Récit de la course : Spartathlon 2003, par déhel

L'auteur : déhel

La course : Spartathlon

Date : 26/9/2003

Lieu : Athènes (Grèce)

Affichage : 753 vues

Distance : 246km

Objectif : Pas d'objectif

3 commentaires

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spartathlon 2008

Spartathlon 2008-

 

Note au (x ) lecteur(s) : d’aucuns jugeront ce récit un peu long. Certes. Mais la plus longue course du monde en une étape ( en fait, il existe au Japon une épreuve comparable nettement moins connue) ne se résume pas en quelques lignes. En outre , le Spartathlon ne se réduit pas aux 36 heures autorisées de course proprement dite : les concurrents arrivent à Athènes l’avant-veille du départ et quittent la Grèce trois jours après l’arrivée. Durant ce séjour se nouent de multiples liens, se partagent des émotions intenses, que l’on soit ou non « finisher ». Sans doute chacun le vit-il plus ou moins intensément. En ce qui me concerne, cette semaine est d’ores et déjà inoubliable, de par la richesse des relations que j’ai établies avec mes compagnons. Je ne prétends qu’à – essayer de – les communiquer. Et puis si vous ne voulez que connaître la fin , vous pouvez toujours faire glisser le curseur vers le bas. Non mais sans blague.

Spartathlon. Un mythe. En 490 avant Jésus-Christ , les Perses de Darius attaquent Athènes dont les dirigeants sollicitent l’aide de Sparte ; ils envoient donc un messager , Pheiddipidès , qui reliera Athènes à Sparte en 36 heures selon Hérodote. Pour l’histoire , les Spartiates tarderont  à mobiliser les armées requises , entre-temps les Athéniens auront vaincu les Perses à Marathon : naissance d’un autre mythe.

Au début des années 1980 , trois Anglais décident de reconstituer et d’effectuer eux-mêmes le parcours supposé de Pheiddipidès , puis de créer une véritable course : ce sera le Spartathlon : Athènes – Sparte , 246 kilomètres , un col de 1100 m à franchir en plein milieu , délai imparti 36 heures , température moyenne dans la journée 27°…Sur les dix dernières années , 61% d’abandons. Une promenade !!!

Cette course , j’y pense depuis plus d’un an ; depuis qu’à Eppeville , lors des 24 heures de mai 2007 , j’ai rencontré un «  Spartathlète « et  qu’en extrapolant nos résultats respectifs j’ai calculé que , mathématiquement , l’objectif était à ma portée. J’ai pris la décision de m’inscrire après les 24 heures de Vallauris en décembre 2007 , la distance parcourue – 185 km – me confortant dans mes espérances. J’ai donc entamé 2008 avec une seule idée : me préparer au mieux pour le jour J , à savoir le 26 septembre. Pour ce faire , des plans d’entraînement axés sur l’ultra et des épreuves peu nombreuses mais choisies de manière à monter en charge progressivement : trail de 82 km en février , le marathon de Paris en avril comme préparation aux 100 km de Steenwerck en mai , le Raid  du Morbihan – 177 km- fin juin ( précédé du marathon de Marne –et – Gondoire en « off » : j’étais parti avec sac à dos et chaussures de trail, en auto-suffisance , une heure environ avant le départ officiel , me présentant aux points de ravitaillement comme l’ouvreur de l’épreuve – «  non, non, ce n’est pas le premier, c’est l’ouvreur ! « Un certain succès en somme…) . A partir de la mi-juillet , j’ai scrupuleusement suivi un plan concocté par Bruno Heubi qui m’avait gentiment été envoyé – le plan, pas Heubi – par Annick , concurrente malheureuse en 2003. Sois- en remerciée , Annick , à 4 jours du départ , je me sens prêt , dans les jambes et dans la tête. Il est en effet évident que la préparation mentale est essentielle avant de s’engager dans une telle épreuve ; elle a consisté pour moi en lecture de nombreux témoignages , visionnage de vidéos tournées lors des éditions précédentes , échanges sur la toile avec d’autres concurrents, et beaucoup, beaucoup de méthode Coué ! J’ai par exemple remarqué qu’à partir du 50ème kilomètre , les postes de ravitaillement sont espacés d’au maximum 4 km : un aller-retour sur la base de Vaires, que j’ai couru des dizaines de fois…Ce sera donc ma référence , mon leitmotiv : je ne peux pas être incapable de courir, ou même de marcher, un aller-retour du stade nautique ! Il suffira de me le répéter à chaque poste si besoin est…

Mardi 23.09.  Demain le départ pour Athènes. La préparation est achevée , je ne tiens plus , vivement vendredi ! Ce mélange d’appréhension et d’impatience : si je ne suis pas prêt maintenant, je ne le serai jamais. Alea jacta est , je ne sais pas le traduire en grec. La liste des engagés est officiellement publiée : 366 inscrits originaires de 33 nations ; les cinq continents sont représentés , l’Afrique a minima avec un seul participant , Algérien. J’ai le dossard 309 , j’espère que cela ne sera pas mon classement ! Bien , arrêt provisoire , lorsque je me réinstallerai devant le clavier , l’avenir sera passé – vachement lyrique, le mec -.

Coucou , me revoici. Je sais comment l’histoire se termine ; si vous n’avez pas le courage de tout lire , curseur à droite , etc…

Départ de Paris mercredi en fin de matinée , ma nuit a été plus longue que celle de la majorité des Français , partis à l’aube. Vol sans histoire , quoique ma voisine ait manifesté tout au long du trajet l’ angoisse d’un crash éventuel  - pleurs, tremblement, etc…Je prends le bus pour l’hôtel London , Q.G du Spartathlon , avec un groupe d’Italiens dont l’un a un faux air de Scott Jurek ( vainqueur des 2 précédentes éditions), ce qui lui vaudra d’être sollicité dès l’arrivée à l’hôtel par un groupe de Japonais voulant se faire photographier avec lui ! Les chambres sont occupées par 3 ou 4 coureurs et sont affectées par ordre d’arrivée et si possible par nationalités. J’ai la chance d’en étrenner une de 3 lits , ce qui me permet de m’installer tranquillement. Mes deux colocataires sont respectivement Suisse et Estonien ( l’unique représentant de ce pays) , très « cool ». Diner correct au restaurant de l’hôtel et dodo.

La matinée du jeudi étant libre , j’en profite pour prendre le tramway vers le centre historique d’Athènes – Temple de Zeus , stade antique , Acropole …Je vous recommande de gravir , face à celui-ci , la colline boisée , vous avez un point de vue sur tout Athènes et sur l’ensemble de l’Acropole qui mérite le détour. Ayant prévu de retourner à l’hôtel , situé au bord de la mer dans le quartier résidentiel de Glyfada , pour déjeuner , je me dirige vers la station de tramway pour y apprendre que les conducteurs sont en grève ! Je devrai mon salut à une sympathique Athénienne qui me conduira vers l’arrêt de bus adéquat. L’après – midi est consacré à la sieste , à la préparation du matériel et au briefing d’avant-course réunissant tous les coureurs dans le hall de l’hôtel .Exposé du règlement, consignes pratiques, etc…A ma demande concernant l’interdiction des baladeurs – que je pensais justifiée par le risque de distraction et d’accident eu égard au trafic -, on me répond en fait que la musique est assimilée au dopage ! Ce n’est pas totalement faux au sens strict , mais un peu exagéré tout de même !

Vendredi . Réveil à 4h45. Déjeuner léger mais consistant. Je consacre une bonne demi-heure à la préparation des pieds, moyennant quoi je ne récolterai en tout et pour tout que deux ampoules. Sur le plan équipement , une ceinture avec 2 mini-bidons sur laquelle j’ai greffé deux pochettes-filet remises à l’UTMB : elles serviront de réceptacle à divers objets (lunettes, nourriture ) et une banane contenant ma frontale, des pastilles de dextrose et de Sporténine, des pommades anti-inflammatoire et hydratante et mes boosters. Il me semble inutile, compte tenu de l’écart entre chaque P.C et des produits qui y sont proposés, de me charger davantage.A 6 heures , transfert au pied de l’Acropole, devant l’Odéon. J’y trouve la plupart de la French Team : Christine , dont j’apprendrai plus tard qu’elle est la femme d’un collègue ; Katell, que j’ai croisée au Morbihan – nous ne nous connaissons pas - , accompagnée de Jean-Pierre, qui habite à quelques kilomètres de chez moi – ce que j’ignorais – ; grièvement blessé au triathlon de Nice, il a peu couru depuis et ne pense pas aller bien loin. Marc , également de mes voisins, tente sa chance pour la 3ème fois. Gilles et Jean , « Kékés  du Bocage » sont des vétérans de l’épreuve dont Thierry, troisième Kéké, ne prend pas le départ : fiévreux, il vomit depuis son arrivée à Athènes et se sent incapable de courir ; bonjour la frustration ! Hervé , « finisher «  dès sa première participation l’an dernier ne sait pas trop pourquoi il remet ça : j’ai l’impression qu’il s’agit pour lui d’une sorte d’exorcisme.

7h00. Départ. Nous contournons l’Acropole et poursuivons sur de larges artères urbaines dont les carrefours sont neutralisés par de nombreux policiers, ce qui occasionne des bouchons manifestement peu appréciés de ceux qui y sont bloqués. Le trafic est libéré peu après, de sorte que nous courons sur les bandes d’arrêt d’urgence, dépassés par les voitures, motos et camions engendrant un vacarme peu supportable et une promiscuité franchement anxiogène. On a beau être prévenu , courir dans ces conditions est pour le mois surprenant, surtout en compétition ! A cela s’ajoutent les effluves des pots d’échappement , des stations d’essence et bientôt des raffineries…La vie au grand air ! Cette atmosphère nous est infligée jusqu’au 30ème km environ.

Alors que je quitte le C.P 7, je reconnais Katell qui y arrive : «  Ca va Katell ? » « Bof… » «  Comment ça, bof ? Ce n’est pas une réponse , bon, on part ensemble”.Nous démarrons donc côte à côte, sans imaginer que…Le premier marathon est bouclé en 4h. environ, nous avons déjà une avance confortable sur la barrière horaire, mais il en reste cinq ! Nous courons désormais sur une corniche longeant le golfe de Salaminte , la qualité du paysage s’est nettement améliorée ! Jean, Gilles et bientôt Christian nous accompagnent, mais seuls Katell et moi restons ensemble constamment. Nous sommes l’un et l’autre impressionnés par la vivacité – le mot n’est pas trop fort – de Christian qui, tout en s’empiffrant à chaque P.C, maintient une allure qu’il nous sera impossible de tenir. Pour nous, il ne tiendra pas à ce rythme ! Et pourtant…

Vers le 60ème km, une camionnette s’arête devant nous. Jean-Pierre en descend : «  Ils m’ont arrêté au 50ème ». Se tournant vers Katell : «  Continue pour moi ». Je m’entends alors lui dire : » Je l’emmène à ta place ! » . Et nous repartons.Il reste quelque 180 km pour tenir cette promesse.

Nous allons, Katell et moi, faire connaissance au fil de kilomètres. Nous devisons agréablement sur divers sujets : professionnel brièvement, course à pieds évidemment, plus personnels progressivement. Je découvre ainsi une remarquable personnalité, dotée d’une volonté, d’une lucidité et d’une capacité de réaction face à l’adversité impressionnantes. Peu avant Corinthe sera signé un pacte solennel : nous irons ensemble jusqu’à Sparte. Cet accord sera concrétisé, si j’ose dire, par une expectoration plongeante, émise du haut de la passerelle surplombant l’imposant canal ; il s’agit d’une coutume locale selon laquelle un vœu est exaucé dans ces conditions. Je vous laisse deviner lequel…Nous avons décidé de ne pas traîner au P.C de Corinthe (km 80), véritable piège pour les coureurs : fraîcheur sous les arbres – la température sur la route est d’une trentaine de degrés-, nourriture abondante, matelas et kinés, et surtout LE car climatisé, refuge de celles et ceux qui abandonnent ici, souvent victimes de la chaleur , fatigués prématurément ; plus d’un tiers des concurrents capitulent à Corinthe, alors qu’ils sont tous, selon les critères d’inscription, au moins cent-bornards ; étrange phénomène…

Quoiqu’il en soit, pas question de s’arrêter, nous repartons au bout de 5 minutes, encouragés par Jean-Pierre qui a intégré l’équipe de supporters de Gilles, à savoir Françoise son épouse, et Thierry qui a préféré se déplacer plutôt que rester se morfondre à Athènes.Le règlement stipule que les accompagnateurs peuvent assister leurs « poulains » à certains P.C qu’ils relient en voiture, mais tout contact est interdit en dehors de ceux-ci sous peine de disqualification du coureur. Compte tenu du nombre de voitures d’officiels que nous avons observées, guère envie de tricher ! Gilles, qui a pris quelque repos à Corinthe, nous dépassent peu après, nous ne le reverrons plus- du moins pendant la course.

Peu avant le PC 24 (87 km), tandis que nous avançons sur une route assez étroite, surgit brusquement devant nous d’un taillis bordant la chaussée une jeune femme qui s’effondre violemment à plat ventre sur celle-ci. Nous l’aidons à se relever, c’est une asiatique ; elle a heurté le sol avec la mâchoire et semble désorientée. Katell la calme en lui parlant doucement, je vérifie rapidement qu’elle n’a pas de lésion corporelle significative, et tout le monde repart .Sans doute a-t-elle trébuché après avoir satisfait un besoin naturel , toujours est-il qu’elle nous inquiète un peu. Parvenus au PC, nous signalons l’incident aux bénévoles, mais l’arrivée de notre protégée, visage enveloppé dans un bandage artisanal, nous rassure.

Anticipation : cette jeune concurrente, japonaise, sera la dernière classée avant le seuil des 36 heures. Lors de la soirée de gala, elle nous offrira un témoignage de sa reconnaissance et notera nos adresses afin de nous expédier les photos que nous aurons prises ensemble. C’est le Spartathlon.

Nous franchissons le cap des 100 km en 10h53, soit une avance d’une heure et 20 minutes sur la barrière. Aucun signe de défaillance. De toutes façons j’ai décidé que nous irions au bout, seul un accident pourrait nous en empêcher. Pour tout dire, j’ai dans ma pochette un billet de 20 euros qui me permettrait, au cas où je serais «  off-limits », d’acheter un ravitaillement suffisant pour atteindre Sparte. Même non classé, je veux finir, et je sais que Katell partage ma détermination. Peu avant la mi-course, je récupèrerai mon coupe-vent pour la nuit. En vue de Néméa, - 123 km -, nous annonçons fièrement à un concurrent que nous avons rejoint : «  It’s the half ! ». Il nous répond gentiment qu’il en est à sa treizième participation…Nos supporters nous y attendent, je me sens un peu moins bien, un bol de nouilles –froides !- n’y changera pas grand-chose. Depuis quelque temps, seuls les bonbons dont j’ai fait ample provision trouvent grâce dans mon estomac ; heureusement, nous disposons depuis la nuit de boissons chaudes. Bref, un coup de moins bien, ce ne sera pas le seul ! Katell m’encourage. Nous appliquons en fait le principe des vases communiquant : celui qui va bien transfère une partie de son énergie à l’autre ; et par chance – ou par volonté ?-, nous ne sommes jamais défaillants simultanément, en tout cas nous ne l’extériorisons pas. De sorte que nous continuons d’avancer en maintenant notre marge.

Nous approchons du gros morceau : le franchissement de la montagne ; entre Kaparelli (km 155) et Sangas ( km 163), 800 mètres de dénivelé positif pour aboutir au col et une descente de 2,3 km. La portion la plus difficile, et la plus dangereuse , appelée par les autochtones « Echelle du Bey », est un chemin de mules , un pierrier étroit et tellement pentu qu’il faut parfois s’aggriper aux buissons pour éviter le recul. Le temps imparti pour son ascension est de 30 minutes, il nous en faudra 20. Dans la descente, on se lâche ! Technique trail , nous doublons tout le monde, surtout des asiatiques manifestement peu inspirés par le sol irrégulier. Ca va mieux !

Samedi 7 heures. 24 heures de course, nous sommes entre le km 175 et le 176.L’an dernier, Hervé franchissait le cap des 182 km à cette même heure , ralliant Sparte en moins de 35 heures. Nous sommes donc encore dans le coup ! Le jour se lève , il ne fait pas très chaud, nous convenons de profiter le plus possible de cette température clémente pour avancer « rapidement », quitte à réduire l’allure ultérieurement ; toujours l’obsession de la barrière. Au lever du jour, nous décidons d’appliquer la méthode dite « de Cyrano », en alternant 10 minutes de course et 5 de marche , cette technique , à condition de la respecter scrupuleusement, garantit une progression satisfaisante en minimisant la fatigue ; nous l’adapterons bien sûr au terrain, pas question de sprinter dans les côtes ! A l’un des PC, je demande à consulter la liste des concurrents qui nous ont précédés, et constate que Christian, loin d’avoir « explosé », est en 20ème position ! Pour sa première participation , un véritable exploit – il gardera cette place jusqu’au bout, chapeau bas, compadre-. Cela dit, nous restons stables, notre avance s’est un peu amoindrie, autour de 50 minutes, ce qui nous suffit largement ; aucun objectif chronométrique, 35 h59 nous satisferaient – il faut d’ailleurs noter qu’hormis pour les trois premiers, il n’y a pas de classement officiel dans cette épreuve, seul le temps apparaît sur le diplôme -.  Le relief est assez varié, nous sommes à présent sur la route principale reliant Athènes et Sparte, la circulation devient chargée et nous oblige à maintenir un bon niveau de vigilance. Les automobilistes nous encouragent de plus en plus, ça stimule ! Les 200 km sont franchis avec une avance confortable, il nous reste plus de  6 heures pour courir un marathon ! Fort heureusement, l’appareil digestif est toujours fonctionnel , de sorte que l’alimentation ne pose pas de véritable problème, si ce n’est une impression de saturation – je ne supporte plus le coca !- qui oblige à varier le plus possible les apports. Le reste de l’organisme tient le coup et le mental sinon au beau fixe, du moins à un bon niveau. Toutefois, la méthode « base de Vaires » - pour ceux qui ont oublié, déplacez le curseur vers le début de ce récit – est moins efficace : la longueur de la base augmente avec l’exportation !

Il reste 20 km environ ; un semi , à peine ; rien ne peut nous empêcher d’arriver, hormis la blessure, que nous allons prévenir en continuant d’appliquer , même dans la descente finale , le « Cyrano », à raison de 5 minutes de course pour 3 de marche. Nous sommes dépassés par Saïd que je salue ; il nous prie de l’excuser de ne pas rester avec nous, mais comme il se sent pousser des ailes, il en profite ; sa troisième tentative sera la bonne.

Sparte est en vue ; nous avons l’un et l’autre imaginé notre arrivée commune, comme un réalisateur son film. L’entrée dans Sparte est décevante visuellement, la ville est moche ; peu importe, tous les automobilistes nous encouragent. Dernier PC, 1,8 km de l’arrivée ; je me sens las, je sais que nous allons arriver dans les temps, pourquoi un effort supplémentaire , pourquoi courir encore ? Katell ne l’entend pas de cette oreille, elle veut courir, elle tient à cette arrivée triomphante, « allez, on se bouge ! »- «  Fais ch…les bonnes femmes ! » hurlé-je dans la grand-rue de Sparte qui nous conduit à la statue de Léonidas. D’ailleurs, où est-elle cette statue ? « La voilà ! Ah non, c’est un camion.. » Ca n’en finira donc jamais ? Encore un virage, ça y est , ce coup-ci, c’est elle, là, au bout , avec la foule, les gamins en vélo qui encadrent les coureurs. J’ai prévenu Katell, j’ai tant imaginé cet instant, je serai en larmes , il faut qu’elle me guide pour monter les marches vers le pied de Léonidas , je ne veux pas me casser la gueule ! Derniers mètres, des dizaines de spectateurs nous applaudissent, nous apercevons Christine qui a rejoint Sparte après son abandon, elle pousse des  Youyou , j’agrippe la main de Katell , nous décollons vers la statue, tiens elle n’est pas très haute, nos deux mains ensemble sur le pied de Léonidas, le Spartathlon est terminé, je pleure, de gros sanglots, Brigitte – la femme de Marc- qui filme la scène me dira qu’elle n’a jamais entendu un homme pleurer comme cela, nous restons Katell et moi dans les bras l’un de l’autre, je n’exagère rien, les photos en témoignent. Un officiel dépose sur ma tête la couronne d’olivier, me remet le trophée, je bois une gorgée de l’eau sacrée, Katell est dans les bras de Jean-Pierre, en larmes, forcément. Totalement étourdi, je suis conduit par une dame en blouse blanche vers le poste de secours, je m’assieds- pour la première fois depuis le départ de la course –sur un fauteuil, une autre dame me retire délicatement chaussures et chaussettes, trempe mes pieds dans une bassine d’eau tiède et me les nettoie doucement. Deux ampoules, rapidement crevées par une troisième personne, un médecin passe vérifier que je n’ai pas besoin de soins plus importants, Jean le Kéké arrive maintenant, bravo vieux. Katell revient vers moi, un long regard, pas besoin de parler, 220 km ensemble sans se connaître auparavant, les discours sont inutiles. Elle veut assister aux dernières arrivées, je n’en ai pas le courage, je veux me coucher, on me propose un taxi vers l’hôtel, j’y vais.

Deux autres coureurs occupent déjà la chambre, dont Saïd, arrivé peu avant nous. Une douche vite expédiée – avec un malaise à la clé- et au lit. Sommeil agité, les pensées refluent, douleurs diverses des pieds et des jambes. Un doute m’assaille soudainement, en pleine nuit : n’ai-je pas oublié mon trophée ? Non, impossible, quoique dans l’effervescence du poste de secours…On verra demain. Au réveil plus de doute : pas de trophée. L’essentiel de la –courte- matinée consistera donc à solliciter les organisateurs. Ce n’est pas le plus important, certes, mais il y a la valeur symbolique, et que vais-je apporter à la prochaine réunion du club ? Christine, qui semble connaître beaucoup de monde, expose mon problème à l’une des responsables, qui promet de le résoudre. En fin de matinée, départ vers un grand restaurant de Sparte où le maire, entre autres personnalités, doit prononcer une allocution avant le déjeuner. Et là, ô divine surprise, le grand chef du Spartathlon m’appelle au micro afin de me remettre mon trophée. Merci Christine ! Plein de reconnaissance, je jugerai utile d’exprimer au nom de tous les coureurs nos remerciements aux organisateurs et aux bénévoles, initiative appréciée par les destinataires. Avant que nous nous dirigions vers les cars, le Big Boss nous avertit : « No wine in the bus ! ».Ah ? Cela n’est pas dans nos intentions !

Dans les nôtres non, mais d’autres affichent clairement les leurs.Le fond du car décrété colonie française se voit envahi par Scott Jurek, qui vient de gagner son 3ème Spartathlon consécutif, Valmir Nunes, ancien champion du monde du 100km (6h20 !), et un autre Américain Mark, soi-disant recordman des 24 heurs aux USA.Passablement éméchés, ils portent 5 ou 6 bouteilles, même la gourde de Jurek est pleine ! Inutile de préciser la nature du breuvage.

Je vous épargnerai les détails de ce voyage de retour vers Athènes au cours duquel Nunes (qui a abandonné) pleurnichera dans mes bras en se plaignant de l’organisation et de sa femme, Jurek s’affalera sur le plancher du car pour dormir entre mes pieds –la photo sera prochainement aux enchères !- pour finalement vomir sur le siège de Brigitte qui n’en demandait pas tant, tandis que Mark entreprendra une drague pour le moins accrocheuse auprès de Christine dont nous pourrons admirer la résistance flegmatique. C’était l’épisode : quand les champions « se lâchent ».

Revenant dans le même hôtel, nous pensions naïvement récupérer nos chambres. Que nenni ! Rien n’était prévu ! Nous obtenons une chambre pour 4, que je partagerai avec Hervé, qui a bien terminé son 2ème Spart – après la course, on dit « Spart », c’est plus chic, on est entre initiés-, Thierry et Jean. Somme toute, un hébergement un peu…spartiate – oui je sais, c’est facile mais je n’ai pas pu m’en empêcher- mais sympathique – malgré l’odeur disons, virile…Dîner, dodo. Nuit un peu agitée en raison de douleurs diverses mais supportables.

Lundi. Le soleil est de retour, nous décidons de prendre le bus pour le Cap Sounios, distant d’une quarantaine de kilomètres, où après la visite d’un temple nous dégusterons face à la mer un succulent repas de poissons arrosé d’un vin blanc frais offert par Christian qui célèbre sa performance. Retour à l’hôtel nous préparer pour la Big Ceremony du soir à l’hôtel Imperial, où, avant d’attaquer un copieux buffet, chaque arrivant recevra une médaille, un diplôme et, surprise, des photos prises à l’arrivée. Particulièrement gâté, j’en reçois 4, d’excellente qualité et très émouvantes. Le vin aidant, nous baignons dans une douce euphorie…

C’est Thierry qui, me serrant la main mardi matin devant l’arrêt du bus, aura le mot de la fin : « Quand on a réussi cette course, on n’est plus le même ». Il a sans doute raison.

 

A Katell, Jean-Pierre, et toute la bande des Frenchies.

 

3 commentaires

Commentaire de agnès78 posté le 05-10-2008 à 20:25:00

loin d'être trop long ce récit est captivant : on vous suit tous les deux du CP7 à l'arrivée! BRAVO... c'est vrai que katel est une sacrée ptite nana! Bonne récup!
bises
agnès

Commentaire de Epytafe posté le 08-05-2009 à 23:47:00

Trop long ? Quelle idée bizarre... Merci pour ce magnifique récit !

Commentaire de CROCS-MAN posté le 18-11-2009 à 21:19:00

Quelle Aventure!!!!
Bravo et merci.

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