murmure des vagues sur la plage,
de la chaleur du soleil sur la peau,
du goût du sel sur les lèvres,
du goût si sucré des biscuits LU « paille d’or » à la framboise que je partageais avec ma petite sœur Blandine …

… de ce temps qui se fige et se suspend d’un coup !
où notre cerveau s’accroche désespérément à chaque seconde, à chaque détail, comme au parfum à la fleur d’oranger du vendeur de chichi sur la plage,
Retenir désespérément chaque seconde, chaque détail, avant la déflagration si puissante, qui vous pulvérise...
comme si tout s’éparpillait …
Comme si tout s’écroulait comme un château de sable...
il n’y a plus rien … qu’un vide béant …
que de la sidération …
même pas encore du chagrin,
que de la sidération …

… ma mère venait d’être emportée brutalement d’une rupture d’anévrisme … elle venait juste d’avoir 34 ans …

Les phalanges de ma main étaient devenues blanches, à force de serrer de toutes mes forces mon poing, pour qu’aucun grain de sable ne s’échappe …
Aucun !
Comme s’il s’agissait d’une question de vie ou de mort …
Comme si …

Je m’en souviens encore, comme si c’était hier …
… je m’en souviens encore, comme si c’était hier …

 

… Il me faudra plusieurs longues minutes pour remonter à la surface du Présent, à la réalité si touchante du SMS de Lison … d’en sourire avec tendresse…
Sourire, de la retrouver dans les jours qui viennent, de fêter ensemble mon anniversaire, et puis Noël en famille.
Sourire, de ces années passées à veiller sur elle, sur sa sœur Florine, de les réveiller chaque matin par un baiser posé tendrement sur leur front, de les emmener à l’école.
Sourire, de toutes ces années à regarder chaque jour mes filles grandir.
Sourire, de les voir maintenant poursuivre leur chemin, tracer leur route de jeunes femmes …

Je souris de tout cela, … qu’il est si bon parfois de se tromper …

Dimanche 10 Janvier 2021 – Marseille

Il m'aura fallu 18 mois pour trouver le courage d'écrire notre récit. Repousser tout doucement, mois après mois, son premier, mais surtout son dernier mot.

Dehors il pleut, le ciel est bas. La pluie a laissé un collier de larmes sur la rambarde. Dans ce crachin chargé de chagrin, du poids de ces derniers mots que je suis en train d’écrire, je ne sais pas si tu peux m’entendre, ou si je suis là, tout seul devant mon clavier.

Je sais juste que le goût salé des larmes qui glissent me rappelle ma fierté de petit garçon blond d’avoir une maman comme toi. 

De cette fierté emplie d’innocence enfantine d’avoir réussi à boucler le Grand Raid des Pyrénées avec toi.

De cette même fierté que j’avais lorsque pour la fête des mères, je t’apportais ton collier de nouilles perles et que je te récitais mon poème.

Quand, je me lovais tendrement dans le parfum de tes cheveux, ce havre de douceur et d’amour.

De te remercier du fond du cœur, de ce courage que tu m’as donné d’aller de l’avant, malgré ton départ si brutal, de surmonter mes peurs, de ravaler mes pleurs.
De mettre parfois le genou à terre, d’abandonner quelquefois.
Le courage de me relever, de ne pas renoncer.
Le courage d’oser, d’aimer, de rire, de vivre.
Le courage de donner et transmettre la Vie …

De ce sourire qui nait toujours sur mes lèvres quand je pense à toi.

Je t'embrasse.

PS : les pierriers sont-ils faits de poussières et de larmes versées par les anges …

 Pierrier dans le Néouvielle

16 commentaires

Commentaire de Ciboulette posté le 15-03-2021 à 10:59:10

Oh la la,

Quel hommage émouvant…
Je suis émue et triste pour vous.
J'imagine à peine combien ça a dû être compliqué, du haut de vos 7 ans, de faire face à cette tragédie. Avancer sans lumière pour nous guider, sans réconfort pour les petits chagrins et sans oreille attentive pour les confessions… car c'est ce que sont les mamans pour les enfants.

Mais je crois qu'elle ne devait pas être très loin de vous toutes ces années, pour vous donner autant de force et de générosité.

Commentaire de DJ Gombert posté le 17-03-2021 à 18:17:25

Bonsoir,
Votre regard de maman me touche et m’émeut profondément.
Merci pour le rappel par vos mots, de ces petits gestes du quotidien qui sont si importants … et que l’on oublie parfois…. tellement ils sont évidents …
Merci, merci.

Commentaire de Gilles45 posté le 15-03-2021 à 17:42:04

Jamais un CR ne m’avait autant ému. Je n’ai pas de mots si ce n’est te remercier pour avoir pris le temps de partager cette belle aventure.
Merci merci merci

Commentaire de DJ Gombert posté le 17-03-2021 à 18:18:39

Merci, merci Gilles,
Les plus beaux moments d’une vie, sont ceux que l’on partage, merci de me l’avoir rappelé.

Commentaire de Gilles45 posté le 15-03-2021 à 17:42:55

Jamais un CR ne m’avait autant ému. Je n’ai pas de mots si ce n’est te/vous remercier pour avoir pris le temps de partager cette belle aventure.
Merci merci merci

Commentaire de DJ Gombert posté le 17-03-2021 à 18:18:57

Tu, c’est très bien ;-)

Commentaire de chorizo13 posté le 21-03-2021 à 14:05:04

Bon mon ami, comment te dire tout ce que je pense de toi, tu es unique et être ton poto me rend plein de fierté, ton récit fait remonter en moi tellement d'émotion que je m'y suis repris en plusieurs fois pour le terminer.
Merci d'être toi.

Commentaire de chorizo13 posté le 21-03-2021 à 17:33:23

Bon mon ami, comment te dire tout ce que je pense de toi, tu es unique et être ton poto me rend plein de fierté, ton récit fait remonter en moi tellement d'émotion que je m'y suis repris en plusieurs fois pour le terminer.
Merci d'être toi.

Commentaire de chapiteau posté le 22-03-2021 à 11:29:48

Christophe, beaucoup d'émotion en lisant cette épopée et notre superbe rencontre. Merci pour ce partage, peut être que tu feras la même chose pour moi sur le prochain GRP. A bientôt.

Commentaire de Benman posté le 06-04-2021 à 02:51:46

Bravo Chapiteau et bravo Christophe.
Ce recit est très humain. La quête du petit enfant est magnifiée par l'aventure des 2 adultes qui s'entraident pour porter jusqu'au bout cet hommage. C'est très beau. Merci d'avoir pris le temps de nous le partager et de donner les clés pour comprendre pourquoi tu as gardé ce recit si longtemps dans ton cœur avant de nous le délivrer.

Commentaire de meocli posté le 18-04-2021 à 09:21:19

Je ne t'apprendrai rien en te disant que ton récit m'a ému (même si je suis loin d'être aussi mystique et pas du tout croyant).
Le surgissement du Nazgûl m'a beaucoup fait rire. Sur le Tor des géants, j'ai été réveillé par une jeune concurrente russe alors que j'étais en train d'engueuler mes enfants qui jouaient trop près des barrières et donc du vide. Bien sûr, il n'y avait ni enfant ni barrière et j'étais en train de marcher.

Commentaire de Helltrail posté le 04-05-2021 à 16:40:28

beau récit, bravo !

Commentaire de Le Lutin d'Ecouves posté le 31-05-2021 à 18:58:38

Que de sentiments et d'émotions ! Merci pour ce récit et merci d'avoir pensé à notre Mustang. Une pensée pour ta Maman...

Commentaire de Aiaccinu posté le 18-06-2021 à 09:26:09

Merci pour ce beau récit

Commentaire de akunamatata posté le 21-06-2021 à 18:27:37

Toujours une belle plume Christophe !

Commentaire de TomTrailRunner posté le 30-01-2022 à 11:08:09

Quelles émotions...
Ton récit, lu grâce au tome 2 du livre, m'a comme chacun ému. Lu dans un avion la veille d'un ultra, il m'a renvoyé à des questions sur mon père avec qui je n'ai pas eu le temps de trouver des réponses. Merci

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